Jean-François SAVANG
Le PrOblEME du pRoBLème = R(e)B(e)L
problème du problème le problème du poème le poème du problème le poème du poème

Ce texte, écrit en mai 1998, est inédit. Sa lecture peut s'enrichir de celle de "Le poème est un livre muet". Il renvoie, selon l'auteur, à "La poétique", du point de vue d'Henri Meschonnic. Consultez aussi le book des travaux plastiques de l'auteur, disponible à notre index Plasticiens.
LES TRAVAUX DU TERRIER SUR LA LECTURE PUBLIQUE SONT DISPONIBLES ICI 


 

l y a un poème de chaque être humain. Il y a une mise en échec du signe en chacun, dans la dispersion de sa langue dans l'infini, là où le monde se poétise dans l'inconscient, dans le continu du sujet du poème et de son invention. Un dire qui n'en est pas un. C'est ce que nous voudrions croire, à ce sacré, maintenu dans l'écart, engendrant le pouvoir et les suppliciés dans le culte païen de l'art, dans un continu théologique qui serait le lieu de la lumière du poème.
        Tout cela semble bien topologisé dans le passage d'un dedans au dehors qui exprimerait ce lieu commun. Le passage, une intermittence sans but ; être-là, manifester sa présence, faire sortir à tout prix, expurger le poème du corps, exprimer sa voix interne, fouiller son rythme dans le corps. Le lieu, comme celui d'une hontologie ou d'un assujettissement, d'une esthétique du sujet dont le fond n'est pas le poème non plus, qu'un être indéterminé calculant dramatiquement sur sa disparition l'essence de sa mort. C'est le lit de son poème. Le lieu de sa passivité au lieu de l'historicité de son sujet. Le faire de son être défait à ce point de l'aventure de la langue. Quand le poème c'est faire. Quand le poème défait le sommeil. Le dépouiller au-delà de ses effets d'être, le garder dans la langue, dans l'oralité qui l'habite et qui est déjà son rythme ; c'est déjà du faire dans l'autre, dans sa lecture. C'est aussi le poème du discours
        La lecture publique ferait-elle double emploi au poème ? En ignorant ou en passant sous silence son oralité de faire du sujet qui est aussi la tension entre sujet et langage et qui échappe au signe ; car toute écriture fait sa preuve dans l'oralité. C'est le rythme1.  Le sujet du poème... Chassez l'universel il revient au galop. Le rythme est cosmique, mais pas celui d'une poésie orale.
        Le sujet serait en dehors de l'homme, son entité mythologique, son inconscience, l'absence de responsabilité : " excusez-moi d'écrire un poème, je ne voulais pas. Il y a quelque force divine à se laisser aller au sublime, à sortir de chez soi, je m'exprime, vous ne pouvez pas comprendre car ça ne demande qu'à sortir , car il y a un dedans qui commande cette force du moi incompréhensible que nous partageons dans le silence et qui devient l'énigme du poème dans le moi, dans une ontologie du langage ou comme un signe de vérité ".

'universel est historique, toujours dans la réinvention du discours. C'est l'expérience du sujet dans l'invention du poème. Les dualismes pensent dans l'universel et l'orientent vers cette absence de signe, qui est le règne du signe dans la temporalité imaginaire du poème. Formalismes, structuralismes, phénoménologies, tout ce qui finalement s'annonce dans la mort de l'homme, dans la mort de l'art, dans la mort du poème, ne donne pas signe de vie mais la confondent dans le culte de l'origine. C'est le manque et la substitution, l'essoufflement de structures antérieures.
        Comme la poésie par exemple, perçue d'un point de vue structurel, de comment on y décèle le poème, de sa forme et de son apparition... joues creuses, allure fantomatique, à reléguer au musée des lyrismes. La mort de la poésie est à refaire. Mais pas seulement en s'improvisant son ventriloque.
        La mort c'est sans doute d'abord nulle part. Peut-être qu'il y a de l'être dans la mort, peut-être pas. C'est le poème de Heidegger, qui ne mène nulle part, en dehors d'une phénoménologie dans le boudoir Hölderlin, bricolé, limé, toute mesurée pour l'Etre dans le mythe allemand, comme le montage d'une ambition pour le poème, une itération - " là où ça sent la merde ça sent l'être " aime t-on  à le rappeler comme le jugement d'Artaud - et ainsi finit le corps dans l'œil de la phénoménologie qui fait du poème le point aveugle de son être.
        " Vous êtes fou monsieur Artaud ", il y a un fond ouvert qui vous dit..., vous êtes fou monsieur Hölderlin, il y a un fond ouvert que je vous dis. Différentiel entre le poème critique du sujet Artaud, dans le poème de son altérité ou l'altération de son sujet dans le poème, avec ce qui pour Heidegger  l'amène à penser à partir de Hölderlin que la poésie " exprime l'être-là de l'homme ". Il est l'expression d'un moi, l'analyste d'une antériorité, une vicariance,  et non de l'invention du sujet du poème.
Hölderlin est l'expression de la folie Heidegger. Ici, pas de poème, que du mythe et de l'origine symptomatique. Mais il y a aussi du poème chez Hölderlin, ce qu'il n'y a pas chez Heidegger, puisque ce qu'il y a, c'est de la philosophie installée dans une sereine culotte de peau cartésienne, dans le dualisme ontologique du rationalisme et de l'irrationalité, dans l'écart sociologique entre une norme du sujet poétique, et la déviance significative que serait une folie du poème.
        Je ne peux m'empêcher de faire ce qui paraîtra pour certains un détour un peu long pour parvenir au sujet de la lecture publique, mais il me semblait important de me situer dans le poème considérant que le poème devient le cadre, le lieu, l'autre de la lecture publique, laquelle dans sa pratique laisse aussi entrevoir, peut-être une théorie de la poésie. Mais comment si elle ne se fait pas dans le langage ?
        Tous nous n'ouvrons pas notre pratique du poème à sa théorie. Et en cela la poésie ne peut pas être faite par tous comme le proposait Lautréamont. Pas dans ce sens là en tout cas. Cette proposition a été une véritable utopie du discours des avant-gardes, celles historiques et les autres, qui en firent le slogan publicitaire de leur idéologie, de leur générosité libertaire, de l'art pour tous et par tous, et partout, d'inflation décorative, d'une esthétique du poème, de la confusion générale des valeurs entre l'art cosa mentale du sujet dans la société, et l'art de sa présentation comme telle.

vec les lectures publique, l'historicité et les spécificités du poème, semblent se faire dans le corps, et donc dans et surtout par le signe : celui du malaise dans la civilisation dont le corps performe le poème avec la volonté de, " faire éprouver un malaise, celui du corps en proie aux signes, aux signes qu'il est chargé d'émettre ". " Un exorcisme2 ", propose Heidsieck à la suite de Prigent ?  Le corps émet les signes du poème et maintient le dualisme forme/contenu, signifiant/signifié, corps/esprit.
La poésie est ainsi exécutée ; dans l'effet du signe, dans le rapport manifestation intérieure/manifestation extérieure, dans un rapport de pouvoir issu de ces dualismes, et dont la théorie est l'écart entre une sociologie du poème et un Etre du poème.
Un déplacement s'opère, une pratique métaphorique du poème qui devient la voix du corps, le cérémonial du poème, son spectacle dans une société d'où il semble encore une fois chassé pour ne pas s'inscrire dans les flux des échanges économiques parce qu'il est au contraire le signe obsolète de la valeur.
         Les plaquettes de poésie ne rapportent pas aux maisons d'édition ou aux libraires. Encore moins à leurs auteurs. Non parce que le poème n'est pas dans la cité - car c'est le poète et la provocation politique de son sujet qui l'en chasse, comme poussé, expulsé par son rapport critique à la société dans laquelle il s'invente - mais parce qu'il n'est pas inscrit dans la sociologie de cette cité, que le poème y est sans sujet et dans une histoire qui s'éteint... à l'image de la bourgeoisie devenue d'un matérialisme accablant dans son rapport aux valeurs et à l'altérité ; et l'utopie, ou le poème comme utopie de l'invention du sujet, semble ne plus avoir l'énergie de son affaire, tant sa théorie appartient à un discours socio-économique, en quête de son sujet, en quête d'une humanité et donc d'une anthropologie.
        Et pourtant le poème est critique. Sans doute est-ce le fait qu'il soit verrouillé au sujet qui lui donne sa capacité de subversion et qui l'appelle à la critique, d'autant plus qu'il occupe, et Henri Meschonnic le réitère dans son œuvre aussi bien théorique que pratique, un statut particulier par rapport au langage. Parce qu'il se fait dans le langage : " On ne s'étonnera pas que la critique, et la nécessité de la critique, viennent du point le plus faible, le plus critique, le plus exposé, théoriquement et socialement dans le langage, qu'est le poème. Non par un parti-pris esthétique périmé, mais parce que le statut du poème agit comme un révélateur du statut du langage, et du sujet, autant dans les sociétés que dans la philosophie et les sciences de la société3 ". Le poème n'est donc pas dans la marge ou l'extériorité, mais bien au centre des préoccupations du langage. Il est l'invention du sujet et surtout l'enjeu de sa valeur.
Il n'est pas le signe de l'inconscient du langage ou la mise en scène d'une métaphysique, mais l'énergie du sujet dans son individuation à travers le langage ; l'oralisation du sujet. Il ne représente pas, il ne témoigne pas comme dans le discours, au contraire, il fait et il force la représentation, " il découvre une solidarité entre l'oralité et le sujet4 ". Question que pose, à priori, le phénomène de la lecture publique dans sa pratique du poème, mais sans se donner les moyens de sortir des cadres théoriques qui la maintiennent dans le dualisme du signe.
        La lecture publique s'inscrit donc, quant à sa pratique du poème, dans l'oralisation du sujet, mais dans une théorie par où semble s'évider le langage, et même, par où s'évide peut-être aussi le poème lorsqu'il tente de trouver dans le corps de son lecteur et dans la corporalité de sa lecture, l'expression de son oralité intrinsèque. Sachant que le corps qui vient remplacer le signe du poème, finit par en devenir la parodie et l'extinction : l'extinction de la voix du poème. L'extinction dans la vicariance de la voix du poème par celle du sujet, non pas du poème, mais du spectacle, sociologiquement de la société de spectacle.
        Ainsi le poème n'est pas au centre des préoccupations de la lecture publique comme elle peut parfois le laisser à entendre. Car pour certains il est juste un prétexte où ce qui se performe sur scène n'est pas le poème mais bien le sujet qui le porte dans la voix, prétexte du dire de soi maintenu dans la dualité de l'écrit et de l'orale. Pour d'autres il s'agit de la difficulté d'exister dans le poème ce qui ramènerait le poème à de l'ontologie. Pour d'autres encore il s'agit de l'absence même du poème, de son oraison funèbre, de sa mort annoncée dans la dictature du signe, issu d'un formalisme tenu à l'opposition forme/sens où se confondent poétique et fonction poétique5 - dans l'hypothèse où il n'existe pas plusieurs langages mais un seul..
        Je pense, par exemple, à l'influence de Roman Jakobson sur la poésie concrète, rapport que Jacques Donguy souligne en ces termes : " La notion de concrétude renvoie à la définition de fonction poétique par Jakobson, qui est, selon lui, dirigée vers la matérialité, le côté palpable du signifiant. Mais ce n'est pas un signifiant vide de sémantique, ou une sémantique diffusée. Pour Jakobson, en poésie, tout est contenu, parce que tout est forme 6".
        Evidemment le sens n'est pas que le contenu d'autant si l'on se place du point de vue de la poétique du discours ; puisque le sens naît dans l'empirisme et l'historicité, que son présent n'est pas présence mais subjectivation, que la notion de valeur - qui n'est pas prise en compte ici - s'invente dans l'historicité des discours. Il ne s'agit pas d'apporter des réponses, mais d'affirmer la difficulté de penser le poème dans son articulation à la poésie - d'imaginer comment, réciproquement, la théorie et la pratique se nourrissent, voire font œuvre simultanément -  d'envisager les contradictions auxquelles aboutissent la confrontation d'une théorie du langage à une théorie de la société.

orsqu'à propos des expériences futuristes Donguy rajoute qu' " il est intéressant de constater que ces expériences se déroulent parallèlement à la naissance de la linguistique7", il met en évidence dans le travail de Jakobson l'échange conceptuel qui s'opère entre la linguistique et la poétique, et ainsi de l'intérêt de l'écrivain pour le langage, de l'intérêt du linguiste pour les œuvres littéraires. Il y a le texte de Jakobson sur Khlebnikov, son intérêt pour l'œuvre de Mallarmé, Maïakovski, Pasternak -ces deux derniers collaboraient avec les linguistes au cercle de Moscou -, son amitié avec Haroldo de Campos... mais aussi " une poésie 'phonologique', voire 'phonétique', en ce qu'elle vise à faire entendre les sons de la langue..., une 'poésie phonatoire' en ce qu'elle s'applique à faire entendre les dessous de la langue8", projet inscrit dans le balayage poétique depuis Hugo Ball, Raoul Hausmann, et l'incessante Ur-sonate de Kurt Schwitters qui semble s'articuler depuis sa création comme l'écho symbolique d'une modernité absolument orale, de la même façon que le ready-made de Duchamp à été, entre autre, l'avènement d'un art préoccupé de sa discursivité.
        Ce croisement entre une linguistique attachée à la matérialité de la langue, à sa visualité, à sa sonorité, la multiplication des langages poétiques conscients qu'ils sont la grammaire et l'invention de leur langue, mais également ouverts à une critique de la société, a mis en évidence la tentative de résoudre, voire de combler, de dialectiser dans leurs positions la dichotomie corps/esprit et à sa suite l'opposition langage/être. Ces premières tentatives d'articulation, inspirées par le désire wagnérien d'art total, ayant bon train également chez Fluxus sous l'emblème de la réconciliation de l'art et de la vie, entretiennent cependant dans la dialectisation à tout va du signifiant et du signifié, l'idée d'un pan-sémiotisme où langage, peinture, musique... se retrouvent  ordonnés sur un même plan symbolique que tous les signes de la société, au-delà de la spécificité de chacun des domaines. En effet, le statut du langage occupe une place à part puisqu'il est selon l'anthropologie du langage de Benveniste, " l'interprétant de la société ".
         En outre, la question de la 'matérialité de la langue' pose le problème du langage considéré de façon instrumentale, non seulement dans l'opposition prose/poésie comme le souligne fort justement J-P. Bobillot9 mais dans le rapport du signe pour quelque chose ce qui induit un processus de substitution. Le corps pour le poème et la mise en scène de la poésie pour le poème dans le cas de la lecture publique,  l'absence de langage comme signe politique du poème, la résonances encore aujourd'hui des bruits de Russolo visant à un hypothétique infra-langage, les voix sub-vocales du cut-up apparaissant dans le rapport de la coupure à la matérialité de la langue.
        La conception d'une matérialité de la langue met en évidence la dissociation du sujet par rapport au langage, et plus particulièrement met en jeu une théorie du langage qui s'avère au bout du compte, être une théorie de la communication. L'opposition sujet/objet y est maintenue bien qu'elle soit déplacée - le corps devient le sujet de la langue, et le langage l'instrument de sa poétisation, que ce soit dans l'intensité glossolalique ou dans la signifiance du souffle à l'image d'Artaud.
        On passe d'une sémiotique du discours dont le poème est l'échec, à une sémiotique du corps dont le dit serait l'échec du poème. De l'effet d'une poésie à une poésie de l'effet, comme le constate Meschonnic par rapport à la voix : " Une toute autre figure, réduite à des effets de voix, en ferait l'imposture naïve de la performance. La performance est tombée dans le piège du signe, ce son et lumière du langage. Elle oppose une poésie de papier à son spectacle, sans voir que c'est sa propre confusion qu'elle donne en spectacle. L'effet de voix, l'effet de corps ne peuvent pas tenir  lieu d'une invention du sujet. Il peut bien sûr y avoir les deux. Mais alors la performance n'est qu'une théâtralisation. Si la performance est essentielle, c'est que tout ce qui est donné pour de la poésie consiste en elle. Et la gesticulation sonore ne fait plus que couvrir le silence de la voix 10".
Mais ce qui vient d'être dit jusque là n'est cependant pas le procès de la lecture publique. Car outre la confusion qui l'entoure du point de vue des théories qu'elle porte et qu'elle provoque dans sa pratique, elle met en jeu une critique qui n'a que l'ignorance de se tromper de sujet. L'enfer est pavé de bonnes intentions. C'est bien connu.
        Et pourtant, sous l'angle de la pratique, on ne peut douter que Heidsieck ou Prigent écrivent des poèmes ; ainsi que le sont sans doute de nombreux textes de lecture public. Chacun à sa façon débordant le cadre de la prise de risque en publique, pour s'appliquer au continu du poème, pour Heidsieck dans la production d'œuvres plastiques ou d'œuvre purement sonores (enregistrées), pour Prigent dans le tournoiement de son œuvre entre les différents genres.

ependant vouloir se libérer de la contrainte du langage, c'est déjà se méprendre sur son statut au sein de la société. Sur le statut du poème. Comme le statut de l'art pose des enjeux différents dans le sens qu'il donne à l'invention d'une société. Mais c'est aussi s'en dissocier en tant que sujet. Etre en rupture avec la société. Et là le vent tourne, mais encore une fois pas tout à fait dans le bon sens puisque de cette solitude du sujet, c'est la solitude du poète dans son environnement communicationnel, et non le poème lui-même qui n'a que la solitude qu'on lui accorde qui doit retrouver les bonnes grâces du public. Bernard Heidsieck témoigne de cet isolement, qui n'est pas celui du poème mais celui de la poésie et de ceux qui la font :  "La poésie méritait mieux que de n'être lue que par des copains ou d'autres poètes... de la "dire" et de la projeter dans le quotidien sur la société et dans le monde..."
        En l'occurrence il fait référence au statut social de la poésie, à sa passivité dans une réalisation social en désaccord avec son économie qui la représente écrite et qui est le livre. Pour Heidsieck l'enjeu est de taille, puisque dès le début il s'agit pour lui d' " arracher le 'texte' à la page"11, dans la mesure où "la Lecture/Performance... vise... de normalement couché qu'il est sur le papier, à dresser le poème, debout face au public12", que " la survie de la Poésie passait, peu ou prou, par son extraction de sa position horizontale et passive dans le livre, à une position verticale et 'active', sur scène13". Ce rapport qu'il invoque entre passivité et action, entre texte couché et texte debout, donne au poème une spatialisation qui n'est pas la sienne, puisque son action n'est pas sociologique ou communicationnelle, mais inscrite de manière anthropologique dans le langage. Cette opération du passage d'un état de la poésie à une 'poésie action' qui réintroduirait le poème dans le temps et dans l'actualité du sujet, nie ce qui pourrait être l'espace/temps indissociable du poème, à savoir son invention. L'action me semble déjà dans l'invention, au-delà du texte, dans le poème qui se fait sujet, et dans le sujet, et non dans le poème qui se fait corps, action prothétique du poème. Ce qui virtualise la lecture du poème sur la scène, lui donne effectivement une autre dimension qui est sa théâtralisation et la confiscation de la lecture par sa mise en scène.

t effectivement le livre ne contient plus la poésie. Mais pour des raisons qui semble ignorer le poème, et ses enjeux dans le langage. La poésie perd le poème, et non ce qu'il est ou ce qu'il dit, car le poème fait. Il est l'investissement maximale du sujet dans le langage, action à redéterminer dans sa tension avec la société, mais dans le cadre du langage, et non dans celui de sa distribution.
Et lorsqu'il poursuit dans le cadre de la poésie performance,  c'est pour découvrir et mettre en jeu, par le tour de force du spectaculaire, une relation de pouvoir entre poème et société où le poème retrouverait une valeur symbolique qu'elle avait socialement perdu. Ici le dualisme est fort, entre le faire d'une individuation et son invention dans la société. Le poème comme signe d'une faiblesse d'expression opposée à son aliénation dans une société qui n'arrête pas de s'exprimer et de communiquer. " Le poème réintègre la société, dit-il. La lecture publique comble son souci de communication. L'y aide en lui fournissant une texture physique et un contact direct, immédiat ". Après avoir rendu compte de l'insignifiance du poème, il force son économie, il le sociologise ; mais son sujet n'est pas là. Il n'est pas dans une sémiotique puisque " le poème est le maillon faible du signe ". Aussi a-t-il à reprendre un corps tant son corps est dans son sujet ? Le jouer en interface, en corps-écriture, cela ne le vide t-il pas de sa critique dans le langage, du lien qu'il fait comme sujet de l'individuation dans la société ?
        L'interface entre le poème et l'auditeur se fait dans la lecture par le poète/lecteur. L'immédiateté à laquelle il est fait référence se substitue à une lecture considérée comme défaillante économiquement ; elle relance la médiatisation de la poésie. Peur d'une disparition de la poésie dans la passivité de son support, dans sa matérialité du sacré et du recueillement. C'est aussi le passage d'une ontologie médiatisé dans la sacralisation du livre comme représentant du sacré, à une " poésie comme ontologie directe 14". L'illusion est dans l'image qu'elle donne à voir. Dans le rituel et la célébration de son événement réinitialisé dans le sacré. Telle est sa réintégration dans la société, " Lire devient un rite ! " nous dit Prigent, " Un rite. Donc bien une PERFORMANCE. " rajoute Heidsieck Car ce qui importe, c'est de faire, dit-il en rapportant les propos de Prigent, " effleurer physiquement le nœud d'angoisse qui est au fondement de l'opération d'écriture ". Retrouver la source en quelque sorte, de cette énergie qui prend sens dans le poème, mais qui se ferme au signifié comme le corps se referme sur la pensée ou sur l'Etre. Le spectacle est au rendez-vous et questionne le poème dans les traces de son rythme et dans son rythme quand il peut. Quand il peut se sortir de cet état quasi théologique d'Etre, pour retrouver ce qui le fait dans l'invention de son sujet. Et par le langage de ce qui l'historicise dans la société.
        Sans s'arrêter dans le contenu ou dans  l'intériorité de la poésie comme rapport sensible à l'Etre. Sans penser la résoudre dans une extériorité qui n'est rien que le passage ou plutôt l'élargissement d'un contenu psychologique du poème à un contenu sociologique.
De la disparition du sujet ontologique et même psychologique dans le poème  (le discours analytique qui aboutit au transfert n'atteint-il pas un point de rupture qui serait son poème) à la disparition sociologique, le point de rupture du poème n'est pas seulement économique, mais aussi théorique au sens où le poème n'est ni investi sociologiquement ni investi globalement par les sciences sociales, parce que son statut est relégué au spectacle et à la décoration. Le spectacle du poème sous la forme de la lecture publique serait aussi un point de rupture des discours socio-économiques. ...

videmment je ne me lasse pas d'assister à une lecture publique, surtout quand elles ont l'inventivité le talent et le courage de ceux qui la font. J'ai essayé en me confrontant à leurs discours de me prolonger du rôle d'auditeur à celui de lecteur en continuant à les accompagner en questionnant une historicité du poème et de la poésie qui n'est pas donnée mais bien à inventer. Car la poésie nous aide à penser ; et la pratique est indissociable de la théorie. Pour terminer, " Je pense, et c'est une évidence, qu'il faut être modeste, tout d'abord, sur le rôle actuel de la poésie. Ce n'est pas une raison pour ne pas la pratiquer 15". Bernard Heidsieck continue la poésie.
        Le poème est avenir.
 


NOTES


La forme en poésie comme aboutissement du sens. La forme comme " quelque chose qui passe à travers la sémantique d'une façon si forte, que chaque élément phonique ou  chaque élément syntaxique est en même temps un élément sémantique. " (Interview d'Haroldo de Campos, 1984) P.30
 
 ... devant cette fermeture et ce blocage qu'à produit le rapport entre le parlé et le roman, je partirai de la poésie comme terrain d'expérience... Aujourd'hui, après une lignée de poésie écrite, trop écrite, sans doute de l'expérience de plusieurs on peut percevoir que la modernité est l'oralité. Par là je n'entends pas ces effets classiques du dualisme, qui divisent la poésie entre une poésie toute visuelle, graphique, comme a été le spatialisme, et une poésie sonore qui tourne au spectacle et, à la limite, hors langage, ne fait plus qu'entretenir une confusion. P.261

Pour Meschonnic, " la poétique est critique parce que le poème est critique" (PRPS, p.17), ce qui suppose un continu entre poésie et poétique, entre pratique et théorie. P.27

Ce que l'aventureux auteur des " poèmes-partition " reproche à la " poésie écrite ", telle qu'elle lui apparaît alors - ce contre quoi, soudain il a décidé de réagir - , ce n'est donc pas tant qu'elle soit " écrite " (...), c'est qu'elle soit à ce point " passive " et se satisfasse, si aisément, du petit frisson de l' " image " p.65 JP Bobillot
Quête de l'Etre " oublié ", émois et moires du " Moi " : tels seraient, pour la poésie moderne, les deux termes de l'alternative. p.65
Le poème avait à assumer, sur la scène sociale, laïque et individualiste, une fonction active d'intervention, de " communication " : à faire " sa rentrée dans le monde. Ou dans la foule. " p.66
Faire voler en éclat le " matériau verbal " et les " formes poétiques en vigueur, qui ne pouvaient que faire obstacle à cette visée émancipatrice.p.66
Il aboutit, par là, à une sorte d'implosion du discours... Ainsi traité, ou maltraité, le " matériau verbal " n'obéit plus, ni aux critères ou aux contraintes " ordinaires " de la sémantique, ni même, à ces modes de la signifiance généralement considérés comme spécifiques à la " langue poétique "... renchérissant, donc, sur les " mots en liberté " chers à Marinetti, il s'agirait, cette fois de signifiants en liberté. P.67
Ce qui y parle... c'est une subjectivité qui, court-circuitant ce dispositif obligé - et aliénant - , en appelle à d'autres subjectivités, dans la recherche éperdue et inquiète d'un " écho, d'un contact, d'une réponse ".

Le poème du problème = la lecture / une esthétique de la réception
Le poème du poème
RBL = poésie phonétique, rapport de la poésie à la linguistique, et à celle de Jackobson en particulier par rapport à la fonction poétique

La rime et la vie / Henri Meschonnic

Le poème découvre une solidarité entre l'oralité et le sujet, qui mène à poser autrement le rapport reçu entre l'écrit et l'orale. P.245
Il devient donc non seulement possible, mais nécessaire, de concevoir l'oralité non plus comme l'absence d'écriture et le seul passage de la bouche à l'oreille, jadis infériorisé, aujourd'hui valorisé-psychanalysé par certains comme la pulsion libératrice, qui reste dans le dualisme comme le blasphème reste dans la religion. Non, mais comme une organisation du discours régie par le rythme. La manifestation d'une gestuelle, d'une corporalité et d'une subjectivité dans le langage. P.246
Je prends l'oralité comme rythmique linguistique, culturelle et forme-sujet, ce qui solidarise, au lieu de les séparer, la littérature et le parlé. P.268
C'est la poésie qui est libre, et l'a toujours été, chaque fois qu'elle a conquis son historicité. Qui est à la fois son éthique et son oralité. Elle n'est plus qu'une imitation quand elle se prend pour son histoire. P.262
Le sujet-langage est donc double. Sujet linguistique de l'énonciation, au sens de Benveniste... Et il y a le sujet poétique de l'énonciation, tel que le discours est transformé par le sujet et le sujet advient au statut  de sujet par ce discours. Ce qui n'arrive que par le primat du rythme et de la prosodie dans l'organisation du sens. Ce qui rend le sujet et l'oralité essentiellement solidaires.
...Pas d'oralité sans sujet, pas de sujet sans oralité. Un continu du sujet, depuis celui du discours au sens de Benveniste jusqu'à celui du poème. L'orale est de l'ordre du continu - rythme, prosodie, énonciation. Le parlé et l'écrit sont de l'ordre du discontinu, des unités discrètes de la langue. P.269

Henri Meschonnic Pour une poétique du rythme / Lucie Bourassa

Le texte littéraire, et plus particulièrement le poème, sont, par l'organisation de leur signifiance, " le maillon faible du signe " : ils résistent à la conception dualiste qui a régi la métaphysique occidentale et par là ouvrent sur une critique des tendances universalisantes et dominatrices de cette dernière. A une pensée de l'être, des essences, des identités, qui mène à l'exclusion, la poétique meschonicienne oppose celle de l'empirique et l'historique, qui permet de prendre en compte l'altérité, la pluralité, de sortir des oppositions duelles engenddrant un pôle dominant et un pôle dominé. P.10-11
Dans la poétique, l'importance accordée au faire du discours (faire=sens premier de poème) permet de dépasser l'alternative entre essence et effet sociologique... P.11
Benveniste, Sémiologie de la langue, PLB II, p.43-66 / il attribue à la langue, qui est l' " interprétant de tout système signifiant " une double signifiance : " La première est appelée sémiotique, la seconde, sémantique. Le plan sémiotique est celui du signe saussurien, de l'unité pourvue de sens, ... le plan sémantique, " c'est le 'sens' résultant de l'enchaînement, de l'appropriation à la circonstance et de l'adaptation des différents signes entre eux ", c'est " l'ouverture vers le monde ", qui est " absolument imprévisible ".P.15
Les formalistes ont eu en commun d'introduire la linguistique dans la poétique... comprendre la " littérarité " en abordant le texte par son " matériau " propre, le langage. Ils se sont ainsi intéressés au signifiant phonique, au mètre, au rythme et à tout ce qu'on a coutume de ranger sous la rubrique " forme "... P.18
Jackobson et sa vision autotélique de la poésie P.18...dualisme de la forme et du sens, et ne pas réduire des discours à des contenus... P.24
Meschonnic / statut qu'il accorde au poème, vu comme révélateur de certains fonctionnements langagiers dans la relation qui s 'y établit entre le sujet et le social. P.24
" Traversière, [la poétique] prend le poème comme le point le plus faible de la théorie du signe, qui constitue ainsi un révélateur théorique et politique ". Le poème est " le maillon faible " de la théorie du signe parce qu'on ne peut aisément en escamoter le signifiant pour le réduire à un signe, à un représentant d'autre chose, d'un " contenu ", telle que le serait par exemple l'histoire ", dans un récit. P.25 (voire aussi les Etats de la poétique p.42)
Pour la poétique, si le discours est une pratique du sujet dans une histoire, le poème est pris comme l'inscription maximale du sujet (avec sa situation et son histoire) dans le langage, alors que les autres pratiques du discours se réalisent comme l'inscription du langage dans l'histoire et sa situation. Le sens n'est plus alors à concevoir comme un sémantisme, un lexicalisme, mais comme une production généralisée par l'ensemble du discours. P26 (ibid. p.42)
Meschonnic refuse, au double plan épistémologique et éthique, d'opposer poésie et langage ordinaire. Il croit à une " force ", à un pouvoir critique de la poésie, qui " n'invente pas un autre monde ", mais " transforme le rapport qu'on a avec celui-ci. (La rime et la vie p.108) On ne peut penser cette force si on isole le poème des autres pratiques du langage, car alors on l'esthétise et on le neutralise, alors qu'il est " cet état naissant des modes de signifier, cette invention de l'historicité radicale des manière de dire, de sentir, de s'entendre soi et les autres (Pol. du r. pol. du s., p.17).p .27
 " [La poésie] ne peut être traitée qu'à partir d'elle-même, non à l'intérieur d'elle-même : si le lien entre poésie et poétique les confond dans une identité, cette identité me semble métaphysique, et non leur épistémologie spécifique " (PPV, p.74)
Puisque la poésie est une aventure vers l'inconnu, un mouvement vers le savoir et non un savoir déjà constitué, qui renouvelle les modes de signifié et de comprendre, la poétique ne peut être achevée, elle est aussi un mouvement, et, comme la poésie, " passion de la pensée " (RV, p.109). P.28
La pensée d'un " sujet du poème " est " la démocratie du poème " (PRPS,p.9), car " à travers le sujet de l'écriture, c'est le statut de tout sujet qui est exposé et qui se joue "(EP, P.42). Pour être " la démocratie du poème ", ce sujet ne doit être ni un individu isolé qui s'oppose à la société, ni quelqu'un d'entièrement déterminé par celle-ci. P.48
 
 

Christian Prigent et sa voix-de-l'écrit
Christian Prigent et la lecture public / Bernard Heidsieck
Faire part n-°14/15

Différence entre les lectures traditionnelles  et les Lectures/Performances. Entre anciennes et nouvelles :
Le terrain, il faut le reconnaître, avait été ardemment préparé, déblayé, dès les années soixantes, et avant même, par tous ceux qui pensaient que la survie de la Poésie passait, peu ou prou, par son extraction de sa position horizontale et passive dans le livre, à une position verticale et " active ", sur scène. P.118
Fluxus, des poètes " sonores "... C. Prigent... ont contribué à cette révolution, à cette remonté à la surface, au plein jour, de la poésie, ce qui de façon notoire, constitue pour elle, sa marque essentielle de sociabilité de ces dernières années. P.118
Définir ce qu'est la Poésie Sonore, s'est toujours avéré une opération impossible. P.118
L'oralité ne sort pas le poème de son silence
Je ne me suis, moi, par contre, jamais écarté de la sémantique et me suis, de ce fait retrouvé confronté au x problème entre l'écrit et l'oralité, au passage de la page écrite à son enregistrement ou à sa transmission publique... utilisons le terme " Lecture/performance ". il a le mérite (//Poésie/Action) d'englober bien des choses et d'avoir cependant une connotation précise, notamment face au style des classiques " Lectures-de-poésie ". P.119
Lecture Publique... moment d'arrachement du Texte au papier, au livre pour le faire basculer dans l'oralité. P.119
Le mot par rapport à l'oralité : pour quelle phrase ? c'est le poème qui fait le mot et non le mot qui fait le poème, car dans ce cas le langage serait un instrument, ce qu'il n'est pas puisqu'il est indissociable du sujet.
Il ne s'agit plus de cantonner ses mots dans l'espace étroit qui sépare les lèvres du micro, mais d'occuper la moindre parcelle du lieu, quelqu'il soit. On ne lit pas pour soi mais pour un public... pour parvenir à cette occupation de l'espace il faut insuffler aux mots... une tension, un souffle qui les catapultent vers l'auditoire gorgés de cette énergie... on donne aussi [du texte], face au public, une image, celle de soi-même en train de lire. P. 120
La tension, le souffle et l'énergie sont, nous l'avons vu, à la base même de ses lectures. Ce sont les fondements qui permettent la mise en espace , dans l'oralité, de ses textes écrits. P.121
Il doit y avoir, [Prigent] l'écrit... cohérence entre la voix et l'écrit. " Le corps doit être visible (porteur de la voix) et non-visible (effacé, dissout par elle), rendu discret, dés-identifié, et cependant absolument présent ". Et en effet, le corps est là, centré sur lui-même, machine-tremplin pour évacuer du texte, lui fournir le maximum d'impulsion et de clarté.
Car enfin c'est bien de cela dont il s'agit : transmettre du TEXTE. Du texte écrit. Le mieux possible. C'est à dire, sans le trahir. C'est lui, le texte, bien entendu, qui prime. Et la " voix-de-l'écrit ", qui l'arrache au papier, n'est pas, tel que l'écrit Prigent, le véhicule d'un hypothétique langage du corps, peut-être même ne dit-elle pas forcément la vérité du langage, celui du texte sur lequel elle s'appuie, , qu'elle est chargée, dans l'instant, de transmettre, mais elle joue, par contre, l'action de leur affrontement. " Elle concrétise un moment de mobilisation d'énergie. " P.121 cf la communication
Lire devient un rite ! (Prigent)/ célébration dont parle Meschonnic
" Un rite. Donc bien une PERFORMANCE. Car ce qui importe, c'est de faire " effleurer physiquement le nœud d'angoisse qui est au fondement de l'opération d'écriture... un malaise, celui du corps en proie au signes, aux signes qu'il est chargé d'émettre ". Un exorcisme ? P.122 Prigent : un artiste de la voix ou un artiste du poème ?

Revue La licorne n° 41 Penser la voix
Le théâtre dans la voix / Henri Meschonnic

La voix ne dit pas. Ce qu'on dit, on le dit, en parlant, par la voix. Mais ce n'est pas la voix qui dit, c'est vous qui dites, ou c'est moi. La voix, elle , fait. Elle fait le climat, l'humeur. Elle fait une prosodie, qui n'est pas celle du discours, mais celle du corps, et de la relation entre les corps.
C'est parce qu'elle agit que la voix a une affinité avec le poème. Le poème non plus ne dit pas, en tant qu'il est poème, mais il fait. Ce que seul un poème fait. La voix est une forme d'action, par elle-même, indépendamment de toute mimique, ou gestuelle. Elle est une forme subjective autant de l'espace que du temps. Quand elle est un art, elle est un art de l'espace et un art du temps. P.27

Valéry et Heidegger ensemble font de la poésie comme célébration une auto-célébration : " La célébration est l'acte poétique par excellence : le poème en premier lieu, s'émerveille de lui-même, comme s'il ne parvenait pas à croire en ses propres pouvoirs et s'appliquait à les vérifier toujours "(p.197, J-M Maulpoix, La voix d'Orphée...). P.31
Ce que montre la mise en voix, c'est si il y a ou non une oralité de l'écriture. La voix en fait l'épreuve. L'écrit se juge à la voix. Un texte est littéraire s'il a sa voix, et comment il est en voix. P.38
La voix n'est pas un spectacle. P.39
La voix est du continu seul, le langage est du continu et du discontinu... La voix émet un théâtre imaginaire, le langage comporte une théâtralisation qui est de l'ordre du rythme, de la prosodie, de l'organisation du discours. P.39
La liberté de la voix nargue le signe. L'aventure de la voix est à elle seule un théâtre. En quoi elle a partie liée avec le poème sans être ni le langage ni le poème. C'est quand la voix est une matrice du rythme qu'elle est vraiment une voix, pas seulement l'organe de la parole. Et elle le sait, quand c'est ce rythme qu'elle donne à entendre. P.42

La peinture est une poésie silencieuse / G. Dessons
La lecture d'un poème requiert une accommodation. Si on écoute le signe, on entend pas le rythme, mais le sens ; si on écoute le rythme, on entend plus le signe, mais le sujet... le poème n'est pas poème par le sens... mais par la manièrre, qui est un rapport entre subjectivation et signification , mettant en jeu, à chaque œuvre, histoire, sujet et société. P.235

1960-1985 Une génération / Jacques Donguy
Poésie sonore, poésie-action, performance poetry, poésie direct. Mais cette terminologie est récente. Il faut distinguer dans un premier temps un travail sur la matérialité de la langue, et pour cela remonter aux futuristes italiens et aux cubo-futuristes russes... Khlebnikov et Krucenych, tous deux signataires du manifeste " Slovo kak takovoe ", Le mot comme tel... Les principes du 'Zaum' 1. Le jeu dans ce qu'il a de plus joyeux 2. Une technique phonétique approfondie (manipulation et fabrication de mots) 3. La découverte et le déchiffrage des énigme de la langue et de l'univers... P.22
Il est intéressant de constater que ces expérience se déroulent parallèlement à la naissance de la linguistique... P.22
Quant au développement de la poésie sonore, il s'explique aussi par l'apparition et l'utilisation du magnétophone à bande qui... permet le montage. P.22
" Anthologie de la poésie phonétique " organisée en 1960 par Fr . Dufrêne . P.23
" Extended composition ", c'est aussi l'idée que développe R. Kostelanetz dans son anthologie " Text-Sound Texts, parue en 1980. " Le terme 'Text-sound' caractérise le langage dont la cohérence se base plus sur le son que sur la syntaxe ou la sémantique ". Les 'Four Horsemen parlent d'une poétique matérialiste, d'une poétique du signal et du flot libidinal. Peut-être le retour à une immédiateté primaire, tribale, ou cette phrase de Einstein : 'La matière elle-même est un événement'. P.25
Réflexion sur la langue, qui renvoie à Mc Luhan, La galaxie Gutemberg, et à Pierce, dans sa théorie du Signe, qu'il tire de sa réflexion sur les hiéroglyphes égyptiens. P.29
Dans... 'Quelques réflexions sur le contexte de Fluxus', Higgins souligne un autre aspect [que l'attitude iconoclaste], " l'interpénétration de l'art et de la vie, aussi bien que l'interpénétration des médias entre eux ". Et faisant un parallèle entre ce qui se passait à la fin des années 50 en linguistique (Jakobson), anthropologie (Lévi-Strauss), psychanalyse (Lacan) et littérature (Barthes), autour des notions de modèles, ou de structures, avec ce que faisient les artistes fluxus à l'époque, il dit que " pour le mouvement Fluxus comme dans les mathématiques, l'élégance consiste à ce que cela soit suffisant de montrer l'essence d'un travail, ou une présentation absolument claire ". P.34
Il n'y a pas de lecteur de la poésie mais spectacle de ses effets // à performance cf. D. Higgins : " J'invite le performer à hurler aussi fort que possible, hors de tout contexte précis, jusqu'à ce que le performer soit sur le point de s'écrouler ". L'expérience joue autant sur le plan émotionnel que sur le plan intellectuel. Il faut que le spectateur " tienne compte non pas de celui qui hurle, mais du hurlement ". P.35
Y a t-il volonté d'inclure le spectateur dans l'œuvre en rendant le texte public ? n'est-il pas public à la publication ?
Lir en public, c'est " arracher le texte à la page... se l'incorporer mentalement/physiquement " " Voix, texte et comportement ne font alors plus qu'un "  ce qui me donne l'impression que quelque chose m'est enlevé à la lecture public, qu'elle devient une lecture privée, une scène d'où je suis expulsée comme quantité négligeable du poème canalisé dans la voix du lecteur . Je n'ai que l'écho du poème.
Biopsie, textes en relation avec le quotidien, un peu comme des constats, biopsie de la vie sociale
La poésie comme ontologie directe. P.89-90
Voir Marinetti, Jakobson, Mc Luhan

 
Doc(k)s série 3 numéro 4/5 printemps été 1993

        Jean Pierre Bobillot  propose quatre courants dont le premier est une tendance qui se situe justement dans la séparation forme / sens, " en deçà des unités sémantiquement 'pleines' de la langue, soit : en deçà de toute articulation. Et il y distingue, " d'une part " Le second se caractérise par l'utilisation  active du magnétophone " il parle de traitement du 'matériau verbale'... de 'potentialités esthétiques'... " on se situerait, cette fois, résolument au niveau 'du mot, des mots', dans une 'volonté signifiante' - autrement dit au niveau des unités sémantiquement pleines de la langue, soit: des 'unités de première articulation'. " p.59
 p . 60  /à Heidsieck Là le poème se faisait bruit ; ici les bruits se font poème.

  • le troisième " le fait de musiciens... dans le rapport machine/matériau verbal... pour laquelle les éléments empruntés à la langue - ou plus récisément, à la voix - constituent de purs 'matériaux sonores' - c'est-à-dire 'musicaux' à travailler comme tels.  " Ce n'est plus l' " écriture au magnétophone ", c'est le " clavier à cordes vocales "