Les Lettres ont été écrites
et mises en forme de début mars à fin mai 2001.
Elles étaient d’abord un dialogue avec le texte d’Henri Michaux
Portrait des Meidosems. Elles parodient aussi par certains côtés
les articles du volume Ethnologie Régionale de l’encyclopédie
de la Pléiade (ce qui a conduit à changer le titre en les Peuples
des Lettres).
Apollinaire, Jean Tardieu, Emmanuel Hocquard et pas mal d’autres ont été
mis à contribution.
Leur écriture a pris beaucoup plus de temps que prévu. Trop vite
et trop lentement en fait.
Le lecteur devra faire preuve de pas mal de courage, il aurait fallu une autre
présentation, en particulier des hors textes pour aérer chacun
des peuples, lui faire son territoire.
La ponctuation, la coupure des phrases, l’organisation en paragraphes
demanderait aussi du travail.
Oolong.
Les A Les A dépourvus de mains. Ils se grattent le dos contre les arbres,
font des saluts résiduels. Pour les mises à mort seulement
les bourreaux ont droit à des mains de locations. Elles sortent
alors de l'échoppe du prêteur sur gages. Les B Le peuple des B affronte le monde avec deux visages. Lors de leurs fréquents
carnavals, ils n'en masquent qu'un, mais d'un masque si couvert d'algues
qu'ils en sont méconnaissables. Les C Une statue vous fige un jardin. Elle inquiète les arbres qui n'osent
plus alors aller et venir à leur guise. (Un traité de physique C commence ainsi : "La pierre jamais ne monte à l'arbre. Mais comme une âme il arrive qu'on la jette en l'air. Un temps, alors, elle n'est plus pierre. Ainsi de l'âme et de la pierre qui aiment à rebondir sur des chairs souples"). Les D L’homme se croit très fort de généraliser sans cesse. Pas le D. Il ne connaît que l'unique. Un D marche dans une forêt, il parle, il prend son temps. Chaque arbre porte un nom, d’abord celui de son espèce, puis le sien, son nom particulier d’individu arbre. Le D fronce les sourcils, puis sourit, le V de la perplexité descend sourire sur son visage. Il attend que le nom de l’arbre arrive. Qu’il fasse son chemin. À son rythme. Si ça doit prendre trois jours, le D attend, il pose son chapeau sur le sol, s'assied dessus, et attend. Le D ne voit pas des feuilles, mais une feuille particulière,
puis une autre et d’autres encore. Ses jambes s’allongent
et se tordent pour mieux voir. Il se suspend de surprenante façon
à rien du tout, il tourne sur lui même, il dit bonjour aux
branches, une par une, aux rameaux, aux pucerons dans les feuilles. Nombreux parmi les peuples des lettres sont ceux qui prennent les D pour
des éléments décoratifs oubliés là
par la divinité lors de sa défaite contre les âmes
des V. Suivez pourtant un D assez longtemps et vous constaterez quelle
intense activité il déploie. De façon en apparence
sporadique pour l’observateur pressé. Le chiffre deux est un non sens pour un D bien constitué. Leur mathématique est indéfinie, elle porte toute entière
sur le changeant. Elle ignore les états. Pour beaucoup d’autres
peuples ce n’est pas une mathématique. Une respiration, tout
au plus, ou la cause de l'indistinction des D dans le paysage. Les D passent pour des idiots auprès des peuples du livre. Les
D s’en moquent. Ils n’impriment jamais rien. L’un, parfois,
prend sa plume (Argile) pour écrire quelques lignes sur un cahier
(Antilope) avec les mots d’une langue. Un autre D viendra qui déchiffrera
l’inscription avec une autre langue. Tout se passe très bien.
Les E L’histoire des E est coupée en deux par une expérience
infamante. Suite au désastre, il fut jugé nécessaire de changer de langage, les mots de l’ancien ayant été salis. La vieille langue a été enterrée au fond d’un puit. Les soirs de lune basse à l’ouest, elle s’essaie à la poésie devant les têtards. Ensuite, ils perdent leurs queues et tiennent à distance leurs illusions. C’est une langue sans complaisance, qui ne dit que des choses définitives. Les E tiennent leurs dents cachées. Leurs bras ne bougent pas. Lorsqu’ils se déplacent, c’est à la manière de lanières de cuir sec ballottées par le vent. Leur régime (une mesure d’écume par jour et par individu) les laisse sur leur faim. Les E se réunissent dans de grandes boites aux parois tapissées de sang et chantent. Ils ont une très belle voix. Leur nouvelle langue est pleine de mots gelés, aussi grelottent-ils souvent. Leurs mains deviennent bleues. Leur chant ne comporte qu’une phrase, et raconte une longue histoire. Tout l’art des chanteurs réside dans la façon de retenir cette phrase au bord de l'élocution. Leur nature de piquets marqués par le crime nuit à la réputation des E chez leurs voisins, et même chez les peuples lointains. Pourtant, les E pratiquent la magie immobile, qui consiste à figer le monde. Autour de leurs maisons et de leurs vases, des foules de squelettes de petits animaux témoignent de l’étendue de leurs pouvoirs. Les charognards, qui sont immunisés, se posent sur la tête des E. Certains sont leurs amis. Les F Qu'existe-t'il de plus grand qu'un F ? Même que le plus petit des enfant nouveaux nés des F ? Depuis qu'ils ont remplacé leurs corps par des droites. Et leur longévité…on dit que les F ne peuvent pas mourir. Ils sont sans épaisseur, plus que superficiels. Ils habitent pour leur malheur des maisons basses, des maisons de branchages et de brins de laine. Il s'y enroulent infiniment, jeunes et vieux, sans pudeur. Pour s'accoupler, ils choisissent une coquille d'escargot abandonnée, ou un tuyau de plomb. Ils s'emmêlent, le mâle désespère trouver le sexe de sa femelle. Elle accouche en se déchirant en deux. Dès la naissance, l'enfant d'F se traîne dans les longues dimensions. Les F pensent que leur destin est de rejoindre la chevelure des étoiles filantes, où, croient-ils, il y aurait assez de place pour tous leur peuple. Et qu'il s'étire, enfin. Les F affichent un caractère servile, veule, qui en fait des auxiliaires mineurs de la justice des peuples des lettres. Entre les mains du tueur, ce sont des garrots bruissants. Les amoureux dépités se passent la tête dans un tour de F et se laissent tomber. Mais qui est le plus triste ? du pendu ou de la corde sans fin qui lui serre le cou. À la moisson, les F se glissent pour y dormir dans des sacs d'épeautre,
invisibles et longs. Une fois l'an, ils tiennent leurs élections, d'où sort un tyran qui doit se tenir droit toutes les semaines suivantes. Les G Trop près de la nature les G s’y pas embourbent. Un oiseau croise un G. Il rigole son rire d’oiseau, car sur le dos du G les plumes cohabitent les écailles. Les G même lorsqu’ils croisent leurs doigts ont un teint de marbre, et bourbeux, suintant l’acide qui coule de leurs yeux, fangeux, branche de l’évolution oubliée sous un fort soleil et des intempéries. Ils portent sur le torse des traces de doigts, leurs angles de nez sont flous. Leur urine ils la répandent allègrement, hommes et femmes, elle fortifie la pousse des orties. Leur langage est encombré de terre, des vers nichent dans leur bouche, mais s’échappent en paroles mouches, dard en avant, leur langue est indistincte, un caillot de boue. Des bêtes disent certains, des bêtes à neuf doigts. Ces G si animaux ont un talent en toutes saisons. Ils arrêtent tout, cessent de bouger, surtout leurs yeux, essaient de les cacher sous leurs minuscules paupières et ils, oui, voilà qu’ils se transforment en mousses, ils ne pensent qu’à cette chose avec leur langue pâteuse, ce sont des mousses, des mousses sur le sol ou bien le long d’un tronc d’arbre, leur corps s’est écoulé, s’est glissé dans les fentes de l’écorce, leurs cheveux sont tombés, leur masse toute entière s’est serrée en frisures de toute petite taille. Ainsi personne ne les tient plus pour des enfants arriérés des autres peuples. Ainsi tout le monde s’accorde à les trouver très beaux, très décoratifs, plus G du tout. Mais quel effort. Ils ont peur, ils souffrent, la mousse transpire, et encore cette odeur d’urine sur leurs corps très plats tous ensemble. Les vieux G font des mousses magnifiques, humides et épaisses, mais quelle odeur, le pays des G se visite le nez bouché. Ils chassent pour le manger un animal presque totalement disparu. Ils en vivent, de cette chasse impossible. Ils savent d’avance qu’ils ne trouveront pas, mais ils écartent d’un côté puis de l’autre, soigneusement, les fougères. Ils disent « l’animal a encore disparu, il est rusé, ils nous entend venir, nous qui sommes si lourds », mais non, à dire vrai, et ils le savent, cet animal n’a jamais existé. Mais ils font comme si ils y croyaient, ils font ainsi en poussant des soupirs. Le mot dieu n’existe pas dans leur langue. Ce n’est pas grave,
ils parlent d’un animal. Ou ils se taisent. Les H Les H peuple des attirances et des exclusions. Ils ont développé
un goût marqué pour la mise à l’écart
des choses, et il leur en manque beaucoup suite à cette habitude.
Lapins, chameaux et pierres ont disparu de leurs contrées. Aussi
des idées comme l’ordre, la démocratie ou l’amour.
Car ils ne différencient pas bien les idées des sentiments
lorsqu’ils en ont. Les I Les I tisserands, tâcherons de regards, les I dépravés
lorsqu’ils jouent avec les filaments huileux de leur bave, les enroulent
à des cadrans de bois, puis les font lentement sécher sur
des feux de brindilles aromatiques. Les J Eux les J envahis des stigmates d’une langue qui n’en finit pas. Jamais je ne les ai vus actifs autrement que par la langue. Jamais autre chose en eux ne bougeait que la langue. Même se reproduire, ils le font dans le temps qu’ils parlent, ils procréent leur progéniture au long de la récitation, ils tournent les pages et se prolongent dans leurs petits. Jamais je n’en ai vu un non plus finir sa phrase, ou c’était alors pour tomber mort, langue encore tendue, gonflée, et les maxillaires doucement écartées sur ce dernier mot et aussitôt repris par un aspirant parleur et sa jeune voix alors qui sortait de l’enfance, alors cette parole. Un J s’avance sur un gouffre, il saute, voilà, l’histoire qu'il raconte commence un nouveau chapitre. Et il vole ensuite dans les paragraphes, chaque signe de ponctuation le sépare de la mer tout en bas. Il lambine dans les verbes pour reprendre un peu d’altitude. Finalement, la mer, lassée, se retire. Le J est sain et sauf, et il s’en va raconter son aventure aux autres. Les J faiseurs d’un roman par la bouche alors que d’autres peuples avec quelques mots seulement engendrent la panique. Tourneurs de paroles. Les J qui guérissent les affections mentales des leurs par la pratique des langues étrangères, mais rien de ce qui est langue ne leur est vraiment étranger, et chez eux bien d’autres peuples entreposent leur histoire. Et ce sont de grands stocks de faits significatifs et de chansons de geste séchant au soleil et aussi utilisés pour faire des bassins aux loutres, adorées suite à l’erreur de traduction d’un passage très confus du catalogue général du peuple des livres. Les K Semblables à la diversité des autres peuples, les
K vont par paires. Les L Un pays abondant en échardes variées, la plupart
longues comme le bras, larges comme la main à leur base et ensuite
très aiguës. Dans ce pays des L, on saigne énormément.
On y passe sa vie en percements. Bien des jeunes enfants se retrouvent
borgnes, ou manchots. La chair se marbre et se plisse. Les cicatrices
s’étendent en tous sens. Les M Un M, un seul M croise un N et il lui saute à la tête. Les N Les N ne croient pas du tout à cette histoire de M et de haine
définitive. D’ailleurs la majorité des N ne croient
même pas que les M puissent exister quelque part. Ils ont leurs fous. Leur ingéniosité est grande. L’un prend un marteau,
mais incertain de sa fonction, en fait un lampadaire, ou un appât
pour pécher la baleine. L’autre marche, peu persuadé
de la pesanteur, il se met à voler. Les O Aux O un mot fut volé d'abord et puis l'ensemble des mots. Cependant
ils ne cessèrent jamais de parler entre les hautes toiles dans
lesquelles ils habitent. La disparition des mots se fait à certaines saisons de l'année de façon irrégulière. Ce peut être le lundi ciel et le lendemain tous les Z qui s'évaporent, le jour suivant personne n'ose plus rien dire par peur du ridicule et de découvrir les limites encore étrécies de la langue. Les O tourneboulés par ces phénomènes et menacés d'aphasie attaquent parfois les peuples voisins pour leur voler leurs lexiques. Peine perdue, un coup de vent, un mouvement des aiguilles d'une montre et les revoilà dépourvus. Les O ont une gestuelle efficace, moulinets. Les P Ils portent l'uniforme d'une certaine icône, trouvée sur
le mur d'une caverne. Leurs longs saluts portés à coups
de pieds brisent parfois la tête de la poule imprudente qui passe.
À la puberté, on leur emboutit une corolle d'acier sur le crane, le tranchant de leur main est trempé au feu puis martelé, un de leurs orteil leur est arraché et remplacé par une pointe de métal dur, enfin une formule magique glisse dans leur oreille, c'est un serpent et un déluge, leur marche s'en trouve rigidifiée, unilatérale. Les P ne voient que d'un œil, l'autre est plein de plis. Les Q Le peuple des Q est voué à la mort. Ils vivent dans un espace très restreint agité de pulsations bleues. Un Q parle d'une voix qui vide et qui creuse. En parlant, il creuse une tombe, en mesure les bords, en ébarbe les angles. Les Q ne vont jamais à l'église. Les religieux missionnaires de tout poil pullulent parmi eux. La mort vient si vite que personne n'est tout à fait converti. Quelques uns penchés sur un bol lapent une extrême onction. Vous voudriez attraper un Q. Entre vos doigts son tissu volatile se fige, refroidit, peste un peu, et voilà, il n'est plus. Les R Ils sont partisans de la discrétion. Un R manifeste son passage dans une prairie par un brin d'herbe d'un vert plus soutenu que les autres brins d'herbe verts ou par un fil dissident dans la structure nécessaire d'une toile d'araignée. Leur action ne ressemble jamais au désordre. Une seule fois les R se réunissent, c'est alors un bouillonnement très perceptible au milieu du torrent, comme une nageoire fine. Celui qu'ils désignent en silence se manifeste au monde sous la forme d'un héros, ambassadeur des R dans l'ensemble des peuples visibles et bruyants. Il rassemble dans ses poches toutes les velléités d'extraversion des siens et devient une figure légendaire pour les autres peuples, tout courage et coups de gueule. Plusieurs peuples des lettres disent descendre des R. Leur magie est grande et ils la manifestent dans la couleur du ciel. Les S et les T S et T se partagent un territoire, avec équité. Ils poursuivent
des buts similaires. Au physique comme au moral, l’altérité les caractérise. Combien de mal à un S pour ne pas céder au matin à la tentation d’être autre. Quel effort fournit le T pour ne pas s’évacuer de l’espèce et prendre la place d’un buisson. La terre qu’ils ont reçue se montre totalement plate. Une ride dans le sable fait sensation, les familles s’y pressent, certains y espèrent la neige, ce n’est pas raisonnable. Sur ce point, platitude maudie, S et T font preuve d’une remarquable concordance de vues. Aussi ces deux peuples mêlés s’ingénient-ils sans cesse à créer des reliefs. Telle est leur grande activité. Ils y appellent en renfort tout talent propre à y contribuer. La pitié des visiteurs est telle qu’ils retroussent leurs manches, plantent un bâton dans le sol et se désolent. Des collectes régulières, mais collectes de montagnes, et le donataire inquiet se demande si son pic ne va pas lui manquer, finalement, il le réhabilite, pauvres S, tristes T. Actifs contre ce plat qui les agace, mais divergents quand aux solutions. L’un des peuple détourne l’eau autour d’un point pour le constituer en île, l’autre s’en remet à l’agriculture, bientôt les plants d’ifs grandissent, les feuilles ne sont pas tout à fait des feuilles et les animaux meurent empoisonnés. Le berger se désole. Il faut inviter de nombreux convives. Les deux peuples grimpent malaisément aux arbres avec leurs jambes palmées. Les S ont un seul bras pourvu de deux mains en son dernier tiers, l’une par dessous l’autre. Je fus accueilli en ces peuples comme statisticien. Le travail s’effectue ici au moyen d’un élevage de criquets, mâles et femelles utilisés chacun pour comptabiliser un modèle de relief. Il faut se méfier des oiseaux qui faussent les comptes. Ou du moins leur tisser une muselière. C’est un travail de grande précision, d’autant plus qu’on n’y est toujours dérangé par des S inquiets des progrès des T ou des T soucieux de la multiplication des travaux S. Quel chantier. Je perdis mon poste pour avoir trop longtemps laissé ouverte la cage à criquets à un fourmilier de passage. S et T vivent en bonne intelligence. Les enfants de mariages mixtes éprouvent quelques difficultés à la puberté, lorsqu’il leur faut eux aussi prendre la barre et la pelle. Certains, feignants, s’enfuient. Les U Peuple des livres. Les V Déroulés en silence, les V s’éparpillent dès
qu’un indiscret tente de parler d’eux. Les W Désordre aux prémisses du matin lorsque le W se lève. Accumulation du désordre, elle même désordonnée. Les aiguilles de son réveil sont tombées et se sont perdues dans le capharnaüm qui orne le sol, ou encore elles se sont nouées, cessant de se sentir aiguilles les voici chameau, les voici rivières. Un crucifix parfois a remplacé le réveil. L’heure ne revendique plus la ponctualité, et les cloches ne sonnent pas, le sort les transforma en soupières, un W y prend son bain, plié. Des bulle de sang passent dans l’air, on s’y accroche, on se précipite. Le W engendre l’entropie. L’indistinction. Le W franchit
une frontière, elle se tord, elle s’effondre, des pointillés
se marquent à sa place, finalement, ils s’en vont former
plus loin un banc de poissons. Les X Bras croisés les X - Peuples à ne rien faire mais goûter
l’amertume volcanique qui les transformera en cendres. Un gribouillis sur la falaise, croyez vous ? bien plutôt un village de X. Il pleut un volcan, l’humeur grésillante et grasse des laves
saisit un X, les bras toujours croisés. (d’après Jean Tardieu) Les Y Définitifs et interminables Y, résignés Y sertis de robes noires. Peuple dépouille, sans sexe, administrateurs scrupuleux du droit de naître - impossibles. Commis du cadastre des terres des lettres. Y pleure, les pages du code sous ses coudes se mouillent, les fibres de la loi gonflent. Rien d’accroché sur la terre des Y. Une profusion de fontaines, des lacs, ici un château d’eau, là un barrage, entre, des esquisses de champs, et des villes abandonnées, des restes de récoltes, des excréments d’industries ; du lierre, beaucoup trop de lierre, qui rampe sans jamais pousser. Dans l’eau une pierre « ci gît Yllogique qui perdit l’air dans la marche au marais ». Mais quel marais. Agitons une tige et ce sont cent, mille Y précipités dans les algues. Entassés partout, pas plus de mille milliards par branche, tout de même, et une défiance. Le poisson, l’ennemi, aussi celui dont la large bouche sert de refuge devant un danger plus pressant, avant de se faire avaler, on est à l’aise, mais on a peur. Presqu’effacé sur le château d’eau « Terres Yrascibles », ils se massent les Y, leur nombre ferait éclater les montants n’étaient tous les madriers disposés au cours des âges pour arc-bouter le voisinage. Pour les Y pas de compromission possible, hormis creuser des canaux et
pour cela inutiles. (merci Apollinaire) Les Z Plus loin les Z. Encore plus loin, ce qui les obsède. D’abord impossibles à distinguer tant ils s’allongent et se morcellent, scindent leurs corps, se poussent se tirent. Des véhicules partout. Une plume. C’est un cheval à Z. Lourd, maigre, il essaie. Il plante une graine et attend que l’arbre pousse, il finit juché sur une branche, poussé sous le sol par une racine, mais : bouger. Un Z, un autre, glisse dans la boue, accroche une pierre au fond, attend la dérive des continents. Toute possibilité de mouvement vaut. Z lacère ses membres, se collecte en lambeaux, noue son bras avec sa jambe, y ajoute une poignée de cheveux, des côtes enchevêtrées, le voici échelle de lui même, il ne reste plus qu’un de ses pieds pour y monter. Une bombe explose. Dans l’air bousculé passent des éclats, vêtements et crevasses, un Z s’est essayé à la pulvérisation locomotrice. Il gèle, les Z ont peur. Le froid, le ralentissement, l’eau des ruisseaux se fige, les Z se suicident en masse « plus la peine, non, plus la peine si l’eau ne coule plus ». Un oiseau pond un œuf. Un Z a laissé son pied sous le nid, il voit les siens s’éloigner et enrage. Cependant plus tard, sur le dos de l’oiseau, sans doute, mais plus tard, trop tard peut être, tant le Z immobile se veut éphémère. Et ces dunes sur leur terre que le vent pousse, alluvions, plastique du paysage. Sans scrupule Z monte sur le dos de Z et lui de cet autre. Ça n’en finit pas, la pile devient arc, des champignons poussent, tant mieux, la prolifération des germes ne se fait elle pas vers le sud, elle aussi Leur voix, ils la parlent pour souffler sur leurs ailes partielles. Leur respiration, ils l’économisent. Ils accumulent dans l’espoir d’un souffle propulseur. Un peu moins marquées de cette manie, les femelles Z s’arrêtent pour mettre bas. Mais malheur à l’enfant qui ne marche pas assez vite, sa mère lui vole ses jambes, et s’enfuit en courant. |