- II -
 
e va surtout pas imaginer qu'en ce temps-là Séléné fût seule avec son enfant & les milliers d'étoiles nées de ses larmes, à habiter cette parcelle du très vaste UNIVERS. Non, non, non, non, non...
Je vais te présenter immédiatement les autres planètes qu'elle côtoyait chaque jour:

Mars, son voisin le plus proche, désespérait Séléné par sa virulente gesticulation continue & son comportement querelleur, volontiers bougon & sauvage. Saturne, dont l'âge incalculable avait peu à peu altéré en lui la joie de vivre &, si tu vois ce que je veux dire, la vivacité d'esprit: rendu donc à moitié sourd & idiot par des milliers de millénaires d'inactivité, il était aussi complètement étourdi & dépourvu de la moindre parcelle de mémoire; oubliant jusqu'à son propre nom parfois, tu imagines bien qu'il ne saisissait pas la moitié des choses qu'on lui racontait.
Mercure était le plus vif, le plus inventif de tous, & donc, de très bonne compagnie: mais son attirance pour les farces d'un goût douteux & l'esbrouffe de champs de foire était si prononcée, qu'il mettait à leur service toute son imagination. Il devenait dans ces conditions très difficile de placer en lui toute sa confiance... Jupiter, lui, était si gros qu'il n'avait pas fallu moins de treize lunes pour le mettre au monde, pièce après pièce: cette très curieuse naissance fragmentée avait déterminé chez lui son caractère confus: il était quasi incapable de rassembler toutes ses idées lorsque c'était nécessaire, même dans un état d'urgence. Comme il fallait bien qu'il assurât le mieux possible sa royale situation, car c'était lui qui gouvernait cette galaxie, il pensait tout le temps, & semblait être éternellement préoccupé par quelqu'affaire, d'apparence capitale, marmonnant ou déclamant à haute voix ...Son infatigable verbiage aurait fait fuir, s'ils avaient existé, les plus assidus maîtres d'école!

& enfin, Vénus, planète brûlante & toute d'excès, était si dépourvue d'intérêt que Séléné elle-même, malgré son habituelle indulgence, n'était pas parvenu à lui appliquer un autre qualificatif que "ravissante idiote".
Je peux aussi t'affirmer que les gloussements de Vénus étaient pour une large part responsables de la céleste cacophonie.

Bon. Il y avait donc tout ce petit monde vivant en perpétuelle agitation autour de Séléné, MAIS...


Mais il y avait aussi, à peine discernable tant elle était noire, une immense, une INIMAGINABLE SPHERE D'OMBRE, des milliers de fois plus grosse, disait-on, que Jupiter lui-même.
        & de cette énorme boule de ténèbres, personne, à vrai dire, ne savait rien...

Je t'ai dit tout-à l'heure que seuls les enfant de lunes étaient muets.Ce n'était pas tout-à fait vrai. Car de cette ombre immense, née d'aucune lune, on ne connaissait ni de voix, ni de murmure. D'aucuns la tenaient pour une inquiétante observatrice, d'autres pour un monstre taciturne...  mais tous, en tous cas, semblaient s'inquiéter du fait qu'elle fût la seule à ne jamais avoir briller d'aucune lumière.