Extrait de Pas à pas jusqu'au dernier de Louis-René des Forêts.

Les morts n’ont de vie que dans la mémoire des survivants eux-mêmes mortels, soit pour une durée infime, à peine moins précaire chez ceux-là qui s'étaient acquis par leurs actions d'éclat, bienfaisantes ou néfastes, une renommée universelle.

Encore que parler de vie n'ait guère de sens, ce n'en est jamais qu'un faux-semblant créé par l'esprit en manque, soucieux de tirer de l'oubli et redonner figure rayonnante aux êtres bien aimés aujourd'hui disparus. Qu'on n'y trouve aucun apaisement, loin de la dissiper, renforce l'illusion de les avoir fait renaître à la vie, fût-ce pour constater et déplorer sitôt après qu'il n’en est rien, qu'on s'est laissé abuser par ces visions merveilleuses surgies d'un temps aboli, lesquelles ne réaniment à chaque fois, comme le fer dans la plaie, que la souffrance d'une perte irréparable.

Ce ne sont qu'ombres fugitives entrevues comme en songe, et qui se dérobent à la prise. Là-dessus, retour brutal aux réalités de la vie ordinaire, le coeur serré, les mains vides, abattement de tout l'être démuni, ruiné dans ses espérances les plus insensées, que seul un reste d'énergie, sinon de raison, lui fera surmonter à nouveau, car tel est son désir de ressaisir l'insaisissable qu'il n'entend pas y renoncer et en appelle inlassablement à la chance, même s'il n’y croit plus guère, ce qui est dire qu’il y croit encore et persiste à vivre chaque jour dans l'attente de sa venue, bien qu'elle tarde et lui semble de moins en moins probable. Attente d'autant plus excédante que son objet ne se manifeste désormais que par son absence, avivant ainsi un besoin inassouvi de possession lourde d'angoisse et d'irritation contre soi, un soi tout ensemble inconsolable et oublieux.


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