Lundi
12 janvier 2004
Le soir, en se promenant, tomber sur des blocs de parpaings, dans une
descente de garage du côté de République, s'émouvoir que tous étrangement
hérissés portent une croix, les faisant en cela ressembler à des tombes,
à un cimétière, cela déjà valait photo. Et puis lire le texte écrit
en bas, s'approcher et lire: "On va venir chier tous les jours
sur votre honteuse installation anti-sdf. Propriétaires de merde, bientôt
c'est vous qui dormirez dehors." Alors comprendre l'infâmie.
Ici on ne supporte pas que des personnes à ce point démunies qu'elles
doivent dormir dans la rue, que ces personnes sans logement, prennent
refuge dans cette pente qui sans doute les met tout juste à l'abri du
vent et de la pluie. Alors on prend des mesures, on vote, et on construit,
on construit, à l'économie, des blocs de parpaings et on les assemble
de telle sorte qu'il soit absolument impossible de s'allonger d'aucune
façon que ce soit. Quelle honte! Je me demande combien cela leur a coûté
aux propriétaires de faire venir les maçons ces gens-là évidemment
ne savent pas manier eux-mêmes la truelle, sans doute trop salissante
et combien de repas chauds on peut acheter avec cet argent ou
de sandwichs offerts la main tendue et de discuter un peu, sans offrir
de solution ni d'encouragement, juste de la petite conversation qui
donne un peu de chaleur. En prenant les photos s'apercevoir que les
personnes chassées, mais qui apparemment savent parfaitement écrire,
pas la moindre faute d'orthographe dans ces cinq lignes, de la concision
à revendre en plus je voudrais être sûr que les brutes qui habitent
là sachent écrire de la sorte sans le correcteur d'orthographe-passoire
de Word s'apercevoir donc, au nez, qu'ils ont tenu parole,
ça pue la pisse et quelques étrons embaument en contrebas.
La brutalité de tout ceci.
Je pense au Dépeupleur de Samuel Beckett, ce cylindre-hâchoir
dans lequel croulent des humains qui ont à peine la place de se tenir
debout les uns contre les autres, sans tout à fait se toucher, et tout,
jusqu'à la température du cylindre sans cesse changeante, est conçu
pour les harceller sans cesse. Les interstices laissés libres par les
parpaings me font exactement penser à cela: ils sont l'augmentation
de l'inconfort. Le ciment de cette descente de garage n'était pas assez
dur comme cela sans doute. Les espaces que laissent les rangs de parpaings
sont juste prévus pour que nul ne puisse s'y allonger, et ceux des parpaings
qui sont plantés debout le sont de telle sorte qu'on ne puisse prendre
aucune diagonale.
De ce garage entrent et sortent des voitures et leurs conducteurs s'accomodent,
apparemment, de voir ces parpaings, dans les phares de leurs automobiles,
et comment font-ils pour oublier chaque fois à quoi servent ces parpaings?
Car c'est encore bien plus que de détourner le regard, ici c'est la
pensée qu'il faut détourner.
Je ne manie généralement pas l'insulte parce que je trouve qu'elle
renseigne davantage à propos de celui la profère qu'à propos de celui
qui la reçoit mais là, c'est bien tout ce que ces gens méritent,
je vous donne l'adresse 32, rue René Boulanger dans le dixième
arrondissement, c'est juste à côté de République allez conchier
et compisser cette descente de garage. C'est tout ce qu'il reste aux
gens de la rue, de pisser et de chier contre cette porte de garage,
bientôt c'est tout ce qu'il nous restera aussi pour dire à ces gens
bien-pensants et bien-barricadés ce que nous pensons de leur pensée
étroite. Misérables.
posted by Philippe De Jonckheere
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