Le village sous le choc

Théâtre

Jean-Christophe Pagès


épisode 1

Depuis plusieurs semaines un fauve rôde. Les témoignages se multiplient. Se croyant attaqué, un promeneur a sauté dans le canal. Des affiches « présence possible d’un félin type puma panthère » ont été placardées à l’entrée du bois et même dans le centre-ville.

 

la fille : je fais ce qu’on me dit de faire

la juge : bien

la fille : on prend le cyclo de guillaume

juge : continuez

la fille : je découpe ma mère


Mardi, un marcheur affolé a vu une masse sombre émettant des grognements. La bête serait sortie des fourrés pour courser son chien, mais c’était un cervidé.


la juge : or elle est enceinte

la fille : oui

juge : de votre compagnon

la fille : non c’est guy


Tout le monde voit tout mais sur le terrain on ne rencontre plus personne, disent les enquêteurs.


la juge : où garez-vous la mobylette

la fille : on nettoie tout puis refuge chez mes sœurs

juge : dispute

la fille : donc moi guillaume tu viens avec moi puisque c’est comme ça

juge : une semaine après vos aînées découvrent les morceaux dans le frigidaire


Un riverain : quand je rentre chez moi, je ne suis pas rassuré en traversant mon parc. Jeudi, une automobiliste pense avoir identifié une tête couleur fauve en bordure de la départementale.


la juge : on reconstitue le puzzle et là bon sang mais c’est

la fille : ma mère

juge : bien fichu manque presque rien


la juge : reprenons votre emploi du temps

la fille : lundi m’enroule dans une couverture, mardi change de prénom, mercredi sagement assise sur ma petite chaise, jeudi quoi dire sur le bleu, vendredi tiens la semaine dernière y a pas eu de samedi, samedi si on mettait de la musique sur le blog, dimanche établis mon planning, lundi une crème pour les mains sèches, mardi suis-je une bonne mère, mercredi des quenelles, jeudi change de pseudo, vendredi de la difficulté de parler quand on a quelque chose à dire, vendredi réserve une cabane perchée à 4 m du sol dans les châtaigniers


la juge : vous avez des enfants

la fille : non mais j’en ai déjà eu

juge : combien

la fille : si on me dit d’en faire j’en fais

juge : combien

la fille : si on me dit combien en faire j’en fais combien


la juge : d’autre part, ça ne rentre pas

la fille : tasser

juge : même

la fille : guillaume pousse avec les pieds


Un voisin a reconnu un animal à longue queue.


la juge : parlez-moi de vos sœurs

la fille : ferté 30 ans se noie dans sa piscine intérieure, le coach la découvre


la fille : mais le clocher retarde, d’après l’ancien curé amoureux de la mère et de la fille

la juge : c’est l’instituteur à la retraite

la fille : guy 58 ans abuse des fillettes pendant les récréations dans le grenier du logement attenant à l’école : toi tu arroses les plantes et me fais bisou


la juge : inscrivez, rien de ce drame ne serait arrivé si notre jeune accusée avait eu un emploi car à 15h30-40, notre société ne parvient plus à assimiler ses enfants, de même si sandrine avait eu 11 ans


la fille : ma mère mettait le feu à ma robe

la juge : pour autant, débite-t-on sa génitrice, répondez, ou plutôt non ne répondez pas

la fille : l’idée de montmirail

juge : je vous coupe

la fille : allez-y


juge : montmirail

la fille : mon autre sœur 44 ans se tue contre un sanglier


Une empreinte est en cours d’analyse, seule trace matérielle, pourrait provenir de canidés. L’absence de griffures sur les arbres suscite des interrogations.


la juge : depuis quand êtes-vous handicapée

la fille : …

juge (ne la coupant pas) : l’affaire du retraité qui aurait tué sa femme hémiplégique


la fille : car guillaume n’a pas connu ses parents

la juge : amoureux

la fille : je fais boire guillaume et rendez-vous au rond-point

juge : la question où est guy pendant tout ce temps

la fille : sieste

juge : 15h40

la fille : après guy goûte


la fille : sandrine

la juge : sylvie

sandrine : sandy mon pseudo

juge : j’appelais ma fille sandy quand elle était petite

la fille : sandy-sandrine

juge : dridrine


la fille : diriez-vous que c’est un puma ou kangourou


Nous émettons toutes les hypothèses (les enquêteurs) car taille couleur cri les témoignages ne concordent pas.


sandrine : je peux vous expliquer comment comprendre

la juge : allez-y

sandrine : petites nous avions un chien loulou

juge : votre mère ne vous attendait pas

sandrine : déjà deux filles

juge : je coche


sandrine : ce jour-là c’en est trop, on doit juste lui faire peur mais ça dérape

la juge : ouiche

sandrine : mam guillaume va te montrer quelque chose

juge : prénom de la mère

sandrine : marelle

juge : ok je fais marelle

sandrine : dans la cave

juge marelle : ah oui quoi

sandrine : suit guillaume sans sourciller

juge marelle : suis-je bâillonnée

sandrine : couteau sous la gorge

juge marelle : mmm

sandrine : et là sans prévenir premier coup

juge marelle : mmm aïe

sandrine : je lui arrache l’arme des mains

juge marelle (s’affaissant au ralenti) : aah

sandrine : elle est à plat ventre

juge marelle (agonisant) : aaah

sandrine : deuxième coup de couteau, troisième, quatrième sur la joue, cinquième, sixième septième, huitième dans la nuque, neuvième, dixième, là je pense à soixante, onzième coup, douzième, pour toi mon guillaume, treizième, quatorzième

juge : jusqu’à soixante

sandrine : vous allez voir

juge marelle : je reste couchée

sandrine : quinzième, seizième narine, dix-septième, dix-huitième, et si je lui coupais les cheveux, dix-neuvième, vingt au cœur


La forêt abrite un nombre important d’animaux. Ainsi le chat sauvage brun avec des rayures noires peut atteindre quinze kilos et sort la nuit pour chasser petits rongeurs et oiseaux. A ne pas confondre avec le chat haret, animal domestique retourné à la vie sauvage.


sandrine : cinquante-neuf et soixante vieille marelle

la juge (se relevant et s’époussetant) : puis le débitage

sandrine : guillaume dans un état second commence une danse

juge : en tant que mère je comprends

sandrine : pieds et torse nus

juge : le corps de guillaume en sueur


la juge : pourquoi 8

sandrine : guillaume a raté sa scolarité

juge : ah

sandrine : 8 fois 8 soixante

juge : inscrivez l’amoureuse éconduite devra par ailleurs réviser ses 8


sandrine : guillaume fait une tentative d’approche, je le repousse

la juge : que faire de marelle

sandrine : n’oubliez pas guy au café

juge : je l’ai sur ce post-it


sandrine : guillaume revient à lui et c’est le désastre

la juge : sandy, je comprends votre émotion

sandrine : voir ma mère comme ça toute lacérée tunique retroussée

juge : en plus, vous êtes au chômage

sandy : serai-je mère un jour

juge : mais oui ma toute petite


Musique, on voit une vidéo, fillette sur son mini-vélo dans la campagne.


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