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"bloc-notes du Désordre" à l'Université de Rennes. | ||||
Mardi, octobre 01, 2002 ![]() Dire ou plutôt tenter de dire comment s'est passée cette fameuse
intervention de Rennes, dire ou plutôt tenter de dire l'université, ses
drôles de moeurs et ses manies. L., lui, en rend parfaitement compte,
comme toujours dans
un de ses albums photos, excellente pratique dans laquelle il témoigne
par le texte ( souvent très drôle ) et les images de ces divers événements
culturels qui jalonnent notre vie, toutes ces tentatives, certaines même,
misérables, les notres, de faire sens, de donner du sens à nos vies de
chercheurs de la petite semaine, de sortir de nos antres et d'aller vers
les autres, de leur montrer peut être pas le fruit de nos entrailles,
enfin pas toujours, mais celui de nos recherches, au moins ça. Des fois ça rate, souvent, des fois c'est de la félicité, ce qui avait
été patiemment assemblé en usine, continue de fonctionner en public, le
lendemain, c'est avec bonheur que l'on retourne dans les ateliers et que
l'on retrouve les odeurs familières des copeaux, de la graisse, de
l'huile, de la thérébenthine, de l'encre, et puis aussi celles des feutres
à alcool ou encore ces odeurs de plastique libérées par des cellophanes
enfin déchirées (Hier soir je n'avais pas fait de polaroid depuis des
années et en ouvrant le ventre de l'appareil pour le gaver, cette odeur
incomparable entêtante et chimique, qui résisterait longtemps à ma
description, je n'essaie même pas, qui était restée prisonnière tout ce
tems dans l'appareil et qui me donne à revoir toutes ces images attendues,
dans la lente apparition des formes, les ombres en premier, lenteur
d'apparition qui fait mentir cette notion de photographie instantannée).
Quand ça foire au contraire, on se demande ce que l'on est venu chercher
et les lendemains sont plus poussiereux, l'atelier est dans le désordre
lamentable qui a prévalu à l'agitation et aux préparatifs fébriles, une
seule chose à faire se saisir du balai et pousser dans un coin, poussière,
bandes de papier, vider pots de justeuse et opaque térébenthine, vider les
corbeilles saturées d'emballages arrachés sans soin (ce que l'on peut être
peu soigneux quand on a la fièvre), défroisser par acquis de conscience
certaines boulettes de papier, des fois que l'on y trouve quelque chose de
meilleur que ce qui a justement échoué le grand soir, s'apercevoir que
non, le brouillon ne rachète pas la copie, faire table rase. Et
recommencer. Mais enfin là, qu'attendait-on de moi au juste?, que je parvienne en
dix minutes à extraire mon jus long de 17 pages (à propos duquel L. se
plait à ironiser, à raison) et d'en faire une pillule digeste de 5-10
minutes?: vous pourrez juger de ma faible aptitude à la concision sur les
enregistrements. Il y a cette plaisanterie que François Bon fait toujours aussi bien
quand il est à une tribune, le gardien du temps comme s'intronisent
souvent les organisateurs rabat-joie des festivités le presse de conclure,
et lui, au détour d'une phrase, annonce héroïquement : "Fin du premier
point". Ca a toujours le don de me faire rire et puis c'est efficace
pour s'acheter à peu de frais un peu de cette matière vitale à l'orateur,
le temps. Désagréable impression tout de même d'avoir planché une semaine
durant sur le sujet et d'en faire un gâchis incroyable en peu de temps,
comme de construire un bateau et une fois en pleine mer d'en ouvrir en
grand la coque pour le plaisir très passager de voir l'eau s'engouffrer
comme chez elle, là où elle n'a pas habituellement voie. Dans l'atelier on se grise de phrases lourdes (de gestes amples de
peinture, d'encre et de mine), on est courageux. Le grand soir, on susurre
du bout des lèvres ces mêmes phrases dont l'écho contenu par les murs de
l'atelier, nous paraissait tellement prêter à conséquence, et qui soudain
à l'air libre se décomposent et se consument: à ce petit jeu on passe vite
pour un écervelé, ce qui est un moindre mal, ou un prétentieux, un
vaniteux, ce qui blesse, forcément. Reste, dans notre cas, ce que l'on a écrit, L. m'assure que c'est cette
trace qui vivra désormais, puisse-t-il avoir raison. Mais si à vous aussi
le spectacle de la mer qui envahit les cales par les voies d'eau peut
procurer cet étrange plaisir, alors écoutez plutôt les enregistrements
d'une débacle (pas tant celle de L. davantage rompu à l'exercice que la
mienne, puisque c'est moi qui vous y invite) Et tout cela c'est mal rendre conmpte bien sur du plaisir de passer
deux jours de franche rigolade avec L. et Catherine. samedi, septembre 28, 2002
![]() De retour de Rennes, l'automobile lancée à vive allure et dans le
grondement continu de son moteur poussif mais courageux, je ne peux
détacher mon esprit de ces deux jours passés en compagnie de Catherine et
Laurent, journées entières passées dans l'intelligence des discussions et
la chaleur de l'accueil, longs moments passés dans la pièce dans laquelle
le coeur des habitants du lieu semble battre plus fort, au milieu des
livres qui couvrent les murs ( et une partie des fenêtres ), dans le
silence aussi des appareils-photo numériques qui enregistrent sans un
bruit (et non le tonitruant rideau du 6X6 qui claque) et capturent tels
des filets à papillons les "photos de minuit"
de Catherine. Des raviolis chinois ( pas des dumplings, ce qui
ne veut rien dire pour mes hôtes ) préparés avec brio et un peu
d'agitation, celle d'une guèpe, par Laurent qui parait inapte à la
lenteur, dégustés du bout des baguettes dans un concert de soupirs d'aise
de la part de Catherine et de moi-même: du plaisir sans mélange. Lorsque
mon vaillant petit moteur m'amena enfin aux portes de Gournay-en-Bray, les
lieux pourtant familiers ne m'apparurent défigurés par l'habitude comme
toujours, mais au contraire transformés par cette amitié partagée dans la
confiance, dans l'absence de méfiance du regard de l'autre, et dire que
nous ne nous connaissons pas. Ordinairement j'écris
ici les choses dont je pressens qu'elles s'évanouieront sans un bruit,
je ressens cependant aujourd'hui le besoin de consigner ceci par écrit
(pour me/vous prendre à témoins sans doute ): je garderai longtemps le
souvenir de montrer mes photographies à Catherine et Laurent après minuit,
de l'attention et de l'écoute dont ils furent capables cette nuit-là. Plus
tard en sortant de chez eux je dus enjamber un pauvre homme endormi dans
la cage de l'escalier, ivre-mort, encore assommé de la démence qui l'avait
habité dans la soirée: on ne passe pas par dessus un homme sans en
ressentir une gêne, on voudrait pouvoir le relever, mais ce dernier était
tombé dans un sommeil sans rêve, j'ai repensé à cet autre homme mort de
froid dans les rues de Chicago pris par le choc du froid hivernal du
Middle West, de mon désespoir devant l'indifférence alentour: je voyais un
homme mort pour la première fois. |