Parmi les plus vilaines habitudes éditoriales des dessinateurs de bande dessinée figure en tête l'art de momifier avec aussi peu de nerfs et de cervelle possible ce qu'ils appellent «des grands classiques de la littérature». 
On aura soin de donner dans ces coquetteries artisanales tous les effets possibles d'adéquation historique au récit sous prétexte d'une fidélité toute dévote au contexte ; ainsi fleuriront les petits effets vieillots graphiques et rhétoriques si le texte a plus d'un siècle dans les gencives, les citations d'images garantissant un bon bain d'histoire générale.
Tout s'y charge de fétiches comme si on se prenait à déguiser les gardiens de la salle des Lebrun du Louvre avec des rhingraves, des pourpoints et des chaussures à roses.
On y écrira comme un con de la médiocre et laborieuse langue soutenue sans trop se demander ce qu'elle peut bien soutenir, comme un prof endimanché qui se rêve Flaubert entre deux corrections de rédacs.

Cette entreprise de cuculisation culturelle n'a pas d'autre but que de lauréer la bande dessinée de la couronne même de ces vieilles académies que toutes les autres disciplines ont pris en mépris complet ; peinture en croûte, romans d'histoires à boutons innombrables, sont les gardiens du labeur accompli, du reflet bienfaisant de l'ART sur les mignardises de notre dévoué Pecuchet. Persuadé d'avoir gravi les échelons le conduisant à la dignité artistique, le dessinateur de bande dessinée adaptateur de récits classiques croit ferme en la transsubstantiation culturelle : comme un cannibale que se charge de la puissance ennemie en bouffant les couilles de ses victimes les plus résistantes, notre ami suppose être touché par la littérature s'il a saccagé une pièce ou un roman et touché par les beaux-arts s'il a faisandé un chef d'oeuvre ou deux dans ses vignettes.
Par-là même, la bande dessinée est censée sortir grandie d'une entreprise qui a pourtant précisément visé à la rapetisser à l'échelle du valet de pisse des autres disciplines.

Soucieux d'être un dessinateur dans la grande tradition de ma famille éditoriale - la bande dessinée qui travaille à donner les lettres de noblesse trouvées dans les poubelles historiques à notre discipline - je vous livre aujourd'hui ma fidèle adaptation d'un de mes poèmes favoris de Baudoin de Condé.