j’ma boîte


ronds ovales carrés rectangulaires trapézoïdes coniques cuculiformes, mes récipients tupperware me donnent pleine et entière satisfaction : leur intérieur lisse et spacieux m’a permis avec bonheur d’abriter mon raffarin d’un milieu ambiant vicié par l’anti-valeur du loisir durant tant de hasardeuses décennies de progrès social

aujourd’hui, sur une table bien plane et proprette, aseptisée de toute trace de gauche, j’ouvre ma boîte de pandore et, moment d’intense émotion, je le retrouve intact, vierge de tout nitrate, rose et dispo, si fat et si couard, mon pédagogue robotique facétieusement enrayé sur un tapis reculant

ah oui alors ça j’aime ma boîte, réceptacle de la première merveille du monde, celle qui dans son benêt sillage a déclassé toutes les autres !

ce matin, je me suis, les ai, éclaté(s) comme une bête au taf, après être allé trouver le directeur des ressources humaines à 9 heures, facétieux, d’humeur farceuse, je lui ai tamponné d’un petit coup de presse-papier la tempe gauche, j’ai senti que ça s’enfonçait sous la peau, il a craqué comme un œuf ça m’a fait penser à pâques, il m’a regardé d’une façon si comique avec ses grands yeux frisés qu’il m’est apparu comme une absolue nécessité de conserver dans la poche de mon veston toute l’intensité drolatique de ce regard que j’ai ôté avec l’assurance chirurgicale de son coupe-coupe de coupe-papier, à 10h15 j’ai pénétré la secrétaire de direction, je lui ai fourré son dictaphone dans le fion après avoir incisé son tailleur et coincé sa frimousse impersonnelle et permanentée dans le tiroir supérieur de son bureau, à 10h35 j’ai commencé à occire les comptables par paires, en projetant l’un contre l’autre leurs deux crânes chiffrés, à 11h je suis allé remettre ma démission à ma façon au boss, je n’ai pas joué avec lui parce que je sais que c’est un homme pressé le boss qui n’a pas le temps de jouer avec des sous-fifres comme moi, tel un jaguar, d’une seule impulsion motrice rondement menée, je l’ai défenestré, eh oui décidément ce matin on peut dire que je me suis éclaté dans ma boîte

raffarin est mon copain, j’aime ses bons yeux remplis de france d’en bas, j’aime quand il va là où ça rassure, dans le temps jadis, là où on savait se donner sans compter pour ébouriffer une frange favorisée, mon patron m’aime en secret car je l’enrichis, c’est beau un homme heureux, je suis bien dans ma boîte