Jean-Christophe PAGÈS
Home — V.1 (2003)
ma maison
on entre par la porte et c’est là
on voit l’entrée on a la porte dans son dos
à gauche la cuisine (peinte en vert)
à droite : rien
on avance tout droit et c’est là
on voit une porte vitrée en face (le salon qui donne sur le jardin)
et à gauche
une pièce sans fenêtre
à droite un couloir qui forme un angle
la chambre à droite
la salle de bains
et au fond
une dernière pièce
le matin
on se réveille
on se lève
on se dit qu’il faut se lever
qu’il est l’heure
on est réveillé
on ne va pas redormir
on se dit qu’on ne va pas redormir
car j’ai assez dormi
on se lève
j’ai hésité mais je me lève
j’ouvre le volet
la fenêtre de la chambre
j’ai froid aux pieds
je mets des chaussettes
j’enfile mes chaussons
mon short et mon gilet
on est levé
debout on peut marcher jusqu’à la cuisine
on réchauffe du café dans un bol
son bol
on pose sur un plateau mon bol (j’ai toujours mon vieux bol)
ses tartines son beurre sa confiture
on déjeune on a le temps
on pense à ce qu’on fera après
je ne ferai rien car rien ne me passionne
n’étant passionné par rien
n’ayant aucune motivation ni courage
on tournera dans sa boîte
on traînera plutôt
je traînerai encore
rien ne m’intéresse complètement mou et vautré (inactif) la plupart du temps rien ne me fait vibrer au sens de vibrer je me sens lourd et peine à avancer l’exemple de la vie au jour le jour que je trouve pauvre étant moi-même assez miné risiblement accablé pour rien facilement démonté
le salon
le soleil traverse la fenêtre et les rideaux
fait des traces de lumière au sol
plus grandes que la fenêtre elle-même
les plis des rideaux font des ombres irrégulières
le soleil inonde le salon par la porte-fenêtre
lui donnant son goût particulier
le salon baigné par le soleil qui illumine les objets
l’envahissement merveilleux du salon
qui fait un parallélogramme de lumière et des zébrures
suivant le plissé des rideaux
(le soleil ne fait rien dehors que plonger le dehors tout entier dans la même
lumière)
il y a beaucoup à dire
la fenêtre est une porte-fenêtre
qui est une fenêtre qui est aussi une porte
qui offre un accès au jardin
la fenêtre est une porte-fenêtre
qui est composée de deux battants mobiles autour de gonds
que l’on peut ouvrir ou fermer
l’ouverture permet
1 le passage de la lumière (directe)
2 le passage de l’air
3 l’aération de la pièce pour évacuer les mauvaises
odeurs domestiques
la fermeture permet
1 le passage de la lumière (au travers de la vitre et des rideaux)
2 le non-passage de l’air
3 le non-passage (l’atténuation) du bruit extérieur
4 les odeurs
5 la pluie
la lumière du soleil se déplace
glisse de droite à gauche
comme la journée qui passe de droite à gauche
comme les rais
le soleil quitte la fenêtre
devient latéral
les traces et les ombres quittent la pièce
étant assis je ne fais rien je voudrais faire un ping-pong étant assis on rêve je pense que je voudrais faire un ping-pong j’adorerais ça si seulement je pouvais étant assis je m’imagine faire un ping-pong faire une partie un match et des effets de ping c’est dans ma tête étant assis je ne bouge pas somnole j’écoute passer les voitures ping balle amortie pong smash raté le bruit du ping-pong la chanson du pongiste
le soir la télé est allumée
la fenêtre est fermée
je suis assis sur le canapé
devant la télé allumée
sans rien faire
j’ai coupé le son
assis devant la fenêtre fermée
ou assis devant la télé éteinte
la fenêtre ouverte je regarde par la fenêtre
à la nuit tombée il fait nuit
je suis assis devant la nuit allumée car c’est poétique
(il n’y aura rien à voir dehors sauf la lune et les nuages)
j’ai froid je mets mon gilet
la télé est allumée
le chauffage est allumé
je regarde le tapis qui est bleu
sous le canapé jaune
et je trouve que bleu et jaune sont des couleurs qui vont bien ensemble
elles vont bien
elles font du vert quand on les mélange
mais on ne peut pas mélanger un tapis avec un canapé
la porte (vitrée) du salon est fermée
la lampe est allumée
la télé aussi
il est tard
la nuit est tombée
je n’ai pas fermé le volet
je regarde les murs
les plantes vertes la table et un bouquet
la télé est face au canapé
le canapé fait face à la télé
face à face dans mon salon
on peut s’asseoir sur le canapé pour regarder la télé
on peut s’asseoir sur la télé pour regarder le canapé
(un beau canapé)
mais on ne peut pas s’asseoir sur la télé pour regarder
la télé
on ne peut pas ne rien faire
ni ne rien regarder
les objets ont leur vie propre en dehors de nous
allumés/éteints ouverts/fermés
la porte du salon est fermée
à droite la table
la fenêtre est ouverte
je regarde le ciel et je regarde la lune
et j’entends un avion une voiture (qui passent)
je regarde le jardin
le jardin
je ne vais jamais dans mon jardin
(me dégourdir les jambes)
je ne sors jamais dans mon jardin pour marcher
(prendre l’air)
ou pour faire quelques pas
(me changer les idées)
car il n’y a rien à faire dans mon jardin
rien à voir
sauf un arbre fruitier au milieu
(mon arbre qui n’a rien sur ses branches… petit mon arbre est large
il aurait dû être taillé à l’automne personne
n’a taillé mon arbre au milieu de mon jardin et mon arbre est tout
nu je le vois tout nu et tout seul il a deux troncs il a des branches il n’a
rien sur ses branches qu’est-ce qu’il aura je ne sais pas)
je n’ai pas envie d’avoir froid
et je ne veux pas salir mon salon en rentrant
(le jardin est de la pelouse mouillée avec de la terre)
ça ne me servirait à rien d’aller dans mon jardin
et de tourner autour de l’arbre
ou le long de la haie
il me faudrait des bottes et un manteau
il y a un trou dans ma haie
ma haie trouée
(on voit dans mon jardin-le carré de mon jardin)
mais je n’y suis pas
ma haie morte
mes thuyas qui brunissent et tombent
la chambre
qu’est-ce qu’on pourrait faire la nuit
je suis allongé couché dans mon lit
dans ma chambre
il y a des étagères
avec plusieurs choses posées dessus
une commode une chaise et un bureau
je pose mes vêtements sur la chaise tous les soirs
allongé je ne fais rien
(prendre une revue puis) j’éteins
je ferme les yeux pour dormir je pense à dormir
je ne pense pas je pense à ne pas dormir m’endormir
je pense à ouvrir les yeux
j’allume je regarde les murs & les ombres
je me relève je pense à la nuit
j’écoute je pense à l’endormissement
je me recouche je ferme les yeux j’attends
je pense à attendre le dernier moment
quand ça part
j’attends de ne plus penser pour dormir
je me positionne j’écoute les bruits
j’ai le temps je n’ai pas le temps
je suis allongé couché
j’attends je ne sais pas ce que j’attends
je me relève pour ne pas dormir pour manger
je me recouche j’éteins j’ouvre les yeux c’est noir
les murs sont noirs je pense à la nuit noire au sommeil
je ne dors pas comme les animaux
qui dort à cette heure qui ne dort pas
dehors c’est calme j’entends un avion
j’ai mal au ventre je ne suis pas fatigué
je dois dormir tout le monde doit dormir
j’allume je me relève je prends quelque chose pour dormir
j’attends je me retourne ça vient j’éteins
ça ne vient pas je rallume je me relève je prends quelque chose
pour digérer
je parle je fais des exercices respiratoires
je pense à attendre le dernier moment
il ne faut pas penser
à quoi je pense quand je pense je ne vois pas à quoi ça mène de penser quand je pense ça ne sert à rien de penser à quelque chose c’est mieux de ne penser à rien de ne pas penser à quoi je pense quelle est ma pensée est-ce qu’on a une pensée pas la moindre pensée valable je ne vois pas à quoi ça mène ce que je pense ma tête est incapable d’assembler deux pensées ma tête n’est pas intéressante…… on ne sait pas à quoi on pense à quoi on pourrait penser pas envie de penser je n’imagine rien ma tête me gêne ma tête me dérange le fouillis le désordre à l’intérieur de ma tête m’empêche d’avoir deux pensées je ne peux rien suivre je perds ma pensée je ne tiens pas ma tête……. je ne vois pas à quoi ça mène je ne peux pas voir à l’intérieur de ma tête je ne peux pas rester sur une (seule) pensée je ne peux pas je cherche des j’ai bien raison c’est mieux de ne pas avancer je préfère être là vide je ne comprends rien je ne cherche rien dans ma tête qu’est-ce que je cherche
les choses
il n’est pas possible que les choses
ne se passent pas comme (elles ont été) prévues
il n’est pas possible de changer l’ordre des choses
l’organisation la place des choses dans la boîte
de changer le rangement
les choses ne sont pas mises au hasard
elles sont placées pensées
il n’est pas possible de repenser les mêmes choses autrement
d’inventer follement un autre ordre ou un autre rangement
les choses sont alignées droites propres classées
le classement ordonné des choses est immuable
la fonction des choses (en fonction desquelles l’organisation
des choses a été prévue)
le déroulement des choses est anticipé
que va-t-il se passer ? je sais prévoir
je prévois c’est la réalité c’est la preuve
d’une bonne anticipation
une chose à faire avant une autre ne peut pas être dans un ordre
différent
on ne fait pas n’importe quoi chez soi
on range on ne laisse pas traîner une chose
on n’abandonne rien au milieu du salon
on ramasse on n’a pas de terre sous les pieds
on n’a pas les chaussures mouillées
je retire mes chaussures en entrant chez moi
il n’est pas possible d’imaginer une autre méthode efficace
ordonnée :
ne pas faire le fou avec les choses
le déroulement des choses ou idem pour le rangement
il s’agit d’être méticuleux
la méticulosité a de nombreux avantages
la méticulosité permet de
1 retrouver les choses puisqu’elles sont rangées au bon endroit
2 avoir un home qui ressemble à quelque chose et qui est accueillant
et propre
3 ne pas perdre de temps (le temps liquide glisse entre mes
doigts je l’élimine comme je me vide) dans des recherches
épuisantes
4 éviter les mauvaises surprises
la méticulosité est tout
les vêtements le sol impeccable les couleurs
il en va de soi comme de son intérieur ou de ses objets
mes choses sont alignées placées
il n’y a pas quelque chose qui dépasse
non
les choses prévues sont belles sont délicates
le beau déroulement des choses dans la journée
le non-chevauchement des choses qui fait perdre du temps
la succession mesurée des choses
le non-débordement
le calme
les choses prévues sont calmes
l’intérieur est calme
je me reconnais dans mon intérieur
je mets mes chaussons mon short mon gilet
je suis à l’aise avec mes choses (le bien-être)
j’aime à les voir là bien placées bien rangées
immobiles douces
toujours à la même place
mes choses mon intérieur ma tranquillité
mon intimité
ramasser une miette sur le tapis du salon :
humecter mon doigt avec un peu de salive
et le placer sur la miette qui
collée (piégée) reste au bout de mon doigt
dès lors j’en fais ce que je veux
soit la mettre dehors (par la fenêtre)
ou dans l’évier de la cuisine
ou dans la terre d’une plante verte
ou dans un coin soit
je la mange
(je m’assure que c’est une miette et pas de la terre
ou un petit caillou qui ressemblerait à une miette)
ramasser une poussière sur le sol :
il peut s’agir d’un mouton (facile à ramasser)
ou de plusieurs poussières agglutinées en un endroit
les regrouper en utilisant mon petit doigt comme une raclette (faire un tas)
et pousser le tout sur un morceau de papier
quand il y a du soleil je vois mieux la poussière sur le sol
je dois la ramasser
si la surface poussiéreuse est trop grande utiliser l’aspirateur
la poussière est invisible sur une moquette
(l’aspirateur produit lui-même -par frottement-
des moutons)
mais je n’ai pas de moquette
une odeur poussiéreuse est un signe de la présence de poussière
quelque part
(une miette n’a pas d’odeur)
la présence de mouches dans mon salon est un signe de défaut d’entretien
(un couple de mouches)
elles tournent sous l’abat-jour
(ça leur fait une petite maison de mouches)
les chasser par un geste brusque
ou les attraper (rare)
ou les assommer
ou je mets une bombe
c’est
chez moi que je suis le mieux (c’est chez moi) avec mes affaires mes avions
avec mes voitures qui passent avec ma fenêtre ma cour : mon rosier mon
fil à linge avec mon candélabre
c’est chez
moi que je suis le mieux le soir avec mon antenne avec ma pelouse ma pomme de
terre quand il pleut derrière mes rideaux
c’est chez
moi que je suis le mieux (c’est chez moi) le soir avec mon garage ma silhouette
mon jardin quand il fait froid mon mirabellier
c’est chez
moi que je suis le mieux quand je suis propre et que ma peau est fraîche
maintenant il fait nuit je ne pense à rien chaque chose est à
sa place avec ma lune et mes nuages
c’est chez
moi que je suis
bien
mon ventre
je regarde (discrètement) mon ventre gonflé
il n’est pas à perdre ou à être autrement
il n’est pas à aplatir pour aller sur la plage (?)
je peux le faire bouger avec mes deux mains
le prendre et le secouer
je peux le serrer m’y accrocher
jouer avec : il revient toujours à la même place
il passe par-dessus mon short quand je suis assis
il s’aplatit quand je suis debout torse nu
il est recouvert de poils et de grains de beauté
je ne peux pas le voir entièrement
pas voir dessous même en le soulevant
même en l’aplatissant
même en le rentrant
il est douillet et confortable comme un coussin ou un oreiller
je ne le regarde pas
je mets mon gilet
mon gilet
mon gilet marron est doux vieux déformé
mon vieux gilet marron n’a plus de forme
n’a plus la forme d’un gilet
il n’est pas normal
tout nu dans mon gilet mi-fesses
il est confortable souple avachi
mon gilet marron a un col deux poches une fermeture
qu’est-ce que je peux faire
ouvrir mon gilet marron
mon gilet est particulier parce qu’il ne tient jamais trop chaud
il est d’une épaisseur moyenne idéale
il est en coton mais il y a un petit problème
mon gilet marron est doux ample
il pèse dans les six cents grammes
les manches sont longues et déformées
je pourrais rentrer mes deux bras dans une seule manche
mais j’ai d’autres occupations
je mets mon gilet marron le matin le soir l’hiver & pour regarder
dehors
mon gilet est usé les manches sont usées trouées
la fermeture a été changée
la fermeture était défectueuse
je mets de nombreuses choses dans les poches déformées de mon
gilet
choses trop lourdes
j’ai de nombreuses choses j’ai de la chance
je fais les poussières avec les manches de mon gilet
et je secoue mes manches par la fenêtre
je mets mes mains à l’intérieur des manches
(je ne me mets jamais mes mains dans mes poches de mon gilet)
et j’essuie les poussières avec comme si c’était un
chiffon
mais en réalité ce n’est pas un chiffon
non
puisque ce sont les manches usées de mon gilet
qui me permettent d’accéder à des endroits inaccessibles
et sales
je pourrais aussi me le mettre sur la tête
si je n’avais rien d’autre à faire
ne pas oublier de signaler que la plupart du temps
je remonte les manches de mon gilet ce qui détend les fibres du tissu
coton
et déforme les manches en leur donnant un air d’accordéon
mon gilet est doux comme un agneau
mon gilet est vieux
mon gilet a une histoire que je vais vous dire
c’est pour ça que je l’aime tant
je me sens bien dans mon gilet
je me sens
il est confortable il est souple
mon gilet n’est pas neuf puisqu’il a presque dix ans
c’est un gilet ancien que je porte toujours
parce qu’il est pratique
le temps passe sur mon gilet comme sur les choses
il a su s’adapter à ma corpulence
il s’est déformé comme mon corps s’est déformé
à cause du temps et du manger mais il y a un petit problème
mon gilet marron n’est pas le mien
je ne me souviens de rien ma tête vide j’ai tout
oublié (passer à autre chose fait disparaître l’ancienne
chose) superposition des couches accumulation discontinuité j’ai
un obstacle qui sépare les choses un cercle n’appartenant pas à
un autre la durée la traversée d’une période j’ai
oublié je ne peux plus rien reconstituer ça ne colle pas ça
ne se succède pas c’est vague les évènements sont
confus les ombres le temps découpé en plusieurs bandes le temps
mis bout à bout mais injoignable (en vérité) le temps de
croire avancer en faisant du surplace de se retrouver d’être anachronique
je ne suis plus le même je ne sais pas quoi dire il faut que les
choses aient une fin c’est confus la flèche du temps qui ne s’arrête
pas j’ai tout oublié pour éviter l’aller-retour et
l’obstacle une somme de courtes périodes mais dont l’importance
marque la mémoire démesurément la ligne marquée
de micro-évènements de révélations se retourner
remuer ça fait des trous
mes chaussons
j’ai une paire de chaussons gris (qui s’abîment)
-c’est bien-
j’ai deux chaussons gris des mules des pantoufles
que j’enfile sans quartier
des savates
une paire de chaussons souples légers et chauds pour dedans
ma tenue d’intérieur est :
mon gilet un tee-shirt quelconque mon short kaki un slip mes chaussons une paire
de chaussettes noires
(je n’ai pas de tenue pour l’extérieur)
pourtant
je commence à avoir froid aux cuisses les soirs d’hiver
étant assis (1)
si je soulève mon pied gauche
et que je le remue
il est à craindre que je perde mon chausson gauche
soit qu’il soit mal enfilé
soit que mon pied gauche soit tordu (et si je soulève mon pied droit
aussi)
si je soulève mes deux pieds
et que je les remue
il est à craindre que je perde mes deux chaussons
et que je sois ridicule sans mes deux chaussons
si éloignés de moi mais en réalité à côté
de moi
c’est à dire sur le sol
mais
la chute inexorable de mes deux chaussons n’en serait pas moins dramatique
et fatale
pour quelqu’un comme moi qui ne peut vivre sans ses deux chaussons
étant debout (2)
si je soulève mon pied
je suis à cloche-pied et j’ai mal à la tête
donc
je le repose illico
si je fais un saut de cabri
je peux soulever en même temps mes deux pieds du sol
et perdre mes deux chaussons
et glisser car je me retrouve en chaussettes
et tomber
si mes chaussons sont vieux et usés et déformés
je dois en changer
si je m’allonge
mes deux pieds ne touchent plus le sol
et je peux m’arrêter
car il n’y a plus aucun danger
mon survêtement
(finalement)
je me décide
j’achète un survêtement par correspondance
je commande sur un catalogue
je vois un mannequin dans mon survêtement
et samedi je le reçois
je le mets il est confortable
je ne sors pas avec
mon survêtement gris est une tenue d’intérieur pour l’hiver
il remplace mon short
mon survêtement est large et trop long mais bon marché
c’est un survêtement de champion
j’achète un survêtement parce que j’ai froid aux cuisses
les soirs d’hiver
je remettrai mon short (il a un petit trou aux fesses) au printemps
je suis obligé de rouler mon survêtement de deux tours sur la taille
pour le raccourcir
mon survêtement dispose aussi de deux poches
il correspond à ma commande
il n’y a pas d’erreur :
mon survêtement est bien mon survêtement
ma tête
ma tête ronde et mes yeux
mes sourcils épais
ma tête
la couleur des yeux des cheveux et la forme des yeux
et le nez
comment le nez
la forme du nez les narines la taille des narines
et la longueur du nez des cheveux
la longueur courte des cheveux
ma tête
les oreilles et les gros lobes
la cicatrice à la paupière et la peau sèche
la forme de la bouche
une tête ronde bien ronde
le visage rond et les poils dans les narines
et les poils dans les oreilles
la taille du front et le menton qui remonte
et la fente au milieu du menton
le haut de l’oreille gauche qui retombe
les yeux bleus et les yeux gris et les cheveux châtains
le double menton et les joues rondes
la peau la couleur des dents
la couleur des dents est jaune
les plis de la peau
la souplesse la flaccidité de la peau
et la grosse tête de soixante et un centimètres
ma bouche
est molle
ma bouche est souple
ma bouche tombe (belle moue)
ma bouche molle tombe
la fuite de ma bouche emporte tout dans sa chute
la chute de ma bouche
ma bouche qui peut baver
je ne tiens plus ma bouche
la fuite de ma bouche qui fuit emporte tout (dans sa fuite)
ma bave de bouche
ma bouche molle tombe
fait de la salive
ma bouche fermée abandonnée petite
vide l’air de ma bouche (fine) -un trou-
tranquille molle
et l’épaisseur des lèvres les dents
et ma langue
ma langue
épaisse grosse gonflée boursouflée
chargée trop chargée
elle remplit ma bouche
(bouche ma bouche)
ma langue est large longue agile
elle fait un v
ma langue peut monter descendre ou aller sur les côtés
toucher mon menton mes joues mon nez
elle peut aller dans mes narines
ma langue est musclée
elle peut faire le tour de ma bouche de mes lèvres
le tour de mes dents
ma langue peut nettoyer mes dents
dégager des aliments
elle est pointue
elle peut être un instrument pointu et efficace et dangereux
ma langue peut (dévier et) blesser
elle est une arme
elle est un matériel dont ma bouche ne pourrait se passer
elle est utile on peut s’en servir
on s’en sert on peut la rouler pour en faire un rouleau
la retourner pour en faire une langue retournée
et la coincer entre ses dents
elle est souple
ma langue fait des exercices d’assouplissement
des exercices inutiles à première vue
mais des exercices qui effectués quotidiennement
entretiennent sa condition physique sa souplesse
des exercices qui lui permettent d’aller partout
ma langue va partout
soit rentrée sur elle-même épaisse et volumineuse
pour lécher la plus grande surface
soit tirée au maximum tendue
pour explorer ou dégager un endroit précis creux d’une dent
ou gencive
elle peut avoir de petits mouvements saccadés et répétitifs
elle peut rentrer sortir rentrer sortir titiller
elle peut se raidir brusquement ou s’assouplir
ma langue peut être molle si je ne l’utilise pas
je peux l’oublier dans ma bouche
si je fais autre chose
je ne suis pas toujours après elle
je sais qu’elle est là accrochée fixée qu’elle
ne tombera pas
qu’elle ne tombera jamais par terre
je ne peux pas la perdre
je peux m’en servir :
la faire claquer quand je suis content
la plier en deux entre mes dents pour siffler
ma langue peut mouiller des endroits secs
elle peut se moquer narguer elle peut parler beaucoup bavarder
garder un secret
ou se plaire à calomnier
ma langue peut être mauvaise
chargée trop chargée
vicieuse
elle peut s’introduire fougueusement
en donnant des coups
mes cheveux
je dois couper mes cheveux qui sont longs
me mettre devant le miroir
pour raser ma tête d’une masse inutile de cheveux
d’une masse épaisse et écœurante de cheveux épais
et écœurants
mes cheveux sont nombreux et recouvrent ma tête
torse nu devant le miroir je sais ce que je dois faire
j’ai déjà trop attendu
au-delà du délai
urgence dernière limite
ultimatum des cheveux qui sont longs et trop épais et trop nombreux
car je ne perds pas mes cheveux
non
je dois les couper
je ne me réveille pas avec une masse de cheveux inutiles sur l’oreiller
(comme un casque)
je ne perds pas mes cheveux pendant la nuit
(une perruque)
je les ai toujours ils sont toujours là comme hier
c’est à dire en masse sur ma tête
dernière limite
je n’aime pas avoir les cheveux longs
j’aime avoir les cheveux courts
ma tête bien rasée et lisse et ronde
passer ma main sur ma tête fraîchement rasée et propre
torse nu devant le miroir je m’en souviens bien
ça ne peut plus attendre
ma maison
j’entre encore par la porte
je me tiens debout dans l’entrée
je referme la porte derrière moi
(il y a la cour commune -avec ses rosiers- qui donne devant
chez moi)
et j’enfile mes chaussons
à gauche : la cuisine (verte)
à droite : une bibliothèque
en avançant droit devant moi je vois la porte vitrée du salon
qui donne sur le jardin
et à gauche une pièce sans fenêtre (un débarras)
à droite il y a un couloir orange qui forme un angle
ma chambre est à droite
(je mets mon survêtement avec mon gilet)
puis en face la salle de bains (le miroir)
et au fond
une dernière pièce
le temps précieux -je l’ai gagné- comme l’eau le sable peut signifier le temps l’eau et le sable forment une bouillasse qui peut durcir au soleil grain après grain goutte après goutte le goutte-à-goutte du temps qu’il faut trouver et perdre le temps et l’or