L'institution art
Texte prononcé par Jean-François Savang le dimanche 25 mai
2003 lors du colloque «Un artiste peut-il travailler avec l'institution?
Non.» au Bon Accueil, à Rennes, réunissant L.L. de Mars,
Raphaël Edelman et Jean-François Savang. Vous pouvez télécharger
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« le théoricien sous sa forme oppositionnelle
[…]
Sa profession, c’est le combat dont sa pensée est l’un
des facteurs,
et non la pensée en tant qu’activité indépendante
et qui pourrait être isolée de ce combat. »
Théorie traditionnelle et théorie critique
Max Horkheimer
« La sectorisation de la vie intellectuelle est
un moyen de la supprimer là où elle ne fait pas l’objet
d’une activité sur commande ou professionnelle (ex officio)
»
Minima moralia, réflexions sur la vie mutilée
Theodor W. Adorno
e vais essayer d’aborder la relation de l’art et des institutions
comme une question d’ensemble. Question dont l’intensité
polémique est forte par sa réponse apriorique quelle qu’elle
soit. Pourtant, dans le cas présent, l’impertinence de la
réponse (« Un artiste peut-il travailler avec les institutions
? non. ») enlève à la question le confort et la stabilité
d’un choix idéologique qui consisterait en une simple adhésion
; laquelle laisserait le problème de l’art et des institutions
dans l’impensé du sujet, c’est-à-dire comme
un point de vue acquis. Dès lors que c’est le point de vue
même du sujet – ici sa spécificité négative
– qui finalement problématise la question dans la forme du
débat et suscite son ouverture sociale. La négation, dans
le cas précis, n’est pas asociale mais critique. De même,
une réponse positive ne serait pas moins asociale, en effet, si
elle était plus fondée sur le préjugé au lieu
du débat.
Je serai donc attentif à la façon dont ces deux notions,
par le clash qu’elles constituent, nous rappellent à nos
propres fonctionnements et stratégies. J’éviterai,
dans la mesure du possible, de considérer l’art et les institutions
à la manière dont ces notions forment des points de vue
retranchés ou des positions arrêtées des uns ou des
autres. Sans concéder la difficulté de la critique au relativisme
ou à des histoires de différence ou de consensus –
l’enjeu premier n’est pas d’être d’accord
ou non, mais de s’entendre sur la valeur de la question –
c’est en crête de l’historicité et de l’hypothèse
d’un sujet de l’art – qui prendrait, poétiquement,
sa valeur dans le langage – qu’il s’agira d’en
dégager la valeur.
Si le sujet de l’art implique une éthique et une politique
de la critique, il n’y a pas de critique sans prendre le risque
d’égratigner ce qui nous fait apparaître le monde dans
sa forme reçue. Tel est l’engagement du sujet dans la critique,
en refaisant du monde une mise en jeu de l’art et de la littérature,
une pratique spécifique de la théorie gagée sur ce
qu’elle ignore. En ce sens, la théorisation ne fait pas sortir
l’art de lui-même, si ce n’est de sa pureté imaginaire
: elle tient l’œuvre à la portée du langage et,
dans cet inconnu, elle découvre l’idéal d’un
sujet en butte à l’expérience et à l’historicité.
Je propose d’approcher la notion d’institution par ce qu’elle
fait advenir, historiquement et socialement, d’un rapport sensible
au sujet, par l’organisation de son discours et le dévoilement
de son efficacité stratégique. L’affaiblissement du
sujet par la société implique, en retour, de concevoir la
société dans son état faible ; elle consiste à
déjouer la garde stratégique des valeurs préexistantes
pour constituer l’identité critique d’une pensée
de l’historique par le spécifique1.
La tension critique de la pratique par la théorie fait de l’art
et de la littérature l’enjeu continu d’une éthique
et d’une politique de la société par le sujet.
L’art et la littérature, en effet, supposent, dans leur activité
propre qui fait l’invention du sujet et du social, leur mise en
crise réciproque, une critique des discours et des manières
de la société ; ce qui rend le sujet continu du social ;
ce qui fait l’art, à la fois théorique des pratiques
de la société, à la fois pratique des théories
de la société.
Quand la société se mord la queue
n
constate, aujourd’hui, un certain consensus autour du rôle
social de l’art.
L’art est social pour ce qu’il renvoie d’un reflet de
la société, d’être un produit de la société
et de plier aux lois de l’échange, d’être décoratif,
de former un lien empathique entre les individus et, par cette communication
du sensible, d’appeler le jugement esthétique ; il est social
d’être symbolique et de constituer une identité d’ensemble,
d’être une représentation culturelle, d’être
un instrument historique de la mémoire et du devenir. Bref l’art
est social de s’être démocratisé et d’être
devenu populaire. Cependant, que l’art soit social n’implique
pas, nécessairement, qu’il travaille dans le but des institutions.
À un degré supérieur, l’art est social par
son activité transformante et transformée de la société.
Il est social de faire du monde un continu du sujet et du langage ; d’être
pédagogique comme ouverture critique de la réalité
à la conscience ; d’être critique sous la forme qu’il
provoque de l’autre et de l’inconnu comme rapport d’altérité.
L’art est social d’être porté dans la multiplicité
des discours, surtout lorsque ces discours font de sa valeur l’enjeu
d’une pensée anthropologique de la société
pour constituer une théorie du sujet. Il est social de faire du
sujet, une essence historique de la société. L’art
est social d’être la problématisation du sujet et de
la société par l’activité des œuvres.
Il est social de conduire l’incompréhension à sa mise
en question.
L’immédiateté sociale de l’art empêche
de questionner à la fois l’art et le social, le sujet et
les institutions. Bien souvent, la valeur de l’art se confond, avec
l’intégration sociale de sa représentation culturelle
et ce que cette représentation permet de restituer d’une
identité esthétique de la société, d’une
légitimation esthétique de sa domination. Depuis qu’il
y a une économie esthétique de la société,
consciente de l’intérêt du culturel pour le pouvoir,
la question de l’art et de la société ne se pose plus
simplement en terme d’exclusion du sujet, mais en terme d’assimilation
et d’adaptation au sujet comme variable politique. En élaborant
des stratégies de pouvoir de plus en plus diffuses, les institutions
ont instauré la critique comme un enjeu permanent de leur légitimité.
L’institution n’est plus seulement conservatrice de la tradition
à travers ses formes d’organisation politique. Elle a élargi
la valeur de la tradition au-delà des objets qui la représente
pour gagner sa propre pensée. Comme l’institution revendique
son actualité dans le discours de la modernité, elle s’impose
donc aussi comme pensée historique. La sociologie, par exemple,
constitue un observatoire théorique du fonctionnement des institutions
faisant, par-là même, une institution de la critique. L’institution,
en concédant sa valeur à une éthique de la critique
fonde ainsi son caractère à la fois historique et réflexif.
Elle implique donc, au-delà d’un simple principe d’organisation
de l’action culturelle, une idéologie de la pensée.
Validées et qualifiées par la critique, selon une éthique
du sujet acteur des institutions, les catégories institutionnelles
fondent donc légitimement la représentation d’ensemble
d’une société apparemment ouverte à sa transformation
sociale. Cependant, compte tenu de son implication idéologique
dans la désignation de la valeur, une institution peut en cacher
une autre.
La diffusion culturelle des institutions a eu pour conséquence
de stabiliser le débat social, en contrôlant son efficacité
critique, dans un état permanent de crise : les crises successives
de l’art contemporain qui font, aujourd’hui, l’académisme
de son fonctionnement, répondent à l’état permanent
des crises économiques qui incitent à la précarité
de la valeur : précarité institutionnelle de l’échange
qui est aussi la précarité de l’autre et qui fait
de la pauvreté un état de guerre maintenu du capitalisme2
. La société fonde ainsi une légitimation essentielle
de sa valeur dans les produits institutionnalisés de la subjectivité,
c’est-à-dire selon la seule valeur qui fait du jugement de
la société une référence autoritaire de l’individu
sur le sujet.
Les institutions, aujourd’hui, ont intégré la notion
d’art pour ce qu’elle détermine du sujet et du social,
pris dans la catégorie sociologique de l’individuel et du
contemporain ; c’est-à-dire d’un art qui fait de l’œuvre
une singularité immédiatement sociale, pour ce qu’elle
restitue de l’ambiance d’une époque avec, non seulement,
ses valeurs positives mais, également, les valeurs avec lesquelles
la société était autrefois en opposition. L’institution
a donc intégré des propositions qui, auparavant, constituaient
l’enjeu d’une résistance du sujet dans la société.
La société a ainsi fait de son ouverture d’esprit,
la catégorie exemplaire de sa capacité d’intégration.
Son académisme constitue ici la transparence de la valeur contemporaine
; en constituant le passé comme une catégorie donnée
du jugement, il fait l’invisibilité du présent, il
fait du contemporain une valeur abstraite et omniprésente en lieu
et place de la société. Le discours académique, désamorcé
de la contradiction, s’opposerait donc au contemporain qui, lui,
implique l’art dans le temps culturel de la société,
pris dans l’éthique et la politique de la permanence de la
crise, et conforme à la critique comme discipline. En intégrant
la contradiction à son fonctionnement institutionnel, la société
a ainsi institutionnalisé la valeur de la critique à sa
propre conception de la division du travail.
La rupture traditionnelle entre artiste et société laquelle,
n’a jamais eu qu’une réalité idéologique,
a perdu la tension qu’elle rendait perceptible à travers
certaines de ses œuvres, d’une politique du sujet dans la constitution
d’une éthique de la société. Cependant, là
où on pouvait parfois deviner du sujet qu’il n’était
pas seulement un produit des catégories théoriques de la
société, mais que transcendé par l’activité
artistique, il pouvait devenir critique de la société par
l’invention de nouvelles catégories pour la penser, avoir
une activité historique propre, ce sujet-là a cédé
sa signifiance sociale à la notion sociologique d’individu.
Dans cette logique, les œuvres servent à la légitimité
culturelle de la société par l’instrumentalisation
du sujet au lieu qu’elles constituent, à l’inverse,
la valeur même de l’historicisation de la société
à partir du sujet ; car à la différence de la pensée
sociologique qui vise la quantité comme valeur, la société
s’organise par les processus de subjectivation qui font l’invention
même des moyens de sa signification et dont le langage constitue
la condition sociale historique.
Cette position décharge la notion d’interprétation
de son autorité individuelle et de sa correspondance avec une essence
universelle pour constituer un processus propre au fonctionnement du langage,
comme activité du sujet, en tant qu’interprétant de
la société. Elle permet d’annuler l’illusion
d’une propriété vraie sur le sens et rend caduque
le débat sur une liberté qu’il y aurait à gagner
pour le sujet entre une domination institutionnelle sur le sens, et une
multiplicité, voire une infinité d’interprétations.
Le seul réalisme du sujet est celui du langage qui fait le continu
historique du corps et de la société. Par le langage, il
fait la démesure du monde dans la détermination simultanée
de l’éthique, du politique mais aussi du poétique
en constituant, de ce rapport, la problématisation de sa valeur,
l’invention de la théorie par une pratique artistique de
l’inconnu.
De fait, le sujet n’est jamais en soi une institution mais un processus
historique du devenir social : il est la condition humaine de la culture
et, en tant qu’individualité particulière, il est
sa propre institution. De même que le langage dans lequel s’organise
l’historicité du sujet est « une institution sans analogue3
». Car c’est le sujet qui lui confère sa valeur. Comme
le précise Saussure en se référant à Whitney,
« Le langage est une institution humaine » car, tandis que
« Les autres institutions, en effet, sont toutes fondées
(…) sur les rapports NATURELS des choses », « le langage
et l’écriture ne sont PAS FONDÉS sur un rapport naturel
des choses ». En effet, la légitimité du langage est
dans le sujet qui s’y instancie historiquement pour faire du vivre
un devenir. Le langage constitue un horizon indéfini de la société
pour le sujet. De même qu’il constitue, avec l’œuvre
d’art, l’imprédictible de sa valeur. Ce qui veut dire
que la fondation d’une œuvre d’art est devant elle et
non dans la réconciliation esthétique, a priori, du naturel
et de la raison, d’une émotion retrouvée du sujet
et du monde. Car l’œuvre d’art, en tant qu’unité
toujours particulière, prise dans l’historicité sémantique
que lui confère le sujet constitue, dans le langage, une institution
elle-même particulière de la valeur de la société
pour le sujet.
S’intéresser à l’art, pour les différentes
institutions théoriques, constitue un moyen d’inscrire la
légitimité de leur activité dans le rationalisme
de la société. À travers l’art, les institutions
théoriques fondent leur rapport au singulier ; elles déterminent
ainsi la valeur de leur activité théorique comme pratique
sociale.
Cette confusion de l’activité de l’art entre sa représentation
par les institutions culturelles et la critique artistique que l’art
permet de la société par le sujet est perceptible, non seulement
à un niveau stratégique et théorique, mais, également
dans la parole même de certains artistes qui font le jeu, finalement,
de la discipline critique qui consiste à évaluer l’état
de grâce artistique de la société dans ses œuvres.
En effet, ne plus voir la séparation entre sujet et société
n’implique pas de reconnaître l’un et l’autre
dans la forclusion d’un réalisme critique assignée
à la division du travail ; où finalement la critique devient
l’opérateur d’institutionnalisation de l’art
dans la société, l’institution le seul mode de reconnaissance
de l’art.
Pour Daniel Buren, mais sans doute faudrait-il vérifier dans quelles
circonstances « l’art est nécessairement allié
au pouvoir ». Ce que confirme autrement Ger van Elk : « Il
n’y a plus de place pour un art non institutionnalisé. »
On pourrait adjoindre, à ce constat d’une implication mutuelle
de l’art et de la société (du moins l’imagine-t-on
ainsi) l’aveu sans compromission de Douglas Huebler : « Le
monde de l’art s’est de plus en plus ‘’intégré’’
aux valeurs dominantes de la société dont il fait partie…
» ou encore ces propos de Ron Cooper « L’art est devenu
un business comparable à la bourse, et un bien de consommation.
Une activité au plus haut point compétitive, spéculative,
carriériste », ou ceux de Paul Cotton « Les structures
matérialistes d’une culture orientée vers les biens
de consommation exigent que l’artiste fournisse des ‘’produits’’
» (Paul Cotton). Enfin, pour compléter ce tableau du désenchantement
de l’art par ses artistes mêmes, cette réponse de John
Baldessari aux questions de Marion et Roswitha Fricke est aux plus haut
point éclairante :
« A mes débuts, j’avais honte de reconnaître
que j’étais un artiste. Je pensais que les artistes étaient
des sortes de psychopathes, des parias. De nos jours, par contre, un artiste
est comparable à une star de rock. C’est de la folie, mais
c’est ainsi. Cela a beaucoup à voir avec les parents et le
statut social ; quand les parents commencent à entendre parler
d’art dans le Wall Street Journal, ils se disent, après tout,
c’est peut-être bien que mes enfants s’engagent dans
cette voie.
RF : Il est donc socialement admis d’être artiste ?
JB : Oh, tout à fait !
RF : Ce n’était pas le cas il y a trente ans.
JB : Non. Quand on disait qu’on était artiste, les gens vous
regardaient comme si vous étiez un individu échappé
d’un asile de fous. J’avais l’habitude de leur dire
que j’étais historien de l’art !
4»
Conformément au statut de sa représentation, on pourrait
penser que l’art a perdu toute volonté critique, en même
temps que l’opposition historique du sujet et de la société.
Tandis que l’amplification et la vulgarisation du discours sociologique
rassemble la société en faisant du sujet le fragment individuel
d’un sens commun, c’est-à-dire la recomposition d’une
identité qui serait une norme, l’art apparaît définitivement
acquis à la catégorie d’une identité culturelle
dominante5. Dans cette conception
de la société le politique transcende l’éthique
et non l’inverse.
L’institution est suggérée ici comme le moyen d’une
éthique sociale spécifique à une conception du subjectif
qui lui serait déjà intégrée. Or, faire une
critique de la société avec les catégories de la
société revient à s’en tenir aux normes du
discours qui la définissent. Si l’on peut imaginer une critique
positive ce n’est ni dans le consensus interdisciplinaire, ni dans
l’autorité catégorique. Le rapport critique entre
sujet et société est donc inopérant dans le modèle
sociologique de la division du travail ; il ne produit que l’institutionnalisation
de la critique ; il fait de l’institution un moyen acquis à
une éthique de la domination, en remisant toute idée du
sujet au réalisme individuel lequel, en assignant le sujet à
une valeur abstraite, justifie son exclusion dans la valeur absolue d’une
ancienne métaphysique.
L’hégémonie du tout social, attesté par une
pensée sociologique de la société, fait de l’adéquation
entre l’économique et le communicationnel, un symbole de
l’échange total, la problématisation de l’art
par rapport à un système socio-économique surplombant
et auquel il revient, en dernier ressort, de qualifier la valeur et la
signification des œuvres. Par l’institution, la société
fait donc passer du culturel par la correspondance du naturel et du réel
; elle fonde, positivement, l’opération naturalisante de
la culture, contre l’intempestivité de l’invention
artistique, en stigmatisant la critique, négativement, à
tout jugement constitutif de la valeur.
i
l’art peut travailler avec les institutions, la réponse ne
va pas de soi. C’est ce qu’implique le « Non »
coextensif à la question. La réponse « non »
contribue à problématiser la légitimité même
de la question. L’enjeu de cette proposition, qu’il faut entendre
en premier lieu comme unité problématique, renvoie au mode
traditionnel sur lequel s’organisent les rapports entre sujet et
société : les institutions font les questions et les réponses
et contraignent à concevoir l’idée du sujet en référence
au pouvoir et à la domination. C’est une puissance contre
la force du sujet. Par la négation, le sujet disparaît dans
l’indétermination du singulier ; il devient une notion régionale
de la constitution de la réalité.
Reste l’individu. C’est là que la société
fonde sa solitude théorique : dans la rupture qu’elle revendique
avec le sujet. Mais c’est aussi là que la société
s’efface dans le sujet, dans l’absence qu’elle lui consacre
en tant que profondeur ou transparence. En se faisant le prolongement
rationnel du sujet, les institutions sociales fondent la légitimité
de leur pouvoir dans un positivisme de fait qui détermine la supériorité
de leurs interprétations où, en dernière analyse,
« La raison évoluée comprend le primitif 6»
. L’institution fonde ainsi sa légitimité originaire
dans la disparition du sujet. C’est là qu’elle maintient
le sujet dans l’individu. Dans cette logique, le sujet n’a
pas de valeur propre mais il est le signe d’une essence collective.
Il est à la fois préhistorique et d’arrière-plan.
Assimilée à la société, l’institution
est une réponse pratique au sujet comme problème. Elle induit
la déproblématisation du sujet par la société.
Puisque le sujet n’est pas historique pour la société
(si ce n’est en tant qu’objet théorique), il n’y
a pas non plus, pour les institutions, de problématisation du collectif
à partir du sujet. Au lieu que l’institution soit une modalité
d’entente ou d’ensemble, impliquant le sujet socialement,
l’institution s’avère, à des fins de domination,
comme un moyen stratégique de la société. De ce fait,
société et institution forment l’illusion d’une
identité d’ensemble, mais sans crise ni critique d’ensemble.
Leur rapport postule une représentation réifiée de
la réalité. En d’autres termes, l’institution
de la société comme réalité fonde le social
et le culturel comme des données universelles de la valeur. Le
jugement collectif y fait autorité en tant que synthèse
d’ensemble ; comme réponse donc et comme pouvoir apriorique
du général sur le particulier. Dans cette interaction, la
non problématisation de la société par l’institution
ignore sa contradiction par le sujet. Elle ne reconnaît du sujet
qu’un produit logique de la notion d’individu.
En tant qu’institution, la société n’est donc
pas posée comme problème, mais comme réponse. Dans
sa circularité, l’institution établit la critique
comme un mot de passe : pour rabattre la critique dans le rationalisme
du bon sens, associée au sens commun et à la transparence
démocratique qui fait de l’art un objet de consommation culturel.
La critique, dans ce cas, constitue l’alibi théorique d’une
pratique de légitimation. Alors que dans la perspective d’une
éthique des institutions, la critique, elle-même, doit, pour
se reconnaître, faire la critique de la critique et des discours
qui la font. Et ainsi, rendre la société au sujet qui la
fait, pour ouvrir l’infini critique qui fonde son historicité.
C’est l’appréhender dans ses déséquilibres
et ses transformations ; cela passe par le langage et son activité
historique en tant qu’inconnu du sujet.
LE VIF DU SUJET
entrer dans le vif du sujet, c’est le découvrir vivant ;
c’est voir qu’il est un fonctionnement. De cette vivacité
du sujet dépend ce qui, pour nous, constitue l’activité
du monde. Car il y a bien quelqu’un, dans chaque discours pris dans
son historicité. Il y a un sujet nécessaire à la
constitution des catégories avant que les catégories ne
définissent, elles-mêmes, un quelconque sujet ou une quelconque
institution. Il y a du vif, l’enjeu d’une anthropologie du
sujet qui prend les institutions pour ce qu’elles font et non pour
ce qu’elles sont.
C’est dans ce rapport là que le sujet ne s’oppose pas
à la société et que sa réalité est
sociale. Le sujet est moins en rupture avec les institutions comme principe
d’organisation sociale, qu’avec les stratégies de légitimation
qui réquisitionnent le pouvoir symbolique des institutions à
des fins de domination. De même, l’autonomie apparente du
discours social dissimule le sujet dans la totalité abstraite qu’il
constitue. Pourtant, il n’y a que du sujet pour dire ce qui agit
dans le monde, pour reconnaître ce qui du monde devient sensible,
parce que le sujet fait le présent dans le langage.
Ainsi, rendre présent, ce n’est pas seulement transformer
l’état temporel d’une réalité factuelle
en réalité historique. L’actuel, en effet se conçoit
tout aussi bien à partir du plus ancien. À partir de ce
que l’ancien n’a pas encore trouvé de réponse,
de ce qu’il laisse ouvert historiquement à sa conception
dans et par le langage. Tant que son questionnement confère à
d’autres sujets la constitution d’un présent, ce qui
est ancien poursuit le projet de sa réalité, jusqu’à
ce que cette ouverture, historiquement, n’ait plus de sens pour
le sujet. C’est sans doute le temps qu’il faut parfois à
un objet pour se constituer et pour se découvrir d’autres
sujets, d’être tellement présent en tant que sujet
que, par excès, il devient un objet transformant à son tour.
C’est continuant d’être présent que le sujet
vient, par le langage, à excéder le monde pour se donner
aussi comme objet, c’est-à-dire comme sujet pour l’autre.
Le langage, en effet, constitue ce continu historique du sujet et du monde.
Le vif du sujet est son activité dans le présent ; c’est
une éthique de l’autre.
C’est de prendre les choses à partir du passé, pour
déterminer le monde comme ce qui nous englobe historiquement, qui
désigne le sujet comme rupture. La tradition développe,
sous cet aspect, la rigueur institutionnelle de ce à quoi elle
est attachée. Le sujet, désigné dans l’infini
de cette présence, forme l’immanence du poétique ;
or l’immanence du poétique conduit à fonder le sujet
dans l’état mythique de l’environnement culturel de
son origine : la plénitude de la présence faisant oublier
l’activité critique du présent, la totalité
conduit à oublier le sujet.
Le sujet est un fonctionnement
ette
opposition à la société n’est pas absolue mais
bien historique. Elle postule la critique à partir du sujet comme
une manière de voir, comme un contexte particulier de la théorisation
du sujet par la société et réciproquement. Elle est
erronée quand elle se pose comme une reconstitution de la totalité,
au lieu d’une dialectique continue des points de vue qui font sortir
le monde du présent contre sa représentation. Cette opposition
définit le monde comme autre du sujet, ce qui situe le sujet continu
du monde, dans l’altérité que le langage médiatise
du sujet et du monde.
À ce titre, donner une définition du sujet, ce serait le
radicaliser dans la forme réifiée d’un quelconque
statut social. La forme du sujet elle-même est une impasse théorique.
Sa vocation déborde toutes les considérations de statut,
d’objet ou de contenu. Car le sujet n’apparaît que là
où il est présent dans le discours comme activité
historique et sociale, il ressortit à un fonctionnement historique,
à une conscience anthropologique du monde. C’est par l’inconnu
qu’il nous parvient plus largement, que par ce qu’on peut
en connaître. Et c’est le rôle du questionnement, de
l’art et de la littérature, du langage comme invention critique
du sujet et de la société que d’amener à découvrir
cette éclipse gigantesque de ce que les sujets forment ensemble
au lieu de la totalité connue.
Le sujet correspond donc aussi bien à l’ensemble des moyens
intérieurs et extérieurs qu’il mobilise d’un
point de vue particulier. Sa valeur est dans sa capacité à
se transformer et, de fait, à être transformant historiquement.
Son identité est son historicité. Il n’a d’efficacité
que d’ouvrir le monde du donné à sa critique, partant
de l’inconnu qui constitue l’autre comme sujet à venir.
Tout ce qu’on peut dire du sujet c’est que l’intensité
de son implication dans le monde est fonction de sa capacité à
le problématiser.
Langage et inconnu du sujet
ette
situation fait du monde l’activité propre du sujet, non pas
dans la forme idéologique d’un idéalisme ou d’un
pragmatisme instrumental, mais dans l’activité que la notion
d’inconnu implique pour le sujet, en concevant le monde dans le
dynamisme de ses significations. En effet, on connaît le monde à
travers les significations qu’on lui donne.
En soi, le sujet donne forme à l’inconnu par son travail
critique. Penser par le sujet permet de libérer la théorie
comme pratique de l’inconnu, d’en faire une pratique sociale
de ce qui n’a pas trouvé sa forme dans le sujet ; où
le sujet qui s’invente, invente, en même temps, ce qu’il
ignore du monde ; c’est ce sujet, inaccompli de tous les sujets,
qui provoque l’invention nécessaire d’un sens à
ce qui existe. C’est dans l’œuvre d’art et dans
le poème qu’il est au mieux inaccompli et qu’il repousse
le seuil critique du monde, hors du donné, dans l’inconnu
de ce qu’il signifie.
Critique des catégories générales, l’art est
spécifique du travail du sujet, de ce qu’il éprouve
de la société, du corps, des objets, de l’activité
des affects dans l’organisation conceptuelle du monde. Il est donc
aussi un travail théorique. L’art théorise le monde
dans les formes intempestives qui conduisent à faire du discours
la question d’une poétique du sujet. Par le poétique,
l’art est critique du théorique. Les œuvres induisant
une pensée à venir du monde dans le langage, parce qu’elles
ne disent rien a priori que l’intempestivité de leur forme
à prendre dans le sujet ; la forme du discours constituant, à
partir de l’art, le seuil critique de l’expérience
du monde entre l’invention et l’historicisation de ce que
le monde appelle du sujet en tant qu’autre.
L’art, en effet, est une manière d’amener à
penser, une manière de penser la pensée, une manière
de faire avec du corps une critique continue du langage ; une manière
de mettre du corps dans le langage et donc de situer l’inconscient
devant, dans le langage qui fait la construction à venir d’un
sujet.
En prenant sa valeur dans le langage, l’art rend le présent
critique de la présence ; il fait de l’expérience
particulière du sujet une expérience du monde. Il fait de
l’œuvre ce qui travaille dans l’inconnu du langage et
de l’inconnu le questionnement théorique qui fait du monde
une pratique du sujet. L’inconnu renvoie ici à l’indéfini
du sujet dans le monde : l’inconnu du langage constitué par
ce qu’il devient théoriquement dans la littérature.
L’inconnu du sujet constitue la question sociale de sa situation
et de son devenir, ce qui du corps au langage le constitue historiquement
comme vie.
Ainsi, tous les arts impliquent le corps et le monde dans le rapport au
langage. Comme ce que le langage investit du corps, le devenir d’une
œuvre prend sa forme dans le langage, de ce qui tient lieu pour elle
de sa condition historique. Toute œuvre situe le monde par ce qu’elle
permet d’en faire ou d’en penser d’autres comme sujet,
par ce qu’elle découvre de sa transformation dans le langage
et de ce qu’elle transforme du sujet. Ainsi, l’œuvre
fait du sujet ce qui déborde du monde par le langage. En transformant
sa signification historique dans le rapport empirique que lui impose l’œuvre
d’art comme invention d’un sujet autre.
Le non-langage de l’art, le fait que l’art ne parle pas mais
qu’il s’éprouve physiquement en tant qu’œuvre,
constitue ici un point de vue critique du sujet dans le langage. L’art
est en soi la question de ce que le sujet ignore par le langage, dans
la perspective de l’inconnu qui fait la question même de la
socialité du corps au langage. Par sa capacité à
susciter le questionnement, l’œuvre d’art est sociale
d’appeler la réaction de l’autre en tant que sujet,
de l’amener à s’inventer par le discours, de l’inventer
par le sujet, de continuer le monde dans le prolongement empirique et
historique de son sens à inventer. Ce qui fait aussi de l’œuvre
d’art une modalité particulière de l’invention
du sujet et du monde dans le langage.
Sujet artistique et invention
réer,
pose la question de l’ouverture de l’origine dans son rapport
au présent. Créer artistiquement, conduit donc à
l’invention collective de la société : l’art
faisant la transformation du monde par le sujet, sa méthode est
son objet. Son intérêt est d’ouvrir la perspective
d’un inconnu à d’autres moyens de penser ; de faire
du nouveau non pas un objet supplémentaire, mais une capacité
à faire surgir de l’inédit.
La valeur de l’œuvre d’art, en effet, n’est pas
dans ce qu’elle recèle à l’avance, mais dans
ce qu’elle permet de découvrir des manières qui font
l’activité humaine. La portée théorique de
la valeur comme question historique d’ensemble consistant à
faire la critique de la société telle qu’elle est,
c’est-à-dire à postuler, contre toute idée
d’absolu, la théorie comme mode de questionnement critique
de la société. C’est l’aptitude de l’œuvre
d’art à produire une éthique et une politique du rapport
à l’autre qui désigne sa capacité d’être
transformante de la société.
Ce qui est, au départ, spécifique d’une pratique du
sujet devient, collectivement, une théorie du sujet. Chaque sujet
devient le fondement de ce que la théorie constitue d’une
idée même des choses et des concepts.
L’oubli du sujet
a
société qui enlève au sujet la valeur individuelle
de l’institution a bien compris l’avantage stratégique
qu’il y a à se défaire du sujet pour s’épargner
la force du langage et la cultiver comme pouvoir symbolique. Elle fait
ainsi du sujet une propriété du sens et l’irrationnel
de sa valeur d’ensemble. Elle fait le langage second de l’interprétation,
à distance de l’autorité interprétative qui
constitue l’autorité sur le sens comme une valeur d’ensemble
et postule son seul sujet comme représentation de la vérité.
Elle fait du sujet sa ressemblance, une image rectifiée de sa valeur
en fondant la vérité du particulier dans le nombre. L’institution,
dans ce cas n’a plus la valeur éthique et politique des rapports
d’altérité mais réduit la société
au coup de force de sa gestion comme propriété.
Le langage comme force fait donc le vif du sujet ; et ceci a son importance
dans le rapport problématisé entre art et institution. C’est
une manière d’aborder le sujet vivant, c’est-à-dire
concrètement, par son activité dans le langage, de le situer
historiquement. D’autant qu’il y a une difficulté du
sujet à sortir de l’idéologie qui fixe sa libération
dans son opposition à la société ; difficulté
qui définit, positivement, la société comme emprise
du sujet.
Or, oublier le sujet, c’est oublier l’éthique et, continûment
à la société, l’éthique qu’il
y a dans le politique. En dévalorisant l’activité
du sujet dans la société, on maintient donc la rupture entre
le poétique et le politique. Le politique vient à se confondre,
lui-même, avec le stratégique et l’économique
; il aboutit à reléguer l’éthique d’ensemble
qui fait la solidarité, à l’arrière plan des
nécessités économiques. Faisant de l’échange
économique, la force essentielle de tout rapport du sujet à
la société, le politique fait donc de la faiblesse une extinction
de tout pouvoir rationnel.
Devant la nécessité de l’échange, la solidarité
entre les hommes ne se pense pas. Cependant, pensée par le consensus,
la conception fermée de l’échange social, privilégie
la société comme modèle de solidarité en soi.
Ainsi, réduite à l’économique comme forme d’ensemble
solidaire, l’éthique en question acquiesce au sacrifice d’un
seul devant la nécessité du nombre. Or l’éthique
du sujet est une question aussi sérieuse que l’éthique
de la société ; la question d’un seul est parmi les
autres la question de tous. Et même, l’éthique du sujet
et celle de la société sont historiquement liées,
politiquement, mais aussi poétiquement dans le langage et dans
l’art. Car la rationalité de l’un n’est pas moins
irrationnelle que la rationalité de tous. La pratique de l’un
faisant la théorie de l’autre, c’est donc les stratégies
des uns et des autres qu’il faut s’attacher à reconnaître.
La faiblesse est une éthique de l’autre
e
sorte que s’opposer au monde ce n’est pas le séparer
du sujet, mais s’y inscrire pour en faire la critique, dans la perspective
que ce qu’on dit est déjà un choix éthique
et politique. C’est s’affaiblir de ses positions pour rendre
le monde, en soi, aussi vulnérable que possible, pour découvrir
tout ce qu’il n’est pas, là où il veut nous
faire croire à la puissance de sa cohérence et de son homogénéité,
à la souveraineté éternelle de son jugement. Le sujet
dans sa faiblesse est transitoire du monde ; il rend le monde transitoire
pour l’ouvrir à son invention.
La faiblesse de la société est aussi la faiblesse de l’art
et du sujet ; elle aboutit à l’absence de critique en faisant
de la réification de la valeur un principe fonctionnel d’échange
; réduisant le langage à la communication, elle réduit,
par-là même, la force collective qui confère au sujet
sa valeur critique. Elle réduit la liberté du sujet au libéralisme
individuel. La théorie qui réduit le sujet à l’individu
postule le sujet dans l’emprise fatale de la société
comme ensemble unique.
La domination de la société révèle en fait
la faiblesse critique des moyens de sa pensée et de son ouverture
théorique. La force de l’art dépend, en effet, de
la force de la société à impliquer le sujet dans
la critique de son fonctionnement. De même, la force de la société
ne réside pas dans la faiblesse du sujet, mais dans la force contradictoire
qui conçoit la société par son historicité
radicale dans le langage.
Il y a souvent une certaine violence en littérature et en art qui
met le sujet dans l’état second d’une perpétuelle
« colonie pénitentiaire » – où la société,
par l’exercice de sa force, devient comme un état second
du sujet, faisant la socialisation et l’intégration du sujet
par l’inscription de son contrôle sur le corps, faisant un
état second du langage. Le langage, par insinuation, connotation,
par ce qu’il dit autre chose du sujet dans la société
désigne, donc, ce par quoi aussi un langage de l’inconscient
trouve ses mots, à savoir une langue. Si travailler avec le sujet
représente effectivement l’enjeu éthique et politique
d’une activité historique et sociale, il est important que
sa mise en péril par le langage devienne autrement un coup de force
critique du sujet. Ce qu’on fait du sujet, c’est ce qui fait
de la société son point de vue théorique. Aussi,
une certaine cruauté réside-t-elle dans l’effort qu’il
y a à sortir de soi même pour valoir comme point faible de
la société.
Le sujet constitue un point de vue critique de la société
par l’activité historique qui rend instable les formes données
de la société. C’est dans cette ouverture que l’art
devient, dans l’incertitude du sujet continu à la société
comme théorie d’ensemble, la problématique entière
des rapports entre société et sujet ; ce qui fait, par ailleurs,
que l’art et les institutions sont un seul et même enjeu pour
le sujet, dès lors que dans le continu du langage et de la société,
il fait aussi bien la critique des catégories qui lui sont extérieures
que celle de ses propres points de vue.
Il y a sans doute un rationalisme de l’art qu’on ne veut pas
voir. Car l’invention artistique de la société est
peut-être la véritable dimension d’une culture par
où se ferait une historicisation de la valeur toute autre que celle
induite par le rapport entre intérêts individuels et intérêts
collectifs. Réintégrant l’activité poétique
d’un point de vue critique, comme une condition nécessaire
à la constitution éthique et politique de la société,
à leur tour l’éthique et le politique doivent constituer
également leur rationalité historique dans le poétique.
Le sujet, c’est l’éthique de
la société
e
rapport entre sujet et société apparaît de façon
discontinue dans les discours qui instituent la réalité
comme un produit de l’objectivité. Après avoir isolé
l’économique comme une représentation dominante de
la valeur, pour définir le contexte de sa justification dans une
réalité historique transcendant toutes les autres, ce système
s’est imposé en faisant siennes toutes les représentations
d’ensemble qui contribuent au maintien de sa domination, en diffusant
son pouvoir comme une idée partagée et comme le produit
d’un idéal démocratique.
Répéter que l’individu a perdu ses repères
ne fait qu’accentuer la transparence et l’insaisissabilité
de la société comme ambiance, l’insaisissabilité
du sujet. Confondant langage et communication, toujours dans la perspective
de l’échange comme valeur dominante, la culture conditionne
ainsi ce qui fait le social entre les individus, ce qui fait masse comme
moyen de communication, entre les individus et la société.
Comme problématique du sujet et de la culture, l’art implique
une résistance éthique et politique à la société
telle qu’elle s’est constituée, idéologiquement,
comme discours de légitimation de l’échange et comme
pouvoir d’ensemble individuel et collectif. L’art, questionnant
ensemble l’invention de la valeur du sujet et de la société
constitue, donc, une problématisation effective des institutions.
La dissociation entre les disciplines impose à chaque objet la
catégorie apriorique de sa reconnaissance. Elle suppose, dans la
perspective d’un consensus, la supériorité de la société
sur le sujet. Idée attestée depuis longtemps par la tradition
sociologique, non seulement depuis Durkheim qui conçoit à
la base de toute vie individuelle l’intériorisation de la
société, mais aussi, plus récemment, par Georges
Balandier qui assimile pratiquement l’idée de société
à celle d’institution : « L’individu, avec ses
intérêts, ses passions, son désir, n’est pas
l’élément de référence ; c’est
l’institution 7» .
L’institution demeure donc, dans la perspective d’une théorie
rationnelle de la société, le mode de catégorisation
de référence. Néanmoins, elle ne constitue pas seulement
un cadre élémentaire de conventions ayant pour fonction
la reconnaissance organisée de chaque chose dans la société.
Son identification, pour reprendre les termes que Balandier attribue à
l’incertitude d’une conception de la société
ne relève pas de l’évidence, de la donnée ou
même du fait sociologique. Pour lui, et dans le discours de nombreux
spécialistes de la société, « celle-ci n’est
plus vue comme un vaste ensemble construit, déjà ‘’fait’’,
unifié et reproductible, et ainsi capable d’une contrainte
multiforme et omniprésente. La société se conçoit
davantage sous l’aspect d’une création permanente et
incertaine, d’une production continue, jamais achevée, toujours
à reprendre. […] Les sociétés ne sont jamais
ce qu’elles paraissent être, ni ce qu’elles disent être8.
» Ce qui est remarquable dans cette description, c’est qu’elle
pourrait aussi bien s’appliquer à la notion de sujet ; la
possibilité du rapprochement même, atténue l’idée
d’une domination absolue de la société sur le sujet
et fait de la société un processus relatif et historique
qui pourrait admettre la critique comme un fonctionnement du devenir.
Cependant, tant qu’une éthique du sujet sera légitimée
par une conception englobante de la société, et que cette
dernière, même diffuse, sera établie sur les échanges
économiques comme fatalisme de la valeur, toute organisation de
la valeur ne fera que répéter l’institution dans sa
forme dominante. De même que toute activité générale
d’un système dominant, dans la société, consiste
aussi en sa défense, ce même système produit, finalement,
ses propres formes d’institution et de légitimation.
S’il faut situer, par exemple, une éthique du capitalisme,
elle apparaît surtout dans les stratégies et les méthodes,
qu’il déploie, en tant que système, pour justifier
sa conception de la valeur. Dans la mesure où le capitalisme est
un état d’esprit avant une vérité historique,
il travaille tout entier à sa propre justification ; il déploie
son action dans la forme des consensus qui établissent son rapport
à la vérité. Ce n’est donc ni le sujet, ni
les principes d’altérité, ni même la société
en soi qui commanderait une éthique du capitalisme mais bien la
condition de sa propre survie : sa fragilité réside ainsi
dans la peur et la mise à distance qu’il institue de l’autre
et du sujet. Où le rationalisme économique implique la distinction
comme manière d’être, sur le modèle de la rivalité
et de la concurrence. Coupé du social comme principe désintéressé,
le capitalisme devient un art d’accommoder le sujet comme reste
du monde, une manière d’esthétisation et donc une
forme de dissimulation de la réalité.
Ce système cache difficilement la faiblesse de son éthique
et de sa responsabilité en recourant à une politique de
l’autre comme tension extérieure, d’être une
politique sur le mode défensif, conçu donc, selon une idée
pleutre du sujet. D’où le calcul de sa force comme économie
du sujet : non seulement dans les arguments qui organisent la transparence
et la légitimité du système, dans le coup de force
qu’il fait passer dans le consensus contre le sujet, mais aussi
dans les structures mêmes que ce système met en place pour
se donner comme croyance collective9
; il fait de son propre sujet la vertu de tous les sujets. Et, en effet,
l’idée que la société englobe l’individuel
part d’un principe élémentaire vertueux : la société
compense la faiblesse du sujet. Mais ce que la société compense
se subordonne aussitôt à sa logique. Contre l’errance
et l’irrationalité individuelle, la société
oppose une raison d’ensemble, vraie a priori, d’apparaître
désintéressée et naturellement tournée vers
une éthique du sujet : car « C’est, en effet, un postulat
essentiel de la sociologie qu’une institution ne saurait reposer
sur l’erreur et sur le mensonge10
». Cependant, c’est aussi sur la faiblesse du sujet que repose
la stratégie qui confond, dans un but intéressé,
société et pouvoir.
L’assimilation et l’institutionnalisation de ce système
en tant que fonctionnement social réel – voire pseudo-naturel
– fait donc passer l’idée de domination en retrait
de la collaboration individuelle nécessaire au maintien de ce système
comme représentation d’ensemble légitime. Cela implique
d’intégrer l’institution comme principe de fonctionnement,
c’est-à-dire de s’inscrire dans son mode de fonctionnement
même. La matérialité des institutions, en effet, s’affaiblit
en fonction de leur dématérialisation dans la communication
; la vérité diffuse conforte l’illusion de leur pouvoir
: « La grande réussite de la pensée institutionnelle
est de rendre nos institutions complètement invisibles11
» . Cette invisibilité constitue l’omniprésence
de la pensée institutionnelle et le caractère inaccessible
de ses fondements par le sujet. Elle rend ainsi tout système englobant
d’être invisible et toute vérité potentielle.
L’institution est vraie de facto. Et de même que l’institution
est invisible, son sujet est abstrait. La stabilité d’une
institution dépend, en effet, de sa capacité à s’abstraire.
Si la société est un système de représentation
historique des individus, elle est donc également investie à
titre privé et repose sur la capacité vertueuse de chacun.
Ce cercle vertueux devrait fonder l’exemplarité de sa valeur
sur le désintéressement moral de l’individu, lui-même
étant suffisamment désintéressé du pouvoir
et des représentations symboliques qui s’y rattachent, pour
n’y voir que l’enjeu d’une altérité fondamentale
où, comme Henri Meschonnic le répète à maintes
reprises dans son œuvre, « est sujet celui par qui l’autre
est sujet ». Or, la représentation d’une société
fondée sur l’échange économique implique le
sujet, en soi, à partir d’une éthique du désir
; elle fait de l’autre une réalité étrangère
; ce qu’elle met en jeu n’est pas du désir de l’autre,
mais du désir des signes de l’autre. La société
assimile donc l’individuel comme ce qui lui ressemble. La société,
faisant de l’inconnu du sujet ce qu’elle ne reconnaît
pas ou ne comprend pas, fait de tout ce qui échappe à son
intégration, un autre radical. Le problème ici est moins
d’avoir affaire à la conception d’une société
donnée, qu’à la conception d’une société
dont la valeur est donnée a priori.
Réduit au désir, le sujet s’oppose au caractère
empirique et historique de la société qui confond, du coup,
sa réalité dans celle de l’individu ; où l’individu
incarne la société et devient, en ce sens, le relais pragmatique
d’une représentation institutionnelle donnée ; où
l’individu fait signe pour le sujet absent puisque coupé
de la société. D’être coupé des institutions,
la notion de sujet s’oppose au rôle régulateur et légitimant
des institutions, au facteur d’ordre et d’équilibre
qu’elles constituent pour un rationalisme de la société.
C’est une logique de la société qui détermine
cette conception des institutions. Il faut donc considérer la naturalisation
de la société comme une stratégie nécessaire
à sa survie et à sa croyance en tant qu’institution.
La société constitue une représentation vraie pour
tous, c’est-à-dire totalisante de tous les sujets à
titre d’espèce individuelle. Ainsi l’autorité
de la société est doublement légitimée, dans
les institutions qui fondent sa domination et dans le sens commun dont
elle devient l’interprétant naturel, en privilégiant,
de fait, la régression biologique du sujet à l’homme
comme « animal social ».
Mary Douglas décrit ainsi le processus par lequel l’institution
fonde sa légitimité pour être vraie pour tous : «
L’institution naissante doit se doter d’un principe stabilisateur
qui empêche sa disparition prématurée. Ce principe
stabilisateur, c’est la naturalisation des classifications sociales.
Il doit y avoir une analogie qui fonde la structure formelle d’un
ensemble de relations sociales essentielles par référence
avec le monde naturel ou supra-naturel, l’éternité
ou n’importe quel champ qui ne soit pas déterminé
socialement. Dès que cette relation d’analogie est étendue
à d’autres ensembles de relations sociales, et, par effet
de retour, à l’ordre naturel lui-même, sa récurrence
formelle lui permet d’être aisément reconnue et de
tirer sa vérité d’elle-même12
» . La constitution de la valeur dans la naturalisation des choses
induit, par répercussion, la naturalité des institutions
et de la société, à l’image d’une définition
essentialiste du sujet. De sorte que c’est le fondement originaire
même de la société et du système qu’elle
représente qui est finalement protégé de toute réaction
anomique d’ensemble, par laquelle le sujet pourrait se réapproprier
l’institution et par-là même récupérer
sa valeur sociale en tant qu’historicité et non plus en tant
que représentation.
De ce fait, la notion même d’inconscient psychologique représente,
en même temps qu’un moyen de rationalisation du sujet, la
justification de son absence sociale. Car cet inconscient n’implique
pas spécifiquement un inconnu mais constitue, paradoxalement, un
sujet toujours déjà là, la naturalisation du sujet
dans le monde. Il implique la présence du sujet à lui-même
et confirme, dans cette plénitude logique, l’omniprésence
de la société par son intériorisation dans le sujet.
L’inconscient fait donc que le monde serait un état primitif
de l’homme alors qu’historicisé et historicisant, l’inconscient
du sujet travaille entièrement et continûment à la
conceptualisation du monde. En désignant le sujet dans la prédominance
naturelle de la pulsion ou du désir, la société apparaît,
donc, comme seule identité rationnelle d’une culture, comme
seule ordre légitime institutionnel.
Si, comme le dénonce Adorno et d’autres, « c’est
la société qui fait essentiellement la substance de l’individu
(…)13 » , l’individu
fait donc l’éthique d’une politique propre à
la société ; comme nous l’avons vu, la société
évacue généralement le sujet, alors qu’à
l’opposé de la notion d’individu, il constitue l’inconnu
même de la société ou, du moins, la perpétuation
critique de sa contradiction. Dans la mesure où l’opposition
entre individu et société n’a qu’une valeur
stratégique, trouver un accord sur la nécessité institutionnelle
d’établir des catégories de base aboutit à
faire de ce pseudo sens commun, un avatar idéologique. En effet,
la réconciliation entre individu et société est un
leurre stratégique dans la mesure où ces deux termes ne
constituent pas un antagonisme critique. En maintenant l’opposition
entre individu et société comme une nécessité
pratique, la société fait la pensée, du même
coup, de tout accomplissement du désir individuel comme réalité.
Ainsi, l’institution détermine la validité sociale
d’un objet en fonction de sa ressemblance avec le rationalisme qu’elle
représente. Elle lui octroie son statut et son identité
théorique dans la mesure où cet objet correspond à
une classe donnée qui le signale socialement. Pour Mary Douglas,
« Les institutions confèrent, même, l’identité
». Elles désignent à la fois les personnes et les
choses dans la mesure où « Les analogies d’origine
sociale assignent des éléments disparates à des classes
et donnent à celles-ci un contenu moral et politique14
» . La société est donc au fondement de ce qui fait
la raison analogique. Les institutions font ainsi de la société
une éthique de la raison conjointement à l’analogie
qui constitue, elle, la politique d’une cohérence d’ensemble.
Par le caractère exemplaire de sa domination, faisant de l’analogie
la clé de voûte de la maîtrise du monde, l’institution
justifie donc en nature et en raison le fondement même de la société.
Les analogies confèrent à la société l’apparence
d’une cohérence d’ensemble ; elles rendent l’illusion
d’une homogénéité sociale et historique. Cependant,
« le principe de cohérence n’est pas satisfait seulement
par une adéquation cognitive et technique. Il doit aussi se fonder
sur des analogies naturelles reconnues. Cela signifie qu’il doit
être compatible avec des valeurs politiques dominantes, qui sont
elles-mêmes naturalisées. […] Et inévitablement,
si une analogie peut trouver une correspondance dans la nature, c’est
parce qu’elle sert déjà à fonder les principes
politiques dominants. La correspondance ne vient pas de la nature mais
de la société15»
. La société, de ce fait, est assimilée à
l’institution, l’une faisant le statut et le principe de l’autre
par leur ressemblance. C’est l’assimilation de l’institution
à la société qui lui confie son caractère
dominant.
La rationalité du sujet est limitée en tant que quantité
négligeable de la société. C’est un rapport
d’échelle qui détermine la fiabilité de sa
cohérence. Aussi, dans la perspective d’une théorie
restreinte du sujet, la société réifie sa valeur
structurelle et cognitive dans les institutions : « On affirme à
juste titre que la rationalité des individus est limitée,
et il est vrai que les organisations leur permettent d’étendre
les limites de leur capacité à traiter l’information
». « On doit s’accorder sur les catégories de
base. Or seules les institutions peuvent définir des rapports de
ressemblance. Le rapport de similarité est une institution16
» . Pourtant, c’est cette même rationalité individuelle
qu’on retrouve dans les œuvres d’art plastiques et littéraires
et qui, d’époque en époque, font du public l’invention
de nouvelles valeurs sociales, transformant des capacités symboliques
au départ, en capacités réelles, non pas suivant
la ressemblance du sujet et de la société mais dans l’inconnu
qu’ils forment l’un pour l’autre. De même, l’imprédictibilité
du sujet et du monde se manifeste dans le questionnement que soulèvent,
collectivement, les œuvres d’art ; au sens où ces dernières
constituent un processus d’invention du sujet par le langage à
partir duquel, historiquement, la société s’extrait
de l’inconnu. Cette rationalité d’ensemble, de l’institution
au sujet par la critique, fait l’imbrication du vivant et du social,
non pas sur un mode biologique ou mécaniste, mais dans le rythme
d’une anthropologie historique du sujet et de la société
continus par le langage.
L’organisation discontinue de la critique entre les différentes
disciplines pose le problème du discontinu de l’éthique
et du politique, avec les incidences que cela suppose des rapports théoriques
entre sujet et société. C’est l’organisation
des relations à la fois théoriques et pratiques qui est
élevée, d’une part comme un problème d’altérité,
de l’autre comme enjeu critique de soi dans la critique. Cela implique
d’intégrer la critique comme une négation positive,
pour dépasser ce qu’elle représente en tant que jeu
polarisé du jugement. Ainsi fait-elle partie intégrante
de l’activité du sujet et, donc, de la société
prise dans cette activité spécifique. La dimension critique
du jugement s’avère nécessaire pour faire qu’une
pratique historique du discours de la société soit aussi
une théorie du sujet.
L’enjeu de la critique n’est donc pas d’être positive
ou négative, d’entretenir des différences ou de les
annuler, mais bien de maintenir l’inflorescence des choses. Car
l’activité de la critique engage la problématisation
du monde par son historicisation dans le discours. Elle n’oppose
pas l’agir au langage, mais les constitue l’un dans l’autre.
Et le poétique, en instaurant continûment l’éthique
conditionnellement au politique fait de la critique une pratique du monde
comme invention théorique. Dans sa polarisation traditionnelle,
la critique ne conçoit l’activité d’invention
des disciplines que comme étant toujours seconde dans la constitution
du savoir. Or, la critique est la discipline de l’indiscipline au
sens où elle remet continuellement en jeu la stabilité des
discours disciplinaires, ceux-là mêmes qui font les disciples
des grandes théories dominantes et qui, stratégiquement,
défendent aussi bien la fixité du sujet que la fixité
des institutions, pour convaincre de la positivité sociale de leurs
points de vue et de leur légitimité à incarner une
responsabilité sociale.
Enfin, c’est par la similitude du collectif et de l’institutionnel,
de la société et de son organisation en droit que les institutions
fondent leur légitimité, hors d’atteinte de la critique
individuelle et du sujet. De sorte que les institutions apparaissent confisquées
à la rationalité subjective. Le blocage entre sujet et institution
a donc valeur stratégique. L’institution, en réalisant
son objectivation dans la société, fonde sa légitimité
en s’appuyant sur la limite du sujet afin de conforter la pérennité
du pouvoir qu’elle représente. Mais nous l’avons souligné,
cette fatalité est stratégique ; aussi, « Ce qu’il
faut, c’est changer les institutions. C’est donc vers elles
qu’il faut nous tourner, non vers les individus ; et cela de façon
constante, pas seulement en tant de crise17
» . Et, en effet, puisque l’institution constitue le centre
des rapports entre les individus, elle forme légitimement l’image
d’un ensemble historique et social. Cependant, définir l’institution
comme centre des relations humaines implique déjà l’essentialisation
de sa valeur et l’illusion d’une adéquation du sujet
et de la société. « Se tourner vers » les institutions
situe donc, d’une autre manière, le point de vue du sujet.
On pourrait penser, traditionnellement, que privilégier les institutions
comme ce qu’il y a à changer ne fait que réitérer
le point de vue qui situe toute rationalité d’ensemble comme
produit exclusif de la société. Cependant ce point de vue
propose aussi de se focaliser autrement. Car se tourner vers les institutions,
c’est les prendre à l’état de ce qu’elles
impliquent des relations sociales, non plus comme des objets régulateurs,
mais transformées d’être transformantes historiquement.
Ne pas se tourner vers les individus, sachant que la notion d’individu
est une catégorie spécifique de la société,
c’est donc aussi tourner le dos à la société
comme organisation catégorique abstraite pour y déceler
le sujet seul apte, par son instanciation à travers le discours,
à initier une possibilité de changer les institutions en
les concevant d’un point de vue historique. En outre, si la dimension
sociale de l’art lui confère un statut presque d’emblée
institutionnel18 , c’est surtout
d’impliquer le sujet dans une pensée critique des institutions
qui définit toute activité d’invention, faisant de
la société, à son tour, non plus seulement une propriété
mais un fonctionnement du sujet.
Jean-François Savang
Notes
- « La double notion de spécificité
et d’historicité tient la dialectique du rapport entre
la poésie, le sujet, le discours, l’histoire, l’État.
C’est en quoi la poésie est politique. Toucher au spécifique
est toucher à l’historique. En quoi le poème est
juif. […] Toute réponse est sa solution finale. »
(Henri Meschonnic, Poésie sans réponse, Pour la poétique
V, Gallimard, 1978, p. 15.) retour au texte
- Voir au sujet de « l’idéologie
défensive du réalisme économique » les analyses
de Christophe Dejours : « Cette dernière consiste […]
à faire passer le cynisme pour de la force de caractère,
de la détermination et pour un haut degré de sens des
responsabilités collectives […] en tout cas de sens des
intérêts supra-individuels. Ces qualités vantées
collectivement sont bientôt associées à la formation
d’une idée d’appartenance à une élite,
impliquée dans l’exercice et la mise en œuvre d’une
Realpolitik. C’est-à-dire que tout cela serait fait au
nom du réalisme de la science économique, de la «
guerre des entreprises », et pour le bien de la Nation. Les autres,
certes, sont des victimes. Mais c’est inévitable. »
(« Rationalité stratégique et souffrance au travail
», in Raison pratique et sociologie de l’éthique
: autour des travaux de Paul Ladrière, coordonné par Simone
Bateman-Novaes et alii., CNRS Communication, Paris, 2000, p. 122). retour
au texte
- Ferdinand de Saussure, Écrits de linguistique
générale, (établis et édités par
Simon Bouquet et Rudolf Engler), Gallimard, Paris, 2002, p. 211.
retour au texte
- Tous ces extraits proviennent de la revue Art Press,
Hors série n° 17, 69/96, « Avant-gardes et fin de siècle
». retour au texte
- Par l’institution théorique de la provocation
et de la transgression, de pousser l’émotion dans les retranchements
de l’inconscient, l’art finit par constituer de la société
une seule norme, certes flottante, mais décisive de sa représentation.
Où ce qui flotte est le sujet mort de la société,
la victoire nécessaire et temporaire d’une raison d’ensemble,
contre une raison individuelle, impensable dans le contexte d’une
séparation radicale entre éthique et politique voire,
de la précession du politique sur l’éthique. C’est
à l’art, en faisant du sujet et du poème une condition
critique de la société, de rendre possible d’autres
moyens de penser la société, d’inventer la forme
de son devenir, pour continuer, « sous l’effet d’un
authentique enthousiasme de lire ce qui n’est pas écrit
et ne pas lire ce qui est écrit », pour reprendre la tradition
juive de la critique du Mazoreth (Cf. La Renaissance de la critique,
l’essor de l’Humanisme érudit de 1560 à 1614,
Jean Jehasse, H. Champion, Paris, 2002, p. 7.) d’écrire
ce qui n’a pas été lu encore dans la parole d’un
sujet, pour prolonger l’activité de la critique à
l’inconnu comme forme sociale du questionnement. retour
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- Henri Meschonnic, Critique de la théorie
critique, langage et histoire, PUV, Saint-Denis, 1985, p. 94. retour
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- Cette réflexion est issue de l’introduction
de G. Balandier au livre de Mary Douglas auquel, pour cette partie,
nous ferons principalement référence : Mary Douglas, Comment
pensent les institutions suivi de La connaissance de soi et Il n’y
a pas de don gratuit, introduction, G. Balandier, La Découverte/M.A.U.S.S.,
Paris, 1999, p. 17. retour au texte
- Ibid., p. 19. retour au texte
- « On peut, sans dénaturer le sens de
cette expression, appeler institutions toutes les croyances et tous
les modes de conduite institués par la collectivité ;
la sociologie peut alors être définie la sciences des institutions,
de leur genèse et de leur fonctionnement » (Émile
Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris,
1894, p. XXII) retour au texte
- Les Formes élémentaires de la vie
religieuse, Émile Durkheim, Quadrige, Paris, 1991, p. 3. retour
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- Mary Douglas, op. cit., p. 114. retour
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- Op. cit., p.68. retour au texte
- Theodor W. Adorno, Minima moralia ; Réflexions
sur la vie mutilée, Payot, Paris, 1980, p. 12. retour
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- Op. cit., p. 81. retour
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- Op. cit., p. 105. retour
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- Op. cit., p. 73. retour
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- Op. Cit., p. 140. retour
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- « Non seulement l’art est lié
à des institutions sociales, mais encore il se crée ses
propres institutions » (Art et société, Roger Bastide,
L’Harmattan, Paris, 1997, p. 154.) retour au
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