l serait hâtif de lire dans ces "limites" celles qui, par l'ampleur ou la pauvreté du capital ici partitionné, circonscrivent le champ de la connaissance conclusive d'un homme et du prestige improbable qu'il lui pourrait soutirer.
l
est entendu que la transaction proposée par le livre est un marché
de dupe, et Nietzsche nous a rappelé dans Ecce Homo qu'il n'y a aucun
enseignement à en extraire. Ses limites seront chaînées
aux nôtres, et cette commune assertion aura rarement été
ailleurs aussi évidente qu'ici.
Ce qu'elles tracent, donc, ces limites, pour peu que vous trouviez au
gré de ces titres et de ces fragments arbitrairement imposés quelque
éclat dont la brillance n'est qu'à votre mesure, quelque évocation
dont l'origine vous est exclusive, baies d'échouage qui vous sont familières
ou qui le furent hier au point de vous être aujourd'hui devenues étrangères,
sera à saisir entre vous et moi /entre/ nous séparant radicalement,
mais, tissant cependant les seuls liens qui puissent nous réunir.
ertaine proximité
curieuse ou discutable d'ouvrages adversaires, bataillant silencieusement d'un
rayon l'autre, certaine présence évidemment criticable là
où une absence éclatera, ouvrira une brêche obsédante
dans ce qui s'homogénéisait, semble-t'il, devant vos yeux,
certaine redondance que seules tendraient à éclairer des manies
bibliophiliques, enjoindra la méfiance; elle n'aura été
rendue possible, sans doute, que par l'indisponibilité d'un appareil
critique auquel seul la fatigue de l'âge donne sa clarté et, de
toute évidence, sa nécessité; la genèse d'un amoncellement
de cet ordre, toujours trop précoce, se fait le plus souvent dans le
vacarme, quand elle n'est pas parasitée par les monolithiques lieux-communs
que nos incorrigibles trésoriers pédagogiques ont cru bon d'étalonner
pour tout jeune homme en quête d'une bibliothèque.
La satisfaction inavouable que procure
la multiplication des chemins de traverse, même au prix de quelques impasses,
surtout à ce prix, l'inaptitude à se désaisir d'un livre,
même le plus médiocre d'entre eux pour peu qu'il vous semble être
à la source d'un enchaînement que vous louez, fera le reste, et
quelques crises d'épure ne suffiront pas pour constituer un filtre irréprochable...
Par ailleurs, le prisme de
ces retranchements, convocations étranges, acquisitions fortuites, déambulations
souvent éperdues, parfois impardonnables, peut seul faire juger de l'essence
narrative de ce Principe même de la narration pour laquelle il pourrait
tenir lieu d'emblême; l'enchassement au cours duquel chaque évènement
ne supplée au précédent que par l'acquisition du minimum,
dans la métamorphose, qui fait imperceptiblement basculer chacun
des minuscules segments, de sa présentation factuelle à une source
causale: l'énumération...
e temps qui accompagna
chacune de ces lectures, du moment où il fut décidé de
leur acquisition jusqu'à leur dernière clôture, les conjoindra
par autant d'ellipses, consolidant le corps impensable d'un unique cheminement
intellectuel, quelqu'affolé soit-il.
Ainsi, pour ce que l'entreprise,
aussi orgueilleuse ou vaine puisse-t'elle sembler, fera naître de ressourcement
du modèle inutilisable autobiographique, il m'est apparu, en ficelant
ce patchwork que vous pourriez tenir pour un nouveau caprice de la modernité
-sous le phare de la Fiction - que lui seul serait à même de me
faire plier aux usages de ce genre embarrassant et précaire...
...modulant au gré de ce fluide
égrènement les seuls abris pour ma langue d'usage, je trouvai
à ce livre une nouvelle opportunité pour tenir tête à
mon renoncement.
nfin, dans ce
fatras d'adhésions et de carnages qui font une vie de peu, on se méprend
sans doute sur le lieu du vestige: c'est bien le corps qui est un habitacle
impuissant de l'agitation, plié à l'usure, incompréhensible,
voué à l'enfouissement ou à l'exemplarité, faute
de véritable parti à en tirer, et l'on s'étonne de découvrir
une filiation entre les secousses de cet animalcule et ce qu'il croit être
le vulgaire avatar de son histoire et de ses névroses... le plus médiocre
des livres ne vaut-il pas toujours plus cher que le meilleur des êtres
humains?
Ces instances, dont la paternité
leur semble de toute façon si lointaine et honteuse qu'ils les condamnent
ponctuellement comme abominations pour les vouer aux gémonies, les livrer
aux flammes et à la liesse qu'elles procurent, ont fait que les hommes
ne modelèrent leur souffle que le plus éloigné possible
d'elles, au gré du tohu-bohut: ce qu'ils désignèrent sans
appel pour unique ferment et preuve qu'il y a là de la vie...
Le souffle est inchangé depuis
les premières tablettes d'argile ou de buis, et il ne changera pas: mais
ceci, tôt ou tard, s'inscrira aussi, avec une densité que la vie
n'atteint pas pour n'être qu'un fragment de ce que l'on croit gouverner
avec elle.
oici donc probablement
un ultime lieu de résistance, à ceci près que l'on ne puisse
saisir la nature, ni mesurer l'étendue, de ce à quoi il resiste;
la singularité de cette périphérie en étant l'extrème
mobilité.
Ces baroques nécropoles
où se sont réfugiés les derniers vivants n'existent sans
doute qu'au rythme d'une respiration inactuelle, improbable, intouchable, afin
de ne pas se faire entendre.
Il y aura nécessairement
là-bas quelque place pour le silence.