C'est un exercice presque contradictoire avec ma volonté de faire ressortir la subjectivation qui est au travail dans le discours que de tenter pour moi une définition claire de celui-ci, c'est-à dire qui suppose une fixation du sens ; disons que, plutôt que du sens, nous recherchons ici un entendement commun (je pense que nous serons tous à peu prêt d'accord pour admettre que les mots n'ont de sens qu'agis, c'est à dire saisis et produits dans l'énonciation). Mais puisque que cette manifestation se place sous le titre «Langages», il me faut au moins vous dire où je me place par rapport à ces termes : langage, langue, discours, parole.
Le terme de langage, par exemple, employé en informatique est
impropre ; les conditions réclamées sont celles d'une communication
idéale, fuyant la concrétion spontanée des polysémies
au travail dans le langage. Et bien entendu la place prépondérante
qu'y prend le sujet. Si on ôte le sujet du langage, on risque fort de
ne plus rien y comprendre du tout. On ne saisit plus son extension hors du champ
de l'oralité (le long du corps hystérique, par exemple) et on
finit par impatroniser la langue elle-même, par la supposer parlante toute
seule (on parle alors d'une langue poétique pour l'italien, d'une langue
philosophique pour l'allemand et toutes ces sortes de conneries).
On pourrait peut-être parler de langue informatique, mais d'une langue
qu'aucun langage n'agit, d'un système de signes morts, articulables dans
une faible mesure, sans discours possible. Une terrible ambiguité, dans
ce domaine, s'ajoute aux simples problèmes de définitions, celle
de la nature des émetteurs et des transmetteurs : parlant de langage
informatique, on finit par imaginer une essentialité machinique à
ces systèmes de signes, comme s'il existait une nature informatique,
comme si les machines produisaient elles-mêmes les moyens de leur communication.
(que les humains aient fini par singer pour leur machine une forme abrégée,
fonctionnelle, «claire», de l'idée qu'ils se font de leur
moyen de dire est aussi inévitable que la conception de l'espace bureautique
et de son arborescence comme un cabinet de secrétariat avec ses burlingues
et ses dossiers; les 0 et les 1 correspondent à une représentation
idéale du système de choix fuyant toute ambiguité et limitant
l'espace des possibles au silence et à la vérité).
- « La langue est la condition sociale de réalisation du sens
» (Meschonnic), un système et un lexique, définis par
un contexte historico géographique donné, système dans
lequel s'engage la parole. Penser la langue comme commune absolument, c'est
oublier que sa globalité est toujours insaisissable et mouvante; elle
n'est donc pas un système d'objets disponibles, elle n'est jamais un
pot social. Sa réalisation est aussi inexprimable que l'est un flux qu'on
désirerait geler dans le temps pour en faire son objet. Il cesserait
instantanément d'être ce qu'il est, un flux. La définiton
de la langue par les poètes dits «de la langue», par exemple,
tient bien moins à un soucis de précision pour éclairer
leurs manipulations verbales (la langue et ses monstres de Prigent, par
exemple) qu'à une adéquation du terme à leur vocabulaire
organique, à leur conception du corps, auquel le mot «langue»
renvoie brutalement.
la langue n'est pas un outil. Pas plus qu'elle n'est elle-même un sujet
(le génie de la langue). «Toute une modernité est encore
embarquée dans ce réalisme. Combien parlent encore de la mémoire
de la langue? C'est la langue qui est le sujet. Mais une langue ne peut pas
être un sujet. Ni avoir une mémoire. Puisque une langue n'existe
pas. Sans le discours. C'est le discours qui est du sujet, comme le sujet
n'est sujet que par son discours. Ceux qui mettent le sujet, et la mémoire,
dans la langue ne savent pas ce qu'ils disent. La langue ne parle pas. N'y est
pour rien, si on ment ou si on ne ment pas, si vous êtes clair ou si vous
êtes confus» (Meschonnic)
- Le langage n'est pas comme on a coutume de le métaphoriser un sous-ensemble d'une langue (ça, c'est un abus de langage, justement) mais une propriété humaine, une faculté générale qui consiste dans l'articulation de la langue. Il est, au fond, l'écho de l'aptitude à dire.
- Le discours : véritable dépositaire du sens, c'est la part déterminante de l'inscription du sujet dans ces catégories linguistiques. Idéalement, c'est le lieu de l'advention et de l'invention du sujet, c'est, absolument, le biotope du sujet. Meschonnic l'exprime clairement: «Le discours est le langage où s'inscrit celui qui s'y énonce».
Et encore ceci: