 
 
 
 e 
suis là, disait Burroughs, pour vous montrer quelques trucs que 
vous appelez réalité».
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suis là, disait Burroughs, pour vous montrer quelques trucs que 
vous appelez réalité».  
 oit: 
  la "réalité" n'est pas le réel, la réalité 
  n'est qu'un trucage, un leurre. C'est une fiction, une représentation 
  proposée et prise pour le réel. La réalité, c'est 
  le Spectacle, au sens que Guy Debord donne à ce mot.
oit: 
  la "réalité" n'est pas le réel, la réalité 
  n'est qu'un trucage, un leurre. C'est une fiction, une représentation 
  proposée et prise pour le réel. La réalité, c'est 
  le Spectacle, au sens que Guy Debord donne à ce mot. 
          Burroughs dit encore: «Ce 
  que vous appelez réalité est un réseau de formules de contrainte..., 
  ligne associative de mots et d'images représentant une piste pré-enregistrée 
  de mots et d'images». Nous en savons aujourd'hui quelque chose. C'est 
  omniprésent, totalitaire: le réel s'évanouit quotidiennement 
  dans l'irréalité zappée du Spectacle TV. La surface chromo 
  des images auxquelles celui-ci nous voue fait rutiler la schize: le réel, 
  plus qu'à une aucune autre époque sans doute, est dissout et pulvérisé 
  parce que présenté comme show, déposé dans le show, 
  réduit au show: devenu reality show. 
          Il y a forcément l'idée 
  qu'on doit pouvoir traverser la "réalité", couper cours à 
  l'épaisseur écrasante du Spectaculaire, à l'envahissement 
  du stéréotype socialisant. Écrire, ça n'est sans 
  doute rien d'autre que tenter cette coupure. C'est donc un geste d'abord 
  négatif: il cherche du "réel" -- et le trouve dans des forces 
  informelles qui déroutent les représentations et lancent la donne 
  symbolique commune dans une déprédation inarrêtable. Version 
  Burroughs: il faut couper "les vieilles lignes". Mais toute la littérature 
  digne de ce nom dit cela. 
 urroughs 
  engage cette action de langue à partir de diverses élaborations 
  "mythologiques"(1). Et il 
  la déploie dans des fables politico-policières où l'intention 
  critique (idéologique et politique) est explicite. Le but est de "détruire 
  les principaux instruments de contrôle que sont la parole et l'image". 
  L'ennemi attaqué, ce sont lesdits "contrôles": politico-policier 
  (les plombiers et leurs micros), idéologico-esthétique (l'asservissement 
  du langage au pli stéréotypé que repassent les médias 
  et à l'ordonnancement aliénant du Spectacle), psychiâtrique 
  (le diagnostic "folie" comme critère d'exclusion sociale).
urroughs 
  engage cette action de langue à partir de diverses élaborations 
  "mythologiques"(1). Et il 
  la déploie dans des fables politico-policières où l'intention 
  critique (idéologique et politique) est explicite. Le but est de "détruire 
  les principaux instruments de contrôle que sont la parole et l'image". 
  L'ennemi attaqué, ce sont lesdits "contrôles": politico-policier 
  (les plombiers et leurs micros), idéologico-esthétique (l'asservissement 
  du langage au pli stéréotypé que repassent les médias 
  et à l'ordonnancement aliénant du Spectacle), psychiâtrique 
  (le diagnostic "folie" comme critère d'exclusion sociale). 
          À la date où roule 
  pour lui le dé de l'invention (2), 
  Burroughs appelle cut-up (3) 
  l'outil stylistique congruent à ce geste explicitement voué à 
  la négativité. La technique requise doit répondre 
  à la demande qu'engage la reconnaissance la reconnaissance de la "réalité" 
  comme trucage. Il faut un instrument réthorique pour parler contre les 
  contrôles, déchirer le voile du symbolique spectacularisé 
  et défaire, pour le refaire autrement (sauf à être par lui 
  refait, comme on dit en argot), le tissu des langues. Et il faut que ce geste 
  développe un espace littéraire capable à son tour de soutenir 
  une pensée socio-critique: tels sont effectivement les romans de Burroughs 
  dans le contexte avant-gardiste, underground et protestataire de l'époque. 
 'est 
  pour cela que le cut-up n'est pas (pas seulement) une technique, un procédé 
  (recyclable en tant que tel).
'est 
  pour cela que le cut-up n'est pas (pas seulement) une technique, un procédé 
  (recyclable en tant que tel). 
  D'abord parce que cet outil(4) 
  était idoine à un matériau (la presse de masse, le roman 
  de série B, les textes de vulgarisation scientifique) et à un 
  but idéologique: la volonté de mise en scène carnavalesque-critique 
  du "cauchemar climatisé américain". Il tire sa vitalité 
  esthétique et sa puissance de déplacement de la pensée 
  de son surgissement comme invention dans ce contexte. 
          Ensuite parce qu'il suppose, je l'ai 
  dit, la reconnaissance empirique de la réalité comme leurre, la 
  théorisation de cette reconnaissance théorisée et d'en 
  faire le thème et la cible d'un travail de langue poético-romanesque. 
 odard 
  disait que le travelling n'était pas une technique mais «une 
  affaire de morale»(5). 
  On peut dire la même chose du cut-up. Publier des cut-up, c'est choisir 
  de faire style à partir du découpage et du remontage aléatoire 
  de fragments pris à la "réalité" (à la masse amorphe 
  du langage qui obture pour nous l'issue vers l'in-signifiance voluptueuse du 
  réel). C'est donc récuser l'illusion qu'on pourrait "représenter" 
  inocemment le réel ou s'abandonner aux prestiges fantasmés de 
  l'imaginaire. Il s'agit d'une décision philosophique et éthique 
  beaucoup plus que d'un simple choix réthorique. Car cela revient d'abord 
  à refuser l'assentiment aliéné à la "réalité", 
  ensuite à dire que c'est seulement par la fiction (ce type de fiction 
  négative, tranchée, montée et copiée dans 
  le matériau signifiant ambiant) qu'on peut dépasser la fiction 
  aliénante qu'on veut nous faire prendre pour le réel.
odard 
  disait que le travelling n'était pas une technique mais «une 
  affaire de morale»(5). 
  On peut dire la même chose du cut-up. Publier des cut-up, c'est choisir 
  de faire style à partir du découpage et du remontage aléatoire 
  de fragments pris à la "réalité" (à la masse amorphe 
  du langage qui obture pour nous l'issue vers l'in-signifiance voluptueuse du 
  réel). C'est donc récuser l'illusion qu'on pourrait "représenter" 
  inocemment le réel ou s'abandonner aux prestiges fantasmés de 
  l'imaginaire. Il s'agit d'une décision philosophique et éthique 
  beaucoup plus que d'un simple choix réthorique. Car cela revient d'abord 
  à refuser l'assentiment aliéné à la "réalité", 
  ensuite à dire que c'est seulement par la fiction (ce type de fiction 
  négative, tranchée, montée et copiée dans 
  le matériau signifiant ambiant) qu'on peut dépasser la fiction 
  aliénante qu'on veut nous faire prendre pour le réel. 
          Mais reconnaître cela force 
  aussi à mon avis à considérer que le cut-up comme technique 
  n'est qu'un moment (situable dans la modernité récente), un avatar 
  formel ponctuel de cette prise de parti éthique fondamentale. Il est 
  la solution(6) qu'a trouvée 
  cette prise de parti pour faire, dans les années 60, une littérature 
  romanesque vivante (l'essor des médias, les manipulations de l'information, 
  les débuts de l'informatique, etc, ont quelque chose à dire, sociologiquement, 
  de ce qui a motivé cette trouvaille). 
 ais 
  si l'on prend un peu de recul, on dira que le cut-up c'est au fond la même 
  chose que tous ces gestes que des écrivains très divers ont spontanément 
  découverts ou longuement élaborés pour "couper les vieilles 
  lignes", distendre "le filet de la grammaire", déjouer la "réalité" 
  et ouvrir la langue à l'opéra fabuleux (et toujours manqué) 
  du réel: le mécrit de Denis Roche, les cavardiages 
  de Michel Vachey, le jeu de pistes pictographiques de Maurice Roche, le polyglottisme 
  sinueux de Joyce, le montage polyculturel de Pound, le cut-cut-Kodak de Cendrars 
  désossant et repétrissant poétiquement le Docteur 
  Cornélius de Gustave Lerouge, les poèmes-conversations 
  d'Apollinaire, les détournements sarcastiques du nécessaire plagiaire 
  Lautréamont, voire ce redécoupage, remontage, remixage de la Tradition 
  que les Classiques appelaient "Imitation" (et qui est aussi un détournement 
  cut-upé plus critique qu'il n'en a l'air!), tout cela: même combat. 
  Au fond, il n'y a rien de plus traditionnel que le cut-up comme... posture d'écriture 
  de l'éternelle "modernité".
ais 
  si l'on prend un peu de recul, on dira que le cut-up c'est au fond la même 
  chose que tous ces gestes que des écrivains très divers ont spontanément 
  découverts ou longuement élaborés pour "couper les vieilles 
  lignes", distendre "le filet de la grammaire", déjouer la "réalité" 
  et ouvrir la langue à l'opéra fabuleux (et toujours manqué) 
  du réel: le mécrit de Denis Roche, les cavardiages 
  de Michel Vachey, le jeu de pistes pictographiques de Maurice Roche, le polyglottisme 
  sinueux de Joyce, le montage polyculturel de Pound, le cut-cut-Kodak de Cendrars 
  désossant et repétrissant poétiquement le Docteur 
  Cornélius de Gustave Lerouge, les poèmes-conversations 
  d'Apollinaire, les détournements sarcastiques du nécessaire plagiaire 
  Lautréamont, voire ce redécoupage, remontage, remixage de la Tradition 
  que les Classiques appelaient "Imitation" (et qui est aussi un détournement 
  cut-upé plus critique qu'il n'en a l'air!), tout cela: même combat. 
  Au fond, il n'y a rien de plus traditionnel que le cut-up comme... posture d'écriture 
  de l'éternelle "modernité". 
          Pour ces raisons, le cut-up a été 
  pour moi un geste parmi d'autres, un moment de l'effort pour "trouver une langue". 
  Je suis passé par là comme par tout ce qui a agité à 
  tel ou tel moment la bibliothèque des "modernes". Tout le début 
  de Power/Powder (Christian Bourgois, 1977) est un montage de fragments 
  de textes journalistico-politiques sur l'Affaire Lip («à part 
  quatre pages où je m'exprime personnellement, soit 1% du livre, j'ai 
  retranscrit comme un scribe», est-il écrit p15 -- ce qui est 
  d'ailleurs aussi une ponction dans un livre de... Maurice Clavel). Dans Voilà 
  les Sexes (Luneau-Ascot, 1981), j'ai monté en dialogue des fragments 
  cut-upés, d'un côté dans un célèbre entretien 
  de Mao Tsé Toung avec le ministre français Pierre Bettencourt, 
  et de l'autre dans une interview de Linda Lovelace, la star de Gorge profonde, 
  publié par L'Organe (!), éphémère 
  feuille porno: c'était, autour du pivot polysémique de "l'organe" 
  (politique & sexe), une tentative de destruction carnavalesque réciproque 
  des deux discours. C'était assez drôle (à faire), mais le 
  résultat me semble maintenant très lourd, beaucoup trop démonstratif. 
  Comme si le procédé, fixé comme tel, avait éteint 
  sa propre vitalité, n'était plus que stéréotype, 
  "vieille ligne" (voire vieille lune) à son tour. 
 ans 
  Commencement (P.O.L., 1989), j'ai travaillé quelques passages 
  à partir de cut-up. Mais j'ai gardé fort peu de choses. Le cut-up, 
  dans ce livre, est plutôt auto-cut-up (?) des divers temps d'écriture: 
  prélèvement dans des carnets de diverses époque, mixage-montage 
  de ces diverses "époques". De même j'ai beaucoup prélevé-copié: 
  dans Homère, dans Joyce, dans Sade, Béroul, Hésiode, etc... 
  Mais c'est toujours ensuite retravaillé, roulé dans la matière 
  complexe de l'écriture, déformé et remis en forme par de 
  multiples autres procédés venus de la réthorique classique 
  ou de mon petit meccano personnel: paragrammes flottants, écholalies 
  approximatives, dérapages polysémiques mal contrôlés, 
  etc...
ans 
  Commencement (P.O.L., 1989), j'ai travaillé quelques passages 
  à partir de cut-up. Mais j'ai gardé fort peu de choses. Le cut-up, 
  dans ce livre, est plutôt auto-cut-up (?) des divers temps d'écriture: 
  prélèvement dans des carnets de diverses époque, mixage-montage 
  de ces diverses "époques". De même j'ai beaucoup prélevé-copié: 
  dans Homère, dans Joyce, dans Sade, Béroul, Hésiode, etc... 
  Mais c'est toujours ensuite retravaillé, roulé dans la matière 
  complexe de l'écriture, déformé et remis en forme par de 
  multiples autres procédés venus de la réthorique classique 
  ou de mon petit meccano personnel: paragrammes flottants, écholalies 
  approximatives, dérapages polysémiques mal contrôlés, 
  etc... 
 chacun son débat avec le mur des langues mortes, à chacun sa façon 
  d'y faire trou, s'il peut, pour les faire (re)vivre. Polyglottons, caviardons, 
  mécrivons, cut-upons: tout est bon et rien ne fait loi en soi, parce 
  que l'écrit ne tire pas sa vie d'un programme donné.
 
  chacun son débat avec le mur des langues mortes, à chacun sa façon 
  d'y faire trou, s'il peut, pour les faire (re)vivre. Polyglottons, caviardons, 
  mécrivons, cut-upons: tout est bon et rien ne fait loi en soi, parce 
  que l'écrit ne tire pas sa vie d'un programme donné. 
    
(25 Janvier 1993)