L.L. De Mars
Dans le cadre
Une étude sur les séries numériques de FiLH

Essai inédit écrit pour FiLH, photographe (dont vous pouvez découvrir le travail à notre index des plasticiens ou directement ICI ).Cet essai ne vise qu'à mieux définir ce qui écarte la photo des autres arts plastiques, et tout particulièrement la peinture, en ayant uniquement la prise de vue pour centre d'observation. Vous pourrez découvrir l'intégralité des travaux de FiLH auxquels il est fait référence ici à cette adresse: l.entre.free.fr.

" Un style imagé est la marque d’un bon assassin "

V. Nabokov (Lolita)

 

e que nous suggère la permanence des représentations du corps, quelles que soient les métamorphoses du champ artistique, les multiples points d’observation anthropologiques qui égrènent les conventions et modèlent l’aventure des métaphores (et en dépit des innombrables prophéties sociologiques qui en annoncent la fin), c’est la stupéfaction devant la découverte que l’autre a une tangibilité extérieure à l’expérience charnelle qu’on peut en faire. La représentation est une autre forme que la médiation linguistique, et plus puissante qu’elle, de la fixation du corps de l’autre, de sa désignation à la périphérie de notre propre membrane 1. Le rêve d’une représentation dépourvue de conventions - le gel du désir de piéger l’altérité (d’attester l’autre) à l’extérieur du sujet pour se loger soi-même dans un monde sans métaphore - est au cœur de la prise de vue photographique : car si l’autre est ce qui met en péril, par l’expérience propre qu’il fait du monde, par sa mobilité, la réalité (l’idée qu’il nous est nécessaire d’en forger, celle d’une extériorité - et de sa permanence - à notre propre corps), il est aussi le seul qui valide, pas tant par la vérification de notre présence au monde que par cette contradiction même de notre point de vue, le fait que nous soyons ici, lieu particulier et irremplaçable du discours (de l’action), incarné.

Reste à déceler ce qui, dans l’acte photographique (qu’il s’agisse des séries numériques de FiLH observées ici ou de tout autre travail) ne relève pas de l’invention mécanique et modélise si radicalement d’autres propositions pour la représentation.

Il faut peut-être revenir ici sur ce que la photographie doit réellement à la peinture pour mieux circonscrire ce qu’elle ne lui doit pas, et qui n’a pas grand-chose à voir avec le tableau d’isomorphismes qu’on lui suppose généralement: c’est son implication à un moment de lisibilité qui fut à la fois le gage de son succès et l’agent de sa disparition (en tant qu’activité singulière). Cette lisibilité est le fruit de longs acquiescements à un espace (que l’on prend trop souvent pour mimétique quand ce ne fut jamais l’enjeu de la peinture 2), un espace appris, dont elle est, d’une certaine façon, le dernier et le plus sage des élèves (elle n’a pas à tricher pour se faire borgne). Son irruption dans le champ des oeuvres humaines n’apporta aucune surprise conceptuelle pour un oeil que des siècles d’usage de l’enseignement Renaissant avaient su captiver et former. L’agent de sa disparition, lui, a été la superstitieuse certitude de voir en elle la réponse définitive à cette histoire, qui a balayé pendant longtemps ses véritables spécificités, les caractères mêmes de sa nouveauté : car en poursuivant un chapitre que les artistes étaient déjà en train de clore, elle se dirigeait, inévitablement, vers les limbes. Sa longue incapacité à tirer parti de sa distinction (faute de la désigner) faillit bien en faire, à défaut d’une autre peinture que la modernité naissante renvoyait au gadget pratique, le singe empaillé d’un cinéma qui ne bouge pas.

Pourtant, la clé en fut donnée dès l’origine, par l’usage que l’on en fit le plus généreusement, à des fins généalogiques : l’anamnèse. C’est bien dans un ordre du temps que se posent les balises de la singularité photographique mais, là encore, le jeu fut vite faussé : le " ça a été " supposé et énoncé dès le début de son usage ne regardait pas la photographie mais regardait avec elle, par le même conduit, répétait ainsi à l’infini la prise de vue dans la considération de la photo-objet s’interdisant de voir la photo-acte : la prise de vue était le point aveugle du champ, (au même titre que le photographe est celui de la prise de vue), c’est-à-dire rendait invisible la scénographie du désir, là où il faudrait voir jouer l’anamnèse. C’est peut-être là, selon moi, que la photographie trouvera sa forme, c’est-à-dire dans le sens ancien du terme de "formant ", la forme en creux, qui moule 3, donne la forme.

Si l’artiste est un inventeur de lieux 4(ceux du corps, de l’atelier, de l’espace de représentation), le photographe, précisément, est un inventeur de temps ; c’est dans l’aménagement de la série 5 que FiLH nous conduit le mieux à cerner cette particularité et celle de son travail dont le principal intérêt est tout de même d’avoir plus d’oeil pour lui-même que pour ce qu’il se conduit à photographier : chaque photographie (FiLH se refuse à faire le tri dans ses prises de vue) dresse peu à peu un portrait du photographe (ce que l’oeil du spectateur fouille immédiatement c’est le point aveugle où lui se trouve) et de sa situation. Le débit (rapprochement de multiples séries à l’intérieur d’une séance), le recentrage, le changement de point de vue, sont autant d’indices d’une tension qui, peu à peu, modèle l’objet photographié (modèle le modèle) au gré du temps subjectif (ce qui écarte clairement le travail de FiLH du cinéma) comme le photographe lui-même. Ce sont eux qui évoquent pour le spectateur à la fois la prise et sa mobilité, et l’on se surprend alors à fouiller le temps en espérant voir son empreinte dans l’espace de la série. Les photos manquantes sont, évidemment, les plus troublantes à cet égard.

Pour s’émanciper de la peinture, il faut que le photographe rencontre et admette la forme spécifique de son désir, et bien entendu la différence qui écarte celui-ci  du désir de peindre comme du seul désir charnel ; le problème de cette définition est remarquable en ceci qu’on décèle souvent dans l’acte (ce qui est, généralement, évoqué par les photographes mêmes) le désir d’objet bien plus que le désir de photographier (qui porte, lui, sa différence radicale d’avec la peinture en même temps qu’un commentaire sur le désir charnel).

On peut imaginer que la place démesurée qu’a pris l’instrumentation dans le projet photographique et la clôture métaphorique de cet appareillage sur une perspective bien étriquée de la représentation est pour beaucoup dans l’inaptitude du photographe à s’en émanciper, à rendre moins transitif son métier.

La conception de la photographie comme oeil (bien moins comme métaphore du regard que comme analogon technique et borgne), fable de l’oeil autonome se guidant en paraphrasant le réel, vit une étrange pérennité ; mais comme on ne paraphrase que de l’énoncé, la question serait : " quel est cet énoncé que paraphrase la photographie ? " Or le réel ne dit rien (il ne ment donc pas non plus), et se sont tus en lui le sens galiléen d’un ordre supposé du monde et son sens écrit dans la Torah, depuis que nous voyons clair dans notre langue ; la surface visible est l’écran silencieux contre lequel rebondit la parole qui nous rend à nous-mêmes 6.

C’est à ce silence du réel - duquel découle son absence de sens - que nous proposons avec violence l’organisation. La prise de vue, au même titre, est plus une affaire de chiffrage que de déchiffrage (l’injonction divine de ne pas faire d’images du monde ni de Dieu est plutôt un énoncé de l’impossible et une invitation à l’invention du monde. Il faut croire qu’elle a été peu entendue, tant est tenace la subsomption de l’objet photographique à la question photographique qui suppose, elle, le déchiffrage). Chiffrage donc : énumération, fiction. Si la photographie fictionne plus que l’oeil, c’est qu’elle est déjà dans le cadre, fiction d’oeil, chiffrage et scénographie. Qu’est-ce alors que la scénographie en photographie ? Ne serait-ce pas la réponse à la question rétinienne " quelle est l’image qui tapisse l’improbable fond de ma boîte crânienne " ? Quelle forme a le cadre dans lequel je pense ? Quel cadre pense en moi ?

Et puis-je le traverser ?

La scénographie, chez Sherman par exemple, prépare la prise de vue, la justifie hors de son temps ; la photographie semble, une fois encore, être redevable à la peinture de cette cérémonie qui imite le temps d’atelier pour réaliser une seule bonne prise ; mais si pour la peinture ou la sculpture le temps d’atelier est temps d’invention (d’effectuation à la fois de l’oeuvre et de la nature artistique du projet), la mise en scène qui précède une photographie arrache à celle-ci la fonction imaginante et, simultanément, relègue l’activité plastique hors de l’espace de production où elle se donne pour lieu de signifiance au peintre, en l’expédiant dans les sphères du préparatif théâtral, du bricolage. Dans de telles conditions, comment le photographe peut-il trouver la matière d’une définition artistique à son geste photographique, à son travail ? Et en quoi, surtout, distingue-t-il, à ce moment là, la prise de vue d’un système de représentation mimétique, ce qui dénote une double prévarication qui veut ignorer à la fois les éléments d’une définition proprement photographique et la priorité de l’acte pictural  sur le jeu des représentations ?

C’est le moment de scénographie qui peut donner à celle-ci un lieu propre : chez FiLH, la scénographie est consubstantielle à la prise de vue, elle est par nature le déroulement du processus désirant. Son modèle est invité à réinventer avec lui, à chaque nouvelle séance (dont la clôture marquera aussi celle de la série qui en est issue), les modalités de déplacements, d’occupation de l’espace, de déshabillage, à recomposer les règles qui définiront les attouchements, la participation éventuelle de FiLH à des jeux charnels, jusqu’à agir sur la prise de vue elle-même qui peut lui être confiée.

FiLH dispose les corps de ses modèles (ses interventions sont souvent saisies par l’appareil, le positionnement d’un sein, le pétrissage d’un con surgissent au gré des prises de vue dans le champ) pour, paradoxalement, écarter l’hypothèse qu’il puisse en disposer : cette intervention du photographe coupe court à la déréalisation en usage (cette déréalisation qui consiste à superposer la présentation à la représentation, pour se donner un illusoire " réel sens " - sens unique du verbe regarder - qui voudrait kidnapper le spectateur de la photo, le placer lui aussi) et nous plonge cette fois dans le désir de photographier mis en scène, simultané au désir charnel (le déchir ?) du photographe pour son modèle.

Cet acte (parodie du ça a été cher à de nombreux photographes) montre plus le traçage scénographique qu’il ne porte le témoignage de quelque élément de réel ; la scénographie, ici, reste celle du désir lui-même. Est-ce le centre d’intérêt principal de la photo ? Il faudrait décoller sans cesse sa rétine de la photo pour toucher à l’instant de ce chiffrage, au mouvement du désir.

On peut imaginer, lorsque FiLH avance dans un de ses textes de présentation (sur le site FiLH[des]org[anised]/off ) " le sujet de mes photographies est le corps et la sexualité ", avoir affaire, comme si souvent, à une confusion entre objet et sujet. Mais c’est bien du sujet, de l’agent, dont il nous parle et dont le corps bavarde par la peau : le sujet de FiLH - le sujet FiLH, donc - est un sujet que de sales habitudes romantico-psychanalytiques nous font imaginer muet en dehors du symptôme ; l’usage d’une tenace positivité ne surprend le corps dans son bavardage que malade, et la photographie semble s’être obligée pour mission, depuis Bertillon ou Nadar, d’accompagner cette lente dégradation de l’image qu’on se donne de son corps parlant ; la peau est toujours le tissu quadrillé d’un inventaire pathologique, pathologies qui errent entre l’analogie (peintures romantiques de la passion chez Nadar) et la clinique (largement, peinture de la déviance chez Kern ou, plus ambigument encore, chez Wittkin) ; on peut dire que si la photographie fut et est encore si souvent réactionnaire ou dramaturgique (fonctionnaliste ou passionnelle), c’est à l’égard de cette honte de soi et de cette incapacité à penser la bonne santé qu’elle trimballe en projetant sa pellicule sur le corps (c’est dans le recoin le plus obscur de ce tableau pathologique qu’elle a enfoui son agent, le photographe lui-même). Cette tératologie plane, là encore, n’est rendue possible qu’à la condition d’avoir cru en l’objectif. Voilà qui suppose une disponibilité toute technologique au photographe, et bien peu d’implication du sujet chez lui. Il faut bien avouer que tout concourre à le rendre introuvable : rien d’étonnant à cela, puisqu’il est l’absence même.

L’image que le sujet a de-lui même, l’image non projective, celle que ni l’autre ni le miroir ne peuvent renvoyer, est celle de la tapisserie aveugle à jamais dont ses yeux sortent, membrane impensable orbiculairement trouée (corps insaisissable tiré derrière les yeux), agitée au niveau de la bouche d’une autre béance par laquelle on " redonne de la surface " en se faisant une peau sociale (je suis le temps que je parle). L’angle mort du photographe dessine clairement son contour, celui aux bords flous des battements ciliaires qui saisit au gré des mouvements ces membres que l’enfant aura mis quelques années à prendre vraiment pour siens ; ce sont eux qui font irruption dans le champ photographique de FiLH, qui semblent trahir le secret du cadre 7 pour désigner par l’absence de sa figuration le sujet caché dans l’angle mort. Voilà pour l’action : le modelage rétablissant le photographe comme sujet.

Mais comment ça marche ?

Les visions fugitives du photographe dans son travail - ombre portée, reflets dans le miroir, retardateur (chez Denis roche, par exemple, se photographiant, toujours " s’en allant ") sont perçues comme des trouvailles intellectuelles qui jouent, étrangement, l’erreur photographique, l’intrusion incongrue que la méta machine où on la range spontanément corrige. Elles n’appellent pas plus de vérité du sujet que les images déformées des labyrinthes de glaces ou la convention sociale : en fait, elles sont le théâtre de ces mirages puisque leur lieu d’émission est déjà redistribué dans le champ de l’altérité, dans le jeu des échanges sociaux, et qu’elles ne visent à donner qu’à ceux qui possèdent déjà : au photographe lui-même, elles n’apportent qu’un modèle de convention supplémentaire qui le reconduira à la pénombre éternelle de sa boîte crânienne, aux trous élémentaires par lesquels il sort de lui-même sans aucune chance de retour.

Si quiconque, superposant la télescopie de l’objectif à la sienne, peut se voir en reconnaissant au regard du photographe un trajet identique à celui qu’il concède chaque jour à tout autre voyant, le photographe qui s’autoportraitise vit, lui, l’incertitude de ne pouvoir différencier l’image saisie de son corps par où il n’y avait personne, de celle du miroir qui ne le satisfait pas : il n’a pas accès à ce subtil mélange de conventions et de connivence qui fait que celui qui vous prend en photo est cet oeil autre auquel on donne ce pouvoir de vous reconnaître (et qui communie avec vous devant la photo de votre visage, vous reconnaissant à nouveau). Devant le miroir, c’est encore le visage de peau, qui retourne la membrane comme un sac, celui d’une convention qui inquiète le corps plus qu’elle ne le renseigne. Le photographe se glace dans cette utopie intenable (celle d’un corps se définissant dans un acte étrangement linguistique et inaudible) qui le tient à distance, dans ce statut d’éternel électeur des autres, que rien ne vient élire.

Toucher le modèle (le modeler, donc) c’est faire trembler puis traverser la membrane de la métaphore (dénaturer la prise de vue en tant qu’elle est déjà considérée comme acquise, et inquiéter à son tour cette certitude) pour se positionner dans le lieu de sa propre disparition, confondre " ce qu’on voit " et " par où on voit ", les inconciliables éternels de la photo. FiLH réconcilie la photo avec ce lieu par lequel elle se manque (elle manque à elle). Il conjugue alors vraisemblance et ressemblance, moment de vérité et espace de réel.

Si FiLH associe tout son travail, jusqu’aux vues ne montrant rien d’obscène (qui ne pénètrent pas l’inventaire légal du X), à la pornographie, c’est qu’il positionne justement le désir à l’endroit où LUI se trouve : et voici, peut-être, pour le corps parlant, le point de départ d’une bonne santé.

L.L. De Mars - Janvier/Mars 2001


1 J'appellerai membrane l'impossible corps réel, celui qui ne peut jamais être connu, et qui, par son éloignement infini dès que l'on se donne à la tentation de le trouver, permet paradoxalement de définir ce qui, en dehors de lui, pourra toucher à la dimension du réel - insaisissable, muet - et ce qui, en lui, touche à la vérité du sujet : c'est le corps frontalier ; l'expérience que nous faisons de l'altérité est, par la propriété imperméable - absolument - de la membrane, à la fois une expérience d'advention et de retirement : c'est l'organicité vécue comme espace théorique à la fois de désignation silencieuse du monde (le réel contre lequel on se heurte) et de coupure de celui-ci par la parole (l'opération de transformation symbolique qui propose à la cécité et au mutisme du réel la réalité bavardée, l'expérience de l'énoncé infini qui portraitise la frontière d'une métaphore seconde - seconde membrane -, celle du Monde dit, le seul habitable et habité par le sujet) RETOUR

2 Ce que les Renaissants appelaient alors la " ressemblance " était tout entier voué à la recherche de la Vérité et non du réel. Voilà qui laissait ouverte la Divine fracture entre l'immanent et le transcendantal ; on pourrait voir naître la ressemblance au sens où nous l'entendons désormais bien après la réponse photographique, dans la peinture hyperréaliste, là où précédemment, sur la question de la représentation, c'est en terme de vraisemblance que se posait la figuration. En ceci, la peinture hyperréaliste est, probablement, la seule peinture muette. RETOUR

3 Moule et modèle puisent leur étymologie à la même source, celle de modus, la manière, puis de modulus, la mesure. Que le modèle donne la mesure du photographe, voilà qui surprendrait probablement si l'on oubliait combien celui-ci a vu longtemps reléguer loin derrière les propriétés de sa prise de vue, pour le singulariser, la collection d'objets photographiés dont il s'est fait spécialité. RETOUR

4 Je renvoie ici à l'excellent analyse qu'en fit G. Didi-Huberman dans son Être crâne, consacré aux travaux de Giuseppe Penone. (Minuit) RETOUR

5 Il est curieux, à ce titre, que les premières tentatives de sériation furent picturales, que les cathédrales de Monet, par exemple, aient précédé ce qui, dans l'histoire de la photographie marquera de façon signifiante son émancipation par l'acceptation de ses propriétés, qu'il s'agisse de séries à l'identique (propriétés technologiques) ou de séquences (propriétés instrumentales); il faut croire que l'affaire est encore bien loin d'être entendue, puisque, dès qu'elle quitte le livre, la photographie continue généralement à singer la peinture en s'encadrant, solitaire, agrandie, sur les cimaises des galeries. RETOUR

6 De là, on pourrait tirer une fois encore quelques conclusions générales sur l'activité humaine, le balisage du réel (ce qu'on dit, l'enfant ne l'ignore pas et c'est une source inépuisable de vertige lexical, s'épuise dans la répétition et ne devient plus qu'un filet d'air qui siffle d'une gorge comme d'une bouilloire). Mais à quoi bon? Le réel, c'est la chimère de celui qui ne raconte pas d'histoires. Ce monstre là a trop de têtes pour les laisser dénombrer ; il y en aurait au moins une par homme, une qui soit entièrement consacrée à chacun… et qui, dans ces conditions, ne voudrait pas se donner un peu à l'hydre qui lui offre une place pour l'histoire ? Étrange espèce que la nôtre, qui ne se supporte que là où rien ne la distingue des autres, et qui abjure chaque jour le miroir de sa singularité, comme un poulpe déclarant la guerre à tout ce qui porte tentacule. RETOUR

7 De l'hypothèse métaphysico-organique esquissée ici de la membrane, cadre sans contour fixe, redoublé dans la découpe orbiculaire, source vertigineuse de toute classification jusqu'à la clôture du cadre pittoresque qui scelle les œuvres aux murs, on trouve cette étrange prescience dans Le retour d'Artaud, le mômo, où celui-ci brosse son ultime autoportrait :
Non la membrane de la voûte,
non le membre omis de ce foutre
d'une déprédation issu
mais une carne
hors membrane,
hors de là où c'est dur ou mou
Et plus loin :
Après ?
Après il est ce trou sans cadre
que la vie voulut encadrer
parce qu'il n'est pas un trou
mais un nez
qui sut toujours trop bien renifler
le vent de l'apocalyptique tête
qu'on pompe sur son cu serré
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