III
on
: je le vois sur l’autre rive, et comment je me re-trouve avec lui
maintenant ? Il me repère, je lui fais signe. Ma main glissait
sur la rambarde, elle se soulève. Quel mouvement plus cohérent
? Et avec joie ! Et merde ! seulement après : comment j’ai
pu oublier, en traversant le pont pour aller à sa rencontre,
que c’était vers lui que je me dirigeais ? Au point de m’y
cogner sur l’autre rive ! Et maintenant : englué avec cette
femme aux pieds lourds... avec un sac du même poids au bout
de chaque bras ! Des couches de vrai mêlées à
des strates mensongères pour étouffer ma voix de lui
évoquer ma joie ! Comment m’en débarrasser ? Encore
une fuite qui ressemble à un trou, sûr qu’il n’est
pas dupe l’Anglais ! Ses deux globes de cristal le montrent bien...
Pas un mouvement, pas un cillement de paupières : dans mes
ultimes retranchements, une seule arme, une soustraction justement
: celle de mon corps qui le protégeait du soleil... Paf !
En plein dans les yeux ! Pas bougé, cillé, rien !
Un anglais avec les yeux trempés d’un africain... Juste une
chose à faire : les deux soleils dans ses yeux qui réveillent
l’autre derrière moi, et le souvenir de l’ivrogne et de son
anus éméché... Remettre tout ça dans
l’ombre. Des actions ! et elles sombrent... une fuite et c’est le
trou ; une arme brusquement lumineuse et peau de balle ! À
croire qu’on est bon que pour les réactions. La télé,
l’espoir, l’autoroute, les survets débridés : bourses
vouées à la fluidité... Tu es où là
! Huitièmement : attention. Ce que je lis en ce moment ?
Le salaud ! Il n’a quand même pas tout deviné. Law-lita,
avec le plus bel accent anglais. Sauvé mais... son rire ne
va pas durer. Ben tiens ! allons au cimetière ensemble...
comment je peux devenir aussi idiot ! Une visite du cimetière
: exactement le genre de choses qui peut l’enthousiasmer. Bien délier
ma langue avant ma Liseuse, et pas que des conneries se jettent
de la bouche comme ça ! Trouver quelqu’un, voilà,
huitièmement : un inconnu, échauffement de la langue
et de la voix. Meilleure idée que le plan statue-redingote...
En rencontrer un c’est bon : un, pour l’entraînement ; deux
pour attirer celle dont je veux étudier la cambrure. Sûr
que de parler du rendez-vous à un inconnu créera un
phénomène d’appeau. Ma Liseuse aura ainsi l’oreille
rompue aux charmes qu’elle m’a lancés et que j’entends lui
offrir en écho ! Bon, une chance que Lawrence ait eu un rendez-vous
lui aussi. Peut-être pas plus proche dans le temps que le
mien ! Peut-être le même que le mien ! Je sonne et sans
qu’un pas résonne et sans que j’ai fini de sonner on ouvre.
C’est Lawrence, déjà comme chez lui, qui apparaît
! Le salaud m’a devancé ! Derrière, entre son épaule
et sous le panama de l’anglais, le regard de ma Liseuse... Elle
porte son putain de chapeau et c’est lui qui ouvre ! Le grésillement
de la sonnette s’amplifie, mon index s’enfonce, mon bras puis c’est
l’endocytose... GROS TITRE : Disparition à Parano-City :
un prétendant est digéré par une sonnette :
même pas d’alarme ! Au sujet du huitièmement — c’est
l’inconnu —, ne pas choisir : le rencontrer. Nommer, décider,
désigner, se fait sur les bases d’un savoir, je suis certain
d’avoir en tête le portrait-robot de l’inconnu que j’aimerais
rencontrer... Une dizaine de moustaches, quinze paires d’yeux, des
traits à revendre ! Le rencontrer fortuitement, et ce ne
sera plus par hasard pourtant, maintenant. Oublier ce chapitre de
mon plan pour qu’il vive. On croit souvent que je détourne
le sens des choses, des mots. Comprends pas ! On crée du
sens, ou on exhume ce que le monde inhume lâchement. Ce ne
sont pas des jeux — quelle jubilation pourtant, parfois. Et si je
deviens traître, ce n’est pas aux mots, aux choses, aux sens...
C’est au monde tel qu’on le fait, tel qu’il parle. Je ne suis pas
sensible aux codes. Tant mieux ! On y façonne que tricherie
! Ehi ! Les pêcheurs... combien de... l’anglais est parti
depuis quand ? Même pas vu passés ! Un chômeur
en survet, deux retraités : plus d’espace sur ce bout de
terre. Un autre se pointe et c’est le bouc... l’émissaire
du mauvais oeil ! Cimetière ou...? La mise impeccable de
Lawrence m’a donné envie, envie de tâcher quelque chose.
De peindre, de gratter, frotter, faire grouiller des vers de belles
images, ou du vide. Que ça remue quand on regarde ! Qu’on
voie ce que ça donne vibrer ! Beau, belles ! Le beau s’est-il
toujours imposé à nous de manière aussi despotique
? Quand je pense au Boudiné, au jugement si âpre en
matière d’art ! Fasciné, alors même qu’il est
devenu photographe, par les images publicitaires pour la lingerie
Aubade... Les images pigeonnantes — cette idée pour
faire un relevé topographique d’une certaine zone du corps
—, images qui le font devenir pigeon ! Voilà comment on devient
un porc de consommateur, sans débourser ! Juste en consommant
ces images et les élevant au rang de beauté par fascination.
Aucun choc, s’il se procurait de la lingerie : la porter, pour quelque
perversion de son goût. En attendant " il faut absolument
que je chope les trois dernières leçons " ! Le
type même d’image que j’entends transformer, et en faire ressortir
la puanteur, la grouille dissimulée, le mensonge triché...
Avec une technique qui, en dix secondes, montre vite le pays du
Gore, sans faire table rase de la forme. Un bus, oui. Bon, courage
au Boudiné dans sa recherche : dans les magasins de lingerie
on me donne toutes sortes d’affiches : " pas les Aubade "
! Mon Boudiné je t’adore ! De ton surnom surgit cette femme
aux pieds de baudruche emplis d’eau chaude ! Avec une bosse du chameau
de Nietzche dans chaque main ! Chaude ! Pour l’apathique souplesse
de ses arpions mais... si je t’avais là je dirais tiède
! Je préciserais. Mais j’ai décidé de prendre
un bus, le premier qui passe. Qu’elle porte ! Ses sacs dans ce désert,
et son détour aux pieds mous à la rencontre avec l’échelle...
Quelle... neuvièmement : commencer à m’inquiéter
de l’heure. Midi ou 14 heures ? Avec ce monde il est... Encore une
avec des sacs c’est pas vrai ! Pas mal. Qu’est-ce qu’elle fait,
fouille ? Ah... C’est vrai qu’elle est plutôt encombrée.
D’accord... le ticket dans la bouche... Range le reste, " vous
permettez ...". Houla ! ça serre ! Ouuuui ! C’est vrai
qu’il y a foule... ça va, maman ! Elle ne pouvait que rester
muette c’est vrai. Allez... j’ai juste poinçonné,
c’était ta bouche... Même pas touchée ! Qu’est-ce
qu’ils ont tous !? " Tenez ". Merde ! Je ne peux pas lui
glisser en retour dans le même local... Plus maintenant, avec
tous ces yeux... Une poche, une poche vite. C’est quel bus d’abord
? Très important. Un 8, bon... Et le ticket !? Elle doit
l’avoir récupéré ? Houla... ce sourire... attention
à ma Liseuse ! Elle a dû récupérer. Je
pensais que tout le monde serait gêné, et elle. Mais
non : sauf, elle ! Bon... avec une hésitation dans le lâché
du coupon... On voit pourtant de drôles de trucs en ville
et dans les abris-bus les gars ! Même pas Aubade : Magnum
! Disparu cette année c’est vrai, ils sont devenus sages...
Peu importe, ou je délire ou combien de femmes dans les images
d’abris-bus... combien d’images dans les abris-bus présentent
des visages de femmes, bouches en posture de sucer ? Sans oublier
leurs mains. Davantage les doigts : l’absence des poignets. En ce
moment c’est un parfum, un flacon, tout en longueur... avec les
yeux dirigés non vers le flacon mais passant sur la pointe
et vers les yeux de Rocco. Honte de me le citer ! Pas à cause
du porno : à cause du produit. J’ai de sales affaires avec
le marché. Faudrait calmer tout ça. En le citant j’ai
l’impression d’en bouffer. Mais bon, comment faire... je suis vivant,
aujourd’hui, dans ce monde. Ce n’est pas parce que je prends un
ticket de bus de la bouche d’une femme pour le poinçonner
que je me retrouve en dehors ! Sûr qu’ils ont tous la trique
! N’ai-je pas été serviable, plein d’aménité,
galant ? Comme un souffle général quand elle a desserré
les dents ! Du genre chaud qui vient du ventre, qui le vide. Elle
entre, elle est belle, le ticket s’insère entre ses lèvres,
son oeil va au désarroi, je me saisis du ticket, elle tient
bon alors que je tire — " vous permettez..." —, j’insiste,
alentour cela provoque l’attention, les dents lâchent, les
lèvres, les voyageurs y pénètrent : voilà
le souffle ! Le râle. Ma Liseuse se peint-elle les lèvres
? Réhausse-t-elle sa pulpe de deux traits gras ! Je la vois
prononcer son prénom... En épaisseur, une seule de
ses lèvres vaut une bouche entière de Mylène
! Cela suffit, en pulpe, pour intercéder auprès d’untel,
en faveur de tel ou tel... Présenter Gros-cul à...
comment déjà... peu importe ! Une vraie mode du maquillage
ces temps-ci... Propagation des salons de coiffure... Le mannequanisme
de ce monde ! Pose d’ongles etc ! Voilà ce que je dirai à
mon inconnu : l’installer d’abord à la place de la statue,
et s’adresser à lui d’en bas. Profil trois-quarts vers lui
et un quart côté Barbies Bar, c’est moi qui porte la
redingote : " n’est-ce pas la logique du marché que
de voir proposer une pose d’ongles longs alors que le vernis ne
s’est jamais si bien vendu ? Pour l’étaler, de la surface
est nécessaire, il faut donc en créer, et vite ! Puisque
de cette couleur s’écoule de partout, elle fuit de toutes
parts ! Faites le calcul, Ô inconnu ! Faites proliférer
les ongles, multipliez les membres — en ouvrant les chaussures —
où poussent ceux-ci, augmentez la surface de cette corne....
Ajoutez le processus de la jalousie, de l’envie, de l’imitation,
chez les humains, en augmentant par cela, la surface de cette conne...
Maman et tati sont déboutées ! Nos modèles
sont devenus les modèles ! Tu ne verras pas de sitôt
ta fille dans les escarpins de ta femme, ni de sa soeur ! Où
va Freud sans les tantes ? C’est à s’en mordre la queue !
La taille de la poitrine est imposée despotiquement ! Et
pas par la chair... Par le produit qui la contient ! Jamais autant
que cet été je n’ai vu de bourrelets déborder
le soutien-gorge ! Enfin, je n’ai pas compris... Mais comment cela
pourrait être devenu un désir féminin que la
chair regorge en oppressant ? Mais c’est peut-être la gorge
qui devient opulente ? Pourtant cela ne se voit pas seulement sur
les jeunes filles ! L’homme moyen dont on parle, qui
n’existe pas sinon pour le marché, dont la chair est de pourcentage,
cet homme moyen, peut être doté d’une vulve et de seins
qui débordent ! On n’est pas débarrassé des
prêtres qu’on a déjà la Bourse et les Céréaliers
sur le dos ! Tu vois leurs édifices, comme ils sont beaux
dans la campagne, le long des autoroutes.... C’est pour moi la même
beauté que les plis soufflés par une lingerie qui
comprime et tyrannise ! Ces forteresses sonnent du même glas
! Et Ô prince Muichkine, je n’y suis pas insensible ! Voilà
comment tu es arrivé là, et voilà pourquoi
je te parle. ". Dix ou onzièmement, descendre du bus.
Qu’est-ce que je fais, je descends ou...? Incroyable tous ces travaux...
Je ne vais pas repartir dans le même délire... "
Monsieur ? ". " Oui ! ". " Votre ticket n’est
pas valable pour le parcours inverse ". Qui c’est celui-là
? Qu’est-ce qu’il... ? Le terminus... Il représente mal mon
idée de l’inconnu ! Le calmer immédiatement, et choisir
mon petit air ahuri et provocant : " Je n’ai pas, monsieur,
de ticket... ". Bien... bien ! très intelligent... Un
papier s’ajoute à ma poche arrière. Bon, autant prendre
cette rue. Le centre-ville comme vague direction. Décider
au bout de la rue : ou la gare et voir s’élever d’un quai
l’inconnu, ou aller repérer les lieux de vie de ma Liseuse.
S’asseoir face à la maison et rêver. Laisser aller
les pensées, et que l’amour diffuse au lieu d’infuser...
Trouver un bouquet peut-être, dans un jardin voisin. Offrir
des camélias en toussant... Comment se fait-il que je brise
sans cesse mes idées en les rendant ridicules, et du coup
irréalisables ! Convoquer au rendez-vous la bande du bus
et faire présent à mon adorée d’un carnet de
tickets ! À mon à-dorer ! Pas si ridicule, mais ce
n’est pas ce qui se fait... Le risque : changer l’intérêt
de ma Liseuse en désastreuse surprise ! Est-ce que les gens
sont si choqués par les manières d’agir différentes
du commun ? Peut-être pas, mais tant que celles-ci et ceux
qui agissent ainsi restent éloignés... Et il faut
approcher ma Liseuse au point d’en éprouver la cambrure !
Avoir la possibilité de connaître ses points de cambrure,
voilà ! Les cambrures de son esprit, de son pied, de son
corps ! Sur un lieu de travail on en est empêché plus
ou moins. Sa manière de ne pas dire son prénom ! Aucune
défiance : un trait d’esprit jeté dans ce qui est
possible entre nous. A-t-elle senti mon goût pour ce genre
d’intrigue ? Ou deviennent-elles indifféremment des intriguantes
dès qu’un contact masculin les presse ? Non, ce jugement
ordinaire à mon propos, ni aucun autre, elle ne l’a envisagé.
C’est sans jugement qu’elle a pu traverser les mailles. L’idée
des camélias et des quintes... Aucune crainte à ressentir
à faire ce genre d’esprit ! Elle laisse tout l’espace même
à l’imagination... Quand, et comment, l’excitation et la
joie arrêteront-elles de m’alourdir d’une charge ? Elle ouvre
les espaces que je prise. Et je me tords dans la rue avec une machine
sans production... sinon qu’elle provoque et fabrique de nouvelles
pièces ! D’autres courroies, d’autres poulies ! Peut-être
est-ce la forme que revêt ma joie ? Ridicule ? Dans ma fuite
pourtant, à travers la ville, c’est mon sentiment inexprimable
que je jette aux vents ! Les lieux où je passe, ces points
de reconnaissance dans mes errements ordinaires : c’est avec eux
aussi que je partage ma joie ! L’âme d’un faux-chevalier !
Voilà ce qui me tord ! Impatience et sensibilité morbides
! Voilà ce qui amollit mon toupet ! Ma mèche rebelle
! Elle me tombe sur les yeux si je lève la tête vers
les balcons ! Dissonances, faux-accords, et mon luth, sans l’effacer,
prend le caractère de mon âme ! Les échecs se
calculent aux pots de géraniums poussés des rambardes...
attention : ceux dont on balaie les débris soi-même
! Les voilà les toiles qu’on vient voir chez moi... Les voilà
les traces des fantômes qu’on vient saluer ! On vient les
voir comme souvenirs ! Quelle méprise ! Quand ils sont devenus
autre chose, par innocence et par candeur peut-être... Ou
par bêtise... par aveuglement. Car je n’ai plus les souvenirs
qu’on a en commun avec moi ! Et aucune volonté dans ces disparitions
! Aucune perte, ni aucune ambition à obtenir ce corps sans
membre que devient ma mémoire... Adressez-vous à mes
fantômes ! Chacun possède sa prétendue : elle
vous racontera. Chacune d’elles a ses points, liés à
un groupe, à un temps, à un monde... Jamais tout ça
ne m’a appartenu, et ne m’appartient ! Il suffit de retrouver chacune
d’elle pour me redonner un corps ! Lui redonner des membres ! Et
encore on ne me reconnaîtra pas... Déjà je serai
ailleurs.... Déjà un organe inconnu se sera formé...
sans qu’une idée vienne de comment l’articuler au corps constitué
! Déjà j’aurai rencontré une Paulina, une Lovna
! On essayera le calque dans tous les sens... Mais non ! ça
ne fonctionne pas ! Monstre ! rien ne se superpose ! C’est que ma
Lovna m’aura donné le délire américain et la
passion slave et le na ! d’un fantôme en bas-âge...
Un amour inné, un amor-né, un mort-né ! Embarqué
dans un gel de la Néva ! Ah ! le parfum des myosotis... pris
dans la glace... même les nez... en l’espèce,
s’y casseront ! Il n’y a que moi, devenu chien, et pisser sur la
Néva gelée, pour libérer ce fantôme...
Et il fuira encore : le parfum des regrets, des myosotis, n’a aucune
odeur ! Les noms de cette fleur : " plus je vous vois, plus
je vous aime ", " oreille de souris ", " ne
m’oubliez pas "... Un jeune homme nage dans une onde pure vers
une touffe de ces fleurs, il la cueille, la jette à ses amis
: " ne m’oubliez pas...! ". On ne le revit plus ! J’aurais
dû faire ce coup là à Lawrence près du
pont et des pêcheurs ! Belle sortie ! Ah ! devenir fleur dans
les ornements des dames ! Transformé en petits îlots
flottants, formant ces assiettes russes justement... Combien
de livres ai-je lu sur ce banc... Et volé le soleil aux grand-mères,
forcés de s’asseoir sur celui d’en face... Allez, deux secondes
j’ai tout le temps... Celle qui décrépissait, c’était
dû au vol de la lumière ou...? Une, puis à deux
pour la soutenir, puis jamais revue... Ne m’oubliez pas ! Oui je
pense à toi mamie ! Les myo-sotis : muscles de la mémoire
! Atterré d’abord par la présence de l’anglais au
plus près de ma Liseuse, retour et je sonne. Elle ouvre cette
fois. Jet d’un petit bouquet de muscles bleuis, à la figure,
ah ! —bras resté tendu et main ouverte vers la femme, visage
tourné vers la rue — ah ! seule force, seul venin des faux-chevaliers
! Ou peut-être a-t-elle donné rendez-vous à
plusieurs prétendants ? Les types du bus déjà,
opéraient un premier regroupement... je n’aurais pas vu un
signe de l’un d’entre eux... " viens t’échauffer avec
nous, allez " ! Mon refus de voir ce signe, cette indépendance
et le coup du ticket : ce savoir-faire les effraie ! Ils brandissent
comme une arme menaçante l’histoire du coupon ! L’un d’eux
tient même la pièce à conviction : c’est lui
qui a récupéré le ticket ! S’y inscrivent la
ligne empruntée, l’heure exacte de la traîtrise et
les marques du rouge à lèvres ! Alors seulement l’anglais
survient : de loin, il m’a vu monter dans un 8... Les hordes de
hyènes ! ça hurle... Cette poubelle ! Toujours débordant
de canettes, boîtes écrasées, vieux casse-croûtes...
Pourquoi est-elle si près du banc... Les mouches... Les merdes
de chiens dans l’herbe, avec cette chaleur... Allez ! Rien oublié
; ni le salut à mamie ni un livre ! Les hordes de hyènes,
la gueule par en dessous, me repoussant dans un coin du canapé
! Tout tassé, privé de soleil... " Et que ce
traître ne brille plus ! ", sinon sous les feux de l’opprobre
! Une cangue au cou, et de yourtes en yourtes ! Ah Ah ! Douzièmement
: s’abstenir de tout geste théâtral lorsqu’on se promène
seul dans la rue... Pourquoi...? À cause de ce mur qui longe,
sans ouvertures et haut ? Cet écran ! Enfin, je préférerais
ne pas en faire... Et qu’une sorte de relief continue à se
déplacer à la surface, de manière imperceptible...
Qu’on me laisse tranquille ! Du mur : pas de la fonction, pas de
la beauté, pas de la dureté ! Juste un anonymat...
Une ou deux affiches peut-être, là, je serai gagné
aussi par son immobilité, et deviendrai carrément
invisible ! Pour les rapports humains adressez-vous à mon
Bureau... Choisissez un secrétaire — c’est une des fonctions
de mes fantômes... qui transmettra ! On vous écrira,
on vous rappellera... On se souviendra on vous aimera... Penser
au douzièmement ! Pas de mouvements, pas de paroles, pas
d’âge... quelques berniques, juste quelques stries, sillages
de bigorneaux, lentes marques des verges molles du temps... une
anémone de mer sous chaque arcade... Quelle heure ? J’ai
peut-être le temps d’y aller à la mer ! C’est l’approche
de la gare qui me fait ça. Les anémones parme ouvertes
dans les yeux, le camélia à la boutonnière
de la redingote, le bouquet bleuté des muscles de la mémoire,
un bigorneau se déplace lentement sur la joue je sonne :
" bonjour ! ". Autant que puissent articuler les lèvres
de ma bernique...! Comme c’est charmant ! Fou ! " Plus je vous
vois, plus je vous aime " ! " Je vais tout de suite chercher
un vase... ". Laissez, laissez... un petit bocal suffira, j’ai
peu besoin qu’on supporte ma vénusté ! Vous l’installerez
devant ce mur... La horde des hyènes ! ça hurle !
Lâche la sonnette ! Rétracte-toi polype mou ! Retirez-vous
tentacules ! L’actinie bée, l’acte inhibé, freiné,
l’acte effréné, freiné ! La Néva m’emporte,
comment c’est, pour les horaires ? " Votre attention s’il vous
plaît. Quai 5, les voyageurs à destination... "
de ma Liseuse, sa voix et fond la glace de la Néva... Un
train sans arrêt jusqu’à elle... Sans cesse. Quand
mais... je ne sais même plus à quelle heure on a rendez-vous
! Ne pas faire de cet oubli un nouveau point dans mon plan... Honte
! " Shame on you " résonne sous un panama ! La
trogne ! Complètement pété le type ! Sûr
que c’est pas mon inconnu ! Qu’est-ce qu’il va me demander... des
francs, du tabac... Avant ils faisaient les snobs : " ah !
c’est des roulées... ". À rouler, elles
étaient à rouler ! Non ! Non !? Le nom du batteur
de Kiss !? Putain, alors là... Il tue lui ! Ben tiens ! Quand
même...! Ni deux, ni un, ni 50 centimes... La politesse !
Tout est permis avec cette politesse... Comme les travaux en tout
genre... Merci de votre compréhension ! Et hop ! ... forcé
de supprimer 2000 emplois, merci de votre compréhension !
C’est la loi du marché ! Et hop ! Ah, enfin une belle invention...
la ligne de discrétion. Gare, Poste... un espace entre
guichet et file d’attente. Une ligne tracée sur le sol...
Peu friand des frontières pourtant... Moi, et le sol aussi,
le sol prise peu les frontières ! ça pousse ! C’est
dingue d’en arriver là, comme avec les troupeaux ! Des troupeaux
intelligents... et avec une conscience : si on est pressé,
si tout l’occident presse l’individu et son colon contre l’angle
saillant du guichet ce n’est pas par curiosité. Juste vite
atteindre le but fixé ! Même si ce n’est qu’un
timbre... La seule fierté : qu’enfin le but soit oblitéré
! Tristesse... je me demande si le ciel ne va pas être bas,
et la marée... les actinies flasques et recroquevillées...
Cette facilité à tomber dans le triste... Énergie
pompée, pouvoir d’agir effacé, empoisonné.
" Un aller simple ", suffisamment de trains doivent circuler.
Et ça prend quoi...? une demi-heure... Vérifier quand
même. C’est elle ! Qu’est-ce... c’est elle ! C’est ! Ma mèche,
son nom déjà ? Mais non, espèce d’âne
! Ma langue est pas échauffée ! Juste " un aller
simple... merci... au revoir...", et " non, mais je connais
celui du guitariste, et du bassiste " et un refus à
propos d’argent... Et puis c’est pas l’heure ! Allez j’y vais, et
on va à la mer... Je vais tout te montrer... ce sera marée
basse, et je vais tout expliquer... C’est mille fois mieux la marée
basse avec un ciel gris comme ça ! Et toutes ces odeurs que
j’adore ! Vase, sel, iode, algues, coquillages ! La ligne de discrétion
que fait l’écume sur le sable ! On va... Okay ! Une chance
qu’elle se soit tournée pour composter... Elle n’a pas du
tout le profil ! Comment j’ai pu la reconnaître de dos ? Jamais
vu ses fesses, ses jambes... comment elle se déplace... ce
qu’elle dérange quand elle bouge... Treizièmement
: ne pas observer tous les corps, des hanches aux pieds, pour voir
si ça colle à ma Liseuse... C’était peut-être
mon inconnu !? Compter les marches... une, deux, trois... c’était
peut-être mon inconnu... Too late ! Un rire résonne
sous un panama... Peut-être qu’il est là l’anglais...
cinq... six... Me regarde descendre... sept... mes hanches s’enfoncer
dans l’escalier... huit... compte à rebours égrené
à l’envers... logique : je m’approche du temps de ma Liseuse
en m’éloignant du lieu de rendez-vous ! Je coule... Fait-il
un geste pour me sauver !? Les épaules, neuf, le cou, est-ce
qu’il est là ? Est-ce qu’il voit mon corps disparaître...
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