Expériences de survie

Trois Expériences de Survie est organisé autour d’un récit : celui-ci met en scène un narrateur qui expose avec une émotion maladroite trois expériences particulièrement pénibles qu’il a vécues. Spectateur passif d’une macabre cérémonie souterraine, il se creuse ensuite seul un chemin vers la surface du sol. Celle-ci semble un aboutissement à une fuite solitaire ; mais, en compagnie d’amis, il assiste, impuissant, à un autre massacre où la technologie remplace le rituel.
Les instruments créent un espace à plusieurs plans et donnent des points de vue différents sur la scène, cela particulièrement au cours de la première expérience du narrateur ; l’auditeur suit le point de vue, déformé par la naïveté et l’incompréhension, de ce dernier. Ainsi la brutalité et la sauvagerie de la cérémonie sont soulignées par le balafon tandis que le personnage évoque le confort du siège d’où il assiste à la scène. La basse sourde donne une assise chthonienne au spectacle souterrain, que renforce l’éclatement lointain des gouttes d’eau produites par le synthétiseur. La guitare électrique préparée révèle, par ses accords étouffés évoquant les sonorités de cloches fêlées, la religiosité primitive du spectacle. Le synthétiseur monophonique, par sa ligne sombre très étouffée entrecoupée de soubresauts, donne le point de l’animal sacrifié dont l’expression dérisoire et le souffle oppressé sont des traits de contrebasse à l’archet.
Lors de la deuxième expérience, l’enfermement du narrateur dans l’espace très restreint d’un terrier est signalé par une réverbération très courte accompagnant le personnage dans son déplacement de l’arrière-plan vers l’auditeur. Au premier plan, les instruments à corde frottées produisent tout un grouillement d’insectes et de rongeurs non identifiables dont l’activité incessante est comparable à celle du personnage creusant lui-même le sol. Le saxophone, par ses sonorités mi-animales, mi-mécaniques exprime par un mouvement de torsion ascendante une tension et une angoisse liées à la nécessité de l’activité perpétuelle.
Les seules mélodies de la composition sont interprétées par la contrebasse, dans la troisième expérience. La ligne mélodique ample et désinvolte est interrompue par une partie mécanique rythmée par les instruments à corde et le métallophone, surmontée par la sirène narquoise et métallique d’une ambulance au synthétiseur. Le retour de la contrebasse marque le retour du narrateur après une catastrophe collective ; une cérémonie mécanique et funèbre scandée par la torsion d’une ligne de guitare électrique s’achevant par un accord sourd clôt ce passage. La respiration tourmentée de la contrebasse et le cliquetis régulier du métallophone annoncent un réveil prochain, mais ouvrent sur le silence.

 

Markale est un marché au centre de Sarajevo qui par deux fois a été bombardé par l’artillerie serbe ; ceci sans aucun autre objectif stratégique que celui de terroriser les populations de la ville assiégée et d’accélérer l’extermination des Bosniaques.
Un peu plus loin, toujours à Sarajevo, les snipers tuent au fusil à lunettes d’autres civils, foudroyant hommes, femmes et enfants.
Encore plus loin, les forces armées des Nations Unies s’apprêtent indéfiniment à intervenir afin de protéger enfin avec fracas les populations massacrées qu’elles ont laissées pratiquement pieds et poings liés à la merci de leurs bourreaux serbes en les désarmant.
La composition de STPO, en trois parties correspondant à chaque point de vue, s’ouvre sur l’harmonie fragile de flûtes et d’un jouet d’enfant sous la direction d’une flûte basse. Cette harmonie est perturbée par la proximité des combats : des notes piquées et de longues notes suraiguës expriment cet affolement devant l’horreur à venir : la déflagration d’un obus serbe fauchant bras, jambes et têtes. La partie rythmique qui suit, surmontée par l’horrible clameur guerrière d’un clairon de cavalerie exprime la submersion par le massacre de l’existence des communautés à Sarajevo ; le chant scande cette vision d’horreur : « marchant dans une forêt de bras et jambes, arrachant la peau ».
Une détonation annonce le changement de point de vue : celui du sniper ajustant son tir sur des têtes de femmes et d’enfants. Le coup de feu ponctue le chœur affolé de flûtes, puis la seule partie lyrique de la composition rassemblant batterie, basse, guitare et contrebasse accompagnant un sprechgesang contraint l’auditeur à pénétrer les pensées d’un franc-tireur de l’extermination raciale guettant les résultats au loin de chacun de ses tirs : « un de descendu, deux de descendus. Prends la : elle, ce n’est pas une femme ; eux, ce ne sont pas des enfants. Et l’argent, tu en auras si tu fais mouche. »
Un accord de guitare dissonant martèle le mot « shoot » ; dans sa résonance on perçoit de très loin des nuées d’hélicoptères interprétées au synthétiseur auquel s’adjoignent progressivement la guitare électrique, la basse et la batterie. Les équipages des machines de guerre sont stimulés par la voix triomphaliste du Colonel Marsac (celui-là n’est pas sans rappeler le Colonel Kilgore et sa cavalerie héliportée d’Apocalypse Now) tandis que les instruments hachent par leur martèlement mécanique l’espace sonore comme ce qui se trouve en dessous des machines, sur le sol, va être laminé par cette force colossale.
Ceci prépare le terrain à des parachutistes à tête de cochon armés de tronçonneuses : tout ce qui s’élève encore au-dessus d’un sol uniforme va être ainsi abattu, arasé.
Le délire guerrier (digne d’un Colonel Kurtz) s’achève brusquement par une gracile chevauchée des Walkyries à l’envers interprétée par la contrebasse tandis que s’éteint le souffle souffreteux du clairon.

expériences - 7:58mn
extrait 1
extrait 2
mp3
Markale - 7:27mn
extrait 1
extrait 2
mp3