LE RÉVEIL DE TOM

«Je suis né dans ce pays, je ne suis pas obligé de l'aimer» - Mike Nichols

Ma langue maternelle est le français. Je suis né en France, comme mon père, comme ma mère. Leurs parents respectifs sont également nés pour les uns en Bretagne, pour les autres en Auvergne. J'ai hérité des premiers le teint palot, des seconds un nez puissant. Selon vos critères, je suis français. Ce qui, indéniablement, signifie beaucoup pour vous. Le fait que nous soyons tous les deux Français nous unis dans votre conception du monde. D'une certaine manière, à nous deux, nous commençons à esquisser ensemble cette communauté que vous appelez « les Français ». Mais voilà, cette communauté est à peine composée de deux membres qu'elle est déjà abominablement dissonante. Je suis tout ce que vous haïssez. Vous êtes tout ce que je méprise. Ajoutez à cette communauté un autre membre, puis un autre, et la dissonance deviendra un vacarme. Pourtant, l'ensemble que vous appelez « les Français » prétend toucher à une certaine harmonie de la classification. Le seul fait de de nous désigner comme français devrait déjà, selon vous renseigner nos interlocuteurs sur un nombre considérable de nos propriétés physiques de notre aptitude morale, de notre humeur devant l'adversité comme devant la bonne fortune. Mais hélas, tout ce qui nous rassemble est antérieur à nous : langue, territoire, histoire, et même ce que vous dites être biologie. Et tout ce qui découle de nous nous sépare. La seule condition pour laquelle nous pourrions, ensemble, représenter une communauté idéalement homogène, serait que rien ne découle de nous. Qu'aucun mouvement de notre part ne fasse dissoner votre chanson patriotique. Cette communauté, si elle existe, n'existe que pour des morts : c'est-à-dire des sujets dont rien ne découle. « Les Français » tels que vous les décrivez n'ont aucun accès à l'existence, cette notion ne peut agréger que des morts.
Ce qui, au bout du compte, est assez étrange : par le seul fait de les geler dans une définition de cet ordre, vous tuez vos chimères en les invoquant.

 

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