TERRE NOIRE
Introduction
Le travail précaire est un phénomène social
qui ne peut être compris qu’en relation avec les normes
et modèles dominants dans une société donnée.
Le travail précaire, est une relation sociale qui met en
présence deux types d’acteurs lors d’un échange
marchand ; elle est caractérisée par son asymétrie.
Les représentations sociales qui sont associées à
la personne qui travaille dans des conditions précaires sont
dévalorisantes et stigmatisantes. L’employeur échappe
le plus souvent à l’analyse. Le/la travailleur/euse
précaire par contre est depuis toujours l’objet d’attentions
particulières de la part des services sociaux, juridiques,de
la police.
La «souplesse» du travailleur précaire ou du
chômeur est en soi un fantasme majeur : celui d’une
personne «femme ou homme» disponible, c’est-à-dire
ne refusant pas un travail quel qu’il soit qu’il suffit
de solliciter sur la base d’un contrat évident, connu
de tous : le devoir d’échanger sa force de travail
contre le salaire le plus bas possible, non accompagné de
droits sociaux. C’est ce contrat qui établit le travail
précaire. C’est bien sûr un fantasme essentiellement
réservé aux employeurs : ce sont évidemment
les patrons qui forment la masse énorme des clients du travail
précaire.
Au contrat d’un peu «de travail» contre le minimum
d’argent possible, les travailleurs précaires ajoutent
une clause particulière, généralement ignorée
des clients : prendre le plus d’argent possible et se débarrasser
du travail le plus rapidement possible, ce qui revient à
se débrouiller pour que le travail soit effectué avec
le moins d’investissement possible.
La quasi totalité des personnes soumises au travail précaire
n’a pas choisi la précarité : à de rares
exceptions près, elles ont été contraintes
d’une façon ou d’une autre, c’est une donnée
indéniable.Parfois, c’est une situation socio-économique
qui aura favorisé le passage au travail à courte durée
ou un besoin d’argent lié à une situation familiale.
De nombreux travailleurs précaires ont besoin d’un
produit pour travailler, alcool ou psychotropes. On voit que travail
précaire n’a rien d’une attitude «complaissante»
... : la plupart du temps, cette situation socio-économique
n’explique pas tout.Souvent c’est la manipulation de
la pression sociale et/ou la force, tout simplement, la coercition
où les menaces répétées des services
sociaux sur la personne et sur son entourage.
Mais qu’est-ce qui peut bien permettre à une personne
d’offrir son travail contre si peu d’argent ?
Le décalage entre les aspirations entretenues par la société,
notamment l’illusion que chacun a le devoir de réussir
la vie qu’il s’imagine et la réalité d’un
monde du travail où se livre la plus impitoyable des compétitions
expliquent assez bien cette «aptitude». La découverte
prématurée de la guerre économique, et notamment
du sort cruel réservé aux exclus, à un âge
où un enfant «ou un adolescent» n’est pas
en mesure de la comprendre va engendrer une représentation
très dévalorisée de la notion d’accomplissement
personnel par le biais du travail. Parce que le travail est interprété
comme rare, parce que la course à la performance développée
dès l’école maternelle génèrent
honte et culpabilité, l’avenir lui-même est vécu
comme quelque chose de menaçant et de terrible, le/la futur»e»
précaire s’enfermant dans le sentiment de sa propre
responsabilité, face à la rareté du travail.
En outre, comme les conditions de travail des parents de l’enfant
ne sont pas respectés par la société même
qui est censé les protéger, comme c’est ce même
travail qui est responsable de sa souffrance, le travail devient
un objet détestable et sans valeur aux yeux du/de la futur(e)
précaire qui intègre peu à peu, et parallèlement,
l’idée que cette même force de travail est paradoxalement
la seule chose qui lui donne un intérêt aux yeux de
la société ...
Il est alors possible, non de se vendre, mais de consentir à
être utilisé à vil prix à des fins pécuniaires.
Ecoutons K. : «Depuis le moment où ma dignité
de femme et d’être humain m’ont été
volées, je constate que je n’ai de cesse de vivre et
revivre à l’infini les mêmes rapports d’abus
avec divers employeurs. J’ai été l’assistante
de chefs d’entreprise, de cadres rencontrés par le
biais de petites annonces de l’ANPE. Je les ai laissés
m’utiliser et suis repartie. Et chaque fois, pendant toute
l’opération, je n’ai pas prononcé un seul
mot, comme si une partie de moi avait accepté l’idée
que je ne valais pas plus qu’un morceau de viande qu’une
entreprise ou qu’une institution, n’importe laquelle,
pouvait utiliser pour des tâches pratiques sous rémunérées.
J’étais responsable de la croissance de du chiffre
d’affaire, il fallait à tout prix aider à être
bénéficiaire. Je ne décrirais pas le nombre
de fois où je me suis laissée utiliser par des structures
qui ne me plaisaient pas, qui me dégoûtaient ....»
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