Minuit passé (2013)
Mon ami Michel et moi prenons souvent un café ensemble le matin. Il est debout depuis plusieurs heures la plupart du temps, il a rêvé, intensément. J'ai depuis longtemps envie de faire un film avec lui, c'est-à-dire avec ce qu'il est, son histoire, sa façon d'être, mais la rencontre ne se fait pas. Je le connais trop pour lui proposer de se masquer derrière un rôle dans une fiction et en même temps j'ai envie de documenter une prise de pouvoir de la vie sur l'artifice. Trop de produits audiovisuels étouffent dans le carcan des story-board détaillés et du tournage hiérarchisé et planifié. Je veux fabriquer un film à rebours où l'essentiel serait dans les plis comme dirait Deleuze, entre les plans, avant « action » et après « coupez » et raconterait une histoire débarrassée de l'injonction du récit, dispensée d'efficacité, seulement un film « mal fait peut-être mais vivant » (Jonas Mekas). Michel produit des rêves, comme tout le monde, et cette production ne sert à rien, à peine influence-t-elle l'humeur de la journée. Pourtant, je m'y suis progressivement intéressé, moins pour les péripéties en elles-mêmes que pour le récit auquel est contraint le rêveur pour les traduire, les transmettre. Cette nécessité a ouvert le passage par lequel Michel et moi pouvions enfin nous rencontrer.