23 mai 1998.

Extrait de Clémence Picot de Régis Jauffret


J'aurais voulu me changer, mais les culottes de Christine étaient trop grandes pour ma taille et les slips du gamin trop petits. Avant de les remettre sur moi, j'ai aspergé mes sous-vêtements d'alcool et je les ai laissés sécher quelques instants sur un radiateur. Puis, je me suis rhabillée et j'ai essayé de me maquiller. Mais les produits de Christine coulaient au contact de ma peau, ou alors ils avaient séché et ne laissaient pas la moindre trace, même en écrasant les cils. D'ailleurs, je savais que mon visage me reflétait mieux lorsque aucun artifice ne l'encombrait. La rudesse de certains de mes traits traduisait avec exactitude les contours de l'être humain qui vivaît en dessous. Il me suffisait de me regarder dans un miroir pour me voir. Je n’avais pas besoin de réfléchir pour m'atteindre, pour mesaisir jusque dans mes soubassements les plus enfouis. Je ne faisais pas que me ressembler, j'étais exactement mon image.


J'ai jeté tous les produits de beauté de Christine dans un sac en plastique. Avant de le refer­mer, j'ai cassé les crayons et les sticks, et j'ai mélangé entre eux le contenu des flacons. Je ne voulais plus qu'elle utilise ces articles ordinaires qui abimaient la peau. Elle en achèterait d'autres, et je lui apprendrais surtout à accepter son visage, à ne se servir des fards que pour cacher ses imperfections les plus gênantes. Elle camouflerait sa tache de naissance et la petite verrue qu’elle avait au coin de la narine, mais elle laisserait sa peau vieillir, ses rides se creuser, et son cou s'amollir à l'air libre. Il fallait que le temps la strie, lui raye la face de sillons et de plis. Le vieillissement seul pourrait lui donner la per­sonnalité dont la nature l'avait pourvue avec tant d'avarice. Elle ne s'atteindrait que lorsque son visage serait ravagé et flétri.

8 août 1998

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