Un artiste peut-il travailler avec
l’institution? Non.
Texte prononcé par L.L. de Mars le vendredi 23 mai 2003 lors du colloque
«Un artiste peut-il travailler avec l'institution? Non.», au
Bon Accueil, à Rennes, réunissant L.L. de Mars, Raphaël
Edelman et Jean-François Savang. Vous pouvez télécharger
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Merci mille fois
à Catherine, Philippe, Raphaël et Jean-François
sans la lecture attentive desquels ce texte ne serait qu’un abominable
brouillon.
“Je pense qu’on recherche dans une peinture
une prise sur la vie.
La suggestion définitive, le message définitif ne doit pas
être un message
calculé, mais un message inéluctable. Ce doit être
ce qu’on ne peut éviter de dire,
pas ce qu’on s’est proposé de dire”
Entretien du peintre Jasper Johns avec David Sylvester
a
mystification règne en maîtresse dans un dialogue qui omet,
de part et d'autre de l'énonciation, de se signifier que c'est
entre des sujets qu'il prend vie; au lieu de quoi, la cannibale abstraction
institutionnelle se joue entre des personnes, des grandes personnes, et
accouche d'invraisemblables négoces entre - d'une part —
un artiste qui attribue à son interlocuteur la plénitude
d'une persona1 si puissante qu'elle
dissout invariablement celui-ci dans le système dont, pourtant,
ni le pouvoir ni le mobile ne sont clairement annoncés (l'institution
ne converse que sur son fonctionnement se considérant elle-même
comme une donnée indiscutable, sinon une nature humaine), et —
d'autre part — un bureaucrate dont la formation dresse toujours
entre lui et l'artiste une chaîne de signifiants bancale qui boitille
entre art et culture; il s'agit de ne pas déborder le cadre de
conventions tacites qui sont celles de l'effacement. On dira: de la pudeur.
S'il y a une forme en creux qui engouffre tous les non-dits de ce dialogue,
c'est le pli conceptuel même dans lequel s'abîmerait tout
espoir pour lui de voir le jour; ce non-dit, dont chacun croit par pragmatisme
— la pudeur — devoir faire l'épargne à l'autre,
c'est le sujet. Mais le sujet ne s'absente pas pour céder la place.
Et contrairement aux fantômes qui s'expriment ici, c'est lui qui
détient la parole. Qui est la parole. Alors qu'advient-il de lui
à ce moment transactionnel? Sous quelle espèce nos ventriloques
le piègent-ils? Quelles sont les raisons de ce silence sur la seule
instance qui, pourtant, ignore la discontinuité et dont l'invisibilité
toute relative est en fait l'espace de l'apparition, je dirai un peu plus
loin: de l'advention?
Le texte que vous allez entendre va s'insinuer entre ces questions, ni
plus ni moins promeneur que je ne le suis, ni plus ni moins soucieux de
linéarité que je ne le suis. Il dérogera sans aucun
doute aux attentes de méthode, car c'est la mienne.
Je voudrais faire entendre cette vérité première
qui semble échapper de toutes parts aux acteurs de la scène
institutionnelle : une œuvre d’art n’est pas un objet
de culture, n'est pas le vecteur d'une cohérence instrumentale
au collectif; l’art ne saurait être subsumé à
son usage culturel; la culture trouve son accomplissement, produit son
sens et sa légitimité, dans une structure extérieure
aux objets qu’elle véhicule, la structure groupale, dont
elle est un des moyens de représentation principal, image qu’un
groupe humain se donne de lui même, qu’il veut donner à
d’autres de lui-même.
Une telle identité de l'art aux usages culturels supposerait deux
choses :
- D'une part, un ensemble d’isomorphismes négociables, de
représentations closes, discontinues. Dans ce cadre, l’acquiescement
à l'objet de culture est une prémisse à sa fonctionnalité,
le gage de sa capacité à représenter des aspirations
idéales du groupe : or une œuvre d’art ne représente
qu’elle même, n’est le vecteur d’aucun partage
d’éléments isolables, elle est son propre ensemble
d'opérateurs ; l’acquiescement collectif à l’œuvre,
dût-il passer par l'injonction à aimer d'une délégation
institutionnelle, est un épiphénomène de son aventure
dans le groupe, et n’est en rien impliqué dans son sens ni
sa réalisation.
- D’autre part, un préétablissement solide des conditions
de transports et diffusions, structure supérieure applicable à
tout objet de culture, légitimant par exemple, la création
d’un ministère. Or une œuvre d’art est sa propre
structure, invente en advenant les conditions de sa diffusion et l’établissement
de son sens2.
Une œuvre d'art n'est pas une courroie de transmission culturelle,
pas plus qu'elle n'est un objet de transaction qui légitimerait
son intégration à un circuit institutionnel; ce qu'elle
peut devenir dans ce cadre, et on s'en fout, c'est une relique patrimoniale
pour les pleureuses qui de toutes façons ne sont touchées
ni de près ni de loin par ce qui est en jeu dans l'art.
C’est la vieille goutte patrimoniale de l’âne Malraux
qui encouragea ce désastreux contresens historique pour hommes
pressés d’être légitimés par leur propre
action de légitimation : reconnus pour avoir su reconnaître,
voilà comment se rêvent les politiques n’ayant jamais
su s’équiper de la moindre théorie honnête
du sujet3.
Une œuvre d’art ne devient au sein d’un groupe humain
un objet de culture que pour ceux qui ne se soucient ni de l'humain ni
de l'art : la basilique de San Marco n’est l’image de Florence
que pour ceux des florentins qui n’ont jamais fait l’expérience
individuelle de l'œuvre de Fra Angelico, expérience à
jamais singulière, toujours recommencée. Pour ceux qui s’y
sont donnés, San Marco est leur jardin secret, et la seule structure
que Fra Angelico ait solidifiée, modifiée, et peut-être
révélée, c’est la leur, c'est le sujet qu'ils
sont.
Ce n’est pas seulement sur leur incompétence à concevoir
la singularité de l’œuvre d’art qu’il faut
juger de ces chefs de rayon culturel, mais aussi sur la confusion qui
règne dans leur façon d’imaginer sa genèse
; toutes les œuvres qu’ils admirent, collectionnent, commémorent,
sont nées en dehors de leur poisseuse circonscription. La construction
instrumentale qu’ils proposent de l’image patrimoniale est
bâtie sur des œuvres qui ne sont pas nés de la cuisse
ministérielle, sur des artistes qui ne têtèrent pas
aux mamelles subventionnaires. Mais que de toutes les grandes œuvres
sur lesquelles s'appuie la culture de nos institutionnels — et,
qui sait?, l'engouement qui les conduisit à épouser un jour
leur fonction -, aucune ne soit née des actions du système
qu'ils servent, rien de tout ça ne semble les choquer. En vérité,
les institutions culturelles se payent les gadgets sociologiques qu’elles
méritent, et se rattrapent, en matière d’art, sur
le dos des cadavres dont d’autres qu'eux ont su leur montrer la
sépulture.
Si l'agent institutionnel défend tant le gadget sociologique, l’installation,
l’action, la performance, c’est parce que, à l’instar
du sport, cette infatigable production renvoie à l’infini
au groupe une image sociale — culturelle — auto-légitimante,
quelle que soit sa prétention à la subversion : quand un
artiste croit avoir bien fait son travail en ayant détourné
ou tout simplement révélé un objet, une structure,
une typologie, un élément quelconque de la vie du groupe,
il n’a rien fait de plus qu’un publicitaire inventant un cadre
mouvant à un objet inerte. Il se persuadera pourtant d'être
critique. Plus les enjeux prétendument critiques sont visibles,
plus les enjeux artistiques sont faibles quand il ne sont pas désavoués,
plus l’institution paiera avec enthousiasme pour l'inoffensivité
(L'institution n'admet pour seules critiques que celles qu'elle consent
à formuler elle-même. Arguant d'une intériorisation
accueillante et ouverte de la critique, elle disqualifie toute critique
extérieure. Ma parole serait accueillie comme audible si elle était
déjà assujettie aux structures que je prétends analyser,
elle ne le serait donc qu'en étant déjà soumise aux
règles de la domesticité; c'est de sa prétendue aptitude
à absorber et diffuser toutes les critiques que l'institution tire
le sentiment d'en être la somme). L'institution travaillera tout
particulièrement à donner l'éclat du neuf, du critique,
du pertinent (qui est l'exact synonyme d'impertinent dans le désert
lexicographique institutionnel), aux plaquettes présentant ses
babioles inoffensives: mais la visite en galerie désintégrera
instantanément le prestige de la plaquette institutionnelle qui,
seule, mettait un instant en lumière la singularité factice
d'une exposition, comme se désintègre instantanément
le prestige de l'objet de consommation vulgaire rendu un instant prestigieux
et unique par sa mise en lumière publicitaire. Peu importe le sentiment
de supercherie, de tristesse, d'ennui, qui en découle, la production
des plaquettes ignore la baisse de rendement; et ces expositions n'existent
que pour être annoncées.
La seule subversion réelle, c’est l'expérience du
sublime, la beauté, c’est-à dire le sujet. C’est-à
dire, aussi, l'irreprésentable et la mort.
L’artiste croyant se rendre au bon sens en travaillant avec les
institutions — puisqu'elles existent — se range dans l’assistance
politique à la carrière des incompétents qui y exercent
: un artiste se préoccupant de bon sens est un artiste foutu. Ils
devrait au moins réfléchir quelques minutes à ceci
: avec qui travaille-t-il exactement ? Qu’est-ce qu’un agent
institutionnel de la culture? 4
C’est la concrétion minérale du refoulé artistique,
l’apothéose de l’auto digestion, doublement raté
parce qu’il n’est pas l’artiste qu’il à
rêvé d’être, mais aussi parce que son rêve
est frelaté et que son idée de l’artiste ne vaut pas
plus cher que celle du public qu’il prétend éduquer
(il dira : «ouvrir à l’art»). Comment, dans ce
type de rapport, le vivre sans inquiétude? Quand un de ces agents
institutionnels se récrie, trouve grossier d’imaginer que
son ambition secrète serait d’être artiste, je ne peux
que me demander ceci : que cherche-t-il donc, celui qui désire
passer le plus clair de son temps avec des artistes, se donne à
la fréquentation quotidienne de ces casse-couilles rongés
d’orgueil, ne rate aucune occasion de se faire tirer le portrait
en leur compagnie, se pique de les aider à vivre, de les comprendre,
de les aimer, perd son temps dans des vernissages grimaciers quand il
prétendra toujours ailleurs être surchargé ? On peut
l'imaginer plus retors encore : s’il subventionne principalement
des plaisantins dont la légèreté a pour étalon
le peu de cas qu’il fait réellement de l’art, s’il
alimente presque essentiellement des commentateurs timides de la société
qui leur sert de béquille conceptuelle comme de projet artistique,
c’est parce qu’ils sont pire que lui, qu’ils portent
en eux une marque encore plus éclatante du ratage. Ainsi, il avance
planqué, pire dans l’ombre du pire, et si le fantasme de
patrimoine qu’il nous brode tous les jours n’est pas à
la hauteur de ses ambitions politiques, ils pourra toujours imputer ça
à la nullité des pitres qu’il a gavés.
Nous devrions sans doute, aussi lassant que ça m'apparaisse, revenir
un peu sur la doxa communicationnelle, si longue à crever dirait-on,
puisque c'est sous le ratissage de sa conception libérale des rapports
que s'opère un efficace retour sur investissement de l'institution
dont la grossière lisibilité de la mission laisse sans voix:
encourageant la prolifération d'œuvres obédientes —
dont la forme du fantasme naïf est celle du réseau des échanges
réussis — déployant les relais de présentation
de ces serviles et tape-à-l'œil brouettes communicantes, l'institution
pourra tirer de cette prolifération-même l'aliment des démonstrations
à venir, surtout celles qui s'appuient sur la fatalité du
paysage tel qu'il est. Du pragmatisme, en somme, une vérification
de routine. On aurait tort d'imaginer une entreprise toute entière
vouée à une bienveillante verticalité, qui ne rate
aucune des boutiques à bibelots communiquants, quand l'essentiel
de l'activité institutionnelle est une industrie horizontale de
formants 5 que les artistes acceptent
comme autant d'aubaines (ils disent des lieux) quand ils ne sont que les
cercueils de leur invention.
Fondées sur les reflets illusoires de la cohérence que donne
l'observation des structures et du chaînage historique — toujours,
nécessairement, dans le temps d'un retrait — l'acquisition
et la conservation des œuvres sont sujettes aux plus fugaces nécessités
du groupe et, principalement, de son gouvernement du moment. Le rêve
communicationnel serait le décret spontané, la rétraction
à une nano-échelle de ce retrait; c'est, sous l'effet d'une
panique devant l'imprévisible qui menace la fixité des échanges
du sens que s'étend le tissage historique a priori : c'est du patrimoine
d'avance. Le marché, c'est l'histoire en temps réel qui
entérine la foi accumulative et finaliste dans la certitude que
tous les chemins de l'histoire conduisent à elle.
Avec le mort, voici où nous en sommes dans le jeu des transactions:
la déchirure épistémologique raccordée par
Leonardo entre les Arts s'est reformée dans nos musées;
le musée de la Specola où sont conservées les céroplasties
anatomiques de Zumbo est séparé par un fleuve, l'Arno, des
grands musées où s'observe l'invention du corps par les
maîtres de la Renaissance Florentine. L'institution, fidèle
à ses modèles tant qu'elle les suppose fondés, se
garde bien de réparer l'accroc, et la Specola est sans exégèse,
c'est-à dire, on s'en doute, sans touriste ; éclairer le
sens de cette séparation historique aurait rendu nécessaire
sa réduction. Le mantien de ce cloisonnement, au contraire, renforce
les catégories de l'art et de la science dans leur plus obtuse
restriction, fondant par la suite celles du divertissement et de la pédagogie.
Nous sommes condamnés, comme les enfants de Saturne, à être
avalés par le mensonge, nécessaire à nos fins, de
notre origine. Imaginons maintenant ce que donne la transaction du vif
qui se bricole dans l'oraculaire...
La culture ne se constitue même pas a contrario de l'art -elle ne
se donne l'œuvre pour objet qu'en tant qu'elle n'est déjà
plus qu'un item historique déterritorialisé (désormais
projectivement : c'est la prévoyance contre les échecs de
l'histoire) — mais complètement en dehors de lui dont la
fin n'est pas l'histoire mais l'instanciation du sujet, l'historicité
de l'artiste 6. Il va surtout s'agir de rester serrés
du côté des formants de l'industrie insitutionnelle, parce
que c'est seulement sur eux que se bâtit le rêve de fluidité
et de fin historique du groupe, l'histoire n'étant qu'une histoire
des objets. De notre côté, nous allons tenter d'éclairer
en quoi une institution, parce qu'elle en est une, ne saurait avoir
l'art pour objet 7.
Le mirage de l’avènement et de la cohérence historique,
c’est celui qui conduit de la synchronicité désordonnée
au patrimoine — l'idéal diachronique -, du diffus au cellulaire,
de la dispersion au cloisonnement ; il se trouve que l’art est probablement
soumis au même paradoxe que la question du filioque, paradoxe par
lequel le Dieu des chrétiens procède infiniment de lui-même,
ce qui écarte sans cesse sa définition de l’énoncé
(de l’immédiateté), sans jamais ruiner la certitude
d’une spécificité transcendantale ; il faut repenser
avec lui le sens même du moment dans son mouvement, et toute idée
de partition dans ses parties supposées. De même, nous ne
saurions imaginer l'art dans l’amputation du moindre de ses membres,
de la moindre de ses hypostases — mutilation qu’un rêve
progressiste voudrait bien lui infliger — car l’art ne disperse
pas ses possibles, n’égrène pas ses questions; ses
accrocs, ses hérésies même les plus isolées,
sont encore des parties qui l'augmentent, chaque effectuation nous replongeant
dans la définition de ses origines. Envisagé ainsi, on ne
peut esquisser sa définition que dans l’arrêt sur image
d’un prolongement jusqu'ici inimaginé, le paradoxe apparent
de ce qui n’était pas encore, bien que de toute éternité;
le paradoxe n’est qu’apparent parce que c’est l’angle
de l’achèvement définitionnel qui trouble la vue,
qui pourrait faire penser qu’on s’écarte de lui en
s’écartant d’une définition gelée dans
l'entendement historique ou sémiotique, ou qu’on l’étendrait
dangereusement en étendant sa définition. Dans les deux
cas, se soumettre à une de ces extrémités définitonnelles,
c’est soit le conduire au patrimoine et à la sociologie (l’art
en tant qu’effectuation du sujet est loin derrière nous,
les formes contemporaines vectorisent son essentialité sociale),
soit au marché absolu (tout est art). Substituer à toute
clôture ou parcellisation des définitions la notion de «dernier
état de l’art» — et plein de l’idée
que l’art est, à tout moment, défini par l’ensemble
des possibles qui l’alimentent depuis son apparition (qu'on aime
imaginer contiguë à celle de l’homme) — est ce
qui plie l'analyse à la spécificité de notre objet
au lieu du contraire.
Tout l'exercice de l'histoire de l'art — empressée de passer
à travers le crible de ses instruments de mesure les quelques centaines
d'années qui ont précédé leur invention pour
se persuader qu'elles y conduisaient, comme une pente incline à
la chute — aura été de contraindre l'invisible au
visible, l'à-peine perceptible à la grammaire, le déplacement
des corps devant les tableaux à la plate et étriquée
fixité des vignettes. Or, le sublime naît précisément
de l'irreprésentable, c'est-à dire de l'échec à
associer précisément un objet à un concept, une manifestation
à un sens.
Les livres d'art croient rendre justice à Van Eyck en rendant enfin
inventoriable, parfaitement lisible, un détail de l'Agneau mystique
dont la hauteur, pourtant, l'indéchiffrabilité, étaient
sans doute le véritable écrin de son sens, dont l'illisibilité
était la chose à lire.
Combien d'artistes aujourd'hui, hantés par les échos des
œuvres auxquelles ils se lient historiquement, ne créent-ils
pas eux-mêmes à l'intérieur de cette fatale mise à
plat, c'est à dire: englués dans la destinée des
manuels, des rapports, des comptes-rendus, des catalogues, qui rêvent
d'intelligibilité exhaustive, et en dehors de tout mystère?
Au mystère, on aura sans doute reproché de sentir trop fort
la romance qui court de la cellule monacale aux oreilles coupées,
à une heure où les ménagères elles-mêmes
suivent plus passionnément les soubresauts de la bourse que les
secousses amoureuses des infirmières, et où de prétendus
philosophes se propulsent dans la pédagogie de l'art et se mettent
eux-aussi à trouver douteux les perdants de la communication. Aujourd'hui,
il semblerait que ce soit enfin fini, on postule que l'art sous sa forme
la plus étroitement attachée au sujet a fait son temps;
place aux identités remarquables, c'est-à dire évaluables,
ou à l'individu. Mais où dévoie-t'on le sujet dans
cette déclaration funéraire?, quand on n'entend pas chanter
une fois encore le requiem de l'art, c'est au moins de sa conception romantique
dont on sonne le glas avec la certitude que ce deuil est une victoire
historique sur la romance. Soit. Pour ça, il faut au moins expatrier
le romantisme des œuvres romantiques elles-mêmes, c'est-à
dire faire du cinéma. Qu'en est-il exactement de cette romance?
A-t-elle vu le jour en dehors des institutions qui aujourd'hui la réprouvent
pour préférer des modèles d'intégration qui
satisfont l'ultime modélisation communicante des rapports sociaux?
Pour supposer la fin d'une conception romantique de l'art, il faut déjà
avoir beaucoup œuvré au culte de sa réalisation; pour
l'intégrer à une chaîne d'événements
et annoncer sa fin, il faut avoir réussi à en faire miroiter
le moment d'apparition et le moment d'émiettement; or il est d'autant
plus facile d'abattre un dragon que les dragons n'existent pas. Avec les
chasseurs de chimères, peuvent disparaîtrent les chimères,
bien qu'on veuille toujours nous faire croire l'inverse. Là encore,
une confusion de terme soigneusement entretenue put faire de l'œuvre
d'art l'expression du moi, conception d'autant plus facile à démolir
que jamais ne fut envisagée l'idée qu'elle était
en vérité la manifestation du sujet. Il faut croire que
le moi, surface communiquante pourtant, ne communiquait pas encore assez
bien, ou pas assez favorablement le bon fonctionnement des impératifs
collectifs.
Qu'est-ce qui détermine devant les fresques pariétales de
Pech-Merl la tenace intuition que sous la charge la plus pesante d'une
régulation sociale perdue, il y a bien de l'art? Qu'est donc cet
étrange sentiment qu'il y a une œuvre quand tout nous écarte
de sa définition sémiotique ou historique, sinon, peut-être,
tous les éléments qui y échappent à la codification,
à la transaction et, par la suite aux iconologies? Car on n'apaise
pas le sentiment d'insatisfaction définitionnelle en sachant voir
mieux que des signes, des opérateurs entre les signes. C'est encore
trop peu. Il pourrait n'y avoir aucun opérateur saisissable sans
que s'atténue l'intuition qu'il y a de l'art. Dans ce cas, comment
aborder sérieusement ce sentiment océanique sans verser
à son tour dans la manipulation diachronique (le rêve d'un
sens continu à l'aventure humaine) ou le rêve de totalité?
Qu'avons-nous en mains comme éléments et, surtout, comme
instruments de mesure pour ces éléments? N'y-at-il pas d'ailleurs
une certaine identité entre eux?
Le sujet fuit et déborde des objets calibrés par l'usage
immédiat; et ce n'est pas ce par quoi il s'exprime (ce qui l'inscrirait
encore dans le théâtre des affects, supposerait une extériorité
à laquelle ce théâtre rend des comptes où pour
laquelle il invente un processus de démolition) mais par où
il est. Nous tenons peut-être un bout, sinon de la définition,
au moins d'un renversement des déterminants de
la définition 8.
La première invention d'une œuvre d'art est l'utopie la plus
serrée du sujet, le corps de l'artiste; l'œuvre est le lieu
de ce lieu; c'est ce qui rend possible la même territorialisation
pour le spectateur et invalide du même coup la tentation biographique
ou l'enracinement historique. Dans la consommation de ce rendez-vous éternellement
manqué (où le sujet qui créa l'œuvre cède
la place à l'advention — et à l'invention —
d'un nouveau sujet), il est bon de s'arrêter un peu pour se demander
en quelle compagnie nous regardons les images (car il n'y a que des images,
au sens Bergsonien où une image est «tout ce qui apparaît»).
De quoi les faisons-nous précéder pour les voir, quels organes
avons-nous le courage d'inventer pour elles?
Cette invention organique, le lieu que je suis (incadastrable, inséparable
du temps de sa métamorphose continue), n'est pas à saisir
comme une métaphore du pouvoir mais bien à prendre, littéralement,
platement, comme de l'effectuation tissulaire, musculaire, osseuse, splanchnique,
nerveuse, lymphatique, sanguine. Nous rêverions sans doute la comptabilité
des effets de cette production: nous sommes si mal habitués à
imaginer ces métamorphoses hors du champ des constatations immédiates,
celles qui, par exemple, lient la fabrique du corps au sport que l'on
exerce par lui. Mais l'extension et l'invention dont je vous parle, seul
le sujet en fait l'épreuve, et seule cette épreuve permet
de les saisir: elle sont à la fois le mouvement et le seul indice
de ce mouvement, l'acte et ce qui permet de rendre compte qu'il y a eu
un acte.
Il ne s'agit pas même d'assimilitation aux objets de la production:
ceci serait, pour le coup, encore une métaphore de l'extension
— et non de l'invention territoriale -, celle qui fait dire «Mes
œuvres sont mon corps», œuvres du moi plutôt que
du sujet (car le moi n'est guère plus qu'une membrane de représentabilité
— de négoce — déjà socialisée,
comme peut l'être votre reflet dans le miroir également aperçu
par-dessus votre épaule. Et c'est le moi qui s'institutionnalise,
quand le sujet, lui, s'institue ; le sujet, tiré à la lumière
par les deux trouées des paupières ouvertes, n'a pas d'image,
ne possède rien). Cette relation au monde qui intériorise
les notions de système et d'outillage et repousse les conceptions
heuristiques de l'art, Il pourrait s'agir, non pas de l'être, mais
du sêtre, s'il fallait trouver à l'écho que s'échangent
avoir et être, un écho semblable au verbe savoir.
Au travail de l'atelier, chaque jour, la recomposition et la modulation
de l'inventaire organique, nouvelle disposition au monde d'une nouveauté
continue, action à laquelle rien ne semble préparer puisqu'elle
s'instancie, avec le sujet, et qu'aucun outil ne précède
ni ne laisse présager. Dans ce continu, on voit se dessiner l'image
d'un étrange héroïsme (ce trou noir des pulsions libidinales
où se projettent toutes les représentations d'un phallus
éternel, d'une fatalité qui serait l'impossible détumescence),
étrange parce que vivant, là où c'est la mort du
héros qui glaçait son érection continue dans l'histoire.
Vivante, l'érection continue est assez intolérable pour
qu'on la dévoie dans les métaphores: militance, figure de
l'artiste qui épouserait la subversion propre à une corporation,
c'est-à dire, encore, une persona.
On verra aussi apparaître dans cette disposition l'attachement à
une absolue solitude (idée intolérable à l'institution
qui materne, qui est garante du liant et de la cohérence des tissus
et ne collectionne que les moulages d'érections posthumes —
dont on ne sait plus très bien au fond, une fois pétrifiées
dans l'image, si elles ne furent pas elles-mêmes que des images;
car l'institution connaît et promeut les vacances), une solitude
que chaque réalisation nouvelle, évidemment, entérine
puisqu'elle éloigne un peu plus des interprétations disponibles
de l'être au monde. Contrairement à toute idée reçue,
c'est cette solitude qui est la guérison du romantisme parce que
l'incommunicabilité n'est ni son problème ni son objet.
Elle n'a pas d'objet, pas plus que la pratique de l'art qui lui est consubstantielle:
c'est un désir plein de lui-même, travail du travail, production
de production, sans finalité, et voilà qui le fait échapper
à une catégorie, celle du manque, sur laquelle se fondent
toutes les illusions psychanalytiques d'avoir saisi le désir. C'est
du plein. Qu’est au juste celui qui sest? Quittant le vaste champ
des métaphores, il se donne à la plus puissante d'entre
elles, celle qui s’incarne en dehors de tout symptôme, incarnation
au cours de laquelle le corps est son propre signifiant, dans le temps.
Nous en sommes à ce point de l'hypothèse: le travail de
territorialisation que permet l'œuvre d'art est le lieu où
le sujet s'invente à lui-même. Le réel ne nous concerne
qu’en tant que nous proposons nos propres fictions à son
absence de sens; le réel n'est pas un territoire. Si l’art
n’est pas un auxiliaire de vie, qu’en rien il n’est
à côté d’elle comme un commentaire dans une
marge, c’est parce qu’il est la vie même; qu’il
est l’expression la plus assurée de la territorialisation.
Si la pratique de l'art invente pour l'artiste les organes par lesquels
il fera l'expérience du monde, si l'on accepte l'idée que
cette liberté est offerte au spectateur, disons alors que c'est
l'œuvre en tant que lieu d'advention de tous les sujets qui s'y donnent
qui pourrait nous éclairer sur d'éventuels caractères
transcendantaux définissant sa spécificité artistique.
Ce n'est encore pas une métaphore que de déclarer être
grandi par une œuvre, sortir grandi d'une expérience artistique
; et c'est l'intuition de cette métamorphose qui, peut-être,
nous renseigne sur la nature à la fois de cette expérience
et du lieu qui la rend possible, l'intuition que dans cette advention
se signale la présence d'une œuvre. Voilà qui nous
amènerait à supposer une histoire écartée
de toute iconologie, de tout décompte des objets, une histoire
des sujets et de leur expérience des œuvres. Dans Hypothèses
(Change — 1972), Jakobson cherche ce qui détermine le poème
comme poème, et pour y parvenir, il veut isoler les tropes grammaticaux.
Mais ces catégories morphologiques lui font oublier qu'on peut
singer le poème, et qu'avec sa méthode, la singerie du poème
serait un poème. Et toutes les iconologies se fourvoient dans cet
écueil.
Évidemment, partir, comme je le suggère, du sujet, des sujets,
c'est sans doute décourager toute histoire et toute sémiotique
; mais c'est replonger les œuvres dans la vie-même, celle qui
produit du sujet et c'est rendre justice au continu qui la fit naître,
qu'elle a le pouvoir de faire naître à son tour.
Même si se profile alors une histoire du sublime, il faut l'entendre
avec ce que Kant pouvait supposer de possiblement désagréable
à l'expérience de celui-ci, la gratification ne naissant
pas forcément du plaisir ni de l'intelligibilité.
L'inintelligibilité, reconduite dans l'orbe communicante, relève
de deux catégories: l'échec de la transmission (psychiâtrie
et suicide social), ou l'absurde, considéré comme la forme
d'humour de cet échec, d'autant plus assimilable et inoffensif
qu'il ne désigne aucune cible précise, qu'il ne remet pas
intelligiblement en cause la domination.
Le modèle communiquant d’après-guerre, le tissu médiatique
opaque dont l'acte de naissance est la libération des camps et
ses images et qui s'étend endémiquement depuis, est une
construction hâtive bâtie devant l'incapacité de répondre
à l’angoisse: enfouir le devoir de mémoire sous le
devoir d’information semble avoir été l’état
d’urgence dans lequel fut élaboré un prototype d’opacité
sur les années de guerre, dans le choc de n’avoir su regarder
le visage d’une société lentement édifiée
sur la négation du sujet dont l’aboutissement fut le désastre
; implicitement, c’est le déni du fait que l’humanisme,
qu’un modèle humaniste, n’ait pas su éviter
le pire, ait pu, même, en accoucher. Puisqu'on ne saurait balancer
aux orties l'humanisme, reformulons son efficacité avec le relais
des réseaux de transactions. Et sur l'opacité érigeons
la transparence. Le modèle communiquant veut s’imaginer,
par un idéal de transparence des échanges, susceptible de
rendre impossible l’horreur en lui coupant toujours l’herbe
sous les pieds. De l'horreur, il ne sera plus que le réseau de
déplacement; sa transparence et son efficacité transactionnelle
le laveront du soupçon de faire naître l'horreur. Il se livrera
clé en main avec sa critique, puisqu'il est la critique absolue
intégrée. Mais l'horreur, c'est la formulation de la transparence
par des instances qui ne se fondent que sur l'opacité, comme leur
mythe fondateur se fondit sur l'amnésie obligatoire de l'échec
historique; c'est, par exemple, pour Surya dans «théorème
de la domination», la transparence sur ce qui est présenté
comme dysfonctionnements de la machine dominante, les «affaires»,
discours qui veut laisser croire qu'une machine dominante idéale
existe, sans affaires, et que c'est cet idéal que vise la transparence.
Or les affaires sont les rouages de toute machine dominante et la garantie
de son bon fonctionnement.
La transparence de l'institution culturelle, c'est son hypothétique
bienveillance à l'égard des modes d'apparitions; il faut
bien voir dans cet apparent refus de la discrimination formelle l'indistinction
qui rend impossible toute hiérarchie des œuvres et, surtout,
la sous-jacente plateforme discriminante qui ne fonctionne que par omission.
Ce qui accrédite ou disqualifie l'action artistique comme telle
est l'appareil de mesure qui permet tout simplement de la reconnaître:
l'institution ne dispose que d'appareil de classification, ceux que lui
offrent les informateurs qu'elle abreuve elle-même; elle ne saurait
reconnaître une forme qui n'a pas déjà été
présentée par elle.
La multiplication des supports donnée comme multiplication des
inventions dans un dispositif communiquant où «le medium,
c'est le message», l'incroyable boulimie d'information associée
au paysage qui se croit tout voir et tout savoir de l'activité
artistique, laissent supposer que ce dont on ne parle pas n'existe pas,
qu'il est impossible de passer à travers les mailles de l'information;
la mauvaise volonté à s'y donner est de surcroît perçue
comme garante de mauvaise qualité (la jalousie supposée
des œuvres à succès ou autres paravents romanesques
de même farine), car l'institution vit dans l'impossibilité
d'imaginer des fondements rationnels au refus de l'information sous sa
forme digest et abrégée, refus qui n'est autre que le rejet
du credo communiquant. L'institution ramène toutes les œuvres
dans le champ des transactions; mais que me dit l'extériorité
quand moi je frappe ma monnaie? Pourrait-elle me localiser hors de la
psychiatrie ou du suicide social?
Il y aurait quand même un paradoxe assez indénouable à
vouloir faire cohabiter le "hors-norme" avec le normatif dans
la même gamelle. Quand l'institution s'en pique, elle fout des tags
dans les galeries, encourage le simulacre en bocal du système marchand
tant qu’il n’en met pas réellement en péril
les catégories, élabore des plateaux publics où le
hors-norme assure de sa présence dans l'institution-même,
où un privé de pacotille décore le public et rassure
sur l'attention sans discrimination de celui-ci à la déviance
canalisée. Mais la particularité du "hors-norme"
est de résister par tous les bouts à cette minable bienveillance
et tout particulièrement à ne jamais pénétrer
la grille de lecture qui permet à l'institution de le reconnaître
pour sien.
L'indistinction généreuse ne s'épargne même
pas le colonialisme; ce sont les valeurs qui parlent l’homme dans
une structure marchande. Il s’agit en fait pour un agent institutionnel
de ramener tous les actes humains dans la sphère des transactions.
Le patient travail patrimonial de l’unité transactionnelle
est avant tout un travail linguistique ; ce n’est pas en les niant
que l’on réduit les statuaires africaines, c’est en
les exposant à l’intérieur du mot art et des sanctuaires
consacrés à ce mot; dans le même cénotaphe
disparaissent alors le nègre et la spécificité de
l'art, goulet inavoué du paternalisme ethnologique. Pince-mi et
pince-moi tombent à l'eau. Reste le bateau. Le transport.
Il faut bien comprendre que dans un système transactionnel de
ce type, l’objet de la transaction n’est jamais celui qu’on
désigne : si, par exemple, dans le cadre libéral, l’argent
conduit à l’argent (comme l’institution conduit à
l’institution), alors l’homme n’est pas le médiateur
de cet action, il en est l’objet; c’est lui, et lui seul,
dont la nature se voit modifiée par la transaction, l’argent,
lui, n’ayant déplacé que son volume, fiduciaire ou
réel. Comment d’ailleurs pourrait-on avoir l’illusion
de croire modifier la nature de la « valeur » quand celle-ci
s’établit sur un pacte d’absoluité? La responsabilité
organique se désagrège dans l’espace des transactions
au profit de la déréalisation du sujet qui se pense toujours
en dehors du lieu où il se piège : exactement comme rêvent
les petites structures qui taisent la nature de l’institution dans
l’espoir avoué et candide de la modifier de l’intérieur
voire, tout simplement, de s'y substituer. Combien en voit-on naître
par an de ces concrétions associatives qui promeuvent des grands
rassemblements cools et multimédias, manifestations pour lesquelles
il ne manque jamais d'argent pour tirer des prospectus à 2000 exemplaires
en quadrichromie ou déplacer un volume technologique à faire
pâlir la NASA, mais pour lesquelles les artistes conviés
à y présenter leurs œuvres doivent se sentir déjà
bien assez payés d'avoir été invités? Gagez
que toutes les bonnes habitudes étant déjà prises,
ces petits escrocs, pour l'instant amateurs, organisateurs de fêtes
artistiques imbéciles et clinquantes, n'auront aucune peine à
s'asseoir dans les fauteuils institutionnels sur lesquels, pour l'instant,
ils font mine de cracher avec des airs de rebelles filmés. En attendant,
s'ils croient opérer loin et contre maman, ils se foutent le doigt
dans l'œil. Car leurs formants sont idéalement les mêmes
que ceux qui illustrent les goûters insitutionnels.
Nous touchons là à l'opacité institutionnelle sur
laquelle se fonde tout chant de la transparence; c'est celle qui est faite
sur ses mobiles et sur ses formants. Car nous sommes dans un espace de
transactions qui compte sur la force de ses mobiles pour plier la production
à ses fantasmes et sur la prolifération de ces productions
pour valider ses mobiles. Les mobiles, nous les avons effleurés
à chaque fois que fut évoquée ici le fantasme de
cohérence du collectif à ses manifestations singulières,
cohérence campée sur la validité des transactions
qui assurent l'unité et l'intégrité du message. Les
formants, c'est le magique tour forcé par lequel s'installe une
adéquation des manifestations au fantasme de cohérence.
C'est l'usine des miroirs. La conception de ces miroirs s'appuie principalement
sur l'unisson qui accueillera les reflets de l'institution et de la collectivité
au service de laquelle elle dit se placer. Ce seront le battement du temps
sociologique et spectaculaire — la performance — et le périmètre
de l'espace sociologique, touristique, ludique — l'installation.
Ce sera évidemment l'hymne à leur bonne conduction informative
— la video, qui est la conciliation idéale du temps et de
l'espace sociologique, du spectacle et de la promenade, la preuve et le
bouclage. Ces mediums privilégiés sont les garde-fous des
modèles communicationnels, les garants de leur fonctionnement;
ils en sont la vérification.
Deux solides mythes politiques tracent le périmètre au
sol de l’atelier imaginaire : celui de trans-nationalité,
et celui d’actualité ; le premier est une liturgie pour l’universalité,
à savoir un mythique retour aux sources ; qu’il s’agisse
d’une jungle ou d’un paganisme — tout dépend
de la nature des prophètes — il répugne de plus en
plus à l’objet : sa valeur étalon est le corps et
sa théâtralisation, la performance et l’installation.
On voit rapidement avec lui percer sous la peau de l’universalité,
celle de l’unité. Ultime secousse d’un rousseauisme
que rien ne semble devoir épuiser, il achèvera pourtant
sa course dans les prothèses médiatiques (perçues
comme les organes d’une machine désirante collective), terrifié
par ses propres modèles d’une nature inexistante.
Pas moins révoltante dans sa version géographique que temporelle,
l’actualité, elle, flotte entre deux urgences, persuadée
qu’un siècle pressé est un siècle rapide. Son
modèle théorique est un mac Luhanisme qui s’ignore,
étrangement gouverné par la certitude qu’il n’y
a que des médias froids 9,
et que ceux-ci contiennent leur propre critique. Ces deux modèles
ont en commun la volonté de croire que l’art est convivial,
qu’il communique, qu’il en a le devoir, et que l’atelier
est au moins -et peut-être pour les mêmes raisons- un lieu
aussi festif qu’une galerie un soir de vernissage. Le mépris
pour la complexité, la théorie, la polysémie, l'ambiguïté
sont aussi le produit de cette mentalité de pubard.
Une dégoûtante façon d'être cordial consiste
à dégrader quelque chose avant de le partager; et l'art
n'est un enjeu collectif qu'à la condition de cette dégradation:
on imagine mal des cohortes d'égarés en short faire des
files d'attente de trois heures pour s'enfiler dans des salles incapables
d'en réguler le flot afin de regarder furtivement, à peine
hébétés par la sapience qui préside à
leur tracé, des courbes épitrochoïdes ou des fractales
de Sierpinski. Et pourtant...C'est bien ce à quoi il se condamnent
en se ruant, bercés par l'illusion démagogiquement entretenue
que l'art est fait pour tous, devant des joyaux de peinture savante auxquelles
peu de leurs contemporains avaient déjà accès, des
toiles du trecento ou du quatrocento qui demandent autant de précautions
d'approche par les connaissances en théologie qu'elles exigent
que, tout simplement, de considération patiemment acquise pour
ce qu'est une œuvre d'art. Métaphores et allusions contractuelles
perdues au fil des siècles, peintures dont les choix esthétiques
sont le reflet d'enjeux à la fois politiques et religieux, scientifiques
et philosophiques, énormité de l'expérience singulière
qui se joue devant toute œuvre, tout ceci risquant de n'être
aux yeux du promeneur qu'une galerie atone de figures surannées
quand un bon pique-nique devant un coin de rivière satisferait
avec plus de certitude toute la famille. Mais bon, il semblerait qu'il
ne faille pas crever sans avoir constaté Boticelli.
On voit mal au nom de quoi l'art serait la seule production humaine devant
laquelle on pourrait arriver nu de tout savoir...Et si c'est pourtant
ce que l'on entend dans les rangs de ces spectateurs qui n'en sont pas,
on doit en déduire, étrangement, qu'ils viennent alors se
planter deux heures durant devant quelque chose qu'ils méprisent,
puisqu'ils le dévaluent 10.
Ils sont encouragés à le dévaluer par les institutions
mêmes qui prétendent l'évaluer pour eux. Pour l'art
contemporain, la dévaluation est assurée désormais
par les artistes eux-mêmes.
Le clientélisme que produit l'institution aliène une quantité
d'artistes naïfs à la certitude que désormais l'art
contemporain ne se produit plus sans elle (j'insiste bien sur le naïf
pour ceux qui s'imagineraient qu'une ambition carriériste ayant
l'institution pour partenaire est autre chose que de la naïveté).
Elle se fait fort de fourbir à la fois un inventaire de la modernité,
une sémiologie qui accompagne le bazar, et le pognon pour en alimenter
la production. Car l'invention institutionnelle d'une consommation des
œuvres inhérente à leur intégration dans un
dispositif collectif ne conduit pas qu'à la régulation des
files touristiques dans les musées; elle nécessite l'accompagnement
d'une vaste production contrôlée, satisfaisant à la
fois le modèle collectif (sous sa forme marchande) de la variété
infinie des déclinaisons et la légitimation de l'institution
elle-même en temps qu'accompagnatrice de cette production. Rien
d'étonnant dans un tel dispositif à voir les artistes les
plus accommodants se plier aux méthodes communicantes de leurs
bienfaiteurs quand ils ne les devancent pas dans le racolage ou la démagogie.
Que doit-on penser d'un artiste comme Matthew Barney qui n'illustre pas
seulement sa vassalité par son allégeance servile aux cultes
les plus plats des rogatons du Spectacle (sport, androgynie, pub, mode,
kitsch, et toute la quincaillerie analogique qui galope entre les signifiants)
mais surtout parce qu'il spécifia bien pour l'installation de son
Cremaster au Musée d'Art Moderne que son luna-park devait être
accessible aux enfants? Que penser, devant les sillons peints de Leon
Tarasewicz, de cet infantilisme qui le conduit à plier le singulier
écart tenant la peinture dans une distance inouïe (hors du
champ de l'action) dans l'espace même des déplacements?
L’action est évidemment privilégiée par l'institution
à l’œuvre pour deux raisons : la première est
qu’elle implique plus puissamment le panorama de son développement,
c’est-à dire le siège de sa fonction sociale puis
de sa sociabilité, son imbrication dans le processus collectif.
La seconde est qu’elle détermine la conception historique
de l’enchaînement des œuvres humaines, leur implication
dans un processus de développement dont on ne doit jamais oublier
qu’elle servent la divinité de tout collectif : le progrès,
la finalité. Les œuvres, dans ce registre, ne peuvent être
comprise par le groupe que comme « monument », marquant la
date de l’action qui l’a vu naître. Bienvenue alors
est la performance qui n'existe pas ailleurs que dans le monument qu'on
érigera à son souvenir; sa fugacité condamne son
éventuel commentaire à se faire sur son reportage, elle
s'interdit à l'exégèse par quoi circulent et existent
les œuvres, elle ne circule pas, elle n'a pas de temps ni d'espace
à fournir dans sa propre substance mais dépend du temps
et de l'espace d'une divulgation extérieure à elle (seul
le reportage la ferait circuler, qui n'est pas elle-même; quelle
serait alors sa spécificité? Ce n'est pas elle qui se donne
à la critique, comme une peinture qui ne pourrait se donner à
la circulation des œuvres que sous forme de photographie). Elle est
d'emblée dans le patrimoine vivant, elle est le temps sociologique
lui-même.
Les objets (le plus souvent, donc, les actions) subventionnés par
l’institution ne sont pas seulement à comprendre comme les
éléments isolables d’une collection, ni même
dans la perspective d’une banque de données, mais bien comme
un ensemble de formants destinés au bout du compte à tracer
le contour de l’institution elle-même. Peut-on imaginer alors
une institution laisser le soin à des sujets de lui donner cette
forme?
On croit ne voir que ce trajet : celui qui conduit à la réalisation
de l’œuvre par l'assistance institutionnelle, la DRAC permettant
supposément de mettre en œuvre un objet. On oublie que l’œuvre
donne naissance à la DRAC, que chaque œuvre, pas à
pas, en dessine le contour, le lui renvoie ; il ne s’agit pas là
d’un principe exclusivement financier, mais bien de la négociation
de formants. Ce renvoi des formes, pour consacrer le contour de l'institution
comme légitime, inaliénable, indiscutable, nécessite
l'installation de catégories régulatrices qui déclinent
inlassablement la réinstallation des formants institutionnels et
de tout ce qu'ils forment. L’institution offre ainsi du service
faussement somptuaire comme on fourgue des structures informatiques à
des retraités en misant sur le mirage de l’amélioration
technologique des conditions du désespoir (mais ce sont des machines
auxquelles on fait cadeaux de quelques vieillards en prétendant
faire le contraire).
C’est un clientélisme qui offre à l'artiste la satisfaction
d’être enfin au battement du temps de la cité —
bibelot humain auquel on a tant rebattu les oreilles avec son vide statutaire
(la carterie romantique) qu’il a fini par y croire et s’en
inquiéter — offre illusoire au nom de laquelle il accepte
l’idée que désormais il ne pourra plus produire sans
elle : sa tutelle financière ne mettant pas longtemps à
révéler sa tutelle idéologique, et, lorsqu’il
est trop tard, sa tutelle morphologique. Organiquement, il se sera laissé
pousser des nageoires institutionnelles. Comment pourra-t-il survivre
ensuite hors du bassin?
Y-a-t-il spectacle plus attristant qu’un quêteur de subventions
qui, pendant tout le temps de la quête, ne produit rien, c'est-à
dire surtout pas lui-même? Etrange balance du temps pour cet artiste
qui, passant le plus clair de son temps à chercher les cadres structurels
et financiers de sa prochaine action ne branle rien, et participe donc
à la sanctification du modèle libéral par l’activité
humaine qui est censée en être la plus totale contradiction...
L’institution a toutes les raisons de défendre « l’attitude
artistique » contre les œuvres, qui permet de congédier
peu à peu les notions essentielles à la position de l’artiste,
position l’impliquant personnellement dans la certitude d’exercer
un métier spécifique et la position essentielle (critique)
du sujet dans ce métier. Sujet et métier (processus et représentation
inaliénable de ce processus) sont des cadres de la spécificité,
et l’institution a tout à gagner à écarter
la spécificité, elle vise l’a-spécifique, qui
conduit l’acte subventionnaire dans les sphères mêmes
de la création; inviter l’artiste à imaginer ce type
de collaboration c’est ouvrir la voie à une ère nouvelle,
pour laquelle l’acte subventionnaire sera l’œuvre, miroir
idéal d’une société auto-célébrée
et endogène, télévision à tous les étages.
Qu’est-ce qui, au bout du compte, pourra différencier l’acte
artistique de l’acte institutionnel, les deux d'abord inséparables,
devenus interchangeables ?
L.L. de Mars - Janvier-mai 2003
Notes
- Persona: Du masque de théâtre grec,
masque de caractère; inscrite dans le processus d’identification
jouée pour le collectif, je la définirais comme une formation
de compromis entre le sujet le et la société pour y apparaître
et s’y instrumentaliser dans le jeu des équivalences et
des reconnaissances. Retour au texte.
- « Avant même d’imaginer
un sujet de l’art, l’œuvre est d’abord un processus
de subjectivation de la valeur. L’œuvre d’art, en effet,
n’est pas le signe d’une intériorité, ni la
représentation en surface d’une profondeur. Il n’y
a pas de signe dans une œuvre d’art. Un tableau ne peut pas
être constitué de signe car si le signe est universel,
il transcende la réalité empirique des choses. L’œuvre
d’art ne vaut pas, dans le cadre d’une poétique,
comme objectivation d’une expression, mais comme subjectivation
: “ poser que l’art pense est une façon d’en
faire une réalité subjective […] un sujet à
part entière, qui entretient des relations de nécessité
avec le savoir “ (Dessons, colloque). La relation entre la forme
et le sens est donc continue. De même qu’entre pratique
et théorie il n’y a pas de rupture mais une historicité
des discours qui contribue à la réalisation du sujet comme
œuvre et donc comme critique de la modernité. L’œuvre
ne peut prétendre receler sa propre interprétation ou
une essence de sa signification. La supposition de son autonomie comme
cryptage ou comme codification d’une langue qui lui serait propre,
aurait pour conséquence la fermeture de sa signifiance sur elle-même,
comme objet déshistoricisé. Conceptuellement l’œuvre
n’est pas un objet mais un sujet. C’est le statut du langage
comme interprétant de la société qui permet de
postuler que les significations d’une œuvre se réalisent
dans l’historicité des discours qui constitue son dire.
Car l’œuvre est particulièrement un dire et non un
dit, peut-être même, plus précisément un pousse-à-dire.
C’est pour cette raison qu’elle n’est pas un objet
et qu’en soi elle ne parle pas : “ Ce qui, en réalité
fait croire à un ‘’langage de l’art’’
c’est la réduction des œuvres à des ensembles
de signes, dont le décodage ou l’interprétation
donne l’illusion qu’elles ‘’parlent’’.
Or les œuvres ne disent rien “ (Dessons). L’interprétation,
en instrumentalisant le langage, instaure l’œuvre dans le
signe et perpétue la séparation entre sujet et objet.
Ainsi, l’œuvre n’est pas considérée du
point de vue de sa capacité à transformer la société
par la pensée, la reconceptualisation et la critique, mais comme
la relique d’un sujet coupé de son discours. “ La
pensée n’est pas dans les œuvres, elle est par les
œuvres » (Dessons).
J.F.Savang (Hic & Nunc) Retour au texte.
- Les institutions se flattent d’antécédents
historiques qui leur auraient frayé la voie dans ce retour de
la reconnaissance: mais Cosme et Laurent de Medicis ont des noms. Ce
sont ces noms qu’ils ont tenu à pérenniser, c’est
l’acte par lequel leur pouvoir personnel se substantifiait dans
leurs goûts, leurs choix, leur propre aptitude à reconnaître
œuvres et artistes. Cosme et Laurent n’étaient pas
des institutions au service du pouvoir, mais des sujets de pouvoir.
Retour au texte.
- Note de lecture de J.F. Savang. : Je ne sais pas
si la question formule bien la problématique : si on garde la
notion de cadre pour définir l’englobement du travail artistique
dans les institutions, on définit les institutions au bas mot,
à savoir comme convention. Or je crois qu’elles sont plus
que ça en tant que tension critique du sujet et de la société,
entre catégorie et invention. L’institution est aussi une
manière d’établir la veille historique qui lie la
théorie du langage et la pratique politique pour produire à
l’infini les modes spécifiques qui défont le monde
de l’inconnu. Sa valeur est donc multiple, voire changeante. L’institution
à la base devrait être bonne pour l’homme, si tant
est qu’elle ne soit pas confisquée pour faire du sujet
désirant un homme économique, si tant est qu’elle
ne soit pas elle-même instrumentalisée au profit d’intérêts
privés dont le pouvoir est tellement étendu qu’ils
passent pour des intérêts généraux. Retour
au texte.
- Formant: néologisme forgé afin d’éviter
toute confusion avec le caractère trop exclusivement sociologique
de «cadre» et celui trop exclusivement morphologique (et
largement connoté) de «moule». Retour
au texte.
- Ces notions d’historicité étayant
la distinction entre les catégories du moi, du sujet et de l’individu
ont déjà été developpées par J.F.
Savang dans son intervention au précédent colloque «De
l’humour libéral...» et seront à nouveau abordées
par lui dans la troisième partie de notre colloque. Retour
au texte.
- Note de lecture de J.F. Savang. : « Dans la
mesure où il n’y a pas de critères préexistant
à la valeur d’une œuvre d’art, dès lors
que l’œuvre déborde largement ce qu’elle incarne
de l’inconnu du réel, en tant qu’objet, pour fonder
ce qu’elle est dans le regard de l’autre qui l’écrit
et qui la parle, qui maintient vivante dans le langage sa capacité
à transformer du social en sujet et à faire le sujet social,
c’est-à-dire à faire de l’art une manière
empirique de produire de l’histoire à partir de l’inconnu,
de porter ce qu’il y a à dire comme devenir, l’objet
devient, en ce sens, plus inaccessible et plus difficile à connaître
par ce qu’il maintient ouvert de sa pensée dans le monde
qu’une simple possession symbolique pourrait le laisser penser.
Ainsi, posséder une œuvre d’art, c’est être
avant tout possédée par elle et non la posséder
en tant qu’objet ; dans la mesure où contre l’évidence
qui désigne l’objet dans son immédiateté,
l’objet perpétuellement est ce qui nous échappe.
Là où les grands collectionneurs croient posséder
du tellement connu que l’œuvre d’art semble faire une
identité, une époque, l’esprit du monde dans son
ensemble, ils ne voient pas que l’inconnu ne peut être privé,
qu’il ne peut être transigé. Protéger devient
ici confisquer au regard. C’est aussi une manière sociale
de protéger la société de l’inconnu que de
fixer la valeur de l’œuvre d’art dans sa singularité,
d’isoler le travail de l’inconnu dans l’œil obvie
des fluctuations de marché. Monopoliser la valeur c’est
l’uniformiser en tant que bien non plus seulement symbolique mais
stratégique. La critique consiste donc à libérer
l’inconnu comme ce qu’il constitue d’une impossible
propriété, faisant l’histoire comme l’invention
que se donne le sujet socialement, faisant du don la valeur qui subsume
les enchères, contre les états prévisibles du monde
qui anticipe l’inconnu comme moyen de contrôle, à
travers des représentations fixées d’avance ou d’autres
encore qui n’ont de théorique qu’un désir
de fonder abstraitement une vérité préfabriquée.»
Retour au texte.
- Note de lecture de J.F. Savang. : Les contradictions
qu’une œuvre suscite face à ses moyens institutionnels
d’existence, cette redevabilité factice de sa valeur face
à sa reconnaissance d’ensemble s’inscrivent dans
l’affirmation du pouvoir culturel comme réponse stratégique
de domination et de contrôle. L’œuvre d’art porte
en elle la culpabilité originelle de détourner de la réalité.
De même, si la réalisation propre de l’œuvre
implique la transgression de l’ordre établi, la contradiction
et la faculté critique, l’institution assimile à
son compte le principe universel qu’elle est censée dispenser
de relations continue entre sujet et société. L’instabilité
est coupable, anomique, insupportable et ce qu’elle a pu désigner
de l’art par le génie où l’art des fous, par
le romantisme, l’incohérence, le surréalisme, le
primitivisme, l’éjection dans les néo-, les post-,
la simulation, le parodique, les enfermements catégoriques, symboliques
(n’oublions pas que l’asile psychiatrique — de même
que la prison — a été définie par Goffman
comme une institution totale ; de même que perdure encore des
conceptions fermées de la société), toutes les
radicalisations du sujet comme autre, toutes les assignations morales
à faire du sujet une entité contrôlée par
la société ont contribué à nettoyer l’art
de sa marge et de ses perversions en lui conférant des lieu d’épuration,
des discours de récupération (le social, le populaire…)
une valeur acceptable et honorable (l’esthétique), lavée
de tout soupçon par les résidences obligées de
son historicité. Le stéréotype de la galerie d’art
est bourgeois ; une enquête sociologique et quelques critères
montrant à quelle origine correspond l’amour de l’art
suffiraient à le mettre en évidence. À ce train
l’art n’est pas sorti du goulag.]. Retour
au texte.
- Le modèle participatif dans l’inventaire
sensoriel de la quincaillerie Mac Luhanienne. Retour
au texte.
- Extrait de Florence-Firenze, œuvre web-art en
cours de réalisation (elle sera disponible en 2004 ici http://florence.firenze.free.fr)
Retour au texte.
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