D'autre part, si l'ambition est de faire
fuir tout le monde, c'est aussi con que vain:
- vain parce que toute subversion est administrée par le
dispositif institutionnel qui en tire l'attestation de sa propre
capacité critique et l'accroissement illusoire de ses catégories
objectives (et si on peut s'y rendre assez indélicat pour
qu'on vous évite poliment à l'avenir, il n'y a rien
qui puisse vider une salle à moins d'en arroser les spectateurs
d'essence et d'y foutre le feu*).
- Et con parce j'ai été invité ici par un sujet,
Nathalie Le Goff, et non par une abstraction; en condamnant un sujet
à l'abstraction, en le renvoyant à l'organisme pour
lequel il travaille comme s'il n'en était qu'un élément,
en acceptant par exemple de le souiller pour mieux atteindre l'institution,
je me rendrais coupable de la même confusion, de la même
indélicatesse criminelle dont j'accuse l'institution elle-même.
Et je ne parle même pas du public qui, s'il trouve une satisfaction
flatteuse à la transformation de l'art en parc d'attraction
(c'est pour lui qu'on fait tout ça après tout), n'en
connait au fond pas d'autres formes... Alors comment l'en blâmer?**
*On voit mal de quoi pourrait s'offusquer un être
qui se fait traiter chaque jour de con, de minable, de raté
vénal, d'esprit grossier et de plouc sans goût inéducable
par la télévision sans y trouver rien à redire
; il a payé sa redevance assez cher pour croire légitime
tout ce qui sortira de ce tas de merde. L'injure a donc beaucoup moins
d'importance que le panorama dans lequel elle est diffusée.
Quand vous voulez vendre de l'infâmie sans risquer le moindre
ennui judiciaire, créez donc, comme ce fut fait par les
Belles-Lettres, une collection Iconoclastes. L'étiquette
sur le produit, en toute circonstance, est opaque et peu importe ensuite
ce qu'elle recouvre.
** C'est sûr que le public ne se débat pas beaucoup
contre la nullité et l'inoffensivité générale
qui frappe l'art contemporain; mais cette platitude a des caractères
éminemment rassurants : en effet, si l'art ce n'est que ça,
que cette broutille, pourquoi en faire toute une affaire? Évidemment,
c'est un soulagement à double tranchant, parce que si l'art
n'est pas une porte de sortie, où diable est la porte de
sortie?
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