"Observer le mouvement des nuages peut parfois inspirer de modestes ambitions. Ne pas se trouver à l'endroit où l'on vous attend en est une. Fuir jusqu'à son ombre, multiplier ses zones d'assignation, jouer la disparition comme une aubaine ou encore connaître l'indifférence d'un genre de meurtre, tout cela les nuages nous l'enseignent.

Il faut d'abord avoir appris à déconsidérer la question de l'exactitude du lieu où l'on se trouve, du corps que l'on habite, relativement à ce qui nous en fournit les données: Médecine et météos, circonscrivant corps et lieux, s'effondrent à cette orée, faisant place à d'autres mobiles au goût de catastrophe paisible.
 

C'est bien cela le pouvoir des nuages, ce passage en fugue où chaque instant perd un peu mieux ce qu'on avait cru voir grossir et saisir une fois pour toutes, glissant imperceptiblement vers un point de fuite. Qu'une masse mouvante esquive ainsi l'horizon d'une résidence, qu'un observateur soit pris de vertige à cette mobilité, et voici poindre le signe d'une grâce hypothétique rendant aux corps leur lieu indésignable. Car quoi qu'on dise, un corps n'est jamais là où on le croit. Absolument jamais.
Penser cela, dans l'absolu et la négation, c'est estimer la chance d'occuper quelque non-lieu, quelques parages, plutôt que briguer une place au soleil."

L.Pinon 1998