Qu'est-ce qui est rattrapé ?

Deux versions d'une lettre sur le ratage

Cette lettre, écrite à Pierre Pachet, exprimait vivement et très clairement une idée chère à M.V. (rappelant le passage du carton toilé gris dans TOIL, ou encore certains passages sur la cochonnerie de La Snow), qu'il a désiré transformer par la suite en lettre à Piotr, allégée d'un dispensable passage sur la musique (ici en gris et raturé). C'est sous cette dernière forme que la lettre sur le ratage ( titrée « Qu'est-ce qui est rattrapé ? ») intégrera plusieurs agencements possibles de textes (Theoria seul ou en tant que chapitre de Le Souveneur etc.)

 

09 01 1981

: Qu'est-ce qui est "rattrapé"? Cher (Pierre pachet) Piotr,

Aucun critère permettant de distinguer telle belle oeuvre d'un travail raté similaire. Si un problème théorique m'a ja­mais préoccupé c'est sans doute celui-ci, même à mon insu, et il est possible qu'il fasse pont entre mon esthétique et mon éthique.

Quelqu'un ou quelque sonographe découvre la fausse note, mais la différence entre fausse note et la not(r)e (1) presque fausse exprès?

La chanson brésilienne sait justement jusqu'où elle peut fausser, comme le jazz n'existe que par la syncope.(...)
Chanson, symphonie, etc, on a un ensemble de notes, de sons, de points, ou de quasi-points, de fronts d'ondes (ou d'ondes effrontées - je dois dire mon désintérêt et même mon refus personnel de la musique aléatoire SI ELLE EST ALEATOIRE! car nul ne peut jouir de purs aléas, voire les recevoir simplement), etc, bref une sorte de structure. Que tout dérape partout; la musique devient ombre ou creux, promesses, plaisirs (aucun goût pour les jeux frustrants). Si tout ça n'est que savoir-faire, il s'agit de transgression et de joliesses, de variations au mieux impressionnantes. En fait, le grand art invente le relativement stable et le relativement moins stable, etc, la corrélation faisant oublier les termes, ou presque. Il y aurait idéalement deux types de compositeurs: celui qui part de l'harmonie et/ou de la mélodie, puis celui qui est déjà "à l'inter­section", qui doit fabriquer après-coup (idéalement dit) un édifice qui va faire entendre une musique déjà (sic) en lui. En fait, en soi même, on a tout au plus des sons et des bruits, comme la poésie remue des mots...
Il m'est arrivé de rater un dessin (50 x 65 cm), plutôt je le croyais perdu. J'ai voulu le reprendre, aggravant la situation. Bien qu'au bord de la saturation formelle et colorée, j'ai ajouté quelque chose (peinture acrylique rouge) pour le pire, au-delà du pire. Plus rien même à récupérer, la dégueulasserie était là. Restait - pour s'enfoncer? se venger des matériaux? pour vomir tout? - à se faire plus dégueulasse encore. J'ai ajouté (du blanc dans le rouge - une abomination pensai-je) et CEPENDANT canalisé une dernière fois (l'habileté d'avant désastre, la prudence incantatoire, le sursaut de conscience du miséreux, la lâcheté finale). Le résultat fut l'une de mes meilleures choses de l'année dernière. (L'un(e)(2) des 3 ou 4 "dessins" que je vends mille francs de plus que le commun des "dessins"...). Mais en général, ce qui est foutu est bien foutu.

Amitiés,

(1)quel lapsus! Trop beau pour que nous y croyons? Beau ou pas, il faut vivre avec.

(2)quel lapsus?

(1)(2)car si () pourquoi pas()?! Monnayer quel terme, quelle femme, quelle imagination?? Pour imaginer quelle monnaie!! (Ici rhéto, on coupe.)

sur une page jointe à la version Piotr, le texte suivant (note cdt):

2

(Durant l'été)

Durant l'été 1983 à Valbonne j'ai détruit cette oeuvre.

Je ne crois pas qu'il en existe une reproduction quelque part, ou c'est à mon insu.

MV. 15 03 84