Ce qui fait poème dans le langage ou pas

Radio Klaxon 107.7 — Z.A.D., hiver 2012
Émissions de radio, sons, autour de la lutte contre l’aéroport de Notre Dame des Landes

Contexte : une affiche féministe avertit les camarades que s’ils continuent à proférer des injures sexistes aux flics sur les barricades, il ne devront pas s’étonner de recevoir une pierre derrière la tête. Les frictions nées à ce moment-là firent décider d’organiser une émission de radio autour des modèles de langue régulée.

Transcription : C. de Trogoff  — Version pdf à imprimer



Julien
On va commencer l’émission qu’on avait programmée... Le titre de l’émission :
Ce qui fait poème dans tout langage ou pas  ou alors  I would prefer nor to — qui nous vient de Bartleby je crois —  et, du coup, voilà : on avait envie d’inviter des amis qui vont parler de la question du langage de manière assez générale... parce que, souvent, c’est des trucs sur lesquels on... on bloque, où il y a quelque chose qui a du mal a se faire parfois entre nous, à naître entre nous. Et c’est aussi bloqué par nos manières d’envisager le discours. Et... Voilà...

L.L. de Mars
Le langage pose des problèmes de langage, hein, en gros

(rires)

Julien
Voilà.

L.L. de Mars Il y a plusieurs micros, oui... Celui-ci fonctionne?

Julien
Oui, on peut le ... ...

L.L. de Mars Rien de tel qu’un silence radio pour ouvrir une émission... Par quoi tu veux commencer, exactement? Tu voulais commencer par de la musique ou présenter l’émission, pour savoir comment elle est née, de quelle nécessité?

Julien
Bin...

L.L. de Mars
Pas d’idée précise...Ce serait pas mal dans ce cas là, peut-être, de cadrer un petit peu. Parce que le langage, c’est super vaste, et en plus si on laisse partir Jean-François sur le langage, je pense qu’on va faire une émission d’une trentaine d’heures, hein...
(rires) Donc je crois que ce sur quoi on va surtout se concentrer, c’est sur cette tentative de...de régler les éventuels conflits sociaux, les conflits entre les gens en croyant qu’on peut y parvenir par une régulation des discours et ... Enfin ... Faire en sorte que cette régulation des discours passe par une régulation des énoncés... Toute cette superstition qui tend à faire croire que si on règle la question des formes de discours entre nous, alors ça va se passer mieux et on va aussi apaiser tous les conflits. Je pense qu’on va surtout aborder cette question-là...

Jean-François  
Ben, il s’agit... surtout d’essayer de faire un petit exercice de lucidité et de savoir ce qu’on fait quand on parle et ... quand on discourt ou quand on invoque la langue. Et... un des problèmes, je dirais, premiers, qui est mien ici — enfin, que je pose évidemment comme problème — c’est  : qu’est-ce qu’on fait quand on parle ? Et : est-ce qu’on parle la langue? ... De ce point de vue-là —  je ne sais pas trop, mais j’ai une petite idée — à mon avis, on ne parle pas la langue. La langue est — comment dire — une représentation, une institution, comme disait Saussure : sans analogue, et de ce point de vue-là... quand on trafique la langue,  inévitablement, c’est aussi autre chose qui se passe, sur un autre plan qui est celui, à mon avis, du discours. La distinction sur laquelle je voudrais ... insister un petit peu ici,  c’est surtout la distinction langue/discours et ...  montrer que quand on intervient sur la langue, ça a des conséquences dans le discours, dans la conception qu’on a du discours, mais aussi dans la conception qu’on a de la société, dans la conception qu’on a du sujet, qu’on a de l’altérité ; et donc pour le coup, la langue...n’est pas un objet neutre — il est évidemment idéologique, et ça on le sait tous, on en fait tous l’expérience — mais sa théorisation... n’est pas non plus neutre. Elle est engagée, elle est plurielle aussi ; il n’y a pas qu’une seule conception de  la langue. On est, je dirais, tous parlant. Et en tant que parlant — comme dit Benveniste, comme dit Émile Benveniste — on invente chaque fois sa langue en tant que sujet.
Donc ... pour le coup, on est chacun aussi théoricien de sa langue. Juste, je dirais, pour...présenter les choses : bien faire la distinction, je pense, entre langue et discours. Ensuite, voir comment ... en tout cas quelles sont les conséquences lorsqu’on intervient sur la structure de la langue, lorsqu’on force la langue éventuellement ... ...On pourrait parler un petit peu tout à l’heure ...de Roland Barthes notamment et du fameux discours qu’il avait fait lorsqu’il est rentré au... au Collège de France, dans lequel il a un moment... annoncé que la langue était
fasciste... Donc on pourra resituer, revenir là-dessus après...

L.L. de Mars
Je pense qu’on pourra articuler cette conversation autour des problèmes de langue, en tout cas de tentative de régulation des rapports entre les hommes par une régulation tout-à fait imaginaire et forcée de celle-ci, croyant que par là on va obtenir une forme de solution, de mouvement intérieur et collectif — dans ce cas, toute cette partie qu’on pourrait dire théorique, théorie du langage, je pense que Jean-François sera bien plus brillant que moi pour vous en parler —  et moi, ce qui va m’intéresser ensuite, c’est de voir par quel... à quoi on aboutit quand on tente de le faire, c’est-à dire quand on tente de forcer, quand on tente de créer des discours qu’on croit adéquats pour régler des conflits entre des subdivisions sociales. La question après, c’est de savoir ce que sont ces subdivisions. Elles -mêmes, ce sont des subdivisions créées, de fait, par les discours, par les énoncés, par les formulations...ça peut-être des subdivisions... là, je crois, celle qui pose régulièrement des problèmes assez violents dans les rapports... entre les différents mouvements de gauche c’est... celle des genres... Mais il n’y a pas que ça, il y a des façons de subdiviser infiniment la société en imaginant qu’on a de bonnes raisons pour le faire ; et c’est important de savoir pourquoi on le fait, c’est-à dire de quoi on se sent légitime quand on le fait, qu’est-ce qui nous y a conduits et pourquoi on s’arrime a ces subdivisions coûte que coûte.
Ce  qui va m’intéresser, c’est pas tant du côté de la théorie du langage mais du côté des effets ; quelles sont les conséquences, finalement, qu’est-ce qui réussit, qu’est-ce qui rate — et, à mon sens, il n’y a que du ratage dans ces tentatives de régulation, je dirais même qu’elles obtiennent systématiquement le contraire de ce qu’elles désirent — moi c’est plutôt de ce côté-là, que je veux observer. Donc ça pourrait être pas mal de faire une sorte de va-et-vient dans nos deux rapports théoriques, en fait. Et puis avec ça, on devrait arriver à brosser un panorama,  j’espère, assez fécond... d’où ça nous conduit, dans quel mur ça nous envoie, de croire qu’on va régler par...

Jean-François  
Et...et puis quelle liberté aussi ça nous offre...

L.L. de Mars ...
évidemment. L’essentiel, surtout c’est — par rapport à la notion de possible — la notion d’inconnu. Parce que Jean-François  distingue très justement, avec insistance, toujours,  la langue — qui est aussi un moment, c’est un moment historique, c’est quelque chose qui ne cesse d’être transformé par chacun d’entre nous à chaque fois que nous parlons, c’est-à dire à chaque fois que nous sommes présents dans notre propre discours et pour chaque sujet, un nouveau discours, le discours est une nouvelle opportunité pour la langue de changer. Hé bien, c’est important ici, qu’on comprenne que si on tente de mettre en coupe réglée la langue, il y a énormément de mouvements de subjectivation — c’est-à dire de naissance du sujet à lui-même — qui sont de même interdits. C’est-à-dire, précisement, au nom de la liberté, entre nous d’abattre ce qui nous semble autoritaire, dangereux pour notre liberté, précisemment, faire rigoureusement le contraire. Voilà... Ce serait...je pense que ce serait plus logique — d’un point de vue chronologique — qu’on commence par les problèmes vraiment théoriques du langage que ça pose, ce rapport-là à la langue, c’est-à dire une tentative d’écriture de cette langue au quotidien ... D’écriture qui serait une écriture — comment dire ? — une écriture constamment politique de la langue dans le bien commun — semble-t-il —  au profit d’un apaisement des tensions entre les communautés que moi je pense tout-à fait imaginaires, puisqu‘avec la régulation des langues apparaît aussi un monde de cloisons entre ces communautés, c’est-à-dire précisément une reconduction inlassable, infinie, de ces subdivisions sociales auxquelles on croyait rendre justice. On fait le contraire, en fait ; on les gèle ; on les piège ; on les enferme dans les énoncés par lesquel on croyait les libérer... Jean-François  je te laisse commencer...

Jean-François
Alors ...la langue telle que je la conçois — en tout cas ce qui vaut pour moi et qui ne vaut peut-être pas pour tout le monde —  d’autant plus que.... qu’on est aussi
eu par la langue, qu’on est à la fois son sujet quand on est dans le discours, quand on actualise la langue... mais à certaines conditions : c’est-a-dire que, en elle-même, la langue n’a pas de sujet ... elle n’existe que dans son actualisation. Elle n’est qu’une...une réduction sémiotique, c’est-à dire un ensemble de signes. Il faut qu’il y ait un sujet pour que la langue vive, pour qu’elle prenne une texture, pour qu’elle prenne un corps, pour qu’elle devienne enjeu d’altérité et — plus largement, même, sur le plan social — pour quelle devienne idéologie, pour qu’elle devienne vie collective pour quelle devienne ... éthique également ... C’est-à-dire mode de relation entre les personnes, entres les gens, et ... principalement entre les sujets ; c’est-à-dire entre des gens qui parlent, qui s’expriment réellement ... c’est-à dire qui font la langue dans le discours...
Et c’est ce point-là qui m’intéresse : c’est-à dire que c’est la langue qui est dans le discours et non l’inverse ; ce n’est pas le discours qui arrive après la langue comme si la langue était une sorte de ... de... de
nature de l’Homme une sorte de... de — comment dire ? — de contexte toujours là, mais en même temps complètement imprégné du social, de la société, d’une historicité... Alors, évidemment il y a ça aussi... parce que la langue elle est aussi interprétante des choses de la société, donc on y retrouve évidemment des principes de....de pouvoir ...  d’idéologie. Mais ce qui est important d’avoir à l’esprit dans ce cas-là, c’est qu’elle n’est pas représentative d’un seul pouvoir : elle est le pouvoir, je dirais,  pluriel de ce qui parle... Et le problème qui se pose dans le rapport à la langue, c’est la pluralité des discours qui s’y confrontent et qui ... s’y subjectivisent ou qui l’instrumentalisent... Du coup, est-ce qu’on peut agir sur la langue ? Est-ce que on peut avoir un — comment dire ? — une activité prescriptive sur la langue... Et pour la coup ensuite sur le langage, sur les manières de parler des uns et des autres ? Est-ce qu’on peut finalement ... imposer des obligations ou édicter ne serait-ce que des normes ?... Là, je ne suis pas sûr ...dans ce cas, qu’on ait affaire à la langue, mais plutôt aux discours et à l’univers dynamique de l’invention du sens...

L.L. de Mars
Oui... bin précisement, ce serait bien, là, de donner un exemple historique. Tu en avait choppé un qui était assez éclairant par rapport à ça puisque dans les... dans les rapports de régulation idéaux auquels on est confronté politiquement régulièrement, il y a évidemment la fameuse resexuation des discours écrits... leur féminisation... ce qui est un rapport essentialisant, finalement, à la langue qui vise à cautériser une espèce de péché fondamental qui habiterait...de façon pratiquement immanente la langue, frappée d’une tare, déjà, de... monopolisme sexuel. Et... donc...ce qui serait intéressant c’est de voir en quoi, du point de vue théorique, déjà, là il y a  un regard porté sur la langue — enfin sur ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas — la langue, donc, comme contenant tous les possibles du langage et les régulant ; une langue comme contenant général de tous les discours avant même qu’ils n’apparaissent... et principalement là...dans... dans une polarité sexuelle. Est-ce que tu peux éclaircir par rapport à l’exemple historique que tu avais trouvé, quelques notions que tu avais pu, au gré de tes dernières recherches ... Montrer en quoi il y a une fausse route, d’emblée, dans cette pensée-là de la langue?

Jean-François
Je dirais que c’est un peu... la même fausse route... enfin... la même fausse route que celle qu’emprunte Roland Barthes quand il présuppose que la langue est fasciste. Du coup la question que je me pose c’est : est-ce qu’on peut dire, par exemple, que la langue est sexiste ? Ou que langue est...autre chose ?.. En tout cas on dit à chaque fois que la langue
est.  Se pose, en effet, le problème d’une essentialisation. Dans le cas de Roland Barthes, il y a une incarnation politique de la langue ; et il y aussi tout un imaginaire de la langue qui est enlevé et qui construit la langue, qui construit la représentation qu’on en a. Je pense à ...à 1984, à Orwell et à la novlangue.. qui a un enjeu de...d’idéologie et d’action sur le sujet, à travers la langue ; mais ... ce qu’il faut bien avoir en tête, c’est que ce qui est visé, là, c’est le contrôle du sujet. C’est pas la langue. La langue telle qu’elle est invoquée par Orwell à ce moment-là, elle n’est que ... qu’opérations lexicologiques — alors ... donc, des transformations... il y a aussi tout le travail d’effacement de l’histoire, enfin du passé,  et de la manipulation de l’histoire à travers la langue — mais tous ces aspects-là, je dirais ... cachent la réalité des choses, c’est-à-dire qu’il y a des gens derrière les langues, qui les font, et qui construisent, non seulement leur propre relation au sens et au monde, mais qui construisent les relations entre les sujets ; qui font les représentations sociales... Pour le coup... quand on agit sur la langue... Bon chez Orwell c’est un peu particulier, car en plus il y a très peu d’action sur la structure de la langue elle-même, sur le plan syntaxique par exemple il n’y a rien...

L.L. de Mars
C’est purement lexical...

Jean-François
C’est purement une question de vocabulaire oui... Alors, ce qui est peut-être plus complexe chez ..en tout cas avec Roland Barthes, c’est l’aspect... c’est la manière dont le pouvoir est intégré à la langue. Là il y a... j‘ai du mal à ne pas penser a cet... enfin a cet aspect qu’il developpe, quand il dit, par exemple, que le pouvoir est présent dans les mécanismes les plus fins de l’échange social ; donc il pense à l’État, les classes, les groupes et tout ça... jusque dans les poussées libératrices qui essayent de le contester. Et ce qu’il dit : « j’appelle discours de pouvoir tout discours qui engendre la faute et partant la culpabilité de celui qui le reçoit.»...Donc ça c’est un exemple qui est dans sa leçon inaugurale au collège de France en 1977. Et... ce qui le met sur, je dirais,  cette tangente par rapport à la langue et qui fait qu’il associe la langue à la notion de pouvoir, c’est que... le pouvoir pour lui n’est plus
un seul pouvoir, il n’est plus le pouvoir d’un seul,  il est toujours un pouvoir multiple. Et comme c’est un pouvoir multiple c’est toute la société qui envahit la langue... je dirais... comme objet... dépositaire des variations de discours. Donc ce qu’il dit c’est : cet objet en quoi s’inscrit le pouvoir, de toute éternité humaine, c’est le langage. Là aussi, il faut bien distinguer ce qui est la langue d’un côté par rapport au langage et par rapport au discours. Le langage, on est bien d’accord, ce n’est pas la langue, le langage c’est la langue dans son activité portée par un sujet : c’est la langue actualisée.

L.L. de Mars
On peut dire ça très clairement ; on a ausculté autrefois les langues comme essentialisées par des types de rapports au monde, on a pu dire de certaines langues qu’elles philosophaient mieux que d’autres... Non, ce ne sont pas les langues qui philosophent, ce sont les sujets qui philosophent ; ce ne sont pas les langues qui mentent, ce sont les sujets qui mentent. Une langue n’a pas le pouvoir de mentir ni de philosopher...ni d’être sexiste. Une langue n’est quelquechose qu’a partir du moment où, effectivement, elle est activée par le langage. Voilà. Pour préciser de façon claire cette chose... ce lieu-là, où s’arrête le pouvoir de la langue... il faut qu’elle soit rendue vivante par l’activité langage...

Jean-François
C’est vrai et c’est bien parce que cette activité langage est une activité sociale que Roland Barthes y voit, comment dire....une sorte d’état consubstantiel du langage et du pouvoir. Pour restituer la phrase précisément qu’il donne dans sa leçon, il dit : « la langue comme performance de tout langage n’est ni réactionnaire ni progressiste. Elle est tout simplement fasciste. Car le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire c’est d’obliger à dire »...Bon voilà ce qu’il dit mais... ça encore... c’est une limite qu’il faut dépasser c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas ni d’empêcher de dire ni d’obliger à dire... pour la langue...Les moyens de contrôle vont même beaucoup plus loin puisque si on pense, par exemple, à l’univers du management et tout ça, on va vers la conception d’un sujet auto-contrôlé qui... joue sur la manière dont il va intérioriser la langue et construire son univers symbolique. C’est sur cet univers symbolique que... vont s’opérer les moyens de contrôle. Et on va passer là, non plus d’un contrôle qui dirait : « j’empêche de dire » ou « j’oblige quelqu’un à dire », mais on va amener le sujet à s’auto-contrôler lui-même ce qui est encore plus pervers.

L.L. de Mars
[...] Plutôt que de parler l’un après l’autre en se renvoyant la balle, il me semble que tu es beaucoup plus précis que je ne le serai jamais là-dessus, sur ces questions-là, et je préfère que tu y ailles à fond. Et puis après on aborderait ensemble, si tu veux, l’autre question — à savoir : bon, on est devant un état de fait, effectivement, certains groupes humains décident, malgré tout, d’aborder la question quotidienne de cette facon, décident d’écrire ou réécrire une régulation des énoncés collectifs ; et : qu’est-ce que ça donne ? Comme c’est un peu différent de l’angle par lequel tu attaques, ce serait... comme c’est surtout là-dessus que je me sens compétent — ou en tout cas que j’ai envie de dire quelquechose — je préfère que tu y ailles à fond dans les problèmes de théorie du langage. Ou même que tu y intègres dès maintenant, comme impasse théorique, si tu le désires, si tu le souhaites, ces fameux énoncés formulés pour la collectivité sensés porter en eux-mêmes, finalement, des réponses à des ajustements sociaux, des réparations historiques etc.

Jean-François
Bon. Ce qu’il y a, c’est que les choses ne sont absolument pas mécaniques. Et comme je disais tout-à l’heure, autant on essaye de maîtriser la langue à travers le langage en essayer d’articuler un tant soit peu de sujet dans le discours, autant on se fait tout le temps avoir aussi ; et je crois qu’il faut accepter d’être dans cette dynamique et d’être à la fois... enfin accepter surtout de ne pas être dans une volonté de contrôle du dire absolu. Donc on se fait avoir et puis... il y a des choses qu’on oublie quand on parle —  parce que  beaucoup de choses passent dans l’inconscient en même temps — notamment que dans la langue il y a du pouvoir ; mais pour le coup il y a aussi de la servilité... Il y a aussi beaucoup de choses qui passent. Et je pense que ce qu’il ne faut pas oublier, surtout, c’est que c’est un mode de liberté et de libération pour chacun en tant que sujet ... et, je dirais, dans le regard qu’il porte aussi sur l’autre ; parce que c’est aussi un — comment dire ? — un mode de vie que de vivre au langage. Et du coup, ne pas oublier que dans le langage — et là je passe un petit peu de la langue au langage parce que le langage, pour le coup, transcende la langue, transcende tout le temps la langue — mais, dans le langage tout le temps, réellement, en tant que sujet, d’autre part, nous nous inventons ; c’est-à-dire nous inventons notre rapport au monde et... à tel point que c’est dans le langage que nous trouvons toutes les sorties de l’instrumentalisme, quel qu’il soit — à travers la littérature bien sûr, à travers la poésie, mai pas seulement — c’est ce qu’on appelle éventuellement tricher avec la langue ; et encore il s’agit de faire de la langue autre chose, de sortir des moyens idéologiques de la contrôler pour la réinventer ailleurs, la réinventer avec du sujet et non plus avec des prescriptions sociales. La langue c’est... avant d’être un instrument de communication, ça sert à vivre. Et je crois qu’il faut... garder à l’esprit cet...enfin... cet aspect précieux du langage ; c’est-à-dire que c’est de la liberté. C’est de l’altérité. C’est l’invention de la pensée. C’est la capacité à transformer des choses, c’est-à-dire des enjeux politiques ; c’est surtout pas faire valoir ou faire prévaloir le politique sur l’éthique. Il s’agit... de travailler aussi en tant que sujet à l’éthique et pour le coup et à faire du politique un subordonné, pour une fois, à l’éthique et non le contraire comme on a l’habitude de le vivre quand c’est la société — prise comme objet abstrait circulant symboliquement entre les sujets — qui prescrit la langue ; enfin en tout cas qui semble la prescrire. L’orthographe par exemple ... Les règles grammaticales...mais... il ya bien d’autres choses par ailleurs. Et ce qui me fait poser la question de... du travail qu’on fait sur la langue : est-ce qu’il est intéressant — ne serais-ce que intéressant ou... même enrichissant pour la collectivité — d’aborder la langue sur le plan du genre  par exemple ?

L.L. de Mars
Précisément,  je pense, c’est la question de cette prescription-là, celle du type prescriptif en général...

Jean-François
... la langue est-elle sexiste?

L.L. de Mars
Ça te va si on fait la coupure, à ce moment-là ? Pour passer justement à... à l’effectuation des prescriptions? Qu’est-ce qu’elles transforment au quotidien, ou plutôt : qu’est ce qu’elles interdisent comme transformation ? Qu’est ce qu’elles jugulent du possible, et surtout qu’est-ce qu’elles cloisonnent à ce point entre les sujets que précisément tout ce qui pourrait ressembler de loin ou de près à un fluide doux et  infiniment varié lieu de passage entre nous, devient tout simplement une frontière impossible à franchir ?

Jean-François
D’accord


— Chanson : Je n’suis pas bien portant (Gaston Ouvrard)
Informations Z.A.D.


L.L. de Mars (à Julien)
Tu peux intervenir aussi ! Tu dis pas un mot ; si t’as des questions à poser...

Julien (rires)

L.L. de Mars ( ... )

Julien
Là c’est un blanc radio que t’es en train de faire, parce que ton micro n’est pas mis en marche...

L.L. de Mars
Ah, mon micro n’était pas branché...

Julien
Voilà maintenant tu peux dire que je ne parle pas et que je... Mais on m’avait dit que j’étais là en tant que technicien ! C’est vrai que j’avais beaucoup de choses à dire à propos de ces choses-là mais...

L.L. de Mars
Bin, oui, pose des questions, et tout ça ....

Julien
Moi je reste à ce sur quoi on me positionne (rires)

L.L. de Mars
Comme tu veux... Bon mais c’est une mauvaise idée d’une part, et en plus, n’hésite pas à prendre le micro pour... Ce serait important d’apporter... parce que nous on est partis sur notre train, on a quelques idées, chacun notre part, sur la question... mais, d’une part on n’est pas confrontés aux mêmes rapports quotidiens au langage que vous d’une façon générale, et encore moins aux rapports quotidiens aux énoncés dont il est question précisément — c’est-à-dire aux énoncés prescripteurs... c’est pas du tout notre cas — donc il y a peut-être des choses auxquelles on ne pense pas, Jean-François et moi ; n’hésites pas à poser des questions. C’est valable aussi pour les zozos du fond, hein ; faut pas hésiter à... Voilà, à poser des questions, à prendre la micro...bon...
Ok...
Euh...on pourrait  repartir sur quoi? ... Sur cette idée, peut-être... puisque... On est en train de parler de quoi ? On est en train de parler, en gros, d’une justice qui serait à rendre à certaines subdivisions sociales... Alors là, déjà, c’est très compliqué puisqu’il faut essayer de voir quelles sont ces subdivisions, comment elles se pensent, à partir de quel moment elles se pensent. Elles ont tendance à.... enfin on a tendance à les penser comme des espèces d’ontologies dont il faudrait révéler, au grand jour... la vérité première, la vérité subdivisante ; donc c’est... elle est toujours pensée, en plus, cette subdivision sociale, comme  minorité en danger — ou, en tout cas —  une minorité accompagnée d’une certaine quantité de crimes historiques... et ... qui sont toujours reconduits, ces crimes, d’ailleurs, avec les énoncés qui définissent cette subdivision sociale. C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’on redéfinit, qu’on reformule l’existence de cette subdivision sociale — que ce soit le genre sexuel, que ce soit le groupe ethnique, enfin peut importe :  j’ai du mal à en parler moi-même parce que je suis incapable de voir ça, enfin, moi je vois une société comme une espèce de chaos vibrant hyper fluide dont j’ai énormément de  mal à penser la subdivision sociale, que ce soit en genres ou en quoi que ce soit mais bon je vais essayer, d’ accord ? —  en tout cas, à chaque fois que c’est ce regard-là  porté sur la société, ce regard subdivisant, recloisonnant, qui apparaît,  il le fait toujours au prix d’une... d’une dette. Dette qui devient infinie à partir du moment précis où ces subdivisions deviennent incapables de se définir en dehors de cette fameuse histoire : l’histoire des crimes imprescriptibles dont elle est  toujours accompagnée. C’est-à-dire que chaque fois qu’un énoncé accompagne... le genre sexuel comme subdivision sociale ou le genre ethnique comme subdivision sociale, hé bien il l’y  gèle, il l’enferme, il le piège. Tout ce qui  fait la fluidité, la grande mobilité des passages entre les genres sexuels, entre les corps, entre les chairs, entre les discours, chaque fois qu’une somme d’énoncés apparaît comme juste, moins juste, devant la dette, il la rend imprescriptible...
En fait, c’est un mouvement de culs-bénis. C’est un... il n’y a guère que dans les monothéismes les plus durs qu’il ya une dette infinie, tu pourras jamais la payer, le Christ sera recrucifié tous les jours à 15 heures.  Hé bien, la séparation entre les genres sexuels et entre les groupes ethniques sera reconduite à chaque fois que sera reformulée sa singularité à travers, surtout, les
bons énoncés, les énoncés prescrits, qui seront considérés comme justes, à tout jamais et depuis toujours, pour enfin dire la bonne chose au bon moment quand on est confronté à elle. Et là où ça devient terrifiant évidemment, c’est que c’est absolument monopolaire : cette subdivision, elle n’a qu’une source pour le bon énoncé. il n’y a qu’un seul endroit duquel elle se formule, justement. Évidemment, c’est à la condition d’y être pris soi-même. C’est-à dire que non seulement, ça n’arrête pas d’ériger de la cloison — c’est-à dire qu’elle est reconduite par les énoncés qui l’acompagnent — mais ça érige surtout un bon côté et un mauvais côté de la cloison. Si vous êtes un homme, par exemple, devant un discours antisexiste, vous êtes toujours coupable de quelque chose, devant cette cloison érigée ; et il va falloir surveiller chacun de vos propos parce que pourriez  ne pas rendre justice au crime inlassablement jugé. C’est-à-dire que il n’y a pas d’autre rapport que l’inscription à ce procès. Vous, vous n’avez plus la possibilité de rencontrer qui que ce soit : vous êtes toujours dans un rapport de force, devant le bon énoncé, qui sera toujours pris dans la surveillance continue d’une cloison à réériger. Adieu la souplesse. Adieu la fluidité. Adieu la rencontre, tout bonnement. Donc, une subdivision sociale, si elle se définit de ce côté-là, de ce côté, on va dire, d’une  minorité — peu importe sa quantité hein, elle est toujours pensée comme minorité si elle est accompagnée de son crime imprescriptible — hé bien, elle se rend précisément imprescriptible, à chaque fois qu’elle est évoquée ; elle rend la dette irréparable et irréparée. Et  si on confie à cette communauté elle-même le soin de la définir et de la réguler, alors plus personne ne sera dans un autre rapport que ce rapport de subdivision et on ne pourra jamais l’abolir et il n’y aura plus de rencontre mais des rapports de force. Maintenant, j’aimerais qu’on évoque la question de ce rêve, qui serait le rêve de la bonne langue pour la bonne communauté et... je laisse Jean-François  parler de ça plus finement que je ne le ferais.

Jean-François
Bin, je dirais qu’il faut d’une certaine manière laisser vivre aussi la langue ; il faut que la langue puisse aussi sortir de cette... institution catégorielle. Ce qu’il faut avoir en tête à ce moment-là, c’est que la société est organisée... en — comment dire ? — en catégories, et que ces catégories on les retrouve dans la langue ; c’est-à-dire que la logique de la langue est la logique des... des discontinus sociaux. C’est la logique du signe — d’une certaine manière — du présent-absent par lequel on signifie. Alors, le problème là-dedans, c’est qu’effectivement la langue est — comment dire ? — prise dans la logique sociale...sur ce plan-là. Mais, c’est pas la société qui est  l’interprétant de la langue : c’est la langue, aussi, dans une autre logique — dans une logique, pour le coup, critique... et bien plus résistante puisque c’est le point de vue du sujet  — c’est la langue, l’interprétant de la société. C’est chacun, je dirais, dans une sorte de nominalisme global, et qui fait la langue, et qui fait la société.
Donc, du coup, la position de liberté et de libération...de la langue, bien évidemment c’est pas la répétition des subdivisions sociales. Ce n’est pas non plus... des tentatives de... je dirais, de coups-de-force éthiques. Parce que c’est aussi une bonne volonté qui est en oeuvre et qui réclame de l’éthique quelle qu’elle soit, quels que soient les groupes d’ailleurs, je dirais, qui posent des questions sur ce sujet — qu’ils soient des groupes politiques, qu’ils soient des groupes éthiques ou autre, le problème n’est pas là : le problème il est de voir où se fait la sortie, où sont les zones de la critique, où sont les possiblités d’action du sujet à travers la langue et... et, pour le coup, dans le discours. Parce que c’est dans le discours social qu’il faut transformer les choses, qu’il faut leur donner une capacité d’action... La langue, bon, là, évidemment, chacun dit souvent : « en faisant un petit effort dans son coin on contribue, par ajout, à ce grand emboitement éthique et social » ... Mais, au bout du compte, on en arrive à reproduire seulement les structures sociales et à être joués du pouvoir même dont on veut se défier. Je comprends bien d’une part les problèmes que ça pose : il y a une réalité des problèmes.  Je pense par exemple à une définition du dictionnaire concernant... la découverte du radium de Pierre et Marie Curie dans les années soixante... où il y a une entrée dans le dictionnaire — c’est le dictionnaire Larousse —  l’entrée est à Pierre Curie et c’est lui qui devient l’inv... enfin le découvreur du radium, avec ensuite, dans les définitions, une parenthèse, pratiquement, avec Marie Curie qui aurait été son assistante... Et là, on s‘aperçoit qu’il y a un travail de... de distorsion de la réalité, de l’histoire et de l’activité des sujets... qui est, bien sûr, insoutenable. Mais ça c’est un problème de discours, c’est un problème d’idéologie. Je dirais même que, c’est même pas un problème seulement d’organisation en catégories ; parce que bon, le dictionnaire... on aura beau s’en servir, on ne parle pas non plus, le dictionnaire comme langue (rires) on est bien d’accord. Même si on essayait de parler ses exemples, on ne parlerait pas aussi fleuri non plus...  Mais c’est du discours qui passe dans le dictionnaire aussi ...

L.L. de Mars
D’accord. Ce à quoi tu fais appel, c’est précisément l’ouverture des possibles, et pas leur
limitation. Or, s’il y a de l’énoncé prescripteur,  il devient énoncé totalitaire. C’est bien là où il y a un problème. On comprend tous qu’implicitement il y a des problèmes quotidiens qui sont posés, d’ouverture ou de fermeture par les formes effectives que nous donnons aux opérations sociales de transformation des discours ; on voit très bien où conduit la publicitarisation des, des... paroles quotidiennes. Combien elle a le pouvoir, si nous y cédons, de traverser jusqu’à notre façon même de penser au quotidien. Elle entraîne toutes sortes de possibilités, effectivement, d’être dupes ou pas dupes de certaines impositions de la pensée par... on pourrait dire, une espèce de puissance qui travaille au quotidien à changer les rapports par des transformations de la langue. Mais le moyen de s’en sortir, c’est pas du tout de la régler en la saisissant ; ça c’est le mouvement totalitaire décrit par Klemperer dans la L.T.I. ; c’est le mouvement totalitaire décrit par georges Orwell dans 1984. En gros c’est un mouvement totalitaire d’un seul coup que de limiter en prétendant limiter les dégâts. Mais on n’apprend jamais rien à personne en le limitant ; on ne lui apprend que l’horreur d’être limité et l’horreur de ce qui le limite. Donc, ce rapport-là, quotidien, au dictionnaire crapoteux ou à le transformation de la langue par une espèce d’imposition quotidienne — de...  je ne sais pas... de la bêtise, de la paresse, tout ce que tu veux — c’est juste des rapports, entre nous, au quotidien, des rapports du discours qui sont à changer, à améliorer mais certainement pas une demande qui doit être faite de prescription des énoncés.

Jean-François
Je crois... je crois que le problème, il est dans la difficulté pour chacun ... à trouver les voies de l’émancipation de sa propre pensée. Et...  je pense que la répétition des subdivisions sociales fait que, la plupart du temps, nous pensons l’identité première par rapport à l’altérité. Nous  pensons de manière individuelle — je veux dire par là, nous pensons les sujets comme des individus, comme des entités, des unités — et non comme des passages. Des sujets. C’est-à-dire des pensées, aussi, mais des corps... des sujets en tout cas dont on ne sais pas où leur corps, enfin, comment leur corps se prolonge dans la pensée, dans le langage et vice-versa ; jusqu’ou le langage va dans le corps etc... Donc, même là on peut repenser les limites. Je crois que ce problème, c’est vraiment de croire que l’on a affaire à des individus : or on a affaire à des sujets donc à des, comment dire, à des... hommes et des femmes qui parlent
réellement et qui sont tenus par la relation, par les relations, par la pluralité ; et qui cherchent. C’est-à-dire que personne, au fond, n’a la langue parfaite. Comme le suggérait Umberto Eco, comme Umberto Eco l’avait montré d’une certaine manière, la bêtise ça n’existe pas. Parce que la langue, elle est vécue, elle est à vivre, elle est aussi avec de l’utopie. Cette utopie, il faut bien la faire sortir quelque part, il faut bien la faire... il faut bien lui donner du corps et il faut bien donner aussi de l’avenir à la langue. C’est-à-dire que si c’est historique, il faut bien qu’elle soit aussi transformable, d’une certaine manière, avec la société. Et qu’il se passe quelque chose. Mais le problème là-dedans, c’est qu’il n’y a pas de véritable libération. Je pense ici à — comment dire ? — certains mouvements féministes qui ont argué, par exemple, que avant les années soixante / soixante-dix, la linguistique étant — comment dire ? — essentiellement structurale, elle ne permettait pas d’atteindre les enjeux de la domination masculine et.... de l’universalisation du monde, je dirais, dans le masculin de la langue. Le problème, bon... c’est la linguistique structurale d’une part et ce qu’elle a pu faire de la langue — c’est-à-dire que, bon, la langue, en effet, n’est pas seulement une structure, comme on a dit tout-à l’heure, c’est aussi une dynamique vitale...

L.L. de Mars
C’est de la subjectivité...

Jean-François
C’est aussi de la société mais aussi de la relation individuelle, intersubjective, transsubjective : on n’est pas des individus coupés du monde ou coupés du...

L.L. de Mars
Je crois que ce dont on parle, c’est une guerre infinie entre une pensée continue et une pensée discontinue du monde...  Effectivement, cette pensée prescriptive des énoncés, qui les arrête, qui les fige dans le temps ou qui rêve qu’avec ça on va arrêter les problèmes, qu’on va les tenir cernés, qui pense inlassablement un monde tout entier dans la discontinuité, dans la séparation, dans sa reconduction... C’est-à-dire, l’idée même que l’on puisse vivre... le langage, et que le discours soit un lieu d’apparition, cette idée profondément fluide, profondément continue, elle contient l’idée que les possibles — c’est-à-dire la transformation du monde — sont en action. Et cette transformation, ce qui est assez fou, c’est elle qui est appelée par les énoncés prescripteurs : « on va changer le monde, on va le rendre un peu mieux ».. Mais précisément, à partir du moment où de l’énoncé tu fais chose discontinue, cette transformation elle est arrêtée ; toute possibilité d’ouvrir aux devenirs est arrêtée. E là où ça devient terrifiant, évidemment, c’est que de par ce fait même, tu accules... le participant à une de ces minorités imaginaires à ne plus se définir qu’à travers elles. C’est-à-dire que, non seulement, à travers elles il s’arrête mais, il n’est même plus possible, une fois que le travail est entamé dans ces rapports de discontinuité de se définir autrement qu’à travers elles : c’est pire encore que ce qu’on pouvait imaginer...

Jean-François
Alors, ce qu’il y a c’est que toute position théorique doit avoir sa propre situation critique et, par là-même, je dirais, montrer un certain esprit... d’ouverture... pour ne pas, je dirais, clore son propre champ de recherche et sa propre aventure, même. Parce que, d’un côté, évidemment, on ne peut pas nier qu’il y ait eut en occident une domination masculine

L.L. de Mars
c’est difficile à nier
!

Jean-François
Il faut... bon... on peut que le constater culturellement. En revanche, on... puisqu’on en vient par exemple... Un exemple qui serait celui...de... du... enfin, de la projection du genre dans le langage donc des enjeux de la pronominalisation... On peut pas en faire non plus un universel.. c’est-à-dire que, là aussi on reste dans le théorique, on reste dans l’historique, on reste dans la recherche d’une éthique... d’un langage... Et c’est important qu’il y ait ces recherches enfin, qu’il y ait ces modes de pensée qui... qui travaillent avec d’autres modes de pensées... c’est-à-dire qu’il s’agit de construire, au fond, ensemble — et... quelle que soit la pensée — une anthropologie collective... et donc... d’essayer de faire les choses ensemble, si on peut dire ça comme ça

L.L. de Mars ...
bin précisément, du coup. Là... Là, ça contient son propre interdit : à partir du moment où t’as rapport à une forme... enfin... à un certain rapport au discours qui... qui voudrait le régler selon le principe de ce qui est juste ou pas juste, mais comme imposition apriorique, cette transformation — nécessaire pour travailler ensemble — devient impossible puisqu’il faut commencer... le premier travail à faire est déjà de se soumettre aux règles de cette imposition ; je crois qu’elles contiennent en elles beaucoup trop d’impossible pour qu’il ne faille pas commencer par là, par se débarasser d’elles. Oui, il faut qu’on travaille ensemble, il y a énormément de choses à régler mais, de cette manière c’est juste impossible puisqu’elle contient l’impossible même de ce devenir. Tu vois le problème que ça pose, quoi : si effectivement on transforme en ... en difficulté majeure le fait même de commencer à parler ensemble, alors tout le reste devient pratiquement impossible.

Jean-François
Oui, enfin... il y a une sorte de... enfin, il y a beaucoup d’inconscient, je dirais, quand on parle et... beaucoup d’inconscience aussi et on en met tous... alors quelle que soit la manière dont on parle, quel que soit ce qu’on veut dire, il y a autant de corps, autant d’inconscient, autant de mots que de sujets. Alors qu’est-ce qui se passe quand on parle pour le coup ? Est-ce qu’on peut... imaginer — je suis plutôt un garçon — que quand je parle, je ne parle pas aux filles ?.. Est-ce qu’on peut appliquer un décalque narturalisant, biologisant, sur la langue ? Bon, je me suis un peu posé la question et j’ai regardé un petit peu ce qu’il en était dans la littérature... sur le sujet et j’ai pu observer qu’il n’y avait pas d’unanimité concernant la — comment dire — l’action de la différence sexuelle dans... dans le langage. Monique Wittig,  par exemple, conteste, enfin, reproblématise l’affaire en disant : elle, elle préfère ne pas appliquer la différence sexuelle dans le langage parce que à son avis, on reproduit la différence au lieu de remettre, je dirais, l’homme et la femme dans la relation. Et, pour le coup, elle reproduit le — comment dire — l’asservissement au pouvoir, l’assujetissement, plutôt qu’elle ne libère, là pour le coup... la femme. Donc ce qui est souvent mis en avant — c’est encore cette histoire entre individu et société, entre unité et pluralité — c’est-à-dire  : est-ce qu’on fait une théorie de la femme dans ce cas-là ? Ou une théorie des femmes ? Ou... est-ce qu’il y a une pensée féminine qui serait si distincte de la pensée de l’homme ? Et pour autant, est-ce qu‘il faut effacer les différences ? Est-ce que la femme perd la langue quand, je dirais, quand elle... quand elle ne peut pas la travailler sur le plan de sa physique ? Alors que c’est tout son corps qui travaille la langue ; comme c’est tout le corps de chacun qui travaille la langue.
On n’est pas dans des petites touches impressionnistes sur la langue où on dit : « Bon, ben là, je vais faire plutôt comme-ci, plutôt comme ça »... Non : on parle. Et on dit des choses. Et comme on dit des choses, on ne dit pas des mots, on parle entre les mots. On avait déjà évoqué cette question : le discours précède la langue, parce que la langue c’est quelque chose d’historique. Et même concernant... le genre, j’ai pu observer que des théoriciens des
languages of cultural studies abandonnaient cette différenciation dans la langue. Je pense à des chercheurs comme Natacha Chetcuti et Luca Greco par exemple ; ils l’abandonnent, à chaque fois, partiellement, mais en tout cas ils la reproblématisent ; parce qu’il faut la repenser. Il faut continuer à penser et donc continuer à se demander si c’est la bonne ou la mauvaise solution. Il y ades gens qui sont très ouverts en la matière et... et qui défendent pour autant des positions tout à fait légitimes et qu’il faut écouter ; mais il faut pouvoir s’écouter ensemble, et que chacun ne parle pas sa propre langue. Et donc cette gymnastique qu’il faut faire pour être à la fois dans sa pensée et avec les autres et c’est ... c’est un peu la difficulté...

L.L. de Mars
Oui. Et il y a aussi la difficulté du régime ; enfin je vois ça précisément à cause d’un exemple qui était venu dans les conversations qui ont rendu cette émission... pas
nécessaire, non, mais en tout cas qui en ont donné l’idée : un des régimes particuliers du discours qui avait été évoqué était celui de l’insulte. Et c’est intéressant de voir que...que...par là-même, par ce petit détail, on voyait une tentative de régulation des énoncés comme une espèce de totalité uniforme oublier complètement les régimes et les moments du discours. Comme si, à tout moment du discours, celui-ci était toujours... par rapport à la langue, dans un même régime. Alors que celle-ci inlassablement transformée propose... pour elle, nous pouvons proposer des moments complètement différents de son actualisation et du coup de son sens, des propositions de sens, que nous faisons avec elle... à différents moments du discours les même mots, les mêmes termes, les mêmes énoncés signifient des choses radicalement différentes.
C’est un détail important qui dit aussi que l’autre problème qui accompagne celui de la discontinuité, c’est celui d’une pensée totalisante de la langue, une pensée sans régime implicite, sans moment, sans fracture. Il ne s’agit même pas, tu vois, que de la subjectivation... bon, c‘est essentiel effectivement au langage, mais il y a aussi autre chose, qui est une espèce de typologie interne à la langue, qui se soustrait à cette espèce de vision totale qui serait, à tout moment d’elle-même, au même état ; comme s’il était indifférent à tout moment et à toute situation que d’employer le mot «merde», comme si à chaque fois le mot merde signifiait toujours
les excréments. Or c’est faux : quand je m’emmerde, je ne suis pas en train de me chier dessus. Donc voilà. Tout le monde le sais très bien. Si je te traite de fils de pute, je ne suis pas en train de parler de ta maman par exemple ; je parle de tout à fait autre chose. Je suis dans le registre de l’insulte... Et c’est quelque chose qui est assez important parce que là-aussi... la totalité comme la discontinuité, ça vise à faire complètement abstraction, à rendre complètement abstrait, quelque chose qui est la vie même, quoi ; et ça, c’est un putain de problème. C’est là, qu’effectivement, le possible s’arrête : c’est quand on transforme en parfaite abstraction, en matière à réguler, quelque chose qui n’est pas de la matière à réguler mais qui est le coeur battant de toute vie humaine. ...

Jean-François
Oui, enfin, c’est du  
politiquement correct dont tu parles...

L.L. de Mars
Je parle des rapports, peut-être pas seulement du politiquement correct mais l’idée toute bête qu’on... qu’on s’adresse à quiconque en oubliant complètement que «on s’adresse» justement. Je prend un exemple tout à fait con qu’on évoquait avant l’émission mais qui est pas... qui peut éclairer certains trucs : je faisais de la bicyclette avec C. et on s’est fait apostropher par des types qui — on a vaguement pigé qu’ils nous insultaient mais on n’en savait trop rien parce que... J’ai compris à leur ton qu’ils nous comparaient à quelquechose... Le truc, c’est que je ne savais pas du tout de quoi ils parlaient. Donc eux, ils avaient le sentiment qu’ils nous avaient insultés mais, moi et C. on se portait plutôt pas mal, on n’en avait pas grand-chose à carrer, on ne s’est pas sentis du tout offensés. Et là, on a bien compris que le régime de l’insulte exige au moins d’avoir un rapport particulier, un moment particulier, un régime particulier d’entretien avec l’offensé ; l’insulte, par exemple, se parle plutôt dans la langue de l’offensé. Parce que si elle est fixée comme une espèce de totalité du côté de l’offensant, bin ça ne marche pas du tout : là, l’offensant avait l’air de quelquechose, mais nous on est passé complètement à côté de l’insulte...


Jean-François
Je crois que le... ce que tu dis me fait penser à une théorie du langage qu’on appelle la
nomination. C’est comme si, en fait... on retournait à l’instrumentalisation du langage comme  mode d’énonciation du monde. Mais on ne dit pas les choses du monde... Les choses ne se passent pas comme ça. Et pour le coup, la langue — si elle n’est jamais comme on la pense parce qu’elle est toujours ailleurs, ne serait-ce que par les autres — elle est... enfin son principe essentiel — si je peux me permettre de parler d’essentialité — je dirais avec précaution, peut-être dans ce cas-là — son principe essentiel c’est la métaphore. Et je pense que la langue est un mode d’invention du sujet par rapport au monde ; donc, du coup, effectivement il y a des insultes ; mais moi ce qui m’emmerde dans l’insulte, c’est quand elle manque d’inventivité. Mais quand elle est un poème, quand elle est autre chose, elle prend tout de suite une autre forme parce que elle devient mode de libération, éventuellement mode d’invention ou autre aventure. Mais... le problème est encore une fois la manière dont on pense le langage, la manière dont on pense qu‘il agit. Et, bon... « enculé » ou «merde» sont étrangement, enfin, font partie du vocabulaire, mais ce qui fait ce vocabulaire c’est évidemment, chacun dans sa langue, l’inventant à chaque fois. Comme dit Benveniste : «chaque matin quand je croise ma concierge dans les escaliers, je lui dit bonjour et chaque fois c’est un événement différent, c’est une énonciation différente et pourtant tous les jours je lui bonjour mais c’est jamais le même bonjour.» et je crois qu’il n’y a pas, comme ça, un universalisme « merde » qui serait la merde de tout le monde et un transubjectif pour ne pas dire, je dirais, un transdigestif...


L.L. de Mars
Oh c’est vraiment très très drôle ça, on ne peut pas... on ne peut pas ne pas finir là-dessus...
(rires) Bon. Oui, oui... Il y a quelque chose de non-verbal finalement dans l’insulte, surtout, là, quand on insulte à plusieurs. La question de l’insulte collective, elle est surtout, enfin, devant la police pendant des moments de chaleur collective, où l’insulte est une sorte de réconfortant qui effectivement est oral, mais est-il vraiment verbal ? Pas vraiment. C’est un moment de joie particulier, c’est un moment de la lutte qui vocalise, et tout ce qui le compose, ce avec quoi on le compose, c’est un rapport d’intensité collective, ce moment-là, et un moment de joie particulier...


Jean-François
Il y ‘a du pulsionnel dans la langue... Et on peut parfois réprimer des comportements... mais dans certaines circonstances bin... Après c’est toujours difficile... Il s’agit de situer — enfin — ce que tu disais tout à l’heure : l’offensé et l’offensant qui... qui dit que l’autre à fait etc... est-ce que c’est hors contexte?  est-ce que c’est disproportionné ? c’est malpoli... gros mots... ordurier... enfin je ne sais pas, mais le problème il est qu’on ne peut pas nettoyer le sujet comme ça en lui nettoyant la langue (rires) ...

Julien
Juste... C’était au sujet de l’insulte qui doit devenir poème ... Ce que dit Jean-François... Du coup, en tout cas moi, je voulais affiner ça, en disant que ce qui est déjà à expérimenter, et ce qui est difficile à expérimenter lorsque est prescrit, présuposé que l’insulte en elle-même est un danger parce que le signifié qui est déjà dit devient un signifiant qui remet en cause la division qu’on avait choisie, et du coup que... l’intensité qui est vécue à ce moment-là de l’insulte en fait...ce qui pour moi vraiment est un risque entre nous, ce qu’on peut vivre entre nous, c’est que justement ça, ça puisse pas exister, et que du coup.... que l’insulte devient poème, ça ne peut l’être que si avant tu as vécu au moins la possibilité de l’insulte. C’est-à-dire sans que tu poses vraiment la question justement c’est un

L.L. de Mars
Précisément, il faut quand même bien s’entendre sur ce qu’on entend par « le poème» : il s’agit quand même de ce qui fait l’inconnu et la critique du langage plutôt, hein. Il ne s’agit pas
d’écrire un poème..  il s’agit pas de penser la poésie de l’insulte, il s’agit vraiment de se mettre en jeu - c’est peut-être ça que tu dois entendre par poème : être au moins nouveau, offensant, mais dans une parfaite invention

Jean-François
Ce que j’entend par là c’est que l’insulte elle se réalise à de multiples niveaux. Bon, il y a l’insulte de base... mais il peut y avoir des insultes très élaborées qui vont avoir leur efficacité d’une certaine manière parce que...elles sauront être outrancières différemment par exemple, ça c’est une autre histoire

L.L. de Mars
Chacun pour le coup dans son rapport d’intensité et aussi d’invention à ce moment là...

Jean-François  
Parceque après, cette histoire d’offensé et d’offensant est évidemment un jeu et fait, en quelque sorte, le critère très subjectif, pour le coup... de celui qui va insulter, de celui qui va être insulté d’être insulté, et on peut comme ça... avoir une chaîne signifiante qui n’en finit pas de... de se réaliser ; et pour autant, au bout du compte, si on est dans un univers d’insulte, on ne la voit plus. Je crois que le problème, il est pas seulement le mot de l’insulte lui-même, il est le contexte ; il est : est-ce que ça offense l’autre ? Il est dans le rapport à ce moment là à l’autre, un rapport bon... ou prescriptif ou non, est-ce qu’on est offensé ou non

L.L. de Mars
c’est quand même essentiel que l’insulté soit de très mauvaise humeur après l’insulte : donc si tu traites un flic, d’heideggerien il s’en branle ; si tu traites un flic de fils de pute, ça va marcher beaucoup plus fort. Il faut dire les choses crûment : il faut aussi rentrer dans le régime où l’insulte soit une insulte, qu’elle garde sa fonction. On est quand même en train de parler de quelque chose d’important : c’est aussi des régimes de l’insulte, en tant que, même pour eux, il faudrait trouver l’insulte adéquate, c’est-à-dire : à tout moment de la langue, à tout moment du discours, il faudrait toujours conserver en arrière plan dans la tête, l’idée qu’il y ait des prescriptions sur la langue ! Qu’il ne faut jamais les quitter même quand on injurie un flic ! Alors surtout pas
fils de pute, surtout pas enculé. Parce que enculer c’est autre chose... Mais non, justement, enculer c’est plein de choses différentes ; c’est une chose dans mon cul à certains moments de la journée, mais c’est aussi une injure à un autre moment. C’est plein de choses à des moments différents de la vie, dans des régimes différents

Jean-François
Ce qui est intéressant, c’est que, pour le coup, on est dans un rapport où on est plus dans l’adresse, on n’est plus dans un rapport
je/tu, on n’est plus dans un rapport discursif à proprement parler. On est, avec l’insulte, non plus dans un rapport entre sujets, mais dans un rapport d’individus. Ce qui apparaît là

L.L. de Mars
Y’a un rapport de fonction, aussi, par ce que devant le flic, tu vois, on excède encore...

Jean-François
On est dans un rapport entre
il et elle, mais plus dans un rapport je/tu à proprement parler, par lequel se fait le discours, c’est-à- dire le rapport entre un sujet et un autre sujet... Et je crois que le problème, il est surtout là : il est surtout que le sujet n’est plus respecté dans le rapport intersubjectif en quelque sorte. Du coup, je ne sais comment aborder ce sujet mais...le problème c’est que ce rapport à la troisième personne, à l’autre qui n’est plus un rapport d’altérité se pose d’une autre manière...

L.L. de Mars
C’est intéressant c’est-à dire qu’il y a aussi des moments désincarnés du discours... Il y a des moments qui impliquent... c’est assez essentiel... Parce que là, on parle de moments collectifs d’insulte, mais de toutes façons ils le sont toujours ; l’insulte, il y a toujours une collectivisation à ce moment-là de ce que tu appelles le rapport à l’autre.
L’autre, c’est effectivement une figure complètement collective, c’est une concrétion de l’ imaginaire. Ce n’est plus du tout un tu, ce n’est plus quelqu’un à qui on s’adresse. Mais ça me paraissait intéressant de le noter, en tout cas sous l‘ordre du régime, parce que une fois de plus j’ai le sentiment que... que toute tentative de mise en coupe de la langue dans l’espoir extrèmement vain d’améliorer nos rapports est si folle qu’elle viserait à cette régulation jusque dans  les moments qui ne sont pas des moments d’amélioration mais le contraire. Le moment de la plus grande violence, le moment où tout s’éffondre dans les rapports, le moment d’insulte c’est un moment où on n’est pas sensés être en train de faire quelque chose pour améliorer nos rapports avec le monde, précisément pas ; jusque là, ça devient impossible. Ça veut dire aussi que si tout est égal, il faut que ça le soit jusque dans les intentions et même dans nos rapports au langage. T’imagines ce que ça signifie ? C’est un appel au silence constant... C’est un silence jusque dans l’insulte quand même ! C’est un moment assez fort ce silence exigé ; ça peut ne paraître qu’un détail, c’est étrange d’insister sur l’insulte, mais ça m’intéresse beaucoup parce que c’est un moment où normalement quelquechose doit perdre pied, c’est précisément le moment sans surveillance, clé, celui de l’insulte. Et faire appel à ce moment là à l’autosurveillance, c’est cauchemardesque, je crois qu’on ne peut pas rêver plus tyrannique que d’exiger de quelqu’un qu’il se surveille quand il insulte un flic ou n’importe quoi d’autre.

Jean-François
Je suis absolument d’accord (rires)
c’est vrai.

L.L. de Mars
Autant exiger de se surveiller quand on baise aussi, tu sais quand on se dit des cochonneries pendant qu’on baise : c’est le moment précis ou on gazouille, où on lâche des enfantillages ; où on peut même s’autoriser par jeu librement consenti, à dire des choses abominablement sexistes, y’a pas de moment de la vie où on a plus envie d’être l’objet de quelqu’un d’autre. Là, je sais pas, tu t’imagines te surveiller pendant ce moment là ?
Jean-François Ce à quoi ça me fait penser c’est que quand j’insulte, tu vois, c’est un peu comme l’onomatopée ... c’est du corps. C’est du corps qui fait langage. Et c’est d’autant plus dur d’être censuré qu’on est censuré au niveau du corps et, je dirais, au-delà du langage. Je crois que ce qui peut être douloureux, ce qui peut être ressenti comme douloureux, se fait à ce niveau-là. C’est-à-dire que l’insulte, au fond, elle montre bien que la limite entre le corps et le langage, bin, on sait pas très bien où elle est. Et du coup, pour ceux qui, je dirais, auraient un caractère censeur à l’égard de l’injurieux, pourraient aussi peut-être imaginer qu’ils censurent l’autre à un niveau... du discours qui est le corps-même, et qui est le corps même continu du langage, et qui n’est pas simplement l’anecdote de la langue ou simplement un registre de langage qu’il soit haut ou bas ; le problème n‘est pas là. Le problème est qu’il est une aventure du sujet et que cette aventure du sujet, elle se fait dans l’altérité, elle ne se fait pas dans l’autre. C’est -à-dire que quand je parle d’altérité, je veux dire par là : dans la relation qui fait qu’on est sujet. Tu connais mon attachement à Henri Meschonnic et à une petite phrase que j’utilise assez souvent qui dit : « Est sujet celui par qui un autre est sujet » ; c’est-à-dire que si pour toi l’autre n’est plus sujet, au fond, tu perds quelque chose toi-même en tant que sujet. Je crois que le problème, il est surtout là. Après, bon, chacun est libre aussi, justement dans le cadre de cette altérité, mais au sens où l’identité de chacun se fait, je dirais, relationnellement . Pas individuellement, avec des petites touches comme ça, par-ci par-là, de maintien de l’ordre qu’on... qu’on répète, qu’on reproduit sans même s’en rendre compte. Donc, tout ça ça reste bien sûr à penser ; parce que on est dans une relation de langage, d’autant plus que quand on est dans une aventure politique la relation de langage, elle est primordiale ; et faire corps dans la critique, dans la critique politique, dans la résitance politique, c’est bien sûr difficile ; et c’est difficile parce que c’est une question de vie, d’organisation de la vie, c’est une question de transformation de la pensée... que ça, bin, ça se vit avec tout le poids du quotidien et tout le silence dont tu parlais qui fait la vie dans le langage également. Voilà... ça reste quelque chose qui est difficile toujours à problématiser et on n’en sort pas... On est pas là pour donner des réponses, on est là pour essayer de transformer des problèmes. (rires)

L.L. de Mars
Voilà, c’est un bon début on va dire...  Bon je sais pas, tu as envie... je pense que c’était déjà assez copieux, oui, on va arrêter là pour aujourd’hui, ça me semble... bin, merci Jean-François

Julien
Tu nous présente le prochain titre

L.L. de Mars
Le prochain, ça doit être une pièce de Boismortier. Vas-y lance Boismortier... Je crois que c’est un extrait de son Requiem.

 


Références :