HISTOIRE DE SAINTE MARGUERITE
Jacques de Voragine - Légende dorée

Chacune de mes dernières bandes dessinées est accueillie par des commentaires dans lesquels la demande de clarté est le refrain d'une pénible chanson de la paresse. Je vais donc l'écrire une bonne fois pour toutes, et je ne reviendrai plus là-dessus :

lorsque je décide de faire 1500 kilomètres pour aller regarder la Sainte Conversation à l'oeuf de Piero Della Francesca, je ne m'attend pas à y trouver un mode d'emploi. Et d'ailleurs, un mode de quel emploi? Je cherche avec la peinture ce que je cherche dans les romans, les essais, les amitiés : le seuil au-delà duquel ça continue de penser, celui à partir duquel je peux me donner à l'ivresse de penser encore un peu plus loin. Ceux qui ignorent ce mode d'incarnation sont morts dans la chair d'avoir trop dormi dans les oreillers dialectiques où le corps et l'esprit sont Tintin et Rastapopoulos. Ainsi de l'action et de la parole, de la main et de la cervelle, du fond et de la forme.
Le couteau de boucher est leur seul instructeur (car ils sont sensibles).
Qu'on ne s'attende pas à ce que ma Légende dorée se traverse comme un parc : les solutions théologiques, plastiques, intellectuelles, que les peintres chrétiens ont à leur manière offert à l'extension de Voragine, Thomas d'Aquin, Augustin ou Albert Le Grand, font également partie de cette réouverture de la Légende Dorée, ils en sont les chapitres additionnels. Brera, le Louvre, les Uffizi, la National Gallery, bordent Antioche, Ephèse, Alexandrie ; les corps des martyrs s'y déplient également infiniment comme les cartes du même empire, fait de la chair du Christ : celle qui fait toutes les images de l'Occident, celle avec laquelle tout amateur d'art doit apprendre à composer, à penser, à inventer un ensemble de conditions pour le regard.

Si les défenseurs de la bande dessinée sont aussi attentifs qu'ils le prétendent à ce qu'on ait pour elle les égards accordés aux autres formes d'art, qu'ils en acceptent donc les difficultés au lieu de pleurnicher dès que le sens leur échappe. Si un lecteur de bandes dessinées n'est pas foutu de soutenir la moindre ambiguïté, si la perspective de devoir traverser neuf livres pour mieux en saisir le dixième lui fait tourner la tête, si la possiblité de rester sans voix, sans explication, sans comparaison possible le fait reculer, qu'il aille donc se faire foutre et cesse de se faire passer pour ce qu'il n'est pas, à savoir un lecteur.

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