Otages. 1996. Collage, photographies, acrylique et encre sur carton. 80x215cms.


Si le titre de ce triptyque renvoie indirectement à la série du même nom d'Art & Language, c'est que le rapport d'annexion d'une image est sensiblement le même, tout en se manifestant différemment. Leur série Hostages, qui combine la picturalité minutieuse de paysages ou de palettes de peintre réalisée avant que leur visibilité ne soit brouillée par l'écrasement d'une plaque de verre sur la pâte encore fraiche rend manifeste sa liquidité visqueuse, liquéfaction grasse prenant le dessus sur toute volonté de représentation... Qui, ou quoi, est l'otage de l'autre? Est-ce le paysage en tant que genre, qui est directement indexé à la matérialité de la peinture, aux gestes du peintre qui en forme ou non l'image? Est-ce la peinture elle-même, soumise au temps nécessaire de son séchage pour garantir sa solidité, rendue ici impossible par l'écrasement d'un matériau dont l'usage d'encadrement et de protection, d'enjolivure, déborderait de sa fonction par ratage? A la dualité de réfection et d'usure de l'image, un autre couple s'amorce: celui du gain et de la perte....

"Otages", détail 1.Avoir choisi la reproduction du Portrait de jeune fille de Pétrus Christus, tant pour le goût de cet incarnat que parce qu'il s'abîme peu à peu sous les lézardes de sa croûte picturale, n'est pas innocent en regard de ma propre pratique du portrait. Son état actuel augure une désaffection, une désincarnation progressive, et l'attention portée aus craquelures si flagrantes ne me permet plus de le voir véritablement en tant que portrait, mais aussi en tant que peinture lacérée, lacérant du coup son sujet. Sa reproduction a fait l'objet d'un dépouillement préalable à la multiplication de son report en divers endroits du triptyque. Il ne reste pas grand chose à l'oeil de son incarnation originale: la nuée de déformations est telle qu'au sein du troisième volet, seuls quelques fragments ne l'évoquent plus que par les craquelures provoquées. Craquelures des collages aux unités de plus en plus discrètes et éparses, craquelures de la pâte qui perd de son liant...
Les deux peintures, le triptyque et le portrait -la convocatrice et la convoquée- sont aux antipodes dans une série de cas possibles, deux manières d'envisager la représentation. L'appropriation résulte ici d'un rapport d'apparition/disparition qui fait que la figure oscille entre sa présence et son absence, dénivelée en multiples, alter-image se constituant au moment précis de son éclipse.

"Otages", détail 2.Emprunter son oeuvre à un peintre, c'est peut-être lui voler un peu de sa capacité à incarner un être; c'est surtout lui rendre la monnaie de sa pièce, la pièce rapportée qui se greffe à l'épiderme d'une jeune fille et en démultiplie la structure cellulaire; le microscope fonctionne aussi dans ce cas, où l'apparence personnifiée passe du côté de l'altération, témoignant, parce qu'elle cache et montre à la fois, les traces d'un objet de vision. C'est la peinture qui devient ici l'otage d'une production qui certes la malmène, mais qui en redouble aussi la présence, pour la faire jouer dans le tissage actif d'une relation, où la contamination d'une oeuvre à l'autre détermine une démarche fondée sur l'effraction. Effraction du temps, produite par la déflagration d'une oeuvre qui, ainsi prise en compte, fait imploser l'élaboration empirique d'un programme que la peinture gère d'elle-même.