L.L. De Mars - Exposition pornographie
à Alphagraph, mars 2001

cette exposition s'est déroulée à la librairie Alphagraph: cette librairie est spécialisée dans la vente de bd et ouvrages de graphismes underground, et, ce qui me décida à y faire cette exposition, de livres pornographiques artistiques.
a liberté qu'on s'accorde est celle dont on a su définir clairement l'objet (le mouvement qui la porte, comme la nature de son enjeu) ; oublier cet objet, c'est tracer dans l'air au-dessus de soi le périmètre de son action, et confondre liberté et démence. C'est en ce point que toute liberté est contingente, mais elle le sera toujours moins que la démence.
Quittez de l'œil l'objet de votre liberté, et elle ne sera plus que le chant de son propre nom - la litanie qu'elle se donne à elle-même - celui d'une liturgie pour un dieu mort.
La liberté de parler, de définir les traits pertinents de son désir et l'espace qu'on veut offrir à son assouvissement, son expansion ou sa limitation, est irréductiblement liée à ce contrat de précision : libre absolument, vous auriez rejoint la majorité absolue - celle des morts - ou encore la transparence absolue - celle des anges.
La censure est probablement inadmissible (et l'est-elle absolument ?), mais la censure de la censure n'en est pas moins absurde si elle doit faire oublier la nature de ce qu'on a voulu un jour couper, et ce qui a présidé à la coupure. S'il s'agit d'un désir inavouable, alors c'est bien plus le désir qu'il faut s'attacher à défendre que l'aveu.
Il y a une certaine cécité à se tourner vers la pornographie comme si elle représentait - comme un trait métaphysique - une réponse pleine d'elle-même suffisante à subvertir la tentation de couper. Une pornographie vidée de son cul, un manifeste. Ce serait oublier l'enjeu de la pornographie qui est, nous reconduisant à la porte de notre propre désir, de questionner le fondement de toute coupure et l'implication insaisissable du désir de l'autre, de tous les autres.
La librairie Alphagraph se propose (entre autres choses) de rendre accessible à sa clientèle le travail de la pornographie - disons - étymologique (la part clandestine, inévidente, prostitutionnelle de l'art) ; mais cette liberté qui nous est offerte ne doit pas transformer la pornographie à son tour en masque de l'obscène (une lumière trop violente rendant aveugle), c'est-à-dire métapornographie n'agissant plus que comme rouage d'une liberté (sans territoire) à conquérir contre la censure : il faut continuer, au contraire, à voir piégés en elle l'obscénité et le puits des questions qu'elle pose à notre désir, et surtout à la forme singulière, inéchangeable de celui-ci. Rien ne serait plus inquiétant que de n'être pas choqué par l'obscène : ce serait là l'installation dans la démence, l'inaptitude à faire pénétrer la coupure dans le champ de son désir.
'ai choisi de ne montrer, en somme, en présentant ici ces académies d'une scénographie de ma contre-libido, que le verbe montrer. Il n'y a rien, ici, qui soit l'objet de mon désir. Système de représentation de ma propre coupure. Et pourtant, il y a bien eu un temps, un temps d'atelier, au cours duquel j'étais tout entier appliqué à les faire ces dessins, ces aquarelles, où je me donnais à mon enfer. C'est bien montrer, s'il le fallait encore, que celui qui se donne à la pratique de l'art court souvent le risque de faire principalement des choses qui l'horrifient ou le ruinent ; ce qui le conduira un jour, enfin, à faire l'épreuve de ce qu'il ne peut absolument pas faire, faute de pouvoir rencontrer ce qu'il ne peut imaginer. Dans cet étrange mouvement des répliques contradictoires se dessine le champ de son désir en action.
Pourquoi des académies ? Là encore, tout est affaire de contre-libido. Graphiquement, il y a des moments où il est bon de risquer l'insignifiance, une vague histoire de répartitions des charges pulsionnelles, en quelque sorte ; histoire, surtout, de faire peser sur la série présentée ici la charge du lieu duquel elle est émise, et, bien entendu, de celui vers lequel elle se tourne, où elle s'expose : la confusion est toujours grande quand un graphisme superpose la violence faite à des conventions formelles et la violence faite à des conventions morales, une sorte de magma de libidos aveugles l'une à l'autre. C'est encore autre chose que la démence, c'est une forme d'irresponsabilité brutale, un culte de l'expressivité, c'est-à-dire de la colère. La plus grande violence, au fond, qui soit faite ici, est celle que j'inflige à l'éclosion de ma jouissance, pour redonner à la censure non pas la légitimité de son exercice, mais bien le sens du dialogue qu'elle entretient avec la pornographie, avec le désir et son effectuation.

L.L.D.M., mars 2001, pour Alphagraph

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