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la juge : bien dormi sandrine : si je pouvais avoir un gobelet juge : naturellement ! qu’on apporte un gobelet à la prévenue, enfin quand je dis prévenue (clin d’œil en direction de Sandrine puis du public) sandrine : avec du café
La juge s’amuse à cligner.
sandrine : un sucre juge : qu’on accède à sa demande sandrine : une touillette
La juge continue de cligner, œil droit œil gauche, vers Sandrine et, s’avançant à la rampe, vers les spectateurs. Tous applaudissent.
la juge (reprenant son calme) : ça va être une belle journée sandrine : ok, des questions juge : une ribambelle sandrine : alors go juge : numéro 1, guy savait-il ce que vous alliez faire sandrine : j’ai été obligée de lui dire juge : cyclo en panne, la clé, patin couffin sandrine : voilà juge : question 2 quelle a été sa réaction sandrine : mitigée, d’un côté, on allait étrangler sa femme, de l’autre juge : je coche sandrine : mais vous allez faire tout l’interrogatoire dans cet état juge : question 3 l’idée de montmirail sandrine : une fois, elle avait décrété qu’on serait mieux sans maman juge : ma fille a dit ça l’autre soir, elle a pris une ronflée
Elle se recoiffe.
la juge : vous n’êtes pas dans votre assiette sandrine : un autre café juge : votre bilan n’est pas si mauvais sandrine : j’ai besoin de prendre l’air juge : suspension
La scène est plongée dans le noir. On entend une voix off (masculine). Puis on distingue deux silhouettes qui s’enlacent. Le public est particulièrement gêné quand les vêtements glissent.
la juge : bien, reprenons, j’aimerais qu’on aborde votre scolarité sandrine : j’ai raté mon bac juge : étiez-vous la honte de la famille sandrine : en maternelle, on avait fait des crêpes, je m’étais mis toute la confiture autour de la bouche juge : des nattes ? sandrine : non
la juge : et au collège sandrine : une fois, le prof de maths m’a donné un coup de pied aux fesses, mon front a heurté le tableau juge : des flirts sandrine : le prof de techno m’a lancé la brosse pleine de craie au visage juge : et benoni
sandrine : au lycée, je coupe mes cheveux la juge : vous continuez le théâtre sandrine : on joue tchekhov la juge : comment vous remettez-vous de l’échec sandrine : on me vole ma raquette juge : messieurs-dames du jury, voyez comme le sort s’acharne contre cette pauvrette sandrine : raquette pauvrette
la juge : vous composez des poèmes, me les ferez lire à l’occasion sandrine : sont sur le blog juge : jenni fait des vers aussi sandrine : je peux vous en réciter un juge : la cour adorerait sandrine : s’intitule « au quotidien » juge : attendez on enregistre
juge (geste du pouce) sandrine : un jour, j’étais tombée de cyclo j’avais mal à mon genou enflé direct à l’hosto mais pas de quoi s’inquiéter
la juge (applaudissant) : ça a l’air bien
La même année, dans le Cantal, un vacancier assurait avoir filmé une panthère en plein mois de février. « Elle était noire, avec une très longue queue » avait-il décrit. Mais aucune trace biologique de l’animal na jamais été retrouvée, malgré les nombreuses battues et le survol de la zone en hélicoptère.
la juge : j’ai quelques révélations à vous faire sandrine : ça tombe bien moi aussi juge : qui commence
sandrine : quand on a offert le frigo américain à marelle, eh ben pour le faire rentrer on a dû abattre une cloison, à la suite de quoi guy a fait une dépression, il a quitté marelle lui laissant trois enfants sur le dos, depuis ils se détestaient et guy est devenu bouddhiste la juge : à propos de guy, on a voulu l’interroger sandrine : enfin juge : problème, il n’était pas au café
la juge : et autre chose : on vient de s’apercevoir que le cadavre retrouvé en forêt n’avait pas de tête sandrine : benoni juge : pire : la tête retrouvée par ailleurs ne correspond pas sandrine : je suggère d’exhumer marelle juge : une bonne nouvelle dans ce marasme ? sandrine : ah juge : on a localisé la sépulture de jeannette
la juge : une chose encore, après on fera la pause déjeuner sandrine : j’ai envie de fumer
Soupirs du public. Tout au long du spectacle, on entend des feulements.
la juge : pourquoi ferté montmirail vivaient-elles ensemble sandrine : ça risque d’être long juge : on verra tout à l’heure, à table
Tout le monde se précipite. Une partie de l’assistance pour aller aux toilettes, d’autres à la cafétéria. C’est la bousculade. Des chaises volent, des retraités sont piétinés.
sandrine : on vous cite dans le journal
Applaudissements mesurés du public en pleine digestion. Puis coupure de courant. Long silence. Une voix masculine dans le noir.
la juge : qui parle
Sandrine se mouche. Et glisse son mouchoir dans la manche de son gilet. (pour une meilleure visibilité du spectacle, on laissera une veilleuse)
la juge : quand elle était petite ma fille écoutait la météo marine sandrine : sandrine juge : elle croyait que la mer c’était la mère sandrine : et juge : mère calme, agitée, etc.
La voix encore, mais on ne comprend pas ce qu’elle dit.
sandrine : quelqu’un peut rallumer
La lumière revient. Ouf du public. La juge réapparaît derrière son pupitre. Nouvelle fissure.
sandrine : c’est à cause du fauve
La juge fouille dans ses notes.
la juge : accusée sandrine levez-vous, vous êtes bien sandrine
Lunettes.
la juge (feuille au hasard) : mangiez vos sushis dans la voiture ? sandrine : non juge : excusez-moi
Flottement dans l’assistance.
la juge : donc ben demi-frère, d’où vient-il
juge : savez qu’on note tout sandrine : greffier juge : prend en sténo et recopie au propre le soir sandrine : au crayon de papier juge : méfiez-vous de lui
Chuchotements.
sandrine : j’aime bien comment vous menez les débats la juge : merciche sandrine : toujours tête froide
Sandrine menton dans les mains.
sandrine : me passionne votre travail juge : éprise ?
Sandrine fait signe que non mais ses yeux brillent.
la juge : vous arrangerez avec jenni poche
Sandrine boit ses paroles. Jeu de scène approprié.
sandrine : oui, je dis tout le temps oui la juge : et si les sœurs s’étaient liguées avec le père pour occire marelle
Sandrine époustouflée.
la juge : c’est pour ça qu’elles ont disparu, on interrogera le coach et le sanglier
En quelques secondes Sandrine revit les dernières semaines avec un œil nouveau.
la juge (regroupant ses affaires) : je propose d’arrêter là pour aujourd’hui, reprendrons demain 9 heures
Suspension. L’assistance subjuguée mais pas dupe. On commence à dire que la juge en fait trop.
la juge : accusée levez-vous sandrine : ça recommence juge : c’est bien vous sandrine : c’est moi juge : n’essayez pas de vous faire passer pour quelqu’un d’autre
sandrine : le matin j’enfile ma robe de chambre la juge : inscrivez sandrine : souvent j’égare une mule juge : complétez
Sandrine boude.
la juge : jenni prend toute la couverture sandrine : comme guillaume juge : merci de ne plus prononcer ce prénom
sandrine : vous conduisez une mini, j’ai vu hier soir la juge : mais traitons ce dossier, deux questions subsidiaires : pourquoi ne pas reconnaître un enfant légitime, et corrélative : que faut-il faire de ses enfants
Elle commence à s’évanouir puis se ressaisit juste à temps. On entend des cris derrière la porte. Le fauve réussit à s’introduire. Il se couche gentiment devant la barre.
sandrine : j’étais très forte pour faire tomber les garçons amoureux et un jour c’est moi la juge : une panthère ou un puma peuvent aussi bien rendre la justice sandrine : je me souviens d’un poème de l’époque juge : après je vous en lis un de JP
sandrine : nous avons cheminé longtemps avant de rester là passé les bornes compté les points
nous avons navigué longtemps avant de débarquer croisé les phares (ou les caps ou passé les caps, je ne sais plus) essuyé les grains
juge : ça se termine comme ça ? sandrine : je ne l’ai jamais fini juge : et votre histoire d’amour sandrine : s’est arrêtée pareil juge : à cause des grains
la juge (déroule une sorte de parchemin) : il n’y a pas de titre sandrine (encore dans sa mélancolie) : mmm
juge (lisant) : allongée dans mon jean j’ai (perdu la monnaie qu’était dans mes poches)
allongée dans mon jean j’ai - les cheveux longs - une plaie à la main ma monnaie c’est des pièces qui glissent
allongée, à cause de la position couchée (perdu ma monnaie)
sur le dos, mes poches bâillent et glissent les pièces sur le drap
je m’en aperçois = je vois ma monnaie éparpillée à même le lit
allongée dans mon jean c’est l’heure de la sieste où je n’ôte pas mon pantalon
allongée sur le lit j’ai (gardé mon jean pour somnoler)
je ne somnole jamais sur le dos, c’est impossible sur le dos je regarde le plafond, écoute la machine à laver n’entends ni ne sens mes pièces tomber
moralité : déversement de tout mon argent
Blanc. Une rêverie s’installe. Le fauve reste là. Sage.
la juge : c’était guillaume ? sandrine : qui juge : l’amoureux sandrine : frida
La panthère ne rugit pas. Ses cris varient selon les circonstances. Cri territorial du mâle qui ressemble à un crissement, toussotement pour la femelle qui appelle ses petits, grondement ou grognement en cas de danger. Les cris du puma diffèrent aussi : très aigus et ressemblent à un sifflement en période de rut. Peuvent faire penser à un ronronnement. A la saison de l’accouplement, les pumas émettent de puissants miaulements. Le puma ne rugit pas.
la juge : nous trouverons des preuves mais je n’en dirai pas plus
Et, en effet, juge Sylvie se tait. Ça fait du bien à tout le monde.
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frontispices de Albane Moll |