L'art chemin faisant - 29 juin 2003 - Pont-Scorff

D'autre part, si l'ambition est de faire fuir tout le monde, c'est aussi con que vain:
- vain parce que toute subversion est administrée par le dispositif institutionnel qui en tire l'attestation de sa propre capacité critique et l'accroissement illusoire de ses catégories objectives (et si on peut s'y rendre assez indélicat pour qu'on vous évite poliment à l'avenir, il n'y a rien qui puisse vider une salle à moins d'en arroser les spectateurs d'essence et d'y foutre le feu*).
- Et con parce j'ai été invité ici par un sujet, Nathalie Le Goff, et non par une abstraction; en condamnant un sujet à l'abstraction, en le renvoyant à l'organisme pour lequel il travaille comme s'il n'en était qu'un élément, en acceptant par exemple de le souiller pour mieux atteindre l'institution, je me rendrais coupable de la même confusion, de la même indélicatesse criminelle dont j'accuse l'institution elle-même.
Et je ne parle même pas du public qui, s'il trouve une satisfaction flatteuse à la transformation de l'art en parc d'attraction (c'est pour lui qu'on fait tout ça après tout), n'en connait au fond pas d'autres formes... Alors comment l'en blâmer?**


*On voit mal de quoi pourrait s'offusquer un être qui se fait traiter chaque jour de con, de minable, de raté vénal, d'esprit grossier et de plouc sans goût inéducable par la télévision sans y trouver rien à redire ; il a payé sa redevance assez cher pour croire légitime tout ce qui sortira de ce tas de merde. L'injure a donc beaucoup moins d'importance que le panorama dans lequel elle est diffusée. Quand vous voulez vendre de l'infâmie sans risquer le moindre ennui judiciaire, créez donc, comme ce fut fait par les Belles-Lettres, une collection Iconoclastes. L'étiquette sur le produit, en toute circonstance, est opaque et peu importe ensuite ce qu'elle recouvre.

** C'est sûr que le public ne se débat pas beaucoup contre la nullité et l'inoffensivité générale qui frappe l'art contemporain; mais cette platitude a des caractères éminemment rassurants : en effet, si l'art ce n'est que ça, que cette broutille, pourquoi en faire toute une affaire? Évidemment, c'est un soulagement à double tranchant, parce que si l'art n'est pas une porte de sortie, où diable est la porte de sortie?