Entretien réalisé en juin 2020 par visioconférence,
en présence de A. Achard, C. de Trogoff & L.L. de Mars

transcription de Maxime Hureau
https://gargarismes.com/

— L.L. de Mars: dans ce cas là, ce que je propose, avant que Pierre nous parle d'un livre en particulier – enfin plusieurs d'ailleurs – mais peut-être faire un point chrono, comme pour les autres interlocuteurs...

— Pierre Faedi: d'accord

— L.L. de Mars: Voir comment...

—C. de Trogoff: Comment il a commencé, des choses comme ça ?

Lllm : L’idée... Comme on aborde vraiment la question sous un angle technique, des prospectives techniques, comment... On prend le travail sous un angle un peu particulier, comment ça prend corps dans la manipulation des objets, dans la découverte des possibilités techniques et en tout cas celles de la reproduction puisqu'on parle de micro-publication... Savoir à quel moment, par exemple, ça devient une évidence pour toi que, pour qu'un livre existe en plusieurs exemplaires, y’a des moyens pour le faire, et que ces moyens, peut-être, tu pourrais en disposer, ça se passe comment ?

— Pierre Faedi: disposer des moyens ? … Bah

— L.L. de Mars: Ouais, c'est comment tu fais ce... Ce point de jonction entre l'intuition qu'un livre, bah oui, faut le fabriquer en plusieurs exemplaires, il existe pas que chez toi, ça c'est un truc qu'on... Enfant, c'est pas une évidence, la première fois

— Pierre Faedi: Ouais, ouais

— L.L. de Mars: Et le moment que, peut-être, les moyens… Que tu peux t'en emparer toi aussi pour faire des livres et voilà.

—C. de Trogoff: Ouais je peux faire une précision : en fait, le but de ces entretiens, c'est de voir comment à travers le temps les auteurs se sont de plus en plus… Ont pu de plus en plus s'approprier des moyens de production et en quoi ça a influé sur les formes que ça peut prendre, tu vois ? Entre les années 70 et aujourd'hui, on a de plus en plus la possibilité de faire soi-même ses objets, sans passer par des intermédiaires et ça influence les formes et les... La prise en main technique. Donc c'est un peu ça.

— Pierre Faedi: Ouais, je vois tout à fait, je vois tout à fait, après... Oui, comment ça devient une évidence pour moi... Là, y’a aussi un ressenti personnel parce que moi j'ai une espèce de fascination... Peut-être, ouais, d'obsession pour la collection de... Dès que je trouve un intérêt, un centre d'intérêt ou quelque chose, je vais me mettre à collectionner ; bon pas… Je suis pas un fana', enfin, ça va pas très très loin, mais moi ce qui me fascine un peu c'est les collectionneurs ou... Ouais les objets qui sont collectibles. Donc moi, quand je produis une image, ça me paraît assez évident que je la voudrais en plusieurs exemplaires parce que j'ai envie de la partager, voilà. Pas de manière industrielle, je souhaite que ce soit quelque chose d'assez intime, donc c'est pour ça qu'en fait pour moi la micro-édition c'est plus qu'une évidence, c'est des moments que tu partages avec des gens et je peux me dire que par exemple quand au tout début je faisais des livres à 25 ou 50 exemplaires, en fait, j'ai un peu des souvenirs des moments ou des échanges qui ont eu lieu pour... Enfin des moments de partage comme ça ou de... je ne sais pas si c'est clair ce que je raconte ou pas.

— Alexandra Achard: Oui, oui tu vois plus le multiple, pas comme la reproduction du même objet mais comme les possibilités du lien qu'elle créé.

— Pierre Faedi: Ouais, c'est ça, et aussi... enfin ouais. Ouais

— Alexandra Achard: Donc c'est pas centré – pardon – c'est pas centré sur l'objet en lui-même, c'est centré sur ce que l'objet est capable de faire comme lien avec celui qui va le posséder ou le prendre.

— Pierre Faedi: Ouais voilà c'est ça, ouais. Et en fait il y a ce truc aussi que... Je produis aussi de la musique et c'est exactement dans la même démarche. Là par exemple j'ai ce disque là... enfin en fait des choses qu'on va produire chez Urin / Gargarism / Records ( https://urin-gargarism.bandcamp.com/ ), ça va être aussi des choses en tirage assez limité. Bon, si c'est des cassettes, ça va être 50 ou 100 exemplaires et si c'est des vinyles ça va être 200, 300 ; et cette envie de produire une image aussi en multiple... Et le procédé... Bah, au tout départ j'avais quoi... En fait j'essayais d'avoir accès à un photocopieur et puis après quand je suis allé aux Beaux-Arts, j'ai découvert la sérigraphie, du coup je suis pas sorti de la cave où il y avait des ateliers de sérigraphie. Et puis après quand je suis arrivé à Strasbourg, bah j'ai découvert la duplication riso et en fait je me suis vraiment dit ouais ! Mais c'est mon outil ! Enfin j'ai besoin de ce... Enfin du coup j'ai fait l'acquisition de machine pour pouvoir dupliquer.

— L.L. de Mars: D'accord. Le copieur, de base, c'est-à-dire bien avant le duplicopieur riso, le brave photocopieur... C'est enfant qu'il rentre dans ta vie ou tu es déjà adolescent quand tu fais tes premiers fanzines en photocopie ?

— Pierre Faedi: Non, un peu plus tard quand même ; mais disons que, enfant ou adolescent, en fait c'est... L'attrait pour le multiple qui est venu par le biais de la collection : ça va être des figurines, ça va être des cartes. Bah, par exemple, en fait, là, j'ai repris totalement le virus, là, je suis sur mon bureau, en fait, enfin voilà, je joue à ce jeu de cartes ; les cartes Magic, je ne sais pas si vous voyez.

— L.L. de Mars: Alors pour l'audio : Pierre nous montre des cartes (rires)

—C. de Trogoff: des cartes à collectionner... Comme on voyait dans notre...

— Pierre Faedi: Ouais voilà c'est des cartes qui se jouent, en fait, moi je joue avec ces cartes

—C. de Trogoff: c'est pour des jeux de rôle, c'est ça ?

— Pierre Faedi: Alors c'est une espèce de jeu de rôles, en fait c'est un jeu où tu as... Tu es un sorcier, tu as une soixantaine de cartes et ces cartes représentent des sorts, en fait, et du coup tu construits ton livre de sorts, en fait, et du coup c'est des cartes que tu peux avoir par exemple en quatre exemplaires dans chaque livre... Dans chaque bibliothèque, voilà. Mais du coup cet attrait... Y’a même un marché de collection assez fou dans ces jeux de cartes et y a des gens qui collectionnent des défauts d'impression. Bon, avec la technologie actuelle, y’a de moins en moins de défaut, donc c'est de plus en plus rare, mais je me rappelle des cartes de mon enfance, y’avait des décalages, y’avait des couches offset qui sautaient, ou des trucs comme ça et c'était fascinant quoi fin, c'était génial !

— L.L. de Mars: Oui je vois. Donc, deux questions liées à ça. La première, elle est factuelle : est-ce que ça veut dire que les premiers objets que toi tu as multipliés, c'étaient des cartes ? Et d'autre part : la découverte de ces défauts d'impression, quand tu étais assez jeune pour jouer avec ces cartes, ça stimulait quoi chez toi ? Est-ce que ça stimulait un désir de comprendre comment ces défauts d'impression apparaissaient, est-ce que ça stimulait le désir de reproduire les défauts eux-mêmes ? Enfin : comment ça rentre dans ta perception des images ?

— Pierre Faedi: Alors... C'était assez fascinant absolument. Les cartes en soi étaient assez fascinantes, même sans défaut, tu vois, genre j'étais gamin, y avait des cartes... Moi, j'ai commencé quand j'étais gamin, je me faisais plumer par les plus grands, les ados et tout ça, mais... J'en ai quand même gardé un bon souvenir. La preuve : j'ai repris ! Mais ouais ouais, ce qui me fascinait aussi c'était cette espèce d'intérêt pour tout ce qu'il y a autour, le design, le package et puis des fois voir des cartes pourquoi elles sont mal imprimées ou ci ou ça. Et... Voilà après, au niveau des études j'ai fait une formation pro dans les métiers d'impression, donc j'ai vu, j'ai fait des stages, j'ai vu des presses offset, j'ai vu des procédés d'impression ; ça m'a passé comme ça, mais après, ouais, justement, c'est en allant aux Beaux-Arts que j'ai un peu plus compris l'intérêt pour les choses imprimées en multiple, et ces défauts, en fait, si tu cherches à les reproduire, pour moi je sais pas si c'est des défauts... Mais j'ai plutôt l'impression que... En fait, faudrait qu'ils viennent à toi, voilà. Ces défauts, ils vont venir par la production en soi, en fait, la duplication riso, c'est vraiment l'outil même de la... De la mise en avant du défaut. Enfin, c'est vraiment assumer le défaut. Enfin, si tu veux quelque chose de tiré aux 4 épingles, t'utilises pas de machine riso... D'autant plus que moi, j'utilise de vieilles machines que j'ai récupérées, enfin c'est pas les tous derniers modèles qui sont peut-être un poil plus précis et plus fin dans le détail.

— L.L. de Mars: Quoi dernier modèle ? Tu veux dire qu'on en refabrique à nouveau des duplicateurs... duplicopieurs riso ?

— Pierre Faedi: Ah ouais mais tout à fait !

— L.L. de Mars: Ah ?!

— Pierre Faedi: En fait, moi mon tout premier duplicateur, c'est 2013-2014, je l'ai récupéré dans une mairie qui servait à l'association de tennis… Et du coup, en fait, à la base ouais c'est vraiment des objets qui... Enfin, des outils qui servaient à être indépendants dans la chaîne graphique, comme beaucoup de procédés d'impression, une fois un peu obsolètes ou accessibles, les artistes viennent ainsi s'en emparer. Et du coup, moi, il y a quelques années, on m'avait dit :« bon bah riso ça va s’essouffler » et tout ça, mais non, pas du tout. En fait, y’a une société qui propose des machines, récentes, et qui sont performantes et c'est assez intéressant parce que moi j'utilise des duplicateurs qu'ont une vingtaine d'années donc du coup, quand j'ai des pannes, je regarde sur Ebay pour retrouver des pièces ou pour les consommables. C'est pas toujours les mêmes, il y a des histoires de compatibilité, voilà... Mais oui oui, ça a vraiment le vent en poupe, ouais voilà.

— Alexandra Achard: alors du coup, du coup, moi j'ai deux questions, peut-être, enfin deux questions, qui...

— Pierre Faedi: oui bien-sûr

— Alexandra Achard: Deux questions, je sais pas si ces deux questions.... Déjà la première c'est que si j'imagine que si c'est encore en production [bruits] (peut-être que Laurent et Agnès quand vous parlez pas vous pouvez mettre mute sur votre micro)

— L.L. de Mars: on peut mettre quoi ?

— Alexandra Achard: Vous pouvez mettre votre micro en pause quand vous parlez pas parce que l’enregistrement sera plus propre, parce qu'on entend les bruits de fond.. … Ouais, parfait ! Je disais que… Oui, deux questions : tu dis que tu utilises un duplicateur riso qui a 20 ans, tu dis qu'on en produit encore aujourd'hui et tu dis que toi tu utilises ceux d'il y a 20 ans : c'est une question financière ou c'est vraiment une question par rapport à ce que ça produit et ce que ça rend, puisque tu dis qu'il faut quand même les réparer ; tu les répares, donc tu as l'air d'avoir le choix, entre guillemets, de prendre soit celui d'il y a 20 ans, soit d'en essayer de retrouver certains, de maintenant.

— Pierre Faedi: alors non, c'est pas un choix... Alors... C'est à moitié par dépit, parce que, effectivement le grain de vieux.... C'est une histoire de résolution. C'est pas des pixels, c'est des points, parce que c'est une matrice, où c'est micro-perforé, donc c'est vraiment une histoire de résolution pour le type de rendu ; et puis y a des modèles qui vont faire plus ou moins tel type de décalage... Mais non, en fait, si j'avais l'opportunité... Bah j'étais, avant qu'on soit confiné pour la première fois, en fait, j'étais en phase d'essayer de concrétiser, parce que c'est du leasing en fait, c'est de la location, enfin...

—C. de Trogoff [à Lldm] : Leasing, leasing.

— Pierre Faedi: Oui voilà, leasing.

— L.L. de Mars: c'est quoi ?

— Pierre Faedi: Riso, en fait, l'entreprise...

—C. de Trogoff [à Lldm] : tu loues !

— Pierre Faedi: … fournit un contrat de location, c'est à la copie et puis du coup avec, y a une maintenance

—C. de Trogoff [à Lldm] : mais y a l'entretien en plus.

— Pierre Faedi: Voilà, y a de l'entretien, ça me permettrait d'éviter des temps fous à essayer de comprendre et à démonter chaque pièce pour voir comment ça fonctionne, mais bon, à force, je commence à réussir un peu à entretenir ou à réparer certaines pièces bien que, à certains moments ça réussisse pas. Mais oui, je pense que, à l'avenir, je vais essayer de choper un duplicateur plus récent et bon, les rendus sont quand même assez proches hein, c'est juste plus confortable voilà.

— Alexandra Achard: et l'autre question, c'était que, tu as dit quelque chose qui m'intrigue, c'est que t'as souligné le fait que le duplicateur riso il était, par définition, une mise en avant du défaut. Qu'est-ce que ça veut dire pour toi, ça, la mise en avant du défaut ?

— Pierre Faedi: Alors... donc là j'ai ce livre

[Pierre montre un livre de Guillaume Chauchat https://gargarismes.com/index.php/produit/boom-shaka-laka/]

Alors Boom Shaka Laka donc c'est un livre, qu'on a fait... On a mis deux ans à le faire, parce qu'il a été fait entièrement à la main, donc c'est une reliure à la japonaise avec un... Aussi cousu, dos carré, donc c'est un gros temps de travail et du coup c'est des grandes pages imprimées au duplicateur donc avec une rythmique... Où on va avoir des pages uniquement au noir, on va avoir des pages en 4 couleurs en aplats, et vers la fin on a des pages en 4 couleurs avec une synthèse donc... Bah, en fait, Guillaume, il est légèrement daltonien, donc, en fait, il m'a proposé ce bouquin où y a des couleurs assez primaires... Voilà. Et en quoi c'est la ? Je ne sais plus quel terme j'ai utilisé pour...

— Alexandra Achard: la mise en avant, la mise en avant du défaut

— Pierre Faedi: Ouais... Bah en fait, le défaut, quand tu imprimes en riso, il est pratiquement... Il est assez inévitable, et c'est... ça en devient une force esthétique, comme quand tu vois des sérigraphies où tu va voir un léger décalage et tout ça ; là, tu vas jamais avoir des aplats qui sont parfaits, ça va toujours un peu baver ou bouger... Et en fait, ça donne vraiment une force... Et là par exemple au niveau de la... Comment dire ? De la construction petit à petit on s'est dit : « bah tiens on va garder aussi cet espèce de note en bas de génération en fait » c'est indesign quand je fais mes exports de couche avant l'impression...Il me dit : « c'est telle page, c'est telle couche » et tout ça, et en fait on s'est dit mais... Là, ce format là donc, qui est pas... On a agrandi les marges pour... Bah, déjà, pour garder un peu ça, ça avait un côté un peu... Et ça, c'est un truc… Je sais pas… C'est pas un défaut, mais c'est les trucs qui partent à la coupe, donc c'est les choses un peu non désirables, c'est les choses utilitaires et c'est pareil, on a ce truc-là, aussi, des traits de coupe qui bougent selon la reliure et du coup vu qu'on a gardé un format plus grand que prévu, on a aussi gardé cette espèce de petite rythmique, voilà. Et du coup c'est vraiment un objet où tu en auras pas un qui sera pareil... Voilà.

— Alexandra Achard: et donc du coup, vous réintroduisez l'unicité du procédé de reproduction

— Pierre Faedi: Ouais !

— Alexandra Achard: malgré le multiple, donc en fait...

— Pierre Faedi: Ouais, tout à fait.

— Alexandra Achard: C'est ça vous...

—C. de Trogoff: vous gardez l'artisanat en fait

— Pierre Faedi: ah ouais totalement

—C. de Trogoff: le côté artisanal mais en réintégrant en plus la façon dont c'est fait en gardant les marques qui normalement s'enlèvent à la fin.

— L.L. de Mars: J'aurais une question… J'aurais une question plus d'ordre théorico-esthétique, du coup, après je reviendrai sur une question chronologique ensuite, mais là je saute sur ce que tu dis pour voir ce que ça suscite chez moi. Quelle différence tu établis... Comment tu arrives à placer ta propre conscience de l'objet sur une ligne, on va dire... une ligne qui soit autre chose que collectionneuse. Entre le fétichisme de la petite différence, tu sais, cette petite chose qui va marquer les exemplaires qui dit « vous voyez c'est artisanal donc ça a de la valeur » — mais une valeur qui est plus... qui est très ambiguë, dont on ne sait pas si elle est une valeur esthétique ou juste un moyen de réaffirmer l'unicité de la marchandise — et le fait de laisser venir à soi les défauts, comme des vraies propriétés plastiques ? Là, dans le cas que tu nous présentes... C'est pas si évident de trouver cette frontière, parce que tu vois bien qu'elle est poreuse, c'est des questions bah... C'est presque des questions morales qu'on se pose toujours artistiquement

— Pierre Faedi: tout à fait, tout à fait

— L.L. de Mars: et y a des moments quand tu travailles... Quand tu travailles dans les veloutés, ce que tu fais parfois dans tes réalisations en riso notamment avec Tom de Pékin... Laisser venir l'accident, on voit bien ce que ça implique comme résultat, c'est que, à cause de la profusion des couches, là, l'accident peut devenir, peut générer vraiment beaucoup de choses, on peut dire que tu lui ouvres tes portes, alors que dans d'autres cas on peut se poser plus la question quand il y a finalement une si faible marge accidentelle comme dans le bouquin de Chauchat... Comment tu te situes par rapport à ça ? Parce que évidemment, tu n'ignores pas le fait que, quoi qu'on fasse, quand on fait du multiple, on s'inscrit, qu'on veuille s'en soustraire ou pas, dans une vision du marché, et que la question de la différence d'une certaine manière et de l'artisanat, elle est productrice de valeurs symboliques dans ce cas là, qu'est-ce que tu pourrais nous dire sur tout ça ?

— Pierre Faedi: Ouh ! C'est que... En fait ouais, c'est une pratique, c'est vraiment une pratique du défaut... C'est pas une revendication en soi, mais c'est une chose qui vient de manière assez évidente, et en fait, je vais vraiment, moi, quand je vais ouvrir mes livres, je vais voir tout le process, et je vais voir comment j'ai contourné ou comment j'ai accepté certains défauts et le problème, en fait, c'est que si tu l'acceptes pas ou si tu le revendiques pas... Cet outil, comme la sérigraphie, en fait, n'est pas fait pour ça, ou alors, en fait, il faudrait par exemple beaucoup plus de pertes, de gâches ou de choses et... Ouais... Je sais pas si ça répond bien à ta question, mais moi je suis constamment en recherche de certains accidents. Bin, par exemple, là, on parle de ça, là j'ai... Un moment, j'ai une couleur qui a foiré, y a un tambour qui a explosé – enfin, de l'intérieur – la pompe elle marchait plus, elle alimentait plus en encre ; donc là tu peux voir ici les stries de jaune, j'ai perdu du jaune du coup

— L.L. de Mars: Ok, Pierre nous tend... Pierre tend à la caméra – je décris, parce que sinon on ne saura plus quand on aura la bande – Pierre tend à la caméra donc une feuille qui est un déchet d'impression – c'est ça ? - avec des traces jaunes de passage, qui doivent être des marques de rouleau, c'est ça ?

— Pierre Faedi: ouais, c'est ça, des marques de rouleau... Alors ces marques-là ensuite, ben moi j'arrivais plus à réparer cette mach... Enfin, cette couleur jaune, ce tambour de jaune, il était pété hein, parce que en Riso c'est, faut préciser, c'est... Les machines classiques, quand on a plusieurs tambours, c'est couleur après couleur. C'est vraiment… La machine riso, c'est vraiment entre l'offset et la sérigraphie, c'est un procédé rotatif, qui imprime à sec ou à froid et... Qui a des teintes assez fortes qui sont proches de la sérigraphie, voilà. Donc c'est un peu le meilleur des deux, quoi, ça imprime couleur par couleur avec des belles teintes... Voilà… Cela dit, en offset, on peut avoir des tons directs et tout ça, mais c'est des procédés qui sont quand mêmes plus lourds, faut quand même imprimer beaucoup plus pour avoir un ouvrage en offset. Donc ensuite, j'arrivais plus... En fait, on a un zine collectif, là, qui est en train de se faire, j'arrivais plus du tout à sortir du jaune, donc j'ai pris en catastrophe un tambour, un tambour de rouge, que j'ai vidé hein, et petit à petit que j'ai transformé et du coup... Progressivement, le jaune vient et... Du coup, moi j'étais... Enfin ce truc sort, il était...
C'était l'annonce du confinement, je crois que j'étais coincé à mon atelier, et j'étais totalement fasciné par ces couleurs qui venaient, ce jaune qui venait mais très timidement, petit à petit, et je me suis dit : « bon bah il faut que j'en fasse quelque chose ! »... j'ai pris tous mes scans de carnets, en fait les dessinage ça vient comme ça, ça vient quand j'ai un défaut de tambour ou des chose comme ça, et que je... Enfin pas le tout premier, le deuxième...

— L.L. de Mars: le tout premier, c'est ça, non ?

— Pierre Faedi: Alors le premier, c'est lui là, voilà, c'est mes chutes de carnets, les choses que je mets un peu de côté et le deuxième... attend est-ce que j'en un qui traîne ? – ah bah tiens j'en ai un ! Tiens voilà : le deuxième, en fait, c'est… J'ai récupéré un tambour noir qui était voué à la déchèt', sur ma petite machine A4 et ben... J'ai mis une cartouche de flat gold — en fait c'est une espèce d'ocre qui ressemble à du doré quand c'est très clair — et donc, petit à petit, on voit la couleur se transformer et... Voilà ! Du coup, là, c'est pareil, j'ai fait un dessinage où les images, en fait, petit à petit, elles disparaissent parce que le jaune c'est pas vraiment une couleur très puissante pour affirmer du contour ou du trait, c'est vraiment une couleur de support, parfois pour appuyer ou pour aller avec du... Un trait, du noir, des choses comme ça... Enfin je le vois comme ça donc... Au fur à mesure que les planches de ce troisième opus de dessinage sortaient, en fait, les choses disparaissaient, ça fait un peu un truc un peu voilé, un peu éthéré comme ça, qui m'a un peu intéressé. Voilà.

—C. de Trogoff: Et du coup, tu les réutilises et tu retravailles dessus après, ça va te servir de fond, quelque chose comme ça ?

— Pierre Faedi: …Bah cette couleur... Bah, je pourrais vous envoyer des photos en fait, moi j'ai imprimé, j'ai gardé ces planches là, j'ai mis du texte dessus pour introduire dessinage n°3, et après j'ai repris ce tambour là qui... Du rouge, là ça fait une espèce de très belle couleur un peu veloutée, un peu pêche, qui est arrivée de pêche à jaune et petit à petit mes images devenaient jaunes, voilà.

 

—C. de Trogoff: tu utilisais la progression de l'erreur...

— Pierre Faedi: ouais, voilà. Après, est-ce qu'on appelle ça une erreur ? Je sais pas.

— Alexandra Achard: est-ce que, du coup, par rapport à ça — parce que la question de ton travail et de ton rapport à la couleur dans tes impressions, qui semble être une exploitation ou en tout cas tu sautes sur l'occasion quand y a un défaut technique — est-ce que tu es allé jusqu'à le produire, le défaut technique ?

— L.L. de Mars: comme un piano préparé de John Cage ! Un peu comme les pianos préparés, ouais, est-ce que tu as introduit des facteurs de déstabilisation ?

— Alexandra Achard: ouais ça serait... C'est une question !

— L.L. de Mars: est-ce que tu as abîmé volontairement tes machines ?

AA et L.L. de Mars: (rires)

— Pierre Faedi: ah ouais, ben non justement, non !

— Alexandra Achard: bah justement !

—C. de Trogoff: Mais tu récupères des vieux tambours quand même, donc… Tu as récupéré ce vieux tambour qui était destiné à la déchetterie, comme on peut récupérer un vieil instrument pour avoir un son particulier, c'est pas un instrument préparé, mais, y a de ça. Tu mets pas des obstacles dans tes machines pour obtenir des effets particuliers ?

— Pierre Faedi: ouais, non ... pécuniairement c'est con

CdT te — L.L. de Mars: (rires)

— Alexandra Achard: oui, et alors à l'inverse – parce que vous vous moquez (rires) – mais est-ce que dans l'autre sens, tu as des expériences comme ça, c'est-à-dire quand tu recharges avec ton — l'encre gold là, sur le premier dessiné — est-ce qu'il y a des expériences — parce que c'est des expériences que tu fais, tu n'es pas sûr du résultat — est-ce qu'il y a des choses qui ne marchent pas ? Est-ce que tu utilises la totalité des erreurs... Des fonctionnement que tu crées – ou je ne sais pas comment on peut dire – ou est-ce qu'il y a des choses que tu délaisses ?

— Pierre Faedi: heu non non, tout fonctionne. Enfin, tout fonctionne, tout !

— Alexandra Achard: tout est utile ; ça veut dire que c'est la modalité, c'est le procédé, c'est l'expérience que tu fais qui sera... Qui a déjà élu l'objet final, c'est-à-dire que tu as déjà choisi avant de voir visuellement quelque chose.

— Pierre Faedi: Ouais

— Alexandra Achard: Et donc du coup ça te créé un rapport à la couleur dans ton travail imprimé qui n'est dû qu'à ça ?

— Pierre Faedi: c'est ça. Et en plus à la base... Enfin, dans mes dessins, avant, y’avait vraiment très très peu de couleurs, et c'est vraiment par le prisme de l'impression que la couleur vient, et la couleur est venue après... Et du coup, ça a aussi influé sur ma façon de dessiner, c'est-à-dire que je vais utiliser des colorex, enfin des encres en fait... Et je vais peindre en lavis... Mais en couches successives. C'est-à-dire que je vais faire mon dessin au trait, je vais travailler sur mon dessin au trait, et petit à petit en fait je vais apporter un lavis de jaune sur les surfaces. En fait j'imagine, je dessine en couche, comme si

— Alexandra Achard: t'étais la machine !

— Pierre Faedi: Ouais... Comme si j'étais la machine, ou comme si après ce dessin, j'avais envie de le reproduire et de l'imprimer, voilà. Sans passer par l'ordinateur pour séparer les couches... 'fin ça fait des espèces d'allers-retours comme ça.

—C. de Trogoff: mais tu fais les couches séparées du coup réellement ? C'est-à-dire tu as ton... une feuille avec ton dessin,

— Pierre Faedi: Ouais

—C. de Trogoff: une autre feuille avec le lavis, et une autre feuille, ah oui d'accord ! Oui...

— Pierre Faedi: Alors c'est soit comme ça

—C. de Trogoff: Mais du coup c'est venu quand tu as acheté une machine ? Vas-y !

— Pierre Faedi: alors ça m'est venu à force de pratiquer l'impression, voilà. À force de pratiquer la séparation de couches. Attendez… Je ne sais pas si j'ai des dessins, là, ou si j'ai laissé à l'atelier, je vais regarder.

—C. de Trogoff: du coup... La... L'acquisition... La pratique de l'impression a changé la forme de ton dessin ?

— Pierre Faedi: c'est ça.

—C. de Trogoff: et de ta façon de dessiner ?

— Pierre Faedi: à la base, moi je faisais vraiment beaucoup de dessins au trait, de trames à la main, de choses... Alors ouais, c'est un peu dommage, j'ai plu de.... alors est-ce que je peux faire un partage d'écran, je vais regarder ça hop. Comme ça ça va un peu

—C. de Trogoff: parce que dans l'époque cambrienne – c'est ça là ? –

— Pierre Faedi: ouais

—C. de Trogoff: ...dans l'époque cambrienne, on voit que tu expérimentais beaucoup, tu improvisais beaucoup sur... des ...

— Pierre Faedi: photocopieur

—C. de Trogoff: des matières photocopiées, etc., réagencées, recollées, et que après tu vas imprimer en sérigraphie, c'est ça ? Je me trompe pas ?

— Pierre Faedi: ouais, absolument, absolument et...

—C. de Trogoff: et donc là on est dans l'expérimentation d'une matière et... C'était dû au fait… Au fait que tu aies accès à la sérigraphie, c'est ça ? Ou tu l'avais fait hors sérigraphie et tu l'avais sérigraphié après ?

— Pierre Faedi:... Alors... Non, j'étais vraiment dans l'attente de la sérigraphie, et... Ces images là, c'étaient des images encore dans une démarche de collection, c'étaient des images que je glanais dans des livres didactiques ou des choses comme ça et... ce procédé là je l'ai encore... Je l'ai encore là mais dans une démarche participative, c'est-à-dire que des fois je vais prendre des risos et on va faire un atelier, et, en fait je vais ramener des, du collage, comme ce que je faisais avant

— L.L. de Mars: Ouais je vois

— Pierre Faedi: et je vais proposer des images aux participants

—C. de Trogoff: qu’ils peuvent utiliser ?

— Pierre Faedi: qui peuvent utiliser… On va mettre ça directement à la vitre de la machine riso, qui dispose d'une vitre d'exposition comme tout photocopieur... voilà. Donc là c'est le même genre de démarche, j’accumule des images et en fait, là après tu peux les réinterpréter ou tu peux... Et puis c'est assez marrant de voir d'autres personnes réinterpréter cette collection d'images, puisque tu as des choses au niveau de la composition que... tu n'envisagerais pas toi, enfin et c'est assez inspirant.

—C. de Trogoff: C'est des images sur transparents ? Du coup je comprends pas, des images qui sont... ?

— Pierre Faedi: bah non, c'est des images de livres que j'ai photocopiés, que j'ai découpés, que j'ai mis à disposition, donc un petit catalogue d'images et après en fait, on fait ça... par exemple, vous avez la pratique du dessin, les ateliers collage en fait. Souvent, quand on fait des ateliers de dessin, en fait, ça peut être assez intimidant de prendre un crayon, de dessiner devant des gens et du coup tu vas avoir des personnes qui vont se prêter avec une paire de ciseaux et de la colle à des choses, qui sont pas non plus... Ça libère... Voilà.

— L.L. de Mars: j'aurais... il y a un truc qui m'intrigue… Enfin. C'est pas intriguant mais... En gros, la machine riso est devenue l'outil avec lequel tu penses, dans ton premier jet, la question de la reproduction, enfin, c'est devenue une évidence pour toi, puisque c'est ton outil. Ce qui est assez étrange c'est que, bon a priori, on la choisit pour ses propriétés plastiques particulières, son velouté, ce genre de choses, et la fusion au minimum de deux puis de trois, quatre couleurs. Et en fait, ce qui est très étrange c'est que... Chronologiquement, vu comment ça rentre dans ta vie assez tôt, ça prend une place qui est finalement celle de temps en temps du photocopieur le plus banal. C'est assez bizarre puisque d'un côté tu as un maintien effectivement de la riso avec la recherche, l'exploitation de sa spécialité, mais quand tu vais un fanzine un peu improvisé, comme celui que tu fais, là, en collaboration ou même quand tu fais tes dessinages, tu n'utilises plus ces propriétés, il devient pour toi un copieur parmi tant d'autres, il est... Il a changé de statut, quasiment. Il ne te vient jamais à l'idée du coup, de rétro-pédaler, parce que c'est quand même couteux la riso ! Là, il perd son espèce de plus-value esthétique, puisqu'il devient un copieur. Et malgré tout, c'est lui que tu choisis quand tu fais des expérimentations comme celle-là, avec tes documents... Tu ne peux même plus imaginer faire autrement, quand tu penses la copie, qu'avec cet outil là ? Du coup, intègre à ta réponse, si tu le peux, les liens que tu as eus avec le photocopieur auparavant — que je sache si déjà tu l'as exploité, le photocopieur traditionnel, avant de passer — donc on a copieur-sérigraphie-riso et... Comment ça a pris part et comment la riso a pu à ce point devenir si évidente pour toi qu'elle a carrément remplacé le copieur ?

—C. de Trogoff: bah là y a quand même un velouté différent que si c'était un copieur, on voit bien quand même que c'est

— Pierre Faedi: alors... Ouais, là, je rejoins Agnès. En fait... Pour faire simple, alors tu dis que c'est plus cher. En fait, non ; à la copie, c'est beaucoup plus économique, et ça va pas — là je vais parler technique hein — ça va pas abîmer le papier. C'est-à-dire qu'un copieur, ça a une qualité esthétique indéniable pour moi, clairement, mais un copieur ça va être beaucoup plus fragile aux expérimentations, ça va plus vite tomber en panne, tu vas foutre du toner partout. Enfin, les vieux copieurs que moi je pratique, si je les pratique comme un duplicateur riso ça va me coûter beaucoup plus cher, parce que je vais vraiment avoir à rechopper à chaque fois... Et, là par exemple, mes machines riso ont une durée de vie beaucoup plus longue. Et effectivement, de prime abord, quand on utilise une machine riso, on va penser à la superposition, aux belles couleurs et tout ça — ce que je pratique aussi — mais en fait... j'arrive à en voir les qualités, qui sont celles proches d'un copieur, et apprécier ça, et aller vraiment à l'essentiel, plutôt que de me dire « bon, ben cette image là, je vais aller très loin, je vais le faire en cinq couleurs » et tout ça. Parce que je suis aussi vraiment dans la décomposition des couches et tout ça. Donc… Techniquement, le papier il va bouger aussi, moi je... En fait, j'arrive plus à me passer du copieur riso pour faire du fanzine ou alors de la sérigraphie parfois parce que quand je mets du papier pour le photocopier et ben ce papier après il va être chaud, il va perdre de son ph, tu vois parce que c'est une résistance chauffante qui va fixer le toner, et le papier après, il va plus être le même, il va plus avoir le même toucher, il va gondoler un petit peu, et c'est des choses où, quand je vais très simplement avec du une couleur voire deux couleurs, et bien ce que je vais faire c'est que… Bah ouais, ces couleurs je vais les changer. Je vais changer le papier aussi ou bin... je vais insérer... Enfin… Ou je vais me retrouver avec un tambour qui, de prime abord, est fait pour une couleur et puis... Par inadvertance, enfin, par la force des choses, on va devoir mettre une autre couleur dedans. Donc y a tous ces trucs qui font que c'est pas vraiment un photocopieur non plus, mais, c'est assez basique. Mais après, par exemple, je fais... Du coup, la pratique de l'impression fait que... Bin je fais de la formation aussi, professionnelle — enfin, via des organismes de formation, via l'école des Arts du Rhin, les Beaux-Arts à Epinal de temps en temps, y a des temps forts, des workshops — des choses comme ça, où on travaille vraiment sur la décomposition de la couleur. Ça, c'est un livre... qui a été fait

— L.L. de Mars: c'est quoi ça, oui ? Cheaper by the dozen, c'est ça ?

— Pierre Faedi: ouais, la traduction de treize à la douzaine, parce que y avait treize participants au lieu de douze... Parce qu'y a une personne qui était pas prévue mais voilà.

— L.L. de Mars: (rires)

— Pierre Faedi: Et ce livre là... En fait, il y a vraiment un travail de la séparation de la couleur...

— L.L. de Mars: Je vois

— Pierre Faedi: voilà, on a regardé, on a peu étudié, et c'était du 3 couleurs maximum ; et puis moi, je faisais du cas par cas, je voyais avec chaque participant, bon, comment tu vois ton livre et tout... ton illustration, ton emplacement, donc du coup y avait tout ça, on est vraiment sur du trois couleurs, donc c'était une prouesse technique qui exploitait vraiment des capacités et le velouté du risographe. Voilà.

— L.L. de Mars: Je vois. Il est pas présent à ton catalogue celui-là !

— Pierre Faedi: Alors il est pas présent parce que c'est un livre, c'est une commande de la région Grand Est, qui est fait via le biais des formations pro de Central Vapeur, avec qui je travaille, où on fait au-delà du salon Central Vapeur, en fait on va faire aussi des cycles de formation professionnelle et moi... Deux fois par an – bah là justement, avec la pandémie, ça a sauté deux fois... – j'ai une semaine avec des graphistes, illustrateurs, photographes, plasticiens où donc on explore la duplication, et moi aussi j'apprends des choses en voyant leur approche de la machine. Oui ?

—C. de Trogoff: ça m'intéresse vraiment ce que tu as dit sur le papier, la matière, le fait que le copieur, lui changerait le ph, enfin altère la matière de départ ; moi ce que je faisais en coulisse remarquer à Laurent, c'est que pour moi le travail riso là, de dessinage n°1, il y a le velouté, les petits bavochages de la riso, le velouté du papier, en effet quand tu touches, t'as pas la même sensation que si c'était un... Bah je sais pas, c'est pas la même sensation qu'un copieur, et donc en fait... Tu cherches la moindre altération de ton matériau de départ, le papier ? Tu cherches à ce qu'il reste le plus proche de ce qu'il était au naturel on va dire ?

— Pierre Faedi: … alors, je sais pas si je me pose cette question ou pas, mais, par exemple, par rapport à la sérigraphie, la sérigraphie à l'eau — parce que c'est ce qu'on utilise, enfin, à moins d'être équipé en ventilation, enfin ça demande un coût supérieur... d'installation, mais la sérigraphie artisanale, en fait, c'est quand même des encres acryliques à base d'eau — donc, c'est des choses qui vont faire bouger le papier un petit peu, donc il faut que ton papier, il soit prêt à ça, et je trouve que la machine riso... C'est ce qui altère le moins, peut-être, le papier, ouais. Après, effectivement, si, ça peut, ça peut faire bouger le papier quand tu fais vraiment de gros aplats ou quand tu fais des superpositions, à un moment le papier, il sature vraiment enfin...

— L.L. de Mars: une question... – attends – une question : ça veut dire par exemple que, dans son chemin, la feuille prend... Enfin, traverse moins de rouleaux que dans un copieur ? Parce que, un des facteurs d'altération du copieur, enfin en tout cas celui qui nous interdit dans les copieurs traditionnels d'utiliser des feuilles de riz ou des papiers très fins, c'est que le chemin même de la feuille est un peu long et les risques de bourrages sont considérables. Il y en a moins dans la machine riso ?

— Pierre Faedi: alors la machine riso, je crois que tu peux aller – alors, j'ai pas la docutech – mais je crois que tu peux aller jusqu'à... au plus fin, 47 ou 50g, tu vois.

— L.L. de Mars: Aho, ouais, effectivement !

— Pierre Faedi: Et, par exemple, ce papier là, tu vois, qu'on a dans Boom Shaka Laka, c'est du... alors attends, c'est... C'est un papier de chez Fedrigoni, et c'est du 70g. C'est du 70g mais, il a encaissé des énormes à plats.

—C. de Trogoff: ah ouais, c'est fou ça, ça c'est dément, ça !

— Pierre Faedi: ouais, et pour lui donner une tenue tout de même, on a fait une reliure à la japonaise donc on l'a plié et du coup on a... On rencontre beaucoup moins de transparence, donc en fait

—C. de Trogoff: Tu l'as replié en deux comme pour... ?

— Pierre Faedi: Ouais voilà, à la japonaise !

—C. de Trogoff: Je vois.

— Pierre Faedi: Voilà. Et ça oui voilà c'est quand même super. Oui oui, effectivement...

—C. de Trogoff: Mais du coup... – pardon – ce qui me, c'est une question... En fait, c'est plus une question psychologique, je suis désolée, c'est : en quoi ça t'intéresse tant, que le papier soit moins altéré ? C'est esthétique ou c'est juste... autre chose ? Enfin, je... C'est pas une évidence en fait ce que tu dis.

— Pierre Faedi: ...C'est un ressenti, c'est... Comment dire, c'est de la tenue, c'est les sensations en fait, mais... Comment dire ? Un livre enfin, tu le regardes, mais tu peux, enfin certains imprimeurs... Quand on parle, y a des imprimeurs en fait qui impriment au solvant, ou des imprimeurs offset et tout ça – c'est assez toxique de le faire mais – y en a qui respirent aussi le papier, qui respirent les encres et tout ça. Et ce qui est assez marrant, ouais, c'est vraiment les sensations et le fait de pratiquer, tout le processus qui va autour, parce que, par exemple, mes anciens formateurs de l'école des Arts du Rhin, je leur avais fait une démo de riso et... Les formateurs en séri, Olivier et Bernard, c'étaient vraiment des cracks... du, quand ils bossaient aussi en imprimerie, ils ont été, ils sortent des métiers de l'impression, en fait ils m'ont… C’est marrant, en fait, on a vraiment les mêmes sensations qu'en impression, l'offset, les odeurs un peu similaires et tout ça et, ouais, le papier pour moi c'est des sensations, le toucher, enfin le grain et tout ça en fait.

—C. de Trogoff: c'est très tactile quoi en fait ! C'est ça, c'est

— Pierre Faedi: c'est visuel et c'est tactile aussi ; moi quand je vois un truc imprimé... J'ai, j'éprouve une envie, un intérêt à le manipuler tu vois, à le toucher. Enfin on dit bien qu'il y a une main du papier ou... tu vois ?

—C. de Trogoff: oui

— L.L. de Mars: Mais ce qu'implique, en fait, la question d'Agnès, et qui fait dire que le réponse est pas si évidente – qu'évidemment, bien-sûr, la réponse est tactile – mais... par exemple, nous parlions de l'accident tout à l'heure : il nous est arrivé pour un de nos bouquins de faire de la sérigraphie sur un papier cristal 40g en sachant pertinemment que le passage de sérigraphie, avec la lourdeur de l'encre, allait créer un réseau de plissures, c'est-à-dire la simple humidité du dépôt de l'encre et la fragilité particulière du papier de cristal fait plisser le papier à tous ces endroits. Et c'est cet accident-là, je crois, qui nous a fait choisir finalement cette façon de faire les choses. Autrement dit, les... Le partage que tu fais, entre des accidents auxquels tu dis « bienvenue » et d'autres pas... rend la question assez légitime, en fait. Pour le papier… Enfin, tu réserves la part, en fait, plastique, esthétique, de l'accident en-dehors du papier lui-même ; il doit rester le plus stable possible, c'est-à-dire que tu le penses vraiment comme une sorte de support dont tu aimerais qu'il s'abstrait une petit peu de la matérialité pour faire flotter le.... le dessin ou le travail à sa surface ? Non ?

— Pierre Faedi: Non, non non...

— L.L. de Mars: non ?

— Pierre Faedi: Non non... Après, je crois que c'est la sensation aussi de l'impression numérique ou de l'impression au copieur, qui me... Hérisse un peu, je sais pas. Non c'est pas « hérisse », non, je veux pas être ou paraître méprisant pour l'usage du copieur parce que c'est totalement faux... Mais, ouais, c'est une sensation qui m'est moins proche, en fait, qui m'est moins agréable, voilà. Après... Le fait que le papier soit altéré et tout ça... Moi j'ai, enfin, je pratique aussi la sérigraphie hein, toujours autant hein, c'est pas un problème pour moi, en fait.

—C. de Trogoff: Mais, de ce que tu disais, c'était très étrange, ça avait l'air très partagé... Comme si tu, en effet, ouvrais la porte à certaines altérations, que tu accueillais, et que d'autres altérations, par contre, tu voulais les maîtriser, les contrôler. Et c'est très important dans un travail artistique ; tu vois Laurent parlait de notre travail, où on essaye de provoquer des accidents plutôt hein. Là... dans ta démarche, on avait l'impression que y avait vraiment un désir que si tu pouvais faire, ouvrir la porte aux accidents et aux altérations de tout le reste sauf sur le papier, ça t'intéresse quoi.

— Pierre Faedi: Ouais...

—C. de Trogoff: C'est ça que j'entendais, et c'était, c'est étrange pour moi. Pas évident en tout cas.

— Pierre Faedi: D'accord… Je comprends, bah c'est... Est-ce qu'on peut parler de... Alors étrange… Oui… Après, est-ce que ce serait ambigu ? Je sais pas. Mais... en fait, c'est, alors « accident »… Est-ce qu'on peut parler de, ouais, de défaut ? Un vocabulaire de défaut ; accepter, maîtriser… Enfin non… Bah du coup, maîtriser, je ne sais pas.

—C. de Trogoff: tu m'as repris sur le mot erreur tout à l'heure ! Si tu n'aimes pas le mot erreur, par exemple,

— Pierre Faedi: bah non ! Parce que c'est

—C. de Trogoff: une erreur qui apparaîtrait, est-ce que tu essayes de la reproduire parce qu'elle te plaît par exemple ? Est-ce que ça, ça arrive ?!

— Pierre Faedi: Alors du coup, par exemple, si c'est une erreur... Ouais... Ouais, non ; c'est un accident, à la base, et après on va l'accepter, mais est-ce que c'est... Enfin c'est la résultante de l'accident, mais...

— Alexandra Achard: est-ce que c'est pas plutôt pour toi – est-ce que vous m'entendez ? – est-ce que c'est pas plutôt à l'inverse

—C. de Trogoff: Oui, on t'entend mais on te voit pas ! (rires)

— Alexandra Achard: ah bon ? Ah si, si je parle, vous me voyez ?

— L.L. de Mars: Bah non. Aaah, bah maintenant, ouais !

— Alexandra Achard: Aaah (rires) est-ce que ça serait pas – je propose des mots hein

— Pierre Faedi: bien-sûr, bien-sûr

— Alexandra Achard: qui sont peut-être pas du tout ceux qui vont t'être utiles, mais... Est-ce que ça serait pas, par rapport à l'inattendu de ce que peuvent produire certaines impressions sur la riso, est-ce que, moi j'ai le sentiment, à t'écouter, que tu vois là-dedans un possible de cette, de ce moyen technique. Tu le vois pas du tout comme une erreur, tu le vois comme la carte spécifique qu'il faudrait collectionner et qui est pas celle qui est le plus distribué, tu vas chercher au bout de cette technique là le possible, toute l'étendue technique de cet outil. Et pour pouvoir chercher toute l'étendue technique de cet outil, tu as donc besoin que la composante que tu donnes à la machine soit toujours très stable, donc en fait

—C. de Trogoff: oui, mais il ne la provoque pas Alexandra. Alors que...

— Alexandra Achard: Oui il la provoque pas, non mais, justement !

—C. de Trogoff: On a vu plein de gens qui provoquaient ça pour voir la limite de leur... De la technique, mais c'est pas ça qui se passe ici.

— Alexandra Achard: Mais Pierre, il l'a dit au début ! Il le provoque pas. Il recharge... Mais du coup, ça me paraît pas... Enfin en tout cas pour moi, ça me paraît être ambigu qu'il... que tu t'attaches Pierre à garder une stabilité sur le papier, c'est-à-dire parce que toi tu es toujours dans les mêmes conditions de reproduction.

— Pierre Faedi: voilà

—C. de Trogoff: j'ai pas parlé d’ambiguïté, j'ai dit que c'était pas une évidence.

— Pierre Faedi: ouais

— Alexandra Achard: Bah j'ai aussi posé la question tout à l'heure savoir si il foutait des clous dans ses trucs hein !..

—C. de Trogoff: oui oui, non mais moi je parlais d'erreur

— Alexandra Achard: moi j'aurais mis des clous, tout de suite. J'aurai fait : « oh ! »

— L.L. de Mars: évidemment !

—C. de Trogoff: Laurent aussi !

— L.L. de Mars: évidemment !

—C. de Trogoff: Laurent aussi, quand il a une nouvelle machine, il teste, il teste tout de suite le truc à fond. (rires)

— L.L. de Mars: C'est pour ça que j'ai pas de riso (rires). J'aurais des questions... Parce qu'on a pas suivi du tout la chronologie, tant pis c'est compliqué, bah on va devoir s'en passer pour une fois après tout, on peut faire on s'en fout... Tu travailles pas tout seul... – (à Alexandra :) ah ! elle est contente ! Ah oui ça pue trop l'université la petite chrono, hein !.. ça t'énerve ? Bah oui, nous on sait pas, on va pas à l'école, donc on souffre pas ! (À Pierre :) tu ne travailles pas tout seul pour Gargarismes – après tu pourras nous raconter, ça peut-être intéressant, la naissance de Gargarismes, mais du coup la question technique : ce que j'aimerais savoir c'est comment... comment elle apparaît dans ton cercle de collaboration ? Est-ce que... d'une certaine manière, en tant que maître d’œuvre de la risographie, tu invites d'autres personnes, d'autres corps, à participer à un jeu dont tu établis les règles ? Ou est-ce que...Il t'arrive de laisser venir, on pourrait dire, les apports techniques, les choix techniques, les pratiques de ceux qui te rejoignent, pour que ça change ta façon de travailler ? Et dans ce cas là, en quoi ça la change ? Est-ce que ça arrive, est-ce que ça aboutit – je crois pas, j'ai pas vu ça dans ton catalogue, mais peut-être qu'il y a beaucoup de choses que je n'ai pas vues – est-ce que ça aboutit à des techniques mixtes  (où il n'y pas que de la riso), ou tout simplement est-ce que ça aboutit à des pratiques mixtes de la riso qu'ont rien à voir avec la tienne ? Comment ça marche quand tu n'es pas tout seul à bord ?

— Pierre Faedi: Alors... c'est une très bonne question. Et... En fait je vais encore pouvoir y répondre avec Boom Shaka Laka

— L.L. de Mars: (rires)

—C. de Trogoff: tu fais ta promo ! (rires)

— L.L. de Mars: Faut absolument qu'on te le commande, c'est le livre magique de l'année ! (rires)

 

— Pierre Faedi: alors, en fait, Boom Shaka Laka c'est vraiment le projet de... Guillaume... On a cherché ensemble, on a vraiment travaillé ensemble les papiers. Lui, il est venu, en fait, déjà le fait qu'il soit un poil daltonien, en fait il m'a vraiment imposé ses couleurs... Il m'a montré son projet, son projet m'a plu, parce que du coup chez Gagarismes, oui, effectivement je suis tout seul, mais je me fais des fois aider, des personnes qui vont bosser, qui vont m'aider à relier, et qui vont dessiner, enfin, voilà. Des fois on vient, on me propose des trucs, des fois c'est moi qui voit des choses et je me dis « ouais, bah je l'interpréterais bien de cette manière, je ferais bien une image en 3 »... enfin, tu vois ! Et, dans Boom Shaka Laka, en fait, par exemple, tu vois la couverture là, c'est de la sérigraphie. On a un papier qui est du 300g, donc du coup, ça c'est des choses qui sont beaucoup plus difficiles à faire entrer dans une machine riso. On est quand même dans les mêmes teintes... à peu de choses près, donc des jaunes, des noirs, des rouges, y a du bleu en cyan-magenta, mais là il y a que trois couleurs pour la couverture. Et en fait Guillaume, j'aime beaucoup bosser avec Guillaume Chauchat, parce que, en fait, il est plein d'idées et il m'aide vraiment à reconsidérer la façon de travailler ou de relier, ou... c'est lui qui est venu avec cette idée de dos-carré, de couture, et aussi toutes ces choses de... De garder les refs qui sont inscrites au début du fichier, ou se dire que le défaut est tout à fait ok. Et même des fois quand on imprime, quand on parlait d'accident, des fois, en fait, y’a une page, il va manquer une couleur ou y’a une page qui va se retrouver à l'envers. À la reliure, en fait, le bouquin je vais pas le jeter, c'est... Il va être... Enfin moi déjà soit je vais vouloir le conserver ou soit, en fait, il y a plein de personnes, en fait, qui veulent ce genre de choses, qui sont intéressées par ce genre de choses. D'ailleurs, il a un ami qui est collectionneur, qui s'appelle Yvan, il m'a dit « ouais »… à chaque fois il me dit : « ouais mets ça de côté pour Yvan », et du coup, enfin, ce genre de trucs. Mais ouais... Du coup, oui, Guillaume par exemple, m'a apporté vraiment beaucoup de choses dans l'approche de la création. Et c'est pareil là en ce moment j'étais pas mal débordé, on fait un zine qui s'appelle Diversion, pour le zinefest de Bordeaux — qui a pas eu lieu — et ils ont fait un appel, ils ont demandé à six collectifs en plus de eux, dans la France, en Allemagne et puis en Angleterre aussi, à Bristol je crois, de faire un zine sur le thème de la diversion (https://www.douves.org/lancement-de-la-collection-diversion/ ). Et, bon je vous enverrai des images, là je suis vraiment en train de l'imprimer mais par exemple il y a eu Margot, Margaux Meissonnier, qui fait aussi Balade en Caucasie

— L.L. de Mars: Je vois, ouais

— Pierre Faedi: Voilà. Et en fait... Bah, eux, je leur ai laissé carte blanche sur l'ordre, des dessins, des participants, et tout ça. Guillaume a choisi la typo et tout, et du coup moi j'ai un peu peaufiné les angles, les choix de couleurs, de séparation des fichiers et tout ça, mais c'était vraiment eux qui ont dirigé la chose quoi, je les ai laissés faire, j'ai quand même pas mal appris, parce que... Je crois que c'est le premier zine collectif vraiment d'illustration que j'imprime de A à Z, voilà. Je sais pas si ça répond bien.

— L.L. de Mars: oui !

— Alexandra Achard: est-ce que Laurent, est-ce que Laurent ta question, elle était... elle ciblait pas aussi... Comment dire ? L'identité de Pierre à travers cette technique et ce rapport à la technique de la duplication du riso qui a l'air très forte ? Comme si tu le vivais, comme si ces possibles de la risographie était un peu ton identité, je sais pas moi, « de création ». Parce que, du coup, si tu cherches à faire des collaborations avec d'autres personnes qu'auraient un rapport à une technique qui serait assez forte, est-ce que ça serait un lieu de rencontre de deux techniques ou pas ? Parce que... En fait, ce que tu as l'air de dire, c'est que c'est pas réellement le cas, en fait tu... si ? Ou j'ai pas tout suivi, ou j'ai raté un truc

— Pierre Faedi: au niveau technique ? Bah en fait moi au niveau technique, est-ce que... On peut parler de technique, de façon d'aborder et de procéder. Non effectivement, on va rester, souvent chez Gargarismes, on va rester sur les mêmes procédés d'impression, à savoir la riso et la sérigraphie, parfois les deux ensemble, parfois séparés... ou parfois

— L.L. de Mars: parfois les deux ensemble, tu veux dire : mêlant des couches de riso et des couches de séri ? Ca vous est arrivé, ça ?

— Pierre Faedi: … Non ! Mais... Juste pour des histoires de support, de papier que la riso n'accepte pas

—C. de Trogoff: ouais, ça doit pas être facile

— L.L. de Mars: (bah si)

—C. de Trogoff (à Lldm) : Si ?

— Pierre Faedi: ?on va aller vers la sérigraphie, pour des papiers épais et tout ça

—C. de Trogoff (à Lldm): bah tu vois, papier épais !

— Pierre Faedi: … j'ai jamais essayé le mélange des deux...

— L.L. de Mars: Les encres riso elles restent pulvérulentes assez longtemps ; je suppose que si on mettait de la séri dessus, elle pourrait… Elle accrocherait pas si bien. Faudrait le faire que dans l’autre sens

— Pierre Faedi: ouais, faut le faire que dans un sens, je pense qu'il faut faire la séri à la fin, parce que sinon en fait la couche de séri... empêche l'adhésion des encres riso, je crois.

— L.L. de Mars: Ah !

—C. de Trogoff: C'est pas ce que nous avais dit De Jonge, Alexandra, dans son entretien ?

— Alexandra Achard: oui, il avait qu'il y avait un ordre...

—C. de Trogoff: et il faisait des livres où y avait les deux et il a dit qu'il y avait un ordre bien particulier et que...

— Pierre Faedi: tout à fait, ouais !

—C. de Trogoff: Et alors, après, y a aussi une question d'épaisseur du papier, tu disais que la riso supporte un papier très fin, ce que la sérigraphie ne fait pas, et vice-versa, la riso supporte peut-être pas un papier très épais, ou très poreux ou je ne sais pas ?

— Pierre Faedi: Ouais, tout à fait...

—C. de Trogoff: ça bave hein, je crois, un peu ? Enfin nous ce qu'on avait fait, ça avait bavé pas mal

— Pierre Faedi: Ouais, bien-sûr, tout à fait

— L.L. de Mars: Comment ?

—C. de Trogoff: Ca se décale plus

— Pierre Faedi: ouais ça se décale plus

— L.L. de Mars: Pour répondre, enfin non... Pour poursuivre dans ce que disait Alexandra, bah y a ce bouquin là qui pourrait répondre, ou pas. Ou plutôt, il est une forme de réponse non répondante, tu le connais ou... ?

— Alexandra Achard: on voit pas

—C. de Trogoff: c'est le dialogue de dessins Tom de Pékin... ouais

— Pierre Faedi: ah oui je vois, bien-sûr oui !

— L.L. de Mars: Et Pierre

—C. de Trogoff: Et Pierre, ouais !

— L.L. de Mars: (à Alexandra) Tu ne le connais pas celui-là... ? Moi j'ai la version cheap, parce que j'avais pas les moyens d'acheter la version chère. J'ai le faux (rires). Et là par exemple, par rapport à ce que disait Alexandra, on voit que vous contournez la question de la rencontre technique, puisque... Y’a une séparation maintenue entre ton travail et celui de Tom de Pékin. Donc une page par toi et une page par lui. Il n' y a pas de... De moment où vous croisez votre travail. Il y a – oh j'ai un trou de mémoire ! Mais peut-être que tu connais ça Pierre – il y a un chouette bouquin qui est sorti chez Cornélius, c'est un couple qui bosse ensemble – je sais pas s'ils sont en couple à la ville, mais ils sont couple de travail, c'est une femme dessinatrice et un italien mec qui fabrique des tampons

—C. de Trogoff: ah oui !

— L.L. de Mars: Ca te dit quelque chose ? C'est un joli machin, et ils interviennent soit dans un sens soit dans l'autre, soit c'est lui qui commence, soit c'est elle qui commence, lui parcourant la feuille avec les tampons qu'il fabrique… probablement selon le même type de procédés que Sardon, j'imagine, mais c'est des choses plus abstraites plus... plasticiennes quoi. Et elle est dessinatrice

—C. de Trogoff: et elle dessine ouais.

— L.L. de Mars: donc toute la composition du bouquin — qui fait un peu bizarre chez Cornélius —

—C. de Trogoff: il est très bizarre

— L.L. de Mars: c'est pas un endroit où on fabrique ce genre de livre en général ! Je suppose que ça doit pas être un grand succès de librairie pour Cornélius celui-là ! Et dans ce livre-là, bon,il y a vraiment rencontre la plus ajustée possible, entre les travaux plastiques de ces deux-là. Ça t'est arrivé de trouver d'autres solutions que les dialogues de dessins ? Parce que les dialogues de dessins si je ne me trompe pas, ils sont tous sur ce principe hein, ces deux dessinateurs, ou dessinatrices, et ils se répondent l'un l'autre. Il n'y a pas à proprement parler de choses à plusieurs mains. Tu, tu te... Gargarismes propose des choses comme ça ou pas ?

— Pierre Faedi: A plusieurs mains ? Alors je sais pas là comme ça. Oui ! Ouais, ben Belvédères. Belvédères c'est...

— L.L. de Mars: Belvédères c'est à plusieurs mains ?

—C. de Trogoff: Ah bah oui, il y a deux personnes à Belvédères...

— Pierre Faedi: Ouais Belvédères c'est Fabio et... et d'ailleurs, dans le zine que je suis entrain de faire

—C. de Trogoff: C'est marqué à la fin !

— L.L. de Mars: ah oui !

—C. de Trogoff: ouais, c'est marqué là...

— Pierre Faedi: Lucas et Fabio en fait

—C. de Trogoff: C'est ça, c'est marqué Lucas Retraite et Fabio Visco...gliosi

— Pierre Faedi: Ouais, Fabio Viscolgiosi... Ben en fait, il, ouais, il... Alors, le tout premier, c'était vraiment un échange, un dialogue, le deuxième en fait ils sont intervenu l'un l'autre,

— L.L. de Mars: le premier, c'est celui-là, on est d'accord ?

— Pierre Faedi: Ouais et le troisième...Alors attend, est-ce que j'ai des choses... partager l'écran... je vais regarder ça... Ouais, et eux aussi, ils ont travaillé à 4 mains. Ils travaillent à 4 mains sur le zine que j'ai, alors attend.

—C. de Trogoff: là tu as partagé l'écran ?

— Pierre Faedi: non je suis en train de chercher...Alors là, c'est l'embryon du zine qu'on est en train d'imprimer. Donc... Diversion... En fait... là par exemple, du coup, j'ai choisi de ne pas faire de dessin en page intérieure mais de faire une couverture. Donc au trait, et en fait au verso... il y a la colorisation de ce dessin... Au verso, sur un papier, c'est du 120g, et, en couches séparées. Donc c'est trichromie, je pourrais vous envoyer les photos. Et donc ben à la lumière en fait on voit

—C. de Trogoff: à la lumière ? En transparence on le voit, c'est ça ?

— L.L. de Mars: ah super !

— Pierre Faedi: en transparence, voilà c'est ça. Donc... Et ça rejoint un peu le procédé de ma pratique de dessin au trait et puis la pratique de l'impression avec un dessin dessiné en couches successives. Donc là par exemple

 

—C. de Trogoff: donc là y a plusieurs couches ? Pardon.

— Pierre Faedi: ouais

—C. de Trogoff: là y a plusieurs couches ? D'accord.
— Pierre Faedi: y’a... Alors, sur la version imprimée y a du noir, du rose fluo et du jaune, et sur la version dessinée, le noir est fait par une encre noire et par contre après les autres, c'est des couches successives, c'est-à-dire que le vert, c'est obtenu avec une couche de jaune, sur tous les endroits où je voulais du jaune, et après une couche de bleu, pour avoir du vert. Ou alors une couche de rose sur les endroits où je vais avoir un peu d'orangé, ou des choses comme ça en fait, ouais du coup c'est...

—C. de Trogoff: Comme disait Alexandra, du coup, tu as tellement intégré la machine à ta production que tu fais comme la machine dans ton dessin.

— Pierre Faedi: ouais, c'est ça !

—C. de Trogoff: Tu mimes la machine. Ca c'est étonnant. Première fois qu'on voit ça.

— Pierre Faedi: Et... ouais ça me, en fait, je... Ouais ouais, c'est, je sais pas, c'est assez... comment dire ? ...Du coup j'obtiens un espèce de noir coloré ou de brun, ou de teintes comme ça, que j'aurais pas en faisant mon mélange directement ; y a vraiment des vibrations ou des choses qui m'intéresse.

AA : Est-ce que... Moi j'ai une question juste qui vient par là : est-ce que là, ce que tu es en train de nous décrire, et pour répondre à la question d'Agnès... Est-ce que c'est cette distinction-là que tu fais, entre procédé et technique ? Parce que, j'ai le sentiment que tu nous expliques le procédé de la technique que serait le duplicateur riso, que c'est pas tu fais comme la machine, c'est que tu appliques le même procédé que la machine pour dessiner ?

— Pierre Faedi: Ah ouais !

—C. de Trogoff: C'est ça !

— Alexandra Achard: C'est ça ?

— Pierre Faedi: je fais des allers-retours

— Alexandra Achard: C'est cette distinction que tu fais hein ?

— Pierre Faedi: C'est des allers-retours, parce que là, cette image en fait au final, c'est une image couleur en fait et que je vais scanner et que je vais redécomposer... Que je vais redécomposer. que donc je vais de nouveau envoyer en couches successives sur le machine !

— Alexandra Achard: Et ça te plaît (rires) !

— Pierre Faedi: ouais, ouais !

— Alexandra Achard: Et tu es tout excité! (rires)

— Pierre Faedi: (rires) et ça me plait également de prendre des images couleurs, comme les images de Margaux, par exemple, et de mettre, de les décomposer et de voir comment je vais faire si j'ai que trois couleurs en fait pour faire un... Avec un rose fluo, un bleu et un jaune par exemple tu vois, voilà.

— Alexandra Achard: et, et du coup, est-ce que  – moi j'ai juste une autre question qui va là-dessus – est-ce que ce procédé, que tu as intégré par la pratique du duplicateur, copieur, duplicateur risographieur... risographie – je sais pas comment on dit –

— Pierre Faedi: oui, oui oui

— Alexandra Achard: Est-ce que ce procédé là, tu as essayé de le répéter avec une autre technique ? C'est toi qui distingue hein, procédé et technique, donc : est-ce le procédé que tu as repris du duplicateur riso, est-ce que tu as essayé de le remettre en pratique avec une autre technique ?

— Pierre Faedi: ...ouais avec la sérigraphie...

— Alexandra Achard: et il y aurait vraiment une différence entre les deux ?

— Pierre Faedi: Non !

— Alexandra Achard: Parce que moi, pars du principe que moi, à part utiliser un crayon, je suis nulle. Donc est-ce qu'il y a vraiment une différence de procédé entre les deux techniques ? Entre la riso et la sérigraphie ? Si ce n'est qu'il y a une qu'est manuelle et l'autre

— Pierre Faedi: non bah, non. Bah... le physique en fait. Bah, par exemple, la riso si tout se passe bien, si tu n'as pas de problème technique, tu vas appuyer sur un bouton et tu vas faire une centaine de copies assez rapidement, alors que la sérigraphie, si tu veux faire une centaine de copies… Bah, c'est physique quoi ! Ouais, c'est à la main, enfin voilà. Mais ouais, dans mes derniers dessins, ouais, c'est vraiment ce truc d'allers-retours ou de... Là vous voyez, tu vois, ce truc de couches successives, là où y a quatre couleurs, y a du noir, y a du jaune, y a du rose, y a du bleu, tu vois, et puis on va avoir ces choses-là et si ça me plait un peu plus, bah je vais aller sur du dessin quoi, enfin sur de l'impression... Voilà donc là c'est sur, là c'est ma page instagram perso ( https://www.instagram.com/pierrefaedi/ ), mais du coup, tu vas voir un peu plus mes dessins. Mais par exemple, tu vois, ces procédés, enfin comme tu dis... Et comme je dis également, là c'est par exemple, c'est exploité en sérigraphie, là c'est de la sérigraphie tu vois, et le rendu est

— L.L. de Mars: alors, précision pour la caméra, faut que je dise à la caméra ce que nous sommes en train de regarder sinon on sera paumés, faudra essayer d'avoir cette image. L'image que nous montre Pierre à ce moment précis, c'est celui d'une « saucisse-partie » dont l'original devait être au crayon feutre, on voit des tas de petites touches, voilà, comme ça on saura essayé de rétablir un peu quand on composera le bordel

— Pierre Faedi: c'est la pochette d'un disque

— L.L. de Mars: c'est la pochette d'un disque ?

— Pierre Faedi: ouais, du disque de « année zéro »

— L.L. de Mars: mais elle n'est pas carrée ! Comment est-ce possible ?

— Pierre Faedi: comment ça elle n'est pas carrée ?

— L.L. de Mars: c'est un rectangle ce dessin ! (rires)

— Pierre Faedi: Tu vois là tu as les couches, du coup voilà

— Alexandra Achard: parce que du coup

— L.L. de Mars: … je suis un peu per

— Alexandra Achard: on va dire que je radote, mais pour être bien sûr de comprendre

— L.L. de Mars: ouais (rires)

— Alexandra Achard: cette succession... cette pratique successive de la couche, toi tu la vois avec une contrainte de couleur, mais on pourrait très bien imaginer qu'avec un photocopieur classique, tu puisses travailler, de ce que serait une teinte de gris, ou des teintes de gris, par couches successives. Ce serait donc appliquer le même procédé à une autre technique. Et ça, ça ne te tente pas du tout ?

— Pierre Faedi: … Teintes de gris... C'est-à-dire que, de travailler en gris au lieu de travailler en couleurs, c'est ça ?

— Alexandra Achard: Bah en fait, tu travaillerais en couches, successives, c'est juste que

— Pierre Faedi: Ouais ! Ah mais ça je le fais également dans les dialogues de, en fait ce que tu vois, Laurent ce que tu as montré en fait... les dialogues en fait, les dessins c'était... Je les ai bossés en gris. C'est-à-dire que pour les teintes de jaune en fait j'ai fait un dessin, où y avait que du jaune mais en gris, tu vois. Là par exemple tu le vois, c'est assez... Comment dire, tu le... Dans ce que tu vois sur la page de droite là, tu vois, bah tu as des zones en jaune, tu as des zones rouge, tu as des zones en bleu, et tout ça. Et ça oui c'est effectivement du dessin en gris sur quatre formats successifs, que je vais scanner et que je vais assembler manuellement, voilà.

— L.L. de Mars: d'accord

— C. de Trogoff : Ah ok, ok, mais ça on peut pas le déduire, hein, du tout !

— Pierre Faedi: Non on peut pas le déduire, effectivement. Mais là par exemple je sais pas si vous voyez mais le dessin que je montre là, c'est pareil, c'est...

—C. de Trogoff: Non

— Alexandra Achard: la saucisse-partie là ?

—C. de Trogoff: qu'est-ce tu montres ?

— Pierre Faedi: Saucisse partie ? Mais qu'est-ce que vous voyez comme saucisse partie ?

—C. de Trogoff: Bah on voit pas la même chose … on est sur une saucisse-partie nous !

— Alexandra Achard: Je pense que tu nous a partagé ton pdf !

— L.L. de Mars: L'image que tu nous montres, c'est trois jeunes garçons excités autour,

— Pierre Faedi: Aaaah oui d'accord ! Ok.

— L.L. de Mars: On est sûr une saucisse-partie, et c'est pas ça que tu voulais nous montrer.

— Pierre Faedi: ah… non

— L.L. de Mars: C'est pour ça je t'ai dit la pochette de disque elle pas carrée Pierre.

— Pierre Faedi: Ah attends bah alors du coup attends, je remets, hop !

—C. de Trogoff: Ah !

— L.L. de Mars: Ah ! On voit notre tête en grand ! Vous avez disparu ! (rires)

— Alexandra Achard: Parce que vous parlez !

— Pierre Faedi: là paf, voilà parce qu'il y a plusieurs écrans, je suis en multi-écran

— Alexandra Achard: Ah bah voilà !

— L.L. de Mars: (rires)

— Pierre Faedi: La pochette de disque est là… Attends ! Donc, ouais, du coup, les dessins en couches successives, là du coup, que vous avez pas pu voir

— L.L. de Mars: Ah bah oui, ça n'a rien à voir !

—C. de Trogoff: Donc c'était la chauve-souris !

— L.L. de Mars: ah mais c'est complètement autre chose !

—C. de Trogoff: c'est la chauve-souris qui est la pochette de disque et pas... Les saucisses-parties.

— Pierre Faedi: Non alors, la pochette de disque est là, mais je reviens en arrière, ça du coup c'est l'original... De l'imprimé … Quand internet le voudra bien.

— L.L. de Mars: ok on essaiera de rétablir au moment du montage. Ah bah oui, d'accord, c'est celle-là, ouais ouais, très bien, c'est le dessin dont nous parlions au début, qui, par transparence, se complétera d'un dessin au trait au dos du papier

— Pierre Faedi: C'est ça, c'est ça, il est là d'ailleurs

— L.L. de Mars: très bien

— Pierre Faedi: tu vois ?

— Alexandra Achard: ça on l'avait vu !

— L.L. de Mars: Ouais, c'est ça !

— Pierre Faedi: ok, et du coup la pochette de disque, elle arrive... Elle est là, tu vois, donc 1ère couche, donc 2ème couche, et 3ème couche, tu vois

— L.L. de Mars: Ouah ! (rires)

— Alexandra Achard: Oui, c'est l'inverse du dessin sur plaque de verre, non ?

— Pierre Faedi: … ouais, je sais pas

— Alexandra Achard: de la peinture sur plaque de verre

— Pierre Faedi: du coup, oui, pour… ces couches successives, qu'est-ce que j'ai ! Ah ! Bah non bah là, je suis au tout début

— Alexandra Achard: bah ce même travail là, imaginons, mais avec du... Juste du noir, quoi, en fait, donc une profondeur et une épaisseur des noirs qui seraient différentes et qui fatalement par couches successives

— Pierre Faedi: ouais bah alors des valeurs de gris

— L.L. de Mars: ça c'est les dialogues de dessins ça.

— Pierre Faedi: ouais voilà c'est ça ! Bah par exemple tout ça, en fait, moi mon dessin original

—C. de Trogoff: Ah il est là !

— L.L. de Mars: ah c'est ça

— Pierre Faedi: mon dessin original, c'est uniquement du crayon de couleurs, enfin du crayon, de la mine graphite en fait, tu vois ?

— L.L. de Mars: d'accord !

—C. de Trogoff: d'accord !

— Pierre Faedi: Je vais faire quatre – pour avoir ça – je vais faire quatre dessins

 

—C. de Trogoff: Ok. Mais ça en fait, et... pourquoi tu le fais ? Parce que au résultat... je suis pas sûre que, on voit la différence ? Tu as déjà fait le test ?

— Pierre Faedi: alors … Est-ce qu'on voit la différence ? Bah à l'époque je faisais uniquement, parce que là ça date de 2015 ce travail là, à l'époque je faisais uniquement comme ça, et là petit à petit je m'aventure dans la couleur, en utilisant des couleurs, voilà.

—C. de Trogoff: d'accord

— Pierre Faedi: Avant, avant j'utilisais la couleur en valeur de gris, quoi, enfin

— L.L. de Mars: je vois

—C. de Trogoff: d'accord

— L.L. de Mars: Non, mais je pense que ce n'est pas sans effet, parce que, en fait, tu fais tes matrices au crayon gris, ensuite de quoi elles sont reproduites en riso, donc on a... on a au moins l'attaque graphique et la matière particulière propre au dessin quand elle se dépose sur le papier ; mais d'une manière ou d'une autre, la riso elle va faire un étrange mélange de veloutés et aussi d'unification, parce que y a, finalement, plus de disparité dans le trait d'un crayon de couleur que dans le processus de reproduction de la riso. Donc on est dans un truc assez ambigu, et à mon avis, ce serait très différent si tu avais employé des crayons de couleurs

—C. de Trogoff: bah les crayons de couleur... bah moi par exemple j'ai fait le contraire dans certains de mes travaux... Là, en ce moment, je dessine en couleurs, avec des crayons de couleurs, mais par contre ça passe en gris après, et j’ai l'impression qu'il y aurait pas de différence...

— L.L. de Mars: … si, si y'en aurait, notamment en termes de valeurs, de graisses...

—C. de Trogoff: Si ? D'accord

— L.L. de Mars: De toute façon, ce n'est pas le même problème

—C. de Trogoff: non, ce n'est pas le même problème

— L.L. de Mars: ça n'a rien à voir en fait!(rires)

— Pierre Faedi: tu vois, c'est les impressions... Là c'est deux couches, enfin je sais pas si vous voyez

— L.L. de Mars: si si, on voit

—C. de Trogoff: on voit, on voit !

— L.L. de Mars: on voit très bien, on voit la sortie, c'est pas mal.

— Pierre Faedi: voilà

— L.L. de Mars: donc il manque encore la troisième couche

— Pierre Faedi: et des fois, je vais avoir envie de m'arrêter... enfin, des fois il y a des choses qui sont prévues en trois ou quatre couleurs, des fois tu vas avoir envie de t'arrêter en deux couleurs, tu vois, enfin.

—C. de Trogoff: d'accord, il y a des fois, ouais, tu t'arrêtes à un état qui te satisfait...

— Pierre Faedi: ouais

—C. de Trogoff: tu vas pas forcément tout le temps jusqu'au bout

— Pierre Faedi: ouais

— L.L. de Mars: j'aurais bien une question plus... Plus sociale. Qui est celle... La société des livres évidemment et des publications... Donc toi, tu fais tes études à Strasbourg, c'est ça ?

— Pierre Faedi: … moi je ne suis plus étudiant depuis

— L.L. de Mars: Tu es né à Epinal, hein ? Hein ?!

— Pierre Faedi: …non, je suis pas né à Epinal, ça c'est une coquille dans un magazine

—C. de Trogoff: A Tourcoing ! Tu es né à Tourcoing !

— Pierre Faedi: Non, à Thionville

—C. de Trogoff: À Tourville. Trouville ?

— Pierre Faedi: Thionville

— L.L. de Mars: c'est où ça ?

— Pierre Faedi: Thionville, c'est le nord-est de la France, c'est à côté de... du Luxembourg, à la frontière du Luxembourg, c'est absolument inintéressant

— L.L. de Mars: (rires)

— Pierre Faedi: à part pour travailler au Luxembourg, voilà, avoir des clopes et du carburant moins cher

— L.L. de Mars: Donc, oui, ma question est plutôt sociale. Donc tu es très vite pris dans le bain, notamment parce que tu utilises la machine riso, que la machine riso s'impose dans le monde du... Du fanzinat... Autour des années, on va dire, 2012-13, quelque chose comme ça, en gros, hein ?

— Pierre Faedi: Ouais ouais, ouais !

— L.L. de Mars: et... Donc, moi la première chose que j'ai vu de toi, c'est La vie à l'époque cambrienne qui n'est pas de la riso mais de la sérigraphie, puis très rapidement bah du coup ça m'attire vers tes publications. Et... à la fois elles se distinguent des autres, mais d'une manière aussi elles... leur répondent. Comment tu te places, comment tu comprends cette société qui est très ambiguë, puisqu'elle est à la fois… Elle poursuit toute l'histoire du fanzinat, le goût pour la micro-publication, et à la fois... Elle va imposer, enfin elle va reprendre au monde du multiple — qui vient plutôt de l'art contemporain — d'autres codes sociaux... Des codes qui établissent ailleurs la question de la valeur et qui sont des codes, on pourrait dire, infiniment plus normatifs, finalement. Et c'est pas sans effet sur les productions. Donc c'est un monde de production complexe à observer, puisque, à la fois, il maintient le fil tendu de l'invention, de la création ,et l'autre, il fait débouler dans le monde du fanzinat — pas pour la première fois une académie puisqu'il y en a toujours eues, enfin le fanzinat a toujours été traversé par des courants académiques — mais plutôt un rapport au fanzine qui est complètement, on pourrait dire, contraire à ses valeurs habituelles, qui sont celles de la petite publication le plus cheap possible, à laquelle on n’accorde aucune valeur financière symbolique mais juste une espèce de valeur créatrice et esthétique. Et donc Gargarismes, de fait, existant socialement dans ce cadre, existant dans le salon Central Vapeur, que tu as concouru à créer ? Non ?

— Pierre Faedi: aah... moi non, j'ai rejoint le truc en cours. Moi je suis arrivé en deux milles… euh… Attends... Bah alors du coup moi... j'ai fini mes études en 2012, j'ai rencontré Fabien de Central Vapeur, et ils m'ont dit « bon bah on est en train d'avoir un nouveau lieu, qui s'appelle Rotonde, derrière la gare », et ils m'ont dit « on cherche quelqu'un pour... faire un atelier d'impression ». Moi... Je savais très vite que j'allais être en manque de pratique, enfin, que j'allai regretter l'atelier de sérigraphie de Strasbourg, de l'école de Strasbourg, et du coup j'ai un peu sauté sur l'occasion et puis c'est parti de pas grand-chose, mais je me suis mis à monter un atelier de sérigraphie dans la cave des locaux de Rotonde, voilà... ça c'est pour la parenthèse Central Vapeur.

—C. de Trogoff: ce que je... je crois que Laurent veut dire c'est

— L.L. de Mars: Bah là je crois que la question est... claire

CdT : mais pourquoi... enfin ce qu'on a constaté, c'est qu'il y avait, parfois des objets, qui prenait une valeur parce que, par exemple, ils étaient tirés à un exemplaire, ou que la petite différence devenait une valeur, alors que dans le monde du fanzine, c’était au départ pas du tout... ce qui était visé.

— Pierre Faedi: ouais

—C. de Trogoff (à Lldm): y a pas ça dans ta question ?

— L.L. de Mars: oui mais c'est qu'une petite partie de ma question, ma question est beaucoup plus large. C'est, en tant que créateur de Gargarismes,

— Pierre Faedi: ouais

— L.L. de Mars: et faisant parti comme chacun d'entre nous, enfin, qui faisons des fanzines, d'un biotope, mais étant au cœur finalement d'un, ouais, de... La vague de transformation de ce biotope, comment tu le vis, comment tu t'y situes, comment toi qui a un regard moins extérieur que moi, par exemple, qui vient plutôt de la sérigraphie et du copieur, qui a un autre regard sur le fanzine et une autre histoire, comment toi tu vis et comprends ces transformations ? Et comment tu te places en tant que micro-éditeur dans ce monde là ?

— Pierre Faedi: alors comment je me place en tant que micro-éditeur... Je sais pas vraiment si... Si ma pratique ou le fait d'exister change ou influe... je sais pas, j'ai pas spécialement la prétention d'influer ou de changer... Ou je sais pas si ça influe ou si ça change le fait d'être Gargarismes et d'avoir ma pratique, moi, en fait, je... Déjà, je suis tout seul... donc du coup ça me contraint à être moins, peut-être moins diffusé, moins visible, enfin je... Au niveau de la promotion, parce que la promotion comme la production, c'est tout un travail et... du coup moi ça me va tout à fait de faire des bouquins en 100 voire 200 exemplaires, voire parfois 50 exemplaires, parce que je sais que... Je vais faire quelques salons, et puis ils vont partir de ci de là, ou des librairies vont vouloir m'en prendre pour leur rayon indé, et tout ça, mais par rapport, par exemple, à ce qui se fait dans les grandes maisons d'édition, c'est vrai que y a des espèces de... Y’a un peu de la récupération qu'on peut, qu'on peut voir aussi dans la musique, tu vois, enfin, on peut, tu peux retrouver dans la musique, bah déjà le retour du vinyle, est-ce que c'est aussi un, une envie du retour à l'objet ? Au truc qui est collectable. Et c'est pareil en fait : tu vas avoir des labels, des majors en fait, qui vont te sortir des cassettes, ça c'est assez risible des fois tu vas avoir des grands groupes qui vont te sortir des cassettes en quelques centaines d'exemplaires et qui vont te vendre ça un bras, et ça, ça va partir comme des petits pains alors que toi, tu galères à faire tes zines et puis des fois, bin par exemple, celui-là, tu vois

— L.L. de Mars: Comme on est encore dans le partage du pdf là je suppose qu'on rate ce que tu nous montres.

— Pierre Faedi: ah ok, bah je montrais, rien de fou, je montrais encore Boom Shaka Laka. Je disais bah ce bouquin là, il est pas encore... Il est pas encore parti hein ; enfin voilà, après bon, il y a eu deux confinements, il est sorti à peine avant, on l'avait sorti à Bruxelles, au Sterput... voilà, donc je sais pas si ça répond à la question, mais c'est vrai que, en fait, c'est comme dans beaucoup de courants, ou dans l'art ou quoi, il y a vraiment, enfin par le mainstream, il y a vraiment de la récupération de pas mal de codes, ou des trucs comme ça, que tu vas retrouver des fois dans des bouquins, des imprimés en séri ou en riso... voilà. Je sais pas si ça répond bien à la question, moi je...

— Alexandra Achard: Alors, je

— Pierre Faedi: Ouais !

— Alexandra Achard: Moi, je vais reposer une question... si... si c'est possible. Je pense que je crois avoir saisi la question de Laurent et je crois que tu n'y a pas réellement répondu, donc je vais essayer de la reposer différemment (rires)

— Pierre Faedi: Ouais !

— Alexandra Achard: la question, c'est : pratiquer la risographie aujourd'hui, dans un milieu de fanzinat, c'est très marqué... C'est stylistiquement marqué, je sais pas si c'est le bon terme, mais en tout cas esthétiquement c'est marqué,

— Pierre Faedi: non non vas-y, c'est compréhensible en tout cas

— Alexandra Achard: c'est une position... C'est faire partie de quelque chose, en opposition à une pratique du fanzinat. Donc comment toi tu le fais, d'après ce que je comprends, tu expliques que c'est ta pratique qui t'amène par rencontres de cette pratique là, de ce procédé-là, et de cette technique-là, qui va t'amener à rencontrer d'autres gens qui la pratiquent aussi ; néanmoins, quand tu vends tes livres, tu t'inscris dans cette entité visuelle là, donc comment toi tu le vis ? Est-ce que tu le vis avec du recul, est-ce que tu as un regard sur ça, est-ce que tu le vois comme une identité collective ? Est-ce que tu... Comme un mouvement, comme quelque chose comme ça ? Et l'autre question, qui, qui se pose et en fait qui est liée, c'est, je dirais, le statut particulier de prix que prennent ces productions risographiques. Parce que, tu... Ne peux pas ignorer que ces productions là qui ont ce visuel là, sont en général valorisées d'une manière différente des fanzines dont elles se réclament, qui eux, prennent le partie, justement parce qu'ils sont des fanzines, de... de déposer la valorisation du travail pour que justement l'objet soit partageable. On n’est même pas en train de parler de la question de nombre — qui serait propre à ta capacité à diffuser ton travail — on est entrain de parler d'un rapport prix / objet, qui se pose sur la création que vous, qui est faite en risographie, alors que pour le fanzine, elle se pose sur la volonté de diffusion de l'objet justement. Enfin, le faible prix est censé multiplier

— Pierre Faedi: Laurent, est-ce que toi tu parlais du rapport prix / objet dans ta question, parce que oui, effectivement, j'ai pas l'impression d'avoir...

— Alexandra Achard: peut-être pas

— Pierre Faedi: oui, je l'ai pas lue comme Alexandra, je sais pas. Mais après, en soi...

— L.L. de Mars: … est-ce que ma question impliquait, quoi, c'est question du prix, c'est ça ?

— Alexandra Achard: une question de valorisation du travail

— Pierre Faedi: ouais, la question du prix, de la valorisation...

— L.L. de Mars: Non c’était pas le prix en fait, c'était... Pas le prix en soi, c'est la question de la valeur, où on la place,

—C. de Trogoff: la valeur, ouais

— L.L. de Mars: comment on se représente la question de la valeur... Bon clairement, dans tout ce que tu me racontes depuis le début j'entends plein de formulations de la « valeur » : la valeur de l'artisanat, la valeur de l'expérience, la valeur de l’expérimentation, la valeur du désir, enfin toute forme de valeurs et il y a d'autres formes de valeur qui s'assignent à la circulation... La circulation des livres, évidemment, des valeurs symboliques fortes, bon par exemple : quand les livres se revendiquent comme appartenant à la catégorie artistique par le simple fait qu'ils sont rares, ce qui est une chose qui est argumentée régulièrement, ce que je n'avais jamais entendu dans toute l'histoire du fanzinat, qui appartient vraiment à un autre monde — le monde de, je sais pas, de la gravure pour vieilles dames, enfin d'un truc complètement archaïque — de ré-entendre ça insufflé dans le monde du fanzinat « y en a peu, c'est rare, donc on retrouve le champ artistique » — alors que pffout, le champ artistique on ne l'a jamais quitté, donc je vois pas le rapport — de toute façon, je suppose que tu y es confronté autant que moi ; c'est des conversations parfois un peu étranges sur le, sur la place où on dépose la valeur dans nos productions, mais … Si cette question était en pli dans ma façon de l'aborder, elle était beaucoup plus générale que ça hein, c'était plutôt : dans le régime de production des formes et des images ; effectivement, le fait que ton procédé de production soit impliqué dans un moment d'histoire, comme l'a été le copieur au début des années 80, où c’était inimaginable de produire... autrement… Ou encore la sérigraphie dans les années 90 ; avec tout ce que ça entraîne, évidemment, d’effets de mode, des façons extrêmement endogènes de produire des images semblables les unes aux autres, et il me semble que... que c'est toujours très compliqué de savoir comment on se trouve soi-même dans ce monde de production et... pas seulement comment on s'en distingue — comment on arrive pour soi-même à s'en distinguer — mais comment on analyse la situation quand on est pris dedans ? Comment toi, tu la penses ? Je crois que c'était un peu ça, la question, qui, qui traîne du coup, parce qu'on n’arrête pas de la reformuler ! (rires) On la reformule, mais peut-être que la réponse est pour toi extrêmement embarrassante, Pierre, tu n’es pas non plus obligé de répondre ! C'est… Elle fait question pour nous mais peut-être que pour toi c'est pas une question, j'en sais rien du tout hein.

— Pierre Faedi: non bah, en fait peut-être que... peut-être que j'arrive pas à y répondre concrètement parce que... peut-être, peut-être que je suis plus, enfin, je vais pas chercher spécialement à être acteur de ça, mais plutôt... Plutôt être spectateur de choses qui évoluent et qui changent. Mais... Par rapport au prix en fait, là tu me parlais du prix, mais c'est aussi pour ça en fait que des fois bah tu vas te retrouver avec des livres où... Ben je vais les utiliser... Mes bouquins je vais les utiliser comme si, enfin je vais les produire comme si on utilisait un photocopieur. Au niveau, au niveau des livres, au niveau de la production de mes livres, et c'est aussi pour ça que des fois bah je vais me retrouver à faire des choses en très peu de couleurs, où on pourrait me dire « mais pourquoi tu n'utilises pas plutôt un photocopieur ? » ; c'est simplement aussi parce que... parce qu'en fait, enfin tu, Alexandra tu me dis ça, effectivement peut-être que les productions de Gargarismes vont peut-être être un poil plus cher qu'un zine photocopié mais en fait, au final, je sais pas si tu connais mes prix, mais en fait on est vraiment pas loin de ça... je suis pas du tout dans une démarche... de...

— Alexandra Achard: j'ai acheté tes livres, pas... pas d'autres ! J'en ai acheté.

— Pierre Faedi: Ok Ok

— L.L. de Mars: (Rires)

— Alexandra Achard: non mais c'est une vraie question du coup, c'est, c'est

— Pierre Faedi: c'est une question mais...

— Alexandra Achard: c'est quand même une vraie question

— Pierre Faedi: du coup en fait, la question que je me pose c'est... Quand on fait un bouquin – par exemple encore une fois, ça, ça va répondre très bien – ça par exemple, on va le vendre 20 balles, tu vois ? ... Boom Shaka Laka, il est vendu 20 balles, et en fait c'était … La première discussion qu'on a eu avec Guillaume c'est … « bon bah, qu'est-ce que ça va nous coûter » et « combien on va réussir à la vendre le mois cher possible pour qu'il soit le plus accessible possible » et... Moi je suis vraiment dans un souci de faire des fois des petites choses assez fast, assez spontanées tu vois, où on va utiliser une seule couleur, on va utiliser des papiers différents mais au final, tu vois, ça, ça va valoir 3-4 euros, 5 euros, enfin ça va être le prix d'un fanzine en fait... Donc... Et après bah oui ! Effectivement, les posters en sérigraphie vont avoir le prix de posters en sérigraphie, encore que, souvent on me dit que je ne suis pas assez cher, mais... Ouais, c'est vraiment un entre-deux, enfin.

—C. de Trogoff: mais tu te rends compte quand même que la tendance – pardon – la tendance actuelle, depuis quelques années – ça a vraiment changé, je crois depuis 2-3 ans, je me trompe peut-être mais, y a eu... comme une valorisation du fait qu'il n'y en ai pas beaucoup, et donc en fait, des gens pouvaient vendre très très cher le fait qu'il y ait... un côté artisanal, qu'il y ait un côté... très peu d'exemplaires. Fn fait c'est quelque chose qui est choquant dans le fanzinat,

— Pierre Faedi: ouais, tout à fait

—C. de Trogoff: et c'est apparu il y a très peu de temps, comme si le fanzinat s'était rabattu sur l'objet d'art et on a vu ça apparaître... presque du jour, pas du jour au lendemain, mais il y a eu vraiment un changement dans les prix et dans la façon de présenter les produits, où par exemple moi j'ai vu des gens qui faisaient des tous petits objets, sur place, avec leur... En imprimant avec leurs doigts, et ça c'était très très cher, parce que en fait y en avait, c'était unique ! Donc... ils se rabattaient sur les valeurs de l'art contemporain, plutôt que sur les valeurs du fanzinat – en fait, c'est ça notre question depuis le départ je crois un peu (rires) – et donc du coup comment te situes-tu là-dessus... là-dedans ? Nous on est plutôt dans la vague de faire le moins cher possible et, etc. Mais, mais il y a une autre vague, et dans laquelle tu es pris puisque tu utilises les mêmes techniques, ça veut dire que je pense que le livre que tu nous montres depuis tout à l'heure, en fait d'autres auraient essayé de le vendre 80 balles, parce qu'il y en a pas beaucoup, et que c'est artisanal !

— Pierre Faedi: Ouais, ça aurait été légitime mais, enfin je sais pas, moi je préfère le vendre le 20 balles, enfin c'est... Enfin pour moi y a pas de, enfin je préfère en fait le rendre le plus accessible possible et peu... En fait, je vais mettre, par exemple, chez Gargarismes, je vais me mettre à donner des formations, à imprimer pour d'autres et tout, et c'est là où je vais rentrer un peu d'argent, que je vais injecter dans des productions, dans le fanzine et tout ça et en fait... Pff, je vois pas l'intérêt, pour moi, en fait, d'avoir à proposer ça à un prix, qui serait légitime, pourquoi pas ?, moi j'entends ce discours, tout à fait, mais je me situe pas, j'ai pas envie de me situer là-dedans et...

—C. de Trogoff: et du coup tu as des rapports avec des gens qui sont comme ça, qui font ça.

— Pierre Faedi: ouais, ouais, mais après je comprends tout à fait leur point de vue, tu vois, enfin

—C. de Trogoff: d'accord

— Pierre Faedi: moi j'ai... Par exemple tu vois, on avait eu, début du mois dernier, juste avant le confinement, il y a avait en Alsace là, un cycle qui s'appelle Les ateliers ouverts ; on ouvre les ateliers, on montre notre sérigraphie, et... Moi, j'ai ma collègue d'atelier qui fait des sérigraphies, qui vend des sérigraphies des fois... Enfin, plus petites, plus... Enfin, avec moins de couleurs ou des choses comme ça, qui les vend un poil plus cher que les miennes, et... J'ai aucun problème avec ça, c'est pas mon, c'est pas ma démarche,mais en même temps, je comprends tout à fait cette démarche de se dire, enfin, que c'est un objet unique et ci et ça, mais en fait, si les gens arrivent à les vendre à ce prix là, tant mieux pour eux quoi, mais moi je préfère en fait, je préfère partager et distribuer, voilà et puis

— Alexandra Achard: oui, en écho à la phrase qu tu disais au tout début de l'entretien qui disait la micro-édition est pour moi... enfin je vois la micro-édition comme une pratique de partage, enfin comme le partage quoi.

— Pierre Faedi: Ouais ! bah tout à fait ...

— L.L. de Mars: c'est ça ouais. Les questions, la question à l'air très prosaïque par rapport à toutes celles que l'on se posait sur les techniques mais elle ne l'est pas tant que ça parce que le fanzinat c'est une série de pratiques corporelles, intellectuelles, artistiques et poétiques, mais c'est aussi une invention sociale particulière, qui a une histoire, qui, tu vois s'inscrit dans une économie, une vision, c'est aussi bête que ça, c'est... C'est de cette vision dont il est question depuis... Depuis un quart d'heure (rires). C'est toujours un peu relou de se... De se pencher sur des questions, oui, plus... terre à terre et peut-être moins excitantes, parce que bon, les questions comme, oui, la mode, la tendance, l'argent, c'est pas les choses les plus excitantes du monde

—C. de Trogoff: non mais c'est une vision de partage dans le fanzine quand même.

— L.L. de Mars: Bah, c'est surtout, oui, comment ça reconfigure, en fait, les questions qui donnent, enfin qui sont liées à toutes ces séries d'entretiens. Elles sont liées à l'histoire du fanzinat, donc elles sont aussi liées bah à l'histoire économique et sociale du fanzinat. Voilà, c'est tout, c'est pas une question perfide, du tout hein, les... elle a sa légitimité...

— Pierre Faedi: ah non je l'ai pas perçue comme ça !

— L.L. de Mars: elle a sa rationalité tu vois, d'accord hein

— Pierre Faedi: oui oui bien-sûr

— L.L. de Mars: oui c'est rationnel

— Alexandra Achard: la... la question, elle fait écho dans ta réponse quand tu dis : on me dit que je pourrais vendre beaucoup plus cher. Ca veut donc dire que... C'est déjà établi que dans l'endroit où tu mets à disposition d'un public potentiel tes productions de livres, le public ou le passant, il a déjà intégré le fait que ces produits là, avec cette identité visuelle là, avant de découvrir potentiellement ton travail, ont une valeur supérieure aux autres.

—C. de Trogoff: y a un marché quoi

— Pierre Faedi: alors non non, pas

— Alexandra Achard: bah... je sais pas

— Pierre Faedi: pas supérieure, pas supérieure aux autres

— Alexandra Achard: bah en prix, nan mais... En termes de prix : vendre plus cher... Moi je ne fais pas partie des gens qui se disent « c'est cher, c'est bien » hein, je...

— Pierre Faedi: ok. Mais ouais après en fait le prix, c'est un peu, comment dire ? Oui y a des échelles de prix, effectivement, mais... tu le vois aussi dans l'histoire, enfin dans la collection, tu vois, enfin... Là par exemple, tu vois, ça c'est – je montre une carte hein ! – ça c'est un bout de carton tu vois

Lldm et —C. de Trogoff: (rires)

— Pierre Faedi: J'ai déjà mis 50 – enfin pas cette carte en particulier – mais j'ai déjà mis 50 ou 60 euros dans un bout de carton comme ça, tu vois, enfin !

— L.L. de Mars: tu es un grand malade Pierre ! (rires)

—C. de Trogoff: On est dans la collection, ça n'a rien à voir la collection...

— Alexandra Achard: bah c'est pas loin quand même

—C. de Trogoff: y a plus d'échelle, dans la collection

— Alexandra Achard: c'est pas loin quand même

—C. de Trogoff: non mais moi je pense que là, la question d'un marché où justement le public serait... Nous on l'a vu souvent dans les salons que, en fait, des... Les différences de prix, entre nos livres uniques, ou quasiment uniques, qu'on vendait à prix raisonnable, et... Une sérigraphie, y’avait comme un marché où les gens étaient prêts à donner, par exemple, ils étaient prêts à mettre beaucoup plus cher pour une affiche, alors qu'il y avait à côté des livres sérigraphiés,

— Pierre Faedi: bah tout à fait, oui

—C. de Trogoff: où il y avait l'équivalent de 15 affiches, et ils prenaient pas le livre, ils prenaient… Il y avait des livres à 10 balles, que nous on acquérait, on prenait un livre à 10 balles et à côté, y avait des sérigraphies à 60 balles, nous on avait genre 15 sérigraphies à 10 balles, en fait y avait un marché, quoi

— Pierre Faedi: bah c'est le statut de l'affiche aussi, c'est... C'est quelque chose qu'elle reflète, et peut-être que les gens, enfin, certaines personnes, sont plus touchées par le fait aussi, peut-être, je sais pas, de... D’acquérir ce truc à un prix plus élevé, je sais pas, mais

—C. de Trogoff: alors, y a ça, mais y a , y a une habituation comme disait Alexandra, à une... Y’a comme un conditionnement, c'est pour ça que je parlais de marché. Or là quand tu nous montres une carte de collection, une carte de collection on sait bien que dans le monde de collectionneurs, les choses qui vont être plus rares ou plus difficiles à trouver, ou qui ont un petit défaut, etc. vont... Personnellement, nous, à chaque fois qu'on rate un bouquin ou qu’il manque un livret, même aux revues, même à la revue Pré Carré, je le prends ; enfin j'ai... J'adore les livres à défauts... Et là on est dans une autre démarche, qui est celle du collectionneur, et il me semble que c'est pas la même démarche

— Pierre Faedi: c'est pas... c'est pas la même démarche

CdT : que de fabriquer un marché

— L.L. de Mars: c'est compliqué, parce qu’on parle de deux plans différents, on est... tu es en train de parler... C'est compliqué… On est entrain de superposer plusieurs problèmes, un qui est lié à la valeur symbolique qu'on attribue à un moment M d'une société à des objets plutôt que d'autres... si les images uniques, sérigraphiées sur un mur, acquièrent une valeur étrangement plus forte qu'un assemblage de plein de petites sérigraphies dans un livre, c'est, je pense, tout simplement parce que l'idée même que des images valent quelque chose par leur unicité, elle s'est construite autour d'une histoire du tableau, de la peinture et de la gravure, donc elle s'est construite sur de l'image fixe et isolée. Donc, symboliquement, l'image fixe et isolée, elle contient déjà en germe, en fait, toute la représentation fantasmatique, symbolique, matérielle, de la chose qui vaut cher. Le livre, en regard de ça, ne devient cher que par accident, parce qu'il est vieux, parce qu'il appartient à une certaine bibliomanie... Il n'appartient pas d'emblée à une représentation de la cherté

—C. de Trogoff: ou luxueux…

— L.L. de Mars: ou de la valeur. Ce qui est fou effectivement, c’est qu'un livre puisse en soi représenter une quantité de travail, de valeur artistique tout simplement, considérable, et se retrouver dans la catégorie financière dévaluée, mais bon, après tout, c'est un autre problème, c'est un problème symbolique et social quoi

—C. de Trogoff: oui mais il y a la fabrication d'un... la fabrication d'un public, c'est ça qui est important.

[ pause]

— Alexandra Achard: là tu es à Paris toi ?

— Pierre Faedi: Non moi je suis à Strasbourg.

— Alexandra Achard: Ah ok

— Pierre Faedi: Et en fait, moi je fais des... Bah, des dérogations pour pouvoir aller à l'atelier, qui est à 25 minutes à vélo de chez moi, donc ça va, ça me fait des, enfin ça me fait prendre l'air en fait, c'est quand même assez positif de ce côté, j'ai un peu de chance. Mais... Enfin ouais, c'est assez morose, c'est assez dur quand même

—C. de Trogoff: tu as un grand atelier ?

— Pierre Faedi: Ouais, ouais. C'est

—C. de Trogoff: tu as un atelier partagé ?

— Pierre Faedi: … alors, en fait, on est dans une grande... Comment dire, on est dans un espèce de grand bâtiment, qui est tout nouveau ; ça a mis du temp, ça a un an, un truc comme ça en fait, nous on a fini de le construire et tout ça l'atelier, ça s'appelle Garage Prints... parce qu'on est dans Garage Coop, la coopérative... Parce que c'est tout le quartier de la coopérative, le port du Rhin, et tout ça c'est à la frontière de l'Allemagne, de la première ville d'Allemagne... Et du coup, c'est des quartiers en friche qui sont réinvestis par les artistes et qui, bien-sûr, vont être gentrifiés dans les, quelques années j'imagine ; on est un peu le faire-valoir et petit à petit tout le monde va s'installer là-bas, mais... voilà. Pour l'instant on est dans cet endroit et, ouais, ouais, c'est tellement plus confortable, c'est tellement plus agréable, parce que, avant j'étais du coup à Rotonde, et Rotonde c'était une cave, donc je levais le bras je touchais le plafond et après mes Riso elles étaient dans la salle de réunion, parce que du coup c'était un local collection, donc dès que y avait une réunion, moi je pouvais pas imprimer. Mais par contre, financièrement, c'était beaucoup moins cher ; là, le prix est un peu plus élevé, mais c'est tout à fait légitime. Et c'est pas très cher, pour ce que c'est quand même, voilà.

— L.L. de Mars: il y a d'autres micros éditeurs dans cet endroit ? Il n'y a pas que Gargarismes, vous êtes nombreux ou?

— Pierre Faedi: … non, mais y a beaucoup d'autres illustrateurs, y a les éditions 2024 aussi...

— L.L. de Mars: Ouais

—C. de Trogoff: Ah d'accord

— Pierre Faedi: y a Central Vapeur,

— L.L. de Mars: d'accord

— Pierre Faedi: qui est une entité quand même à part entière, même si on est très liés, et que je suis très très impliqué dans Central Vapeur, tu as beaucoup d'illustrateurs de la scène strasbourgeoise en fait... tu as Accélérateur de particules, qui fait de l'art contemporain, t'as, ouais t'as plein de collectifs en fait. Et puis ma collègue, Manu, avec qui on fait de la sérigraphie pour de la commande auprès d'artistes et d'associations... Elle, elle fait de la céramique, elle est aussi céramiste, elle a un autre local dans cette friche Garages coop'... Elle a un autre local où elle fait de la céramique.

— L.L. de Mars: oui j'ai cherché un, j'ai peu googlé son nom (Emmanuelle Giora https://www.instagram.com/emmanuelle_giora/ ), elle est beaucoup plus en vue pour son travail de céramiste que, que pour quoique ce soit d'autre. C'est dans ce domaine que je l'ai

— Pierre Faedi: Ouais, voilà, c'est ça. Elle, elle va plutôt être dans la formation... enfin dans les ateliers, ou dans la commande pour sa pratique de sérigraphie... mais moi je, enfin contrairement à elle, ouais j'ai une pratique beaucoup plus artistique du multiple. Mais du coup on bosse ensemble pour faire des commandes pour payer le lieu, et se payer un peu nous aussi, par la même occasion.

— L.L. de Mars: Mmh... Est-ce qu'il y a des choses dont on n’a pas parlé, dans ton approche technique et historique de ton boulot... de risographe — on va dire ça comme ça — ou ton apprentissage tout court du monde de la duplication et du livre, des aspects dont on n’a pas parlé ou dont tu aimerais parler, qui seraient vraiment propres à ton approche, technique, artistique ?

— Pierre Faedi: … j'ai pas l'impression, j'ai l'impression qu'on a vu pas mal de choses, enfin je vois pas comment je pourrais… Bah en fait, c'est une approche... Enfin, pour moi c'est une approche assez simple, donc... Je vois pas d'autres points. Enfin, pour résumer, je fais des allers-retours entre le dessin et l'impression et des fois ben je partage ça avec d'autres artistes, d'autres illustrateurs ou des choses comme ça, mais sinon... Que dire de plus de ça ? Je sais pas. Et puis il y avait aussi la question du statut de la chose ou... Ouais, je vois pas d'autres choses à dire que souligner le fait que oui effectivement, moi, même si c'est des productions en très petit tirage, avec un apport artisanal et artistique, je me revendique quand même de... du côté de la team fanzine quand même, enfin, voilà.

— Alexandra Achard: moi j'aurais peut-être une question

— Pierre Faedi: ouais !

— Alexandra Achard: reviendrai sur ce que t'avais, ce dont tu avais parlé au tout début, tu avais dit cette chose qui m'a ravie, et c'est peut-être mon côté... Comme toi, collectionneur de cartes qu'on trouve pas... Quand tu dis qu'il y a une impression à l'envers, ou quand il y a un problème à l'impression dans un livre, tu ne le jettes pas, et le livre part dans la masse... Et tu n'en fais pas, enfin, pour toi ce n'est pas un problème ; c'est quoi ton rapport à ça à toi ? Comment tu le vois ? T'aimerais qu'ailleurs, chez d'autres éditeurs, ça se passe pareil ? T'aimerais que dans la création d'autres personnes ça se passe pareil ? Parce que tu ne vas pas détruire un livre, ça serait embêtant, ou parce que tu... parce que c'est quand même contraire à la reproduction, techniquement.

— Pierre Faedi: alors... ouais, ouais c'est vrai. Mais du coup, non, je pourrais, il y a vraiment des choses qui sont vraiment très abusées, où là je vais vraiment le mettre de côté, et je vais me dire ouais c'est pas possible !

AA et — L.L. de Mars: (rires)

— Pierre Faedi: mais par exemple quand il y a un livre avec défaut ou quoi, je vais le signaler à la personne, je vais pas lui dire « ah surprise ! Enfin voilà, ton truc, c'est pas vraiment ce que à quoi tu attends »... mais, du coup, ouais, je sais pas ; quand je suis à un salon ou quoi, je jette quand même des fois un coup d’œil à ce qu'il y a sur la table et, et puis bah celui où il y a un défaut ou quoi bah des fois je vais le montrer, je vais dire « ah, regarde celui-là et tout » ou , des fois en c'est les personnes qui me disent « non non, je veux celui-là »... « celui-là il y a une page un peu bizarre et tout, je vais le prendre et tout » et...

— Alexandra Achard: Tu penses que ça favorise les rencontres en fait ? Tu penses que du coup ça, ça participe du, de la discussion ?

— Pierre Faedi: Ouais, ça favorise peut-être les rencontres ou quoi. Bah moi après effectivement, les trucs avec des défauts ça va m'intéresser, mais je vais pas spécialement demander aux autres éditeurs ou autres imprimeurs de procéder de cette manière, moi je m'en fous, c'est, c'est la façon dont je vois et j'apprécie le truc, et il y a d'autres personnes, qui ont un petit penchant peut-être pour la collection... qui vont faire ça, en fait, voilà.

—C. de Trogoff: on est bien d'accord, on est plusieurs à être comme ça (rires)

— L.L. de Mars: Sinon, une question dans ce cas là, qui, oui, tu allais rajouter quelque chose Pierre ?

— Pierre Faedi: Bah non mais je, bah justement, ça, en connaissance de cause, des fois en fait... Moi ça me fait super plaisir quand je vois quelqu’un qui veut, justement, un truc, enfin c'est comme… Je sais pas… Quand tu apprécies un bon vin et que tu vois ce que la personne veut dire ; c'est pas un truc élitiste ou quoi!Non c’était pas ça mais... mais moi je suis super content quand quelqu'un veut ce truc qui... parce que du coup, ça souligne, ces défauts là en fait, ça souligne la valeur du fait main, vraiment quoi, sinon, si la riso imprimait de manière uniforme, si la sérigraphie te faisait des prints de manière uniforme, en fait à quoi ça servirait ? On ferait tout en numérique ou en offset, ou je sais pas quoi, même en offset tu peux faire des choses comme ça, tu peux provoquer des accidents.

— Alexandra Achard: oui tout le sens

— L.L. de Mars: … ouais, d'expérience ouais !

—C. de Trogoff: (rires)

— L.L. de Mars: j'ai arrêté l'offset manuel, crois-moi ! Ça, en termes de… D'accident, ça dépasse tout ce que tu peux imaginer quand c'est vraiment manuel ! C'est l'enfer (rires) sur terre !

— Pierre Faedi: c'est l'enfer ouais, faire un aplat en offset, il paraît que c'est l'enfer ouais

— L.L. de Mars: Ah ouais c'est vraiment l'enfer, c'est un enfer drôle mais pas trop longtemps quand même

—C. de Trogoff: on a du repasser au crayon sur beaucoup de choses je me souviens (rires)

— L.L. de Mars: … ma question, elle était historique par rapport à cette inscription de ton travail dans la longue, longue et hétérogène et secouée histoire du fanzinat : le premier fanzine que tu as eu entre les mains, qui a été déterminant pour... Qui trouve l'écho d'une chose que tu aimerais faire, c'est-à-dire produire du fanzinat, y a un moment clef de lecture de fanzine ?

PF: alors là, c'est dommage parce que je suis pas chez moi, je suis pas devant ma bibliothèque, je... J'aurais pas de truc, parce que sinon, oui, j'aurais plein de réminiscences, j'aurais plein de choses à raconter mais, ouais c'est... Non, ouais le truc de, bah si j'ai un... c'est voir que la première fois, voir un truc être tiré, être dupliqué, enfin la première fois que j'ai vu de la sérigraphie en pratique, c'était à Épinal, où avant je faisais du pochoir, et je sais pas, c'était assez instinctif, avant à l'école, enfin bien avant l'école, enfin j'avais fait une prépa' à Nancy c'était hyper chiant et ennuyeux, et l'endroit où je m'amusais le plus c'était le photocopieur en fait... C'était assez instinctif, et après petit à petit j'ai découvert qu'il y avait d'autres qui faisaient ça ; la première fois, ce qui me plaisait le plus par exemple, tu vois — parce que au départ je viens quand même du milieu du design graphique, mais je m'en suis un peu éloigné, enfin j'utilise certains codes, enfin j'essaye de faire attention à la typo ou à la mise en page, sommairement, enfin avec mes moyens, mais — les trucs qui m'avaient le plus plu, enfin mes premiers salons, c’était l'espace indépendant du salon de graphisme à Chaumont, tu vois, où je voyais justement des choses reproduites. Je crois que c'est là, même, d'ailleurs que j'ai vu mes premières duplications riso, et... Je savais pas que c'était de la riso, c'étaient des hollandais, parce que eux sont assez pionniers dans la duplication... Qui faisaient du papier-peint. Donc ils avaient reproduit du papier-peint en riso et c'était tant de centimes le motif, et du coup moi j'avais acheté plein de motifs, je trouvais ça trop cool, et c'est en refouillant dans mes archives que j'ai vu ces trucs et je me suis dit : « mais en fait c'est peut-être de la riso ce truc ! », voilà...

—C. de Trogoff: Mais et du coup tu parlais que, au début tu faisais du pochoir aussi ? Tu as fait du pochoir un moment donné ?

— Pierre Faedi: Bah ouais, j'ai fait du pochoir... Enfin je sais pas, enfin j'explorais un peu, quand j'avais pas de photocopieur ou quoi je prenais des cutters, j'ai pas de

—C. de Trogoff: je voulais te poser une question mais qu'est complètement historique, c'est parce qu'on l'a posée à tous les autres et on te l'a pas posée. C'est... comment dire : il était nécessaire pour toi, très vite, d’acquérir les moyens de production, les moyens de reproduction ? … C'est-à-dire posséder des machines, ou des choses comme ça, ça été très rapide dans ta... dans ton développement artistique ?

— Pierre Faedi: ouais... Enfin cette espèce de truc de do-it-yourself, enfin le « fais le toi-même », ouais c'est, ouais c'était… Je suis de nature... Tripatouilleur, bricoleur et tout ça, des fois je peux, enfin. En fait... là, historiquement, en fait mon père est un espèce d'accumulateur compulsif et quand j'étais gamin en fait moi j'allais dans le grenier, j'ouvrais tous les cartons, je regardais tout ce qu'il y avait et tout ça et j'étais fasciné par les ordis et quand… J'ai des traces de trucs où en fait j'étais un fana de jeux vidéos, du coup je faisais, je regardais dans les magazines et j'essayais de reproduire sur des logiciels assez sommaire pixel par pixel les personnages ou les trucs et je me mettais à les imprimer sur la vieille imprimante à ruban, tu sais il y avait des imprimantes à ruban

— L.L. de Mars: ouais

— Pierre Faedi: qui étaient hyper lente et qui perforaient comme ça, et des choses comme ça, et... Ouais, je crois que c’était, bah c'est vraiment, enfin c'était instinctif... depuis le début je voulais avoir accès à des choses qui reproduisent, voilà. Je sais pas, je crois que je referais mes personnages

—C. de Trogoff: D'accord

— L.L. de Mars: donc en fait, tes premières micro-publications à un exemplaire, c'était à l'imprimante à aiguille...

— Pierre Faedi: ah ouais ouais ouais

— L.L. de Mars: (rires)

— Pierre Faedi: Bah je, quand je commençais à lire et à écrire... Enfin voilà, et il y avait ce truc aussi de pouvoir faire ça soi-même ou de modifier... Tu sais c'était un Apple à disquette et tout, et je crois qu'il y avait un jeu qui s'appelait Crystal Quest, où tu pouvais modifier les personnages, les pixels et tout ça, et le fait, en fait, de faire ça soi-même, de... De bricoler, enfin voilà, moi, ça me paraissait vraiment être évident... C'est vrai qu'il y a d'autres approches, tu peux aussi faire du fanzine clairement en envoyant faire imprimer et tout ça, mais moi j'ai vraiment envie de mettre les mains dedans quoi, c'est... enfin c'est pas pensable autrement dans ma pratique.




— L.L. de Mars: Alexandra ? Une dernière question avant qu'on foute un peu la paix à Pierre ? (rires)

— Alexandra Achard:... non, j'ai plus de question, parce que en fait, dans ma tête, je suis entrain de te classifier – mon Dieu, Pierre ! (rires) – En fait, je... j'intègre ce que t'as dit, la différence entre procédé et technique, la possibilité d'extraire un procédé de prod’, enfin un procédé d'une machine et de... D'en reproduire la conduite en-dehors !

—C. de Trogoff: ah ça, ça nous aura marqué ! (rires)

— Alexandra Achard: bah oui ! Parce que, en fait, c'est vraiment symptomatique de ton travail... Ce rapport aussi un peu initiatique que t'a permis la machine, par rapport à la couleur que tu nous as dit... Travailler de plus en plus, voire même que tu as pu… Tu t'appropries maintenant une pratique de la couleur directe, j'oserais dire, même si c'est pas forcément un terme qui est utile, et j'aime aussi beaucoup ce rapport au possible de la technique tu as choisie, qui n'est pas un rapport d'erreur, puisque du coup tu as… Tu ne fais pas cette distinction de la neutralité de la technique, tu la prends comme elle serait dans sa totalité ; donc c'est plutôt cool, parce que c'est pas souvent, je crois, que cette question d'entièreté de la technique, donc de ce qu'elle produit de, d'attendu et de ce qu'elle produit d'inattendu, et qu'elle contient ; du coup toi tu es dans la... L'acceptation totale de celle-là, alors après tu as un peu monomaniaque hein je crois, parce que (rires) tu es

— Pierre Faedi: ouais totalement

— Alexandra Achard: tu es un peu ciblé là-dessus, donc non, je trouve que tu es un très beau spécimen (rires)

— Pierre Faedi: Ok

— Alexandra Achard: c'est un compliment pour moi ! (rires)

—C. de Trogoff: (rires) ah, la zoologiste !

— L.L. de Mars: honte sur toi !

— Alexandra Achard: non, c'est une pratique…




—C. de Trogoff: Ok. Donc toi, pour repréciser les années, tes années actives, parce que ça... Parce qu'on a essayé de faire période par période… Tes années actives, ce serait quoi ? Des dates ? Tu as commencé vraiment à publier ?..

— Pierre Faedi: … à publier ? Pff, 2013, 2013-2014. Après...

—C. de Trogoff: D'accord, ok, juste pour savoir.

— L.L. de Mars: Mais non ça c'est marqué 2012 !

— Pierre Faedi: Ah ouais ?! Bah 2012 alors, ouais

—C. de Trogoff: Ah oui, La vie à l'époque cambrienne… C'est ton premier ? Oui ?

— Pierre Faedi: … non, j'ai fait du multiple dès que j'étais en école d'art, donc tu peux… Enfin on peut dire, enfin on peut dire 2008 même, tu vois, mais c'est, je sais pas...

—C. de Trogoff: Comme éditeur, comme éditeur ? Tu

— Pierre Faedi: éditeur ? Éditeur, ouais, je dirais 2013, hein vraiment. 2012, c'était vraiment les embryons

—C. de Trogoff: 2013, ok

— Pierre Faedi: d'ailleurs c'est assez marrant parce que tu vois... La vie à l'époque cambrienne, c'est marrant parce que j'avais pris des choses, enfin, à l'état de fossile, mais c’était vraiment de la préhistoire personnelle en fait, si tu revois le truc ; moi je vois vraiment ça comme de la préhistoire pour moi, enfin voilà, c'était pas vraiment, c'était les balbutiements... Mais ça, peut-être je relierais, peut-être j'enlèverais...

— L.L. de Mars: bah, il est pas si loin de toi, puisque tu as, tu en as refourni la matière

— Pierre Faedi: bah le procédé ouais, le procédé de collage

— L.L. de Mars: pour un collectif. Donc y a un sursaut

— Pierre Faedi: ouais la technique de collage et tout ça, mais après moi personnellement, c'est le...

—C. de Trogoff: c'est la forme ?

— Pierre Faedi: non, pas la forme ; moi je ne fais plus de truc, enfin en production personnelle, je fais plus de truc en collage ; mais après j'ai plaisir à donner, à composer avec des motifs ou des objets. Bah là en plus récemment, on a en a fait un justement avec Margaux Meissonnier ; on est parti en résidence de dessins à Charleroi, et en fait on est venu avec un duplicateur, et on a, on s'est dit : « bon bah, on va faire une édition pendant ces deux semaines de résidence » – c'était juste avant le confinement et le couvre-feu et tout ça – et en fait, à la fin, pendant, enfin tous les jours on avait une pratique de dessins, et moi j'ai vraiment dessiné tous les jours, et au final en fait... La machine riso nous a servi à faire un zine, vraiment ; nous on a écrit du texte, on a écrit une espèce de poésie, et puis on a donné des trames aux gens, et puis on leur a demandé de découper dedans. Là, c'était encore plus abstrait parce qu'on leur a vraiment donné... des trames en fait, des motifs et tout ça. Voilà.

 

— Alexandra Achard: Moi j'ai une dernière question qui... n'a peut-être pas de réponse, ou qui peut avoir une réponse qui n'a pas de rapport avec la discussion qu'on a eu, parce que, pour d'autres raisons, ça m'intéresse en ce moment, tu as parlé du rapport sensible que t'avais au papier, à l'odeur de l'encre, au touché, au visuel aussi, c'est-à-dire une couche, deux couches, trois couches. Y a une utilisation de la machine – que je ne connais pas – mais y a aussi une part sonore dans cette machine... quand tu disais travailler dans le sous-sol de la Rotonde où tu levais le bras tu touchais le plafond, j'imagine... quelle est la part sonore de ton travail ? Où ça se situe ?

— Pierre Faedi: sonore ?

— Alexandra Achard: bah je sais pas, le bruit de la machine qui fonctionne, le nombre d'exemplaires, si y a un problème technique, est-ce que ça

— Pierre Faedi: ah ! C'est des sensations ; bah déjà, ouais la machine, en fait c'est des vieilles machines. La machine que je pratique, je la connais, enfin je la connais, non, je vais pas tout connaître de ses pannes et tout ça, mais à l'oreille, je vais entendre si y a un truc qui se passe pas bien à la préparation à l'impression, enfin voilà. Et puis, il y a cette espèce de mélodie hypnotique qui fait « poupouuup poupouuup poupouuup », tout sort comme ça, le papier il arrive, il tape, il tape, il tape le bac de réception, il arrive, il tombe, il tombe, il tombe, c'est hyper hypnotique, c'est fascinant, des fois je me perds dedans et je regarde plus ce qu'il y a enfin, des choses, voilà.

— L.L. de Mars: (rires)

— Pierre Faedi: mais le son, ouais le son, je sais pas, après ouais, le son... je suis assez ouvert au son, parce que en fait j'ai une pratique de musique, et la musique aussi, enfin je l'aborde vraiment de la même manière, tu vois, avec des motifs, ou des choses que je vais mettre de côté, prélever, que je vais réécouter après, enfin voilà, tu vois enfin, les deux vont ensemble, même si en ce moment je fais moins de musique, oui et non, par exemple pendant le confinement, enfin ouais j'ai fait beaucoup de guitare folk, alors que j'en fais pas du tout, c'était plutôt des machines, de la guitare, de la basse ou du synthé d'habitude mais... et voilà, c'est vraiment des choses qui se rejoignent. Je sais pas si ça répond, encore une fois

— Alexandra Achard: je... j'attendais pas de réponse particulière, je...

— Pierre Faedi: ok, mais... ouais y a vraiment une série de sensations, de sons, tu sais, quand tu coupes le papier, tu prépares le papier, tu rentres l'encre, tu charges le papier, tous ces trucs, et... Ouais, c'est un enchaînement de choses. Et après, ben quand tu as une panne ou quoi, tu as des journées qui sont moins agréables que d'autres, mais ouais, ça fait partie vraiment du truc, ouais. Et ce, ouais, le papier, moi c'est, enfin un beau papier, c'est vraiment, un beau papier ça peut être un espèce de papier recyclé assez populaire. Moi un de mes papiers préférés, c'est... En ce moment, là, c'est un papier que tu chopes au Géant des Beaux-Arts, et c'est un papier machine recyclé mais il a une espèce de teinte un peu blanc cassé, presque ivoire, et en fait il encaisse vraiment l'encre riso ; et là le dernier zine que je suis entrain de faire, je suis en train de le faire avec ce papier qui est destiné à la copie machine tu vois, donc...

— L.L. de Mars: c'est pas toujours du Fedrigoni hors de prix ?

— Pierre Faedi: Non !... Un beau papier, c'est pas forcément un papier... Enfin après, ouais, c'est assez subjectif hein, mais... voilà. Mais c'est, enfin, ouais, tu peux avoir des papiers qui ont des belles réactions à l'encre quand tu dessines aussi...

— L.L. de Mars: Bien sûr

— Alexandra Achard: et j'ai une dernière question : quel est ton rapport au temps de production ?

— L.L. de Mars: (rires) combien de fois tu as dit « j'ai une dernière question », Alexandra, exactement ?

— Alexandra Achard: parce que après il parle, et moi j'ai des questions quand il parle ! Tu sais le... Tu as, tu as fait le bruit de la machine – que tu peux refaire d'ailleurs, c'était très agréable – et du coup c'est

Lldm et — Pierre Faedi: (rires)

— Alexandra Achard: non c'est vrai ! C'est... parce que y a une rapidité d'exécution qui est permis par la machine, et que la main ne permet pas, ou permet autrement, et du coup quel est ce rapport, quel rapport t'as avec ça ? Avec la duplication et la... Comment ça s'intègre à ton temps de travail ?

— Pierre Faedi: Alors, la duplication en fait, ça peut être assez pernicieux, parce que la duplication, ça va très vite, mais si tu fais du livre... Si tu fais du livre de manière artisanale, il y a aussi la question de la reliure, où là c'est une autre dimension et un autre rapport au temps qui est assez, enfin, c'est assez méditatif, c'est marrant, c'est une espèce d'impression du moment... Moi je vais me rappeler des moments où... Bah, par exemple, tel ou tel livre, ce livre que j'avais avec Tom de Pékin, le petit livre là, Ganymède, ben je me rappelle que c’était juste avant Angoulême, que j'avais commandé des pizzas, et que je faisais ça dans la salle de réunion le soir, il y avait une lumière assez faible, comme ça on était éclairé avec une lumière halogène et tout ça. Y’a lui par exemple, tu vois, que j'ai relié pendant la période du confinement, donc c'est... tu vois c'est un dos collé à la main, avec tranche apparente, tu vois, où j'ai inséré des fils de couture... enfin voilà, du coup, ouais, il y a une espèce de rapidité...

—C. de Trogoff: qui s'appelle ?

— Pierre Faedi: Il s'appelle Blow job. C'est un dessin, enfin, c'est que des dessins fait au blow pen, qui sont ensuite retravaillé via le riso, voilà

—C. de Trogoff: c'est quoi le blow pen ?

— Pierre Faedi: Le blow pen, c'est ce truc enfantin où tu as un stylo, tu as l'encre et tu souffles dedans et ça va projeter, ça va faire un truc assez diffus

—C. de Trogoff: un truc pour les gamins, ça ?

— Pierre Faedi: Ouais, tout à fait, voilà

— L.L. de Mars: ah j'ai jamais utilisé ça

—C. de Trogoff: Ouais ! Du coup, ça bavoche

— Pierre Faedi: Ah ouais, ça bavoche à fond quoi !