Moteurs
ou
Les Augures


Stéphane Batsal & L.L. De Mars


III

 



on : je le vois sur l’autre rive, et comment je me re-trouve avec lui maintenant ? Il me repère, je lui fais signe. Ma main glissait sur la rambarde, elle se soulève. Quel mouvement plus cohérent ? Et avec joie ! Et merde ! seulement après : comment j’ai pu oublier, en traversant le pont pour aller à sa rencontre, que c’était vers lui que je me dirigeais ? Au point de m’y cogner sur l’autre rive ! Et maintenant : englué avec cette femme aux pieds lourds... avec un sac du même poids au bout de chaque bras ! Des couches de vrai mêlées à des strates mensongères pour étouffer ma voix de lui évoquer ma joie ! Comment m’en débarrasser ? Encore une fuite qui ressemble à un trou, sûr qu’il n’est pas dupe l’Anglais ! Ses deux globes de cristal le montrent bien... Pas un mouvement, pas un cillement de paupières : dans mes ultimes retranchements, une seule arme, une soustraction justement : celle de mon corps qui le protégeait du soleil... Paf ! En plein dans les yeux ! Pas bougé, cillé, rien ! Un anglais avec les yeux trempés d’un africain... Juste une chose à faire : les deux soleils dans ses yeux qui réveillent l’autre derrière moi, et le souvenir de l’ivrogne et de son anus éméché... Remettre tout ça dans l’ombre. Des actions ! et elles sombrent... une fuite et c’est le trou ; une arme brusquement lumineuse et peau de balle ! À croire qu’on est bon que pour les réactions. La télé, l’espoir, l’autoroute, les survets débridés : bourses vouées à la fluidité... Tu es où là ! Huitièmement : attention. Ce que je lis en ce moment ? Le salaud ! Il n’a quand même pas tout deviné. Law-lita, avec le plus bel accent anglais. Sauvé mais... son rire ne va pas durer. Ben tiens ! allons au cimetière ensemble... comment je peux devenir aussi idiot ! Une visite du cimetière : exactement le genre de choses qui peut l’enthousiasmer. Bien délier ma langue avant ma Liseuse, et pas que des conneries se jettent de la bouche comme ça ! Trouver quelqu’un, voilà, huitièmement : un inconnu, échauffement de la langue et de la voix. Meilleure idée que le plan statue-redingote... En rencontrer un c’est bon : un, pour l’entraînement ; deux pour attirer celle dont je veux étudier la cambrure. Sûr que de parler du rendez-vous à un inconnu créera un phénomène d’appeau. Ma Liseuse aura ainsi l’oreille rompue aux charmes qu’elle m’a lancés et que j’entends lui offrir en écho ! Bon, une chance que Lawrence ait eu un rendez-vous lui aussi. Peut-être pas plus proche dans le temps que le mien ! Peut-être le même que le mien ! Je sonne et sans qu’un pas résonne et sans que j’ai fini de sonner on ouvre. C’est Lawrence, déjà comme chez lui, qui apparaît ! Le salaud m’a devancé ! Derrière, entre son épaule et sous le panama de l’anglais, le regard de ma Liseuse... Elle porte son putain de chapeau et c’est lui qui ouvre ! Le grésillement de la sonnette s’amplifie, mon index s’enfonce, mon bras puis c’est l’endocytose... GROS TITRE : Disparition à Parano-City : un prétendant est digéré par une sonnette : même pas d’alarme ! Au sujet du huitièmement — c’est l’inconnu —, ne pas choisir : le rencontrer. Nommer, décider, désigner, se fait sur les bases d’un savoir, je suis certain d’avoir en tête le portrait-robot de l’inconnu que j’aimerais rencontrer... Une dizaine de moustaches, quinze paires d’yeux, des traits à revendre ! Le rencontrer fortuitement, et ce ne sera plus par hasard pourtant, maintenant. Oublier ce chapitre de mon plan pour qu’il vive. On croit souvent que je détourne le sens des choses, des mots. Comprends pas ! On crée du sens, ou on exhume ce que le monde inhume lâchement. Ce ne sont pas des jeux — quelle jubilation pourtant, parfois. Et si je deviens traître, ce n’est pas aux mots, aux choses, aux sens... C’est au monde tel qu’on le fait, tel qu’il parle. Je ne suis pas sensible aux codes. Tant mieux ! On y façonne que tricherie ! Ehi ! Les pêcheurs... combien de... l’anglais est parti depuis quand ? Même pas vu passés ! Un chômeur en survet, deux retraités : plus d’espace sur ce bout de terre. Un autre se pointe et c’est le bouc... l’émissaire du mauvais oeil ! Cimetière ou...? La mise impeccable de Lawrence m’a donné envie, envie de tâcher quelque chose. De peindre, de gratter, frotter, faire grouiller des vers de belles images, ou du vide. Que ça remue quand on regarde ! Qu’on voie ce que ça donne vibrer ! Beau, belles ! Le beau s’est-il toujours imposé à nous de manière aussi despotique ? Quand je pense au Boudiné, au jugement si âpre en matière d’art ! Fasciné, alors même qu’il est devenu photographe, par les images publicitaires pour la lingerie Aubade... Les images pigeonnantes — cette idée pour faire un relevé topographique d’une certaine zone du corps —, images qui le font devenir pigeon ! Voilà comment on devient un porc de consommateur, sans débourser ! Juste en consommant ces images et les élevant au rang de beauté par fascination. Aucun choc, s’il se procurait de la lingerie : la porter, pour quelque perversion de son goût. En attendant " il faut absolument que je chope les trois dernières leçons " ! Le type même d’image que j’entends transformer, et en faire ressortir la puanteur, la grouille dissimulée, le mensonge triché... Avec une technique qui, en dix secondes, montre vite le pays du Gore, sans faire table rase de la forme. Un bus, oui. Bon, courage au Boudiné dans sa recherche : dans les magasins de lingerie on me donne toutes sortes d’affiches : " pas les Aubade " ! Mon Boudiné je t’adore ! De ton surnom surgit cette femme aux pieds de baudruche emplis d’eau chaude ! Avec une bosse du chameau de Nietzche dans chaque main ! Chaude ! Pour l’apathique souplesse de ses arpions mais... si je t’avais là je dirais tiède ! Je préciserais. Mais j’ai décidé de prendre un bus, le premier qui passe. Qu’elle porte ! Ses sacs dans ce désert, et son détour aux pieds mous à la rencontre avec l’échelle... Quelle... neuvièmement : commencer à m’inquiéter de l’heure. Midi ou 14 heures ? Avec ce monde il est... Encore une avec des sacs c’est pas vrai ! Pas mal. Qu’est-ce qu’elle fait, fouille ? Ah... C’est vrai qu’elle est plutôt encombrée. D’accord... le ticket dans la bouche... Range le reste, " vous permettez ...". Houla ! ça serre ! Ouuuui ! C’est vrai qu’il y a foule... ça va, maman ! Elle ne pouvait que rester muette c’est vrai. Allez... j’ai juste poinçonné, c’était ta bouche... Même pas touchée ! Qu’est-ce qu’ils ont tous !? " Tenez ". Merde ! Je ne peux pas lui glisser en retour dans le même local... Plus maintenant, avec tous ces yeux... Une poche, une poche vite. C’est quel bus d’abord ? Très important. Un 8, bon... Et le ticket !? Elle doit l’avoir récupéré ? Houla... ce sourire... attention à ma Liseuse ! Elle a dû récupérer. Je pensais que tout le monde serait gêné, et elle. Mais non : sauf, elle ! Bon... avec une hésitation dans le lâché du coupon... On voit pourtant de drôles de trucs en ville et dans les abris-bus les gars ! Même pas Aubade : Magnum ! Disparu cette année c’est vrai, ils sont devenus sages... Peu importe, ou je délire ou combien de femmes dans les images d’abris-bus... combien d’images dans les abris-bus présentent des visages de femmes, bouches en posture de sucer ? Sans oublier leurs mains. Davantage les doigts : l’absence des poignets. En ce moment c’est un parfum, un flacon, tout en longueur... avec les yeux dirigés non vers le flacon mais passant sur la pointe et vers les yeux de Rocco. Honte de me le citer ! Pas à cause du porno : à cause du produit. J’ai de sales affaires avec le marché. Faudrait calmer tout ça. En le citant j’ai l’impression d’en bouffer. Mais bon, comment faire... je suis vivant, aujourd’hui, dans ce monde. Ce n’est pas parce que je prends un ticket de bus de la bouche d’une femme pour le poinçonner que je me retrouve en dehors ! Sûr qu’ils ont tous la trique ! N’ai-je pas été serviable, plein d’aménité, galant ? Comme un souffle général quand elle a desserré les dents ! Du genre chaud qui vient du ventre, qui le vide. Elle entre, elle est belle, le ticket s’insère entre ses lèvres, son oeil va au désarroi, je me saisis du ticket, elle tient bon alors que je tire — " vous permettez..." —, j’insiste, alentour cela provoque l’attention, les dents lâchent, les lèvres, les voyageurs y pénètrent : voilà le souffle ! Le râle. Ma Liseuse se peint-elle les lèvres ? Réhausse-t-elle sa pulpe de deux traits gras ! Je la vois prononcer son prénom... En épaisseur, une seule de ses lèvres vaut une bouche entière de Mylène ! Cela suffit, en pulpe, pour intercéder auprès d’untel, en faveur de tel ou tel... Présenter Gros-cul à... comment déjà... peu importe ! Une vraie mode du maquillage ces temps-ci... Propagation des salons de coiffure... Le mannequanisme de ce monde ! Pose d’ongles etc ! Voilà ce que je dirai à mon inconnu : l’installer d’abord à la place de la statue, et s’adresser à lui d’en bas. Profil trois-quarts vers lui et un quart côté Barbies Bar, c’est moi qui porte la redingote : " n’est-ce pas la logique du marché que de voir proposer une pose d’ongles longs alors que le vernis ne s’est jamais si bien vendu ? Pour l’étaler, de la surface est nécessaire, il faut donc en créer, et vite ! Puisque de cette couleur s’écoule de partout, elle fuit de toutes parts ! Faites le calcul, Ô inconnu ! Faites proliférer les ongles, multipliez les membres — en ouvrant les chaussures — où poussent ceux-ci, augmentez la surface de cette corne.... Ajoutez le processus de la jalousie, de l’envie, de l’imitation, chez les humains, en augmentant par cela, la surface de cette conne... Maman et tati sont déboutées ! Nos modèles sont devenus les modèles ! Tu ne verras pas de sitôt ta fille dans les escarpins de ta femme, ni de sa soeur ! Où va Freud sans les tantes ? C’est à s’en mordre la queue ! La taille de la poitrine est imposée despotiquement ! Et pas par la chair... Par le produit qui la contient ! Jamais autant que cet été je n’ai vu de bourrelets déborder le soutien-gorge ! Enfin, je n’ai pas compris... Mais comment cela pourrait être devenu un désir féminin que la chair regorge en oppressant ? Mais c’est peut-être la gorge qui devient opulente ? Pourtant cela ne se voit pas seulement sur les jeunes filles ! L’homme moyen dont on parle, qui n’existe pas sinon pour le marché, dont la chair est de pourcentage, cet homme moyen, peut être doté d’une vulve et de seins qui débordent ! On n’est pas débarrassé des prêtres qu’on a déjà la Bourse et les Céréaliers sur le dos ! Tu vois leurs édifices, comme ils sont beaux dans la campagne, le long des autoroutes.... C’est pour moi la même beauté que les plis soufflés par une lingerie qui comprime et tyrannise ! Ces forteresses sonnent du même glas ! Et Ô prince Muichkine, je n’y suis pas insensible ! Voilà comment tu es arrivé là, et voilà pourquoi je te parle. ". Dix ou onzièmement, descendre du bus. Qu’est-ce que je fais, je descends ou...? Incroyable tous ces travaux... Je ne vais pas repartir dans le même délire... " Monsieur ? ". " Oui ! ". " Votre ticket n’est pas valable pour le parcours inverse ". Qui c’est celui-là ? Qu’est-ce qu’il... ? Le terminus... Il représente mal mon idée de l’inconnu ! Le calmer immédiatement, et choisir mon petit air ahuri et provocant : " Je n’ai pas, monsieur, de ticket... ". Bien... bien ! très intelligent... Un papier s’ajoute à ma poche arrière. Bon, autant prendre cette rue. Le centre-ville comme vague direction. Décider au bout de la rue : ou la gare et voir s’élever d’un quai l’inconnu, ou aller repérer les lieux de vie de ma Liseuse. S’asseoir face à la maison et rêver. Laisser aller les pensées, et que l’amour diffuse au lieu d’infuser... Trouver un bouquet peut-être, dans un jardin voisin. Offrir des camélias en toussant... Comment se fait-il que je brise sans cesse mes idées en les rendant ridicules, et du coup irréalisables ! Convoquer au rendez-vous la bande du bus et faire présent à mon adorée d’un carnet de tickets ! À mon à-dorer ! Pas si ridicule, mais ce n’est pas ce qui se fait... Le risque : changer l’intérêt de ma Liseuse en désastreuse surprise ! Est-ce que les gens sont si choqués par les manières d’agir différentes du commun ? Peut-être pas, mais tant que celles-ci et ceux qui agissent ainsi restent éloignés... Et il faut approcher ma Liseuse au point d’en éprouver la cambrure ! Avoir la possibilité de connaître ses points de cambrure, voilà ! Les cambrures de son esprit, de son pied, de son corps ! Sur un lieu de travail on en est empêché plus ou moins. Sa manière de ne pas dire son prénom ! Aucune défiance : un trait d’esprit jeté dans ce qui est possible entre nous. A-t-elle senti mon goût pour ce genre d’intrigue ? Ou deviennent-elles indifféremment des intriguantes dès qu’un contact masculin les presse ? Non, ce jugement ordinaire à mon propos, ni aucun autre, elle ne l’a envisagé. C’est sans jugement qu’elle a pu traverser les mailles. L’idée des camélias et des quintes... Aucune crainte à ressentir à faire ce genre d’esprit ! Elle laisse tout l’espace même à l’imagination... Quand, et comment, l’excitation et la joie arrêteront-elles de m’alourdir d’une charge ? Elle ouvre les espaces que je prise. Et je me tords dans la rue avec une machine sans production... sinon qu’elle provoque et fabrique de nouvelles pièces ! D’autres courroies, d’autres poulies ! Peut-être est-ce la forme que revêt ma joie ? Ridicule ? Dans ma fuite pourtant, à travers la ville, c’est mon sentiment inexprimable que je jette aux vents ! Les lieux où je passe, ces points de reconnaissance dans mes errements ordinaires : c’est avec eux aussi que je partage ma joie ! L’âme d’un faux-chevalier ! Voilà ce qui me tord ! Impatience et sensibilité morbides ! Voilà ce qui amollit mon toupet ! Ma mèche rebelle ! Elle me tombe sur les yeux si je lève la tête vers les balcons ! Dissonances, faux-accords, et mon luth, sans l’effacer, prend le caractère de mon âme ! Les échecs se calculent aux pots de géraniums poussés des rambardes... attention : ceux dont on balaie les débris soi-même ! Les voilà les toiles qu’on vient voir chez moi... Les voilà les traces des fantômes qu’on vient saluer ! On vient les voir comme souvenirs ! Quelle méprise ! Quand ils sont devenus autre chose, par innocence et par candeur peut-être... Ou par bêtise... par aveuglement. Car je n’ai plus les souvenirs qu’on a en commun avec moi ! Et aucune volonté dans ces disparitions ! Aucune perte, ni aucune ambition à obtenir ce corps sans membre que devient ma mémoire... Adressez-vous à mes fantômes ! Chacun possède sa prétendue : elle vous racontera. Chacune d’elles a ses points, liés à un groupe, à un temps, à un monde... Jamais tout ça ne m’a appartenu, et ne m’appartient ! Il suffit de retrouver chacune d’elle pour me redonner un corps ! Lui redonner des membres ! Et encore on ne me reconnaîtra pas... Déjà je serai ailleurs.... Déjà un organe inconnu se sera formé... sans qu’une idée vienne de comment l’articuler au corps constitué ! Déjà j’aurai rencontré une Paulina, une Lovna ! On essayera le calque dans tous les sens... Mais non ! ça ne fonctionne pas ! Monstre ! rien ne se superpose ! C’est que ma Lovna m’aura donné le délire américain et la passion slave et le na ! d’un fantôme en bas-âge... Un amour inné, un amor-né, un mort-né ! Embarqué dans un gel de la Néva ! Ah ! le parfum des myosotis... pris dans la glace... même les nez... en l’espèce, s’y casseront ! Il n’y a que moi, devenu chien, et pisser sur la Néva gelée, pour libérer ce fantôme... Et il fuira encore : le parfum des regrets, des myosotis, n’a aucune odeur ! Les noms de cette fleur : " plus je vous vois, plus je vous aime ", " oreille de souris ", " ne m’oubliez pas "... Un jeune homme nage dans une onde pure vers une touffe de ces fleurs, il la cueille, la jette à ses amis : " ne m’oubliez pas...! ". On ne le revit plus ! J’aurais dû faire ce coup là à Lawrence près du pont et des pêcheurs ! Belle sortie ! Ah ! devenir fleur dans les ornements des dames ! Transformé en petits îlots flottants, formant ces assiettes russes justement... Combien de livres ai-je lu sur ce banc... Et volé le soleil aux grand-mères, forcés de s’asseoir sur celui d’en face... Allez, deux secondes j’ai tout le temps... Celle qui décrépissait, c’était dû au vol de la lumière ou...? Une, puis à deux pour la soutenir, puis jamais revue... Ne m’oubliez pas ! Oui je pense à toi mamie ! Les myo-sotis : muscles de la mémoire ! Atterré d’abord par la présence de l’anglais au plus près de ma Liseuse, retour et je sonne. Elle ouvre cette fois. Jet d’un petit bouquet de muscles bleuis, à la figure, ah ! —bras resté tendu et main ouverte vers la femme, visage tourné vers la rue — ah ! seule force, seul venin des faux-chevaliers ! Ou peut-être a-t-elle donné rendez-vous à plusieurs prétendants ? Les types du bus déjà, opéraient un premier regroupement... je n’aurais pas vu un signe de l’un d’entre eux... " viens t’échauffer avec nous, allez " ! Mon refus de voir ce signe, cette indépendance et le coup du ticket : ce savoir-faire les effraie ! Ils brandissent comme une arme menaçante l’histoire du coupon ! L’un d’eux tient même la pièce à conviction : c’est lui qui a récupéré le ticket ! S’y inscrivent la ligne empruntée, l’heure exacte de la traîtrise et les marques du rouge à lèvres ! Alors seulement l’anglais survient : de loin, il m’a vu monter dans un 8... Les hordes de hyènes ! ça hurle... Cette poubelle ! Toujours débordant de canettes, boîtes écrasées, vieux casse-croûtes... Pourquoi est-elle si près du banc... Les mouches... Les merdes de chiens dans l’herbe, avec cette chaleur... Allez ! Rien oublié ; ni le salut à mamie ni un livre ! Les hordes de hyènes, la gueule par en dessous, me repoussant dans un coin du canapé ! Tout tassé, privé de soleil... " Et que ce traître ne brille plus ! ", sinon sous les feux de l’opprobre ! Une cangue au cou, et de yourtes en yourtes ! Ah Ah ! Douzièmement : s’abstenir de tout geste théâtral lorsqu’on se promène seul dans la rue... Pourquoi...? À cause de ce mur qui longe, sans ouvertures et haut ? Cet écran ! Enfin, je préférerais ne pas en faire... Et qu’une sorte de relief continue à se déplacer à la surface, de manière imperceptible... Qu’on me laisse tranquille ! Du mur : pas de la fonction, pas de la beauté, pas de la dureté ! Juste un anonymat... Une ou deux affiches peut-être, là, je serai gagné aussi par son immobilité, et deviendrai carrément invisible ! Pour les rapports humains adressez-vous à mon Bureau... Choisissez un secrétaire — c’est une des fonctions de mes fantômes... qui transmettra ! On vous écrira, on vous rappellera... On se souviendra on vous aimera... Penser au douzièmement ! Pas de mouvements, pas de paroles, pas d’âge... quelques berniques, juste quelques stries, sillages de bigorneaux, lentes marques des verges molles du temps... une anémone de mer sous chaque arcade... Quelle heure ? J’ai peut-être le temps d’y aller à la mer ! C’est l’approche de la gare qui me fait ça. Les anémones parme ouvertes dans les yeux, le camélia à la boutonnière de la redingote, le bouquet bleuté des muscles de la mémoire, un bigorneau se déplace lentement sur la joue je sonne : " bonjour ! ". Autant que puissent articuler les lèvres de ma bernique...! Comme c’est charmant ! Fou ! " Plus je vous vois, plus je vous aime " ! " Je vais tout de suite chercher un vase... ". Laissez, laissez... un petit bocal suffira, j’ai peu besoin qu’on supporte ma vénusté ! Vous l’installerez devant ce mur... La horde des hyènes ! ça hurle ! Lâche la sonnette ! Rétracte-toi polype mou ! Retirez-vous tentacules ! L’actinie bée, l’acte inhibé, freiné, l’acte effréné, freiné ! La Néva m’emporte, comment c’est, pour les horaires ? " Votre attention s’il vous plaît. Quai 5, les voyageurs à destination... " de ma Liseuse, sa voix et fond la glace de la Néva... Un train sans arrêt jusqu’à elle... Sans cesse. Quand mais... je ne sais même plus à quelle heure on a rendez-vous ! Ne pas faire de cet oubli un nouveau point dans mon plan... Honte ! " Shame on you " résonne sous un panama ! La trogne ! Complètement pété le type ! Sûr que c’est pas mon inconnu ! Qu’est-ce qu’il va me demander... des francs, du tabac... Avant ils faisaient les snobs : " ah ! c’est des roulées... ". À rouler, elles étaient à rouler ! Non ! Non !? Le nom du batteur de Kiss !? Putain, alors là... Il tue lui ! Ben tiens ! Quand même...! Ni deux, ni un, ni 50 centimes... La politesse ! Tout est permis avec cette politesse... Comme les travaux en tout genre... Merci de votre compréhension ! Et hop ! ... forcé de supprimer 2000 emplois, merci de votre compréhension ! C’est la loi du marché ! Et hop ! Ah, enfin une belle invention... la ligne de discrétion. Gare, Poste... un espace entre guichet et file d’attente. Une ligne tracée sur le sol... Peu friand des frontières pourtant... Moi, et le sol aussi, le sol prise peu les frontières ! ça pousse ! C’est dingue d’en arriver là, comme avec les troupeaux ! Des troupeaux intelligents... et avec une conscience : si on est pressé, si tout l’occident presse l’individu et son colon contre l’angle saillant du guichet ce n’est pas par curiosité. Juste vite atteindre le but fixé ! Même si ce n’est qu’un timbre... La seule fierté : qu’enfin le but soit oblitéré ! Tristesse... je me demande si le ciel ne va pas être bas, et la marée... les actinies flasques et recroquevillées... Cette facilité à tomber dans le triste... Énergie pompée, pouvoir d’agir effacé, empoisonné. " Un aller simple ", suffisamment de trains doivent circuler. Et ça prend quoi...? une demi-heure... Vérifier quand même. C’est elle ! Qu’est-ce... c’est elle ! C’est ! Ma mèche, son nom déjà ? Mais non, espèce d’âne ! Ma langue est pas échauffée ! Juste " un aller simple... merci... au revoir...", et " non, mais je connais celui du guitariste, et du bassiste " et un refus à propos d’argent... Et puis c’est pas l’heure ! Allez j’y vais, et on va à la mer... Je vais tout te montrer... ce sera marée basse, et je vais tout expliquer... C’est mille fois mieux la marée basse avec un ciel gris comme ça ! Et toutes ces odeurs que j’adore ! Vase, sel, iode, algues, coquillages ! La ligne de discrétion que fait l’écume sur le sable ! On va... Okay ! Une chance qu’elle se soit tournée pour composter... Elle n’a pas du tout le profil ! Comment j’ai pu la reconnaître de dos ? Jamais vu ses fesses, ses jambes... comment elle se déplace... ce qu’elle dérange quand elle bouge... Treizièmement : ne pas observer tous les corps, des hanches aux pieds, pour voir si ça colle à ma Liseuse... C’était peut-être mon inconnu !? Compter les marches... une, deux, trois... c’était peut-être mon inconnu... Too late ! Un rire résonne sous un panama... Peut-être qu’il est là l’anglais... cinq... six... Me regarde descendre... sept... mes hanches s’enfoncer dans l’escalier... huit... compte à rebours égrené à l’envers... logique : je m’approche du temps de ma Liseuse en m’éloignant du lieu de rendez-vous ! Je coule... Fait-il un geste pour me sauver !? Les épaules, neuf, le cou, est-ce qu’il est là ? Est-ce qu’il voit mon corps disparaître...

Chapitre suivant