L.L. De MARS
L'aubaine 
Ce texte fut le second publié, en 1991, par les micro-éditions K' de M.  À ce titre, il est -plus encore que la nouvelle "une nouvelle policière en actes"- entaché de précipitation, de maladresses stylistiques et d'une vanité baroque assez irritante. La vanité-même, sans doute,  de celui pour qui écrire en était le miroir grimaçant; mais l'excès d'auto-ironie fantasme souvent une forme de gloire souillée, vaguement romantique.
Cependant, juste retour historique d'une vieille carne sur ses balbutiements, la présentation de ce texte aujourd'hui parmi les autres (en sachant bien que l'architecture particulière de l'hypermédia brise toute forme de chronologie) en fait la cible d'une ironie nouvelle, qui ne veut pas écarter d'un revers de la main les odeurs de déchetterie du travail en cours... 


 
'insinuer, pour incendier la connaissance, dans le corps creux de la fiction : l'abri inestimable !
Je me refais, à en finir exangue, la Pénélope du tissu mensonger, ceci afin d'éviter, probablement, de vous écrire...
cependant que, de toute évidence, dans l'immédiat, vous pourrez étudier à loisir la sédimentation de ce caractère dépensier, activant, si vous le désirez, un projet écrivant derrière le caractère, remuant un organisme sans nécéssité...
mais que la figure ne vous convoque pas; si en revanche vous acquiésciez au principe de mon mensonge au point d'en admettre l'origine frauduleuse dans cette contrefaçon d'adresse, n'est-ce pas, s'il ne vous est pas impossible d'être à l'ordre de ma lassitude sans pouvoir cependant prétendre en saisir le moindre lot, elle est à vous; gardez-la: croyez au minimum à la simultanéité d'un désir qui s'assoupit et d'une ligne qui s'achève.
        Curieux, vous vous en rendiez compte, que je ne trouve les ressources d'une toute nouvelle activité que pour mieux discerner mon pénible désengagement de l'action? Je suis bon prince, mettez, si vous le désirez, ceci sur le compte du flot d'un soir qui se serait perdu ici, en colonnes étroites, pour s'assurer de son inanité. Et puis diable, peut-être ne vous avais-je pas cette soirée-là sous la main, et ne me suis-pas alors résigné à parler à mon chien, ce qui, fréquemment, n'est pas pour me déplaire... suffit, suffit. SUFFIT !..
        Je vais me perdre encore, et m'acculer aux ratiocinations les plus indigestes.
        Voici sans aucun doute la genèse introuvable de mes palinodies; je n'aurai pas fait long feu de ma désagrégation... hmm...
"SOIS A LA HAUTEUR". "L'Expérience Intérieure" abrite -une de plus- cette épouvantable aporie du coeur du livre : "Le refus de communiquer est un moyen de communiquer plus hostile, mais le plus puissant". Il me faudra bien l'ouvrir pour ne pas m'y soustraire, vous démontrer dans ses organes même, la mesure de mes indémontrables. En tous cas, voici la seule adhésion combattive que l'on me soutirera: pour l'incommunicabilité contre le silence. Mais ceci pouvait, vous l'imaginiez, s'appliquer une fois encore, à l'usage jusqu'à l'usure de l'encombrement des livres... ici encore :
SUFFIT! Il y a un petit quelquechose autre, contre le rateau de la connaissance individuelle, le rateau de la connaissance collective, de la connaissance de classe, d'éthique, contre le rassemblement de mon corps dans l'altérité, le nombre des bouches; non seulement je ne veux rien savoir, mais, surtout, il m'est insupportable que l'on me sache. Bingo.

eci pour l'éradication jusqu'à l'ivresse, de la communicabilité, pour l'arrachement du corps parlant à la convivialité. pour l'exemple, ici, quelques usages épouvantables:
        Le compact, l'opuscule, essayai-je tout simplement d'user de son patronnage pour parvenir à mes fins paresseuses, que me voici encore confronté à son prestige envahissant, il bousillera tous mes calculs ...
pire encore, me fera savoir à n'en plus finir... voyons; L'expérience intérieure, encore: "Sans l'exubérance de l'évocation, l'expérience serait raisonnable"...
        Voilà qui m'abritera pour un moment derrière son épaisseur, sa densité pour atomiser la mienne, et qu'on puisse radicalement oublier donc, que ces paroles furent précédées d'autres paroles, proférées lors de crises antérieures: première opulence pour elles, donc, prenons-les dans cette circonstancielle singularité sous peine de remâcher pour moi une histoire dépourvue -déjà- de sapidité.

ien entendu, ce livre, qu'il fut un trésor d'une sorte d'inévitable émerveillement (mais j'avoue, qu'il le soit providentiellement, effectivement, ne l'avoir jamais choisi de cette sorte; ceci pour n'avoir jamais trouvé la moindre satisfaction à l'évidence de mes propositions) ou bien que l'ouvrage fut d'une obscurité choisie (mais pour savoir, cependant, ce qu'offrent les vagues peu durables mais frénétiques de l'engouement de classe), il n'aura ni tranche ni dos blanc...
ni de ces quatrièmes de couverture qui rendent sourdes les fouines!
        Bien en vue, je n'offrirai /interrompant sans cesse ce que je présente avec une professionnelle ostentation pour une lecture, méritoire, pénible, et ceci lisible jusqu'au plissement exagéré de mes sourcils/ que la couverture grassement titrée, inévitablement. Plusieurs fois par semaine, saisi par l'écoeurant paradoxe qui me tient entre la nécessité d'être impeccablement seul et mon inaptitude irrévocable à la solitude, ivre d'un isolement provoqué par sa seule représentation au coeur de mon immobilité, il me prend l'envie irresponsable d'échouer ainsi à la terrasse peuplée d'un café détesté, pour m'étourdir des fluctuations, du babil dans la multiplicité des frôlements les plus inavouables -n'en fait pas trop, s'il te plait- m'assommer au caviardage des langues, à la binarité d'une musique détestée, à l'engourdissement par des boissons inévitablement détestables elles-aussi...
ceci pourvu d'un livre, qu'il soit ou non l'un des pommés prestiges de ma bibliothèque;
        en premier lieu choisi, par ailleurs, en accusant son arrogance à elle, visant l'emprise qui avait pu lui permettre de me retenir encore, tournant sans cesse entre ses innombrables verticales que la rapidité croissante de mes déplacements de bête enfermée rendent floues, mêlées en une seule cellule brouillée, au point de m'abrutir, faisant de moi, le soir, l'infatigable bavard que le tournoiement obsédé tient encore, qui alimente ses bravades, la table chargée de son salon, plus encore que par les lignes lues, de l'ordonnancement de ses livres, la collection, la pièce éblouissante qui s'extirpe, et de ses errances parmis eux /voyez-moi celui ci/ ennivrant mes convives /agaçant leur curiosité elle-même par moi infligée! /écartant verres et bouteilles de vin pour étaler ses opuscules, livrer ses fragments à leur circonspection.

ais suivez-moi à nouveau, reprenons, sans prendre garde, par ailleurs, à la naïveté figurale de cette nouvelle apostrophe...
        Ainsi, soumis à la dissolution, seule, que propose mon ingérence dans ces vies protocolaires, j'ai arraché un livre saisi aux cloisons des autres, afin de le livrer aux regards de tous, inconnus, entre mes doigts, lu, semble-t'il. Exposant son titre (je le choisirai souvent bravant le silence de l'incognito, aguichant, "le livre", "compact", "l'impossible", "la nouvelle Jerusalem" encore jaugeant son poids d'exhibition, qui tienne à l'attention subreptice, son troublant vertige; ou bien, tout autant, le préférai-je scandaleux? Pour précipiter les choses... "les couleurs de boucherie", "TxT: l'écrit, le caca", "les cent-vingts journées de Sodome"... "le Monde comme volonté et comme représentation"..)
et, usant de toutes les mimiques qui puissent servir mon dessein d'offrir mon corps de lecteur de calcul à une foule passante, épuisant peu à peu les possibles opérations me crédibilisant dans cette proposition presque irrésoluble (tout-au moins: indéfendable), me rendre joignable. Il me faudra sans cesse alors me faire harceler sans tenue, que les questions les plus éprouvantes m'éteignent, provoquant l'immédiat renoncement à mon projet, me livrant à l'échec, l'écartèlement de mon imbécile présomption; Eh! eh!
        La vadrouille du pouvoir me l'aura laissé intact dans la gorge, celui-là!

ais il me faudrait peut-être subir un assaut brutal d'une infiniment supérieure mécanique, qui mît le point tranchant sur ma crédulité, ma médiocre qualité de lecteur seul ici livré au spectacle... panique, de toute évidence, me voici floué, laissé idiot, bredouillant une excuse assourdie, plus isolé que jamais...
        Mais ce tourment, introuvable en vérité, qui aurait pu miner mon orgueil, serait tout-à fait insignifiant vis-à-vis de celui qui me fut infligé à chaque tentative, à savoir, celui d'être toujours conforté dans cet infatigable orgueil malade par la sottise désespérante et compassive que l'on m'offrit alors en guise de flêche, par l'admiration repoussante que prêtent les hommes de cette fin de vingtième siècle à l'altérité violente, ceci sans doute, par la cause de leur délassement, de leur mythridatisation à la souffrance véritable qu'ils tiennent pour le véhicule commun du prodige, et, pire encore, par l'étouffement des ultimes choses que j'aimais encore dans un appareil critique qui usurpe nettement ce nom, qui veut tout connaître en pièces de patchwork et ne rien savoir, afin de les desservir proprement dans ses basses besognes de thésaurisation; toujours, je serai cette bête fatiguée dont on pourra rire confidentiellement après en avoir loué la délicieuse originalité...
        Et ceci ne sera arrivé que par ma faute, parce qu'il m'est impossible aujourd'hui (mon Dieu, expliquez-moi ça!) de ne pas attendre encore, guetter, encore, de mon terrier, quand bien même je n'en sors pas pour que le renard saute à la gorge que je lui offre... pop, pop-opo-pop!

e voici curieusement colérique, ne trouvez-vous pas, ou bien, hmmm, bien trop emporté pour vous convaincre de mon éloignement... bah, l'étourderie sans doute, et puis, il me faut bien l'alimenter cette radicale autonomie, j'ai une si méchante mémoire... balayons, puisque, ne vous en ai-je pas déjà fait part, c'est à perte que tout ceci s'inscrit (qui vous empêche de retourner sur vos pas? Mais ce qui suit, bien entendu! et après vous en être gavé, vous n'aurez assurément pas d'autre choix que de froisser ces feuillets, et hop, par-dessus votre épaule).

ystématiquement, donc, déconvenues ensuivies de la nécessité de réhabiliter les visages, eux, bien connus...
j'y retourne, voyez-vous: j'errerai désormais parmi mes livres, m'agenouillant de fatigue, heurté à la lourde bibliothèque, pour n'y plus puiser que la substance de mon désoeuvrement, de mon refus de faire, quoique ce soit, ceci, il me faudra bien m'y plier. Je vais donc passer encore mes doigts sur les bataillons de tranches, et proposer les citations les plus fausses, rendues les plus fausses par leur inextrication aux plus vraies, à ces coutumières oreilles minées par l'usure /surveillez-donc les pages, par-dessus mon épaule, que je vous livre, et tous ces apocryphes qui la gonflent à haute voix engageront votre méfiance! On me dit si bon lecteur.../ ceci parce que j'aurai, une fois encore, recueilli une certaine quantité d'auditoire -et il n'est bien entendu que cela- rompu à mes exercices.
        Je ne vous inflige que des foutaises :les citations sont bonnes, le plus souvent, mais mes oreilles par paquets, je les ai choisies mauvaises : trop accoutumées aux citations pour en tirer viabilité et enseignement, et tant mieux, n'est-ce pas, puisque ceci n'aurait aucun sens, ou trop accomodées au livre pour en tirer d'autres conclusions que sa résolue étrangeté; le voila, le public dont j'ai fait -en face - le silence accueillant...

entir encore, saluer les artifices qui fabriquent le strict nécessaire pour être écouté en vain.
        Ces centaines de soirées dont je n'attend qu'une chose, bien sûr, qu'elle soient perdues, et, DANS CE DESORDRE: n'être plus qu'un pouvoir, le pouvoir évident du flot qui n'emporte que le corps du sujet, qui l'y subsume, en ceci que le poids d'une finalité de contrôle est inexistante. Rappelerai-je que des oreilles de chien font l'affaire pour ce tourbillon-là? Mais nous sommes dans la consumation de la langue, et ça s'appareille, le discours sans voix... Calme retour hors du circuit des affinités électives, pour l'anecdote: hier au soir, même, jusqu'au déphasage auquel le premier soleil enveloppé du labeur naissant soumet les noctambules, je l'ai choisie tassée: une étudiante prompte à hurler au génie -ce sont ses termes- à chaque incartade, à la folie à chaque effondrement, à l'évocation du moindre de mes tourments qu'elle prend pour un fétiche: l'écho idéalement neutre pour mon infatigable perte; "perte?", allez- vous dire, songeant à l'écueil d'un désespoir confinant à l'orgueil que prodigue l'incompréhension? Allons bon...

étrompez-vous, il ne peut pas s'agir de ça... la perte ici, la bienvenue, est celle du mensonge continu d'un corps qui s'évapore dans le bavardage /et ce corps ne s'éparpille véritablement au souffle de l'inanité, que si l'auditoire est choisi dans l'assurance de ne jamais le retrouver/ du mensonge, disai-je, au cours duquel le corps parlant va puiser inattaquablement dans l'utilisation, l'adéquation au renouvellement mythique; en quelque sorte, produire le plus exhalté, le plus décisif, du ryzhome de ses fictions, en s'assurant toutefois de l'unicité de ce produit, la lassitude ou l'effroi que provoque la retrouvaille d'une idée déjà administrée faisant le reste...

"On croit que le méchant a aussi une volonté et un entendement, parce qu'il dit qu'il veut et qu'il comprend; mais chez lui, vouloir n'est que convoiter, et comprendre, n'est que connaître" achève un des chapitres de "La Nouvelle Jérusalem" de Swedenborg; j'en aurai sans doute tiré cet enseignement hâtif: offrir, donc, la fiction en pâture exclusive aux champs d'honneurs de la conversation, pour ne plus l'approuver dans le roman.
"je raconte ce qui me fabrique au moment où je me prononce"... ne prête aucun héroisme au mensonge; seulement la perpétuation d'une formule qui oblitère la palpabilité, la part congrue, le visage coutumier du corps parlant..
(Le mensonge absorbe promptement la figure du menteur, pour le rappel à l'ordre du jour, assujetti à la seule possibilité que ma langue s'épuise ou se soude à mon palais, il me faudra boire alors, et ceci sans oublier que l'autre règle de mon inévitable défaillance est dans cette boisson même qui me sauve du silence).

'il y a quelque puissance à extirper de cette débandade, c'est celle de démasquer l'illusionisme aventurier, la dignité émouvante du revenant d'Eldorado, puisque celui qui m'écoute ne tirera rien de moins dépaysant de mes effronteries que de la performance homologuable d'un authentique migrateur; je me soupçonne, de surcroit, d'être susceptible de prodiguer bien plus encore d'indigne émerveillements soutirés à ma fébrile prodigalité, que ne pourrait le faire le triste gesticulateur qui ne se mesure qu'à l'intensité de sa frayeur, son dépassement géographique -fourmi au chef d'un tubercule- ou de son exactitude, pour caution...
        Ceci car mon renoncement ou mes extravagances n'ont d'extrémité que la fatigue provoquée par le développement d'un objet inexistant, sans considération, et surtout, parce qu'un véritable souffreteux du véhicule, lui, exagère inévitablement sa souffrance parce qu'elle ne suffit jamais, pour se faire mieux comprendre.
        N'ayant jamais souffert ni voyagé, ma crédibilité ne s'en portera que mieux, à la mesure de mon ignorance que tous tiennent pour de la retenue, voire, de l'humilité!
        De toutes évidences, le menteur que je suis jouiera de la mièvrerie de la mort figurée pour lui préférer l'embonpoint de la mort figurale... Mais cette apologie enthousiaste qui ne diffuse rien d'autre que celle du raconteur d'histoires à vous embarquer devrait me REFAIRE...
        en ceci toutefois différant que le mien, de mensonge, ne l'oubliez pas, n'est tolérable que par son instantanéité sans écriture, parce qu'il ne trouve son évidente opulence que dans la fuite des capitaux pour mieux étrangler le trésor nouveau qui aurait pu faire de la saveur, à l'endroit où je n'offre que la déception et le carnage....