Extrait de Autoportrait à l'étranger de Jean-Philippe Toussaint


TOKYO, PREMIÈRES IMPRESSIONS

On arrive à Tokyo comme à Bastia, par le ciel, l'avion amorce un long virage au­-dessus de la baie et prend l'axe de la piste pour atterrir. Vu de haut, à quatre mille pieds d'altitude, il n'y a pas beaucoup de différence entre le Pacifique et la Médi­terranée.


Christian Pietrantoni, d'ailleurs, un ami corse de Madeleine - j'appellerai Madeleine Madeleine dans ces pages, pour m'y retrouver -, ne s'est pas fait attendre pour se manifester afin de me fixer un rendez-vous dans un café de Tokyo pour me donner les dernières nou­velles du village. Dès le lendemain du jour de mon arrivée au japon, me laissant à peine le temps de défaire mes valises, il m'a téléphoné dans ma chambre d'hôtel, tandis que, en chemise blanche et petit gilet bleu d'instituteur à la retraite (le cadeau de nouvel an de mes parents), j'étais en train de feuilleter un magazine sportif en chaussettes sur mon lit, atten­dant la visite imminente d'un journaliste qui devait m'interviewer. A peine plus loin dans la chambre d'hôtel, assis à la table ronde, se tenait M. Hirotani, de la maison d'édition Shueisha, qui me servait depuis le début de mon séjour, en relais avec Mme Funabiki, d'accompagnateur et de confident, de guide et de garde du corps, et que j'apercevais du coin de l'oeil dans mon champ de vision, en parfait cos­tume cravate, le visage grave et appliqué, occupé à disposer dans un vase un bou­quet de fleurs que l'on m'avait offert. Il était aux prises avec cinq fleurs mauves et blanches (les couleurs d'Anderlecht, je ne sais pas si c'était voulu), dont il modi­fiait sans cesse la position pour composer un bouquet harmonieux, reprenant régu­lièrement le tout à zéro, avec patience et méthode, modifiant ici la position d'une fleur, là, la position d'une autre, davan­tage, me semblait-il, comme un truand dans un film de Godard que comme un adepte de l'arrangement floral japonais.

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