«Vous savez, Charlie, si j’avais l’idée saugrenue de vouloir m’entendre dire, encore une fois, que la jeunesse du cœur est plus importante, et qu’il y a des vieux à vingt ans, que la vraie vie n’est pas dans les livres, lire c’est bien mais vivre c’est mieux, que les femmes sentent des trucs que les hommes ne sentent pas, que tout critiquer c’est du blabla et ça ne mène à rien parce que ce qui compte c’est l’action, que ceux qui parlent le plus de sexe c’est ceux qui le font le moins, que l’amour de l’art moderne, la plupart du temps, c’est du snobisme, surtout quand un enfant de quatre ans en ferait autant, sachant que la cuisine, ou des belles bagnoles au fond on a beau dire c’est des œuvres d’art et que la plupart des trucs qu’on voit dans les galeries ça se dit art et c’en est pas, que on peut dire ce qu’on veut de la technologie, on vit quand même mieux qu’avant, que la psychanalyse, quand c’est pas des charlatans de toutes façon ça marche pas, que les enfants sont innocents, que les chats son indépendants et que les chiens ressemblent à leurs maîtres, ma foi je dois bien avoir un rat alzeihmerien dans un placard dont il suffise de tirer les moustaches pour lancer le débit des adages, mais aucun besoin de votre éclairage… Je vous regarde plisser les yeux comme ces orientaux de comédie auquel votre lourdeur octroie de la sagesse comme elle distribue le sens des affaires aux américains, de la musicalité à la langue anglaise ou du fanatisme religieux aux arabes, et c’est parti : vous assenez vos lieux communs avec des air de profondeur à faire frémir, vous enfilez les balourdises immémoriales avec des airs d’invention spontanées ; les truismes les plus navrants ont dans votre bouche des accents pathétiques de paraboles mystiques, et le silence qui suit votre brouillon de bavardage doit peser assez fort pour entraîner la réflexion et l’admiration d’un monde confit devant votre sagesse. Montaigne chiait déjà au nez de votre gravité, et vous êtes encore là ! La Rochefoucault chiait au nez de votre gravité, et vous êtes encore là ! Sterne chiait au nez de votre gravité, et vous êtes toujours là ! Il faut bien admettre que vous ne savez pas lire ; je sais que vous me survivrez, mais j’en serai moi aussi de ma petite crotte, allez, je suis pas chien, faut pas épargner la seule nourriture spirituelle dont vous puissiez appréciez la nature, vous qui peuplez le monde, chenilles dont la verbosité touche invariablement votre espèce à la quarantaine, période de chrysalide qui fera de vous le plus commun des papillons d’ennui : je vous emmerde.»
La Lettre a - Chapitre VI, juin 2002 |