Libération - le 19 mars 2005 - dossier
sur Rennes un correctif |
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Je sais pas pour vous, mais moi si je lisais dans
un journal un type déclarer : «Il y a un foyer de vie intellectuelle
incroyable avec lequel la ville ne travaille jamais» et ceci immédiatement
suivi — sans autre détour que la copule
«Au point que» — de : «je suis invité pour des lectures
à Nice ou à Marseille», je me dirais : «Hmmm,
voilà un bien beau specimen de connard». Pas vous? Il y a quelqu'un pour s'imaginer que j'aie pu dire une phrase comme celle-là?
Vous m'imaginer gueuler contre l'institution et pleurnicher parce qu'elle
s'occupe pas de mes couilles? Alors Comment ça arrive des trucs pareils? Enfin, ça aurait pû être bien pire, c'est vrai. Je
suis sans aucun doute juste un peu trop stupide et trop vaniteux pour
avoir simplement résisté à la perspective de faire
le kéké dans le journal en disant au passage du mal de quelques
singes habillés, et je l'ai pas volé, ça m'apprendra,
ceci cela. En attendant que Libé se mette à l'Internet, voici les liens absents de ce dossier:
L.L. de Mars - 19 03 05
*Yassin? J'avoue que je n'ai jamais vu ton nom écrit, ne m'en veux pas trop si je l'écorche. En tant que membre de la confédération des cancrelats susnommés,
je souscris péniblement. Il y a le coup de la citation, le poids
de réel "coco" qu'il faut injecter pour que ce soit crédible
(hum... risible, justement c'est pas un enregistrement au magnéto,
c'est pas de la vidéo ou de la télé, c'est justement
de l'écrit, alors les guillemets, genre, ça, il l'a vraiment
dit, ça me fait toujours suer de rire. D'ailleurs, la pratique
des agences de presse en ce moment, c'est la paraphrase « Machin
a déclaré que truc. En effet, dans une conférence
devant la presse, il a dit «truc»». À
ce rythme-là, on peut en foutre douze niveaux sans rien apporter
de plus dans le sens du réel, de l'attestation, du je-ne-sais quoi
qui devrait se trouver là. C'est quoi un effet de réel dans
la presse écrite ?). La charte "graphique", Ô délices ! Pour faire
un papier, tu enquêtes, tu y passes quelques heures, jours, peu
importe, tu interroges des gens, si tu veux être sérieux,
tu en interroge pas mal, même si dès le début on t'as
mis en garde (devise sacro-sainte du journaliste « trop d'info tue
l'info »). Bon, au bout du compte tu as ta «matière»
(étonnant ce nom). Et là un maquettiste vient te voir et
te donne ton calibrage, bon, d'accord, ce mec qui t'as dit des trucs intéressants,
nuancés, qui t'as donné une information complexe, il faut
que tu le fasses rentrer dans - « Attends, il y a une grande photo,
hum ... huit cent signes, un peu moins ce serait bien ». Bon, tu
fais huit cents signes, tu massacres, tu abrases la nuance, tu laisses
des déformations grosses comme ça, tu tords jusqu'à
ce que ça rentre, des fois quand même tu parviens à
en laisser un petit peu, de ce qui a été dit (c'est rare,
ça peut arriver). Alors après, le circuit, le célèbre
circuit, douze niveaux de correction et d'édition qui vont faire
rentrer ton papier dans la ligne, dans la charte, « Ça, c'est
bien, on va le mettre en avant », jusqu'à ce qu'un secrétaire
de rédaction vienne te voir pour te dire que l'encadré de
huit cents signes fait avec tes douze pages de notes, ce serait bien de
la ramener à quatre-cents, avec un inter dans la premier tiers,
ce serait mieux visuellement. Bien, ceci n'est pas du tout dit à la décharge des journalistes.
Ils acceptent de jouer le jeu, ils en bouffent, ils s'en arrangent très
efficacement, du moins efficacement pour leur bien-être personnel,
et puis c'est un des rares boulots où on soit payé pour
être curieux, il y en a même quelques-uns qui parviennent
à faire du bon travail (ne me demandez pas de noms, mais ça
doit exister, y'a pas de raisons). Non, juste pour revenir au poncif de
McLuhan qui n'a pas pris une ride, le message, c'est le médium,
ie -> la presse est par essence pourrie, tout comme la télé
est par essence pourrie, ce n'est pas un accident, une perversion, c'est
une conséquence de son mode de production et de son histoire (maquette,
charte, pub, nécessité de sortir un numéro périodiquement
même s'il n'y a rien à dire, hiérachisation et division
du travail ...). Et la photo, donc, c'est qui ? Oolong |