Entretien en live avec Yannis La Macchia & Antoine Fischer (2021) ,
Entretien historique avec Yannis La Macchia (Angoulême 2018) ,
— Yannis La Macchia : … Il y a le site d' « Hécatombe » aussi où tu peux trouver des photos... — C. de Trogoff : Voilà, on est avec Yannis La Macchia et c'est le premier entretien de notre grand projet (rires) donc déjà, comment tu as commencé, d'où est-ce que tu venais, avec quoi tu as commencé, enfin les débuts... — Yannis la Macchia : En fait on a commencé hyper jeune avec Bastien Gachet et Antoine Ficher, enfin je sais plus, non en fait, on a commencé avant ça... En fait on publiait un fanzine avec des copains.. Ouais, j'avais 16 ans en fait quand j'ai publié le premier fanzine qui s'appelait « Le labo ». — C. de Trogoff : « Le labo »?! — Yannis la Macchia : Ouais, on l'a publié et on s'est rendu compte après que ça existait, dès qu'on a commencé à le sortir tout le monde nous disais: "Eh, vous savez, y'a des mecs qui ont fait ça déjà avant vous"... — C. de Trogoff : C'est qui ces potes avec qui tu fais ça ? — Yannis la Macchia : Des potes de l'école qui ont tous plus ou moins arrêté de faire de la bande dessinée. — C. de Trogoff : De l'école d"Angoulême ? — Yannis : Non, pas du tout j'étais tout petit. — C. de Trogoff : Ah oui, à l'école. — Yannis la Macchia : Oui, l'école obligatoire. — Alexandra Achard : Ah, en Suisse. — Yannis la Macchia : Oui en Suisse, au « cycle d'orientation » ça s'appelle et voilà, on faisait ça et nos références c'était pas du tout de la bande dessinée indépendante, on connaissait pas ça… On a découvert ça avec ce fanzine, « Le labo », du coup tout le monde nous parlait de Menu et de « L'association » et c'est comme ça qu'on a découvert ça. — Alexandra Achard: Du coup c'est une bonne question : est-ce qu'on appelle ça un fanzine à partir d'un seul numéro ? Parce qu'ils ont fait le numéro 1, c'est ça, et ils n'ont pas fait d'autres trucs, ils ont monté « L'association » direct non ? — Yannis la Macchia : Oui, il y a eu un numéro mais après y'a eu d'autre trucs. Y'a eu « Le lynx hâtif » aussi, ça je sais pas combien de numéros y'a eu... — Alexandra Achard : Mais ça c'était le fanzine de Menu, c'était avant du coup, y'en eu beaucoup. — Yannis la Macchia : Je suis pas au courant. Je suis pas spécialiste de l'histoire de... — C. de Trogoff : Bon, on est pas en train de parler de L'asso... — Alexandra Achard : Oui, mais moi je fais les digressions et toi tu... — C. de Trogoff : Et ce « Labo », vous en avez fait beaucoup ? — Yannis la Macchia : Ah ouais on a tout de suite fait un tirage à 1000 exemplaires en offset... — C. de Trogoff : Hein ! (rires) — Yannis la Macchia : Avec une couverture en couleur et tout. — C. de Trogoff : C'est pas vrai ! — Alexandra Achard : à 16 ans! A 16 ans vous faites un tirage à 1000 exemplaires... — Yannis la Macchia : Je pense que nos références c'était des journaux grand public et en fait, on partait là dedans et on a découvert qu'il y avait plein de gens qui faisait des trucs similaires mais en même temps... pas tant que ça. — C. de Trogoff : Et du coup l'idée de tirer tout de suite en offset c'était quoi, c'était faire pro ? C'était ça ton truc ? — Yannis la Macchia : Au début quand on monté le truc on avait 14-15 ans donc on lisait les magazines qu'il y avait dans les kiosques à l'époque et on essayait de faire un peu la même chose. On se renseignait, on regardait comment c'était imprimé… Moi j'avais un oncle qui bossait dans un journal et qui du coup était d'accord d'imprimer le truc pour pas trop cher, ensuite on avait des profs, on s'était arrangé pour financer ce truc là. — Alexandra Achard : Arts déco de où ? — Yannis la Macchia : De Genève, qui s'appelle plus « Art déco » d'ailleurs et en fait, on avait découvert ce monde là et on avait envie de publier nos livres mais, je crois, dans l'idée de faire un peu autre chose en fait, des trucs qui n'existaient pas. Entre temps on avait découvert la sérigraphie... Les deux potes avec je bossais pas mal au départ, Antoine et Bastien, ils aimaient bien la gravure, du coup y'avait plein de techniques comme ça. — Alexandra Achard : Aux arts décoratifs vous aviez accès à tout ça, ces ateliers là ? — Yannis la Macchia : Non, on avait pas accès à ça, non y'avait pas ça... mais du coup, euh… On avait rencontré Christian Humbert-Droz sur des festivals. — C. de Trogoff : Je sais pas qui c'est ? — Alexandra Achard : « Drozophile ». — Yannis la Macchia : Ouais, Christian Humbert-Droz c'est le mec qui fait la revue Drozophile et qui a un atelier et on allait imprimer nos couvertures là bas. C'était super sympa parce qu'il nous ouvrait son atelier, qui était un atelier de sérigraphie professionnel. Il disait : « venez ! » et on imprimait les couvertures mais, en gros, c'est lui qui imprimait et en fait, à la fin, il nous faisait rien payer parce que... — Alexandra Achard : Autant avec ton oncle qui bossait dans la presse papier qu'avec la rencontre « Drozophile »vous avez accès tout de suite à du matériel professionnel y'a pas de bricolage en A4. — C. de Trogoff : On est en plein dans notre sujet, c'est à dire que là, à un moment donné, y'a une opportunité d'avoir des techniques... — Yannis la Macchia : Ouais.
— C. de Trogoff : … Et vous avez accès à ces techniques, c'est-à-dire que, sans ces techniques là et cet accès là y'avait pas ça quoi. — Yannis la Macchia : Voilà, ça c'est clair ! — Alexandra Achard : Y'aurait eu du bricolage... — C. de Trogoff : Vous auriez fait autre chose... mais vous aviez, vous cherchiez ça quand même ? — Yannis la Macchia : Ah ouais clairement ! — Alexandra Achard : Ben, premier truc tiré à 1000 exemplaires, couverture couleur, clairement l'ambition elle arrive, c'est propre... — C. de Trogoff : Ouais, y'a une grande ambition, je trouve, dès vos débuts quand même ! — Yannis la Macchia : Je sais pas, on s'est jamais vraiment... — Alexandra Achard : exigeants les gars, exigeants! (rires). — Yannis la Macchia : En tout cas on avait des envies, envie de faire des choses bien, on avait l'intention de faire des choses qu'on connaissait pas. — C. de Trogoff : Des choses que vous aviez envie de voir peut être ? — Yannis la Macchia : Voilà et puis c'est sûr que, euh… Le rapport à la matière il est venu assez tôt je pense... parce que justement, on découvrait une technique et tout de suite on avait envie de faire un truc. — Alexandra Achard : Bon, je fais une question de digression : Tu dis que le métier d'éditeur, ta définition, c'est tout le temps trouver des solutions pour assouvir une envie et arriver au bout d'un projet, c'est tout le travail créatif non ? En tant qu'auteur t'as pas cette même volonté là ? — Yannis la Macchia : Peut être ça dépend des auteurs, moi, non. Pour moi le dessin c'est quelque chose de plus intuitif, enfin...
— Alexandra Achard : C'est moins mécanique, quoi... — Yannis la Macchia : Oui, des fois tu dois dessiner un truc et tu veux que ça ressemble à ça et du coup, tu prends de la documentation... mais moi je fais même pas tellement ça. Alors qu'éditeur, voilà, tu veux faire... je sais pas, mais si je parle du fanzine carré, qui vient quand même pas mal d'années plus tard, mais... Voilà : t'as un objectif et après t'as des méthodes d'impression, de reproduction, il faut que ce truc-là soit conforme à ce que tu veux faire. Tu cherches, tu regardes ce qui est possible, t'essayes des machins et au bout d'un moment tu trouves des solutions, tu dis : « Ah, ben ça, ça marche, ça, ça marche pas, ça va prendre beaucoup trop de temps, faut faire comme-ci, faut faire comme-ça... ». — C. de Trogoff : Tu cherche plutôt le bricolage ou l'argent pour faire les trucs avec les techniques qui existent par exemple, ça c'est intéressant à savoir... Je fais une pause pour le micro.… ---------------- fin bande 03 ----------------- ...Je rebondis sur ce que tu dis ? Tu dis : t'as envie de faire quelque chose et quand c'est un peu compliqué et que t'as pas les moyens, tu cherches l'argent ou plutôt le bricolage qui te permettrait de contourner le problème de l'argent ? — Yannis la Macchia : En fait, pour moi y'a pas de différence… enfin, l'argent c'est de la merde, c'est juste un outil et c'est juste que quand tu veux faire quelque chose, tu utilises les outils que tu as. Et quand tu veux faire un truc, tu essayes de trouver l'outil le plus approprié pour faire ce truc là. — Alexandra Achard : Et s'il faut passer par l'argent pour le faire… — Yannis la Macchia : … Et aussi l'outil le plus simple parce que l'idée c'est quand même… — Alexandra Achard : Il y a la rapidité aussi… — C. de Trogoff : Pas forcément la rapidité c'est surtout la faisabilité ! — Alexandra Achard : Je pense que si tu as moyen de faire quelque chose, entre le bien et le prix, sans parler question d'argent mais, si tu dois mettre un an et demi pour le faire autrement qu'avec la technique qui demanderait un peu d'argent… — Yannis la Macchia : Si tu as le choix entre une solution compliquée et une solution simple, tu choisis la simple, on est d'accord. — C. de Trogoff : Je sais pas parce que, tu vois, pour le carré ça a mit du temps, beaucoup, beaucoup de temps si je me souviens bien. — Yannis la Macchia : Oui carrément ! — Alexandra Achard : Le carré, tu en parles un peu dans le DVD, c'est l'objet qui allait au-delà de tout. Tu avais une envie, tu voulais qu'il fasse 9 cm sur 9, il y avait ce problème de massicotage, c'est devenu, à un moment donné, quelque chose... d'obsédant. L'idée d'inventer le truc qui va te permettre de couper parfaitement... — Yannis la Macchia : J'ai pas inventé un massicot, il y a des mecs qui ont des massicots qui coupent... ! — Alexandra Achard : Non mais réfléchir, élaborer… — C. de Trogoff : Il faut les trouver déjà ce mec là ! — Yannis la Macchia : On revient à ce que je disais avant : tu veux faire un truc et tu dois trouver des solutions et quand je parle d'un métier de problèmes et solutions c'est un peu ça, en fait et oui, c'est un peu de l'ordre du bricolage car c'est jamais sur des rails, il n'y a pas un manuel, en tout cas pour l'édition comme on la fait nous, il n'y a pas un manuel. Tu réinventes tout en permanence : tu réinventes l'objet, tu réinventes les méthodes de production : pour le carré pour imprimer les couvertures, on a construit des boîtes, on a construit dix boîtes sur-mesure avec des compartiments dans lesquels on pouvait bloquer des trucs et du coup, il fallait aussi bricoler la machine aussi pour qu'on puisse mettre la boîte avec un contact qui jouait bien. — C. de Trogoff : Donc tu mets des extensions à la machine pour aider la machine à faire son travail ? — Yannis la Macchia : Non, là on avait mis des plots et du coup, elle descendait pas jusqu'en bas... — C. de Trogoff : C'est ce que j'appelle des extensions, tu aides la machine, tu lui mets des prothèses pour qu'elle cible… — Yannis la Macchia : On la modifie. — Alexandra Achard : C'est une machine sur la machine. — Yannis la Macchia : Pour reprendre la chronologie sur laquelle on était partis, on a commencé avoir accès à des trucs comme ça, beaucoup de gens nous ont aidé et très vite Daniel de « Atrabile » nous a dit : « va voir machin, c'est un diffuseur ». Moi, j'ai signé mon premier contrat de diffusion- distribution j'étais pas majeur, je peux le dire maintenant. À 17 ans j'étais allé voir « Le comptoir des indépendants » pour signer un contrat pour que « Hécatombe » soit diffusé et ça c'est pas fait parce qu'il y avait ces éditeurs qui étaient plus âgés que nous et qui nous ont aiguillés : « va voir machin, appelle machin ».
— C. de Trogoff : Il vous faisait confiance. — Yannis la Macchia : Il faudrait leur demander à eux mais en tout cas ils voulaient nous pousser. — C. de Trogoff : Du coup la question qui me vient c'est : est-ce que tu penses que dès le début, dès le premier fanzine, dès le premier projet, il y avait cette idée d'utiliser toutes les techniques possibles pour mettre en branle quelque chose ou c'est venu progressivement avec des idées de livres objets et de fanzines plus compliqués ? Qu'est-ce qui a induit l'autre, en fait ? Est-ce que c'est à force d'en faire que tu as eu cette idée ou c'était là déjà en ferment ? — Yannis la Macchia : Oui l'envie était là déjà au départ, après, au début on faisait plus… Comme toujours, en fait, dans la création, tu pars de ce que tu connais et de ce que tu appécies et peu à peu tu creuses une direction et tu fais évoluer un médium dans une direction, ou t'essayes au moins… — Alexandra Achard : Tout le monde fait pas ça ! — Yannis la Macchia : Tout le monde fait pas ça mais je parle de ce qui m'intéresse, là. Évidemment il y a d'autres gens et ils font plains de choses… — C. de Trogoff : Quand tu décides de faire quelque chose de carré avec ce chiffre 9, dans un esprit mathématique, c'est quelque chose qui arrive d'un coup ? — Yannis la Macchia : Non justement, avant on avait fait… — C. de Trogoff : Il y avait des symptômes avant-coureurs… — Yannis la Macchia : On avait publié des livres et on avait commencé aussi à récupérer plein de machines, parce qu'il y avait pas mal d'imprimeries qui fermaient. — C. de Trogoff : Tu as récupéré des machines, ça, ça m'intéresse aussi. — Yannis la Macchia : On a un copain, Antoine Fischer un des fondateurs d' « hécatombe » qui vit dans une ferme dans le sud de la France, dans les Pyrénées orientales et lui, il a décidé de monter un atelier de sérigraphie. On s'est retrouvé là-bas pendant quatre mois on a construit un atelier… — C. de Trogoff : C'est combien de temps après les débuts ça ? — Yannis la Macchia : C'est trois ans après les débuts. — C. de Trogoff : On est en quelle année ? — Yannis la Macchia : Là on est en 2007. — Alexandra Achard : Tu as quel âge ? — Yannis la Macchia : Là, j'ai 32 ans. — C. de Trogoff : Du coup, tu es déjà un vieux dans le métier ! — Yannis la Macchia : En commençant à 17 ans, c'est clair ! En fait, je suis éditeur depuis la moitié de ma vie. (Rires) — Alexandra Achard : Du coup, vous montez carrément l'atelier, ça c'est important. Comme ça, tu n'as pas seulement accès à l'utilisation d'une de technique, tu comprends la machine, tu sais où ça bloque et ça démultiplie les possibilités après… — Yannis la Macchia :c'est une démarche d'autogestion aussi! — Alexandra Achard : Mais ça justifie aussi le fait que quand vous faites le fanzine cube, vous avez l'idée de mettre des plots pour que ça marche, en fait! — C. de Trogoff : Vous vivez avec la machine, c'est pas pareil d'avoir accès à une machine et de l'avoir et vivre avec. — Alexandra Achard : Une espèce d'intelligence de la machine, ou tu ne la subis pas, tu fais un truc avec elle, en vrai. — C. de Trogoff : C'est ça l'appropriation des moyens de production finalement. — Yannis la Macchia : Carrément ! On vivait toujours à plusieurs et c'est toujours un peu le cas. Pour nous, le lieu de vie et le lieu de création c'est un peu le même. — C. de Trogoff : Du coup, une sorte de décision de travail de résidence ? — Yannis la Macchia : Non, il décide de monter un atelier de sérigraphie et on vient l'aider et on se pose pas vraiment la question. On récupère cette machine et on la pose dans un champ, on fait une structure d'abord, pour poser la machine, ensuite on construit un plancher et ont construit l'atelier autour de la machine et finalement, c'est un dôme qui est toujours là maintenant. — Alexandra Achard : On pourra en parler avec « Superstructure » de la construction de l'habitat autour de la machine. Et de l'utiliser, en fait. C'est un coffre : le dôme, c'est le coffre-fort de l'atelier de sérigraphie et ça, c'est votre point d'ancrage, si on peut dire ça comme ça ? — Yannis la Macchia : « Hécatombe » on a toujours été géographiquement éclatés : Antoine dans le sud de la France, nous on était à Genève et à un moment donné Aude est partie vivre au Portugal, maintenant Barbara et moi on est parti à Lyon, puis Aude elle est allée rejoindre Antoine dans le sud de la France et dès la deuxième année c'était comme ça. — C. de Trogoff : Thomas : « L'ancre »! Du coup, ce sont des gens rencontrés à l'école et et qui ont suivi cette voie après, ou des gens se sont greffés au fur et à mesure? — Yannis la Macchia : Aude, Antoine et Bastien était là au départ. Au début Aude était pas très présente, elle était là au moment la fondation, ensuite elle n'était plus là pendant cinq ans. Au bout de 5-6 ans elle a décidé de revenir et du coup, elle est vraiment venue, elle a complètement investi la structure et jusqu'à en devenir, vraiment, un pilier assez important je pense, mais au début c'était pas mal avec les deux autres. Après il y a Thomas Perrodin qui nous a rejoint qu'on a rencontré dans un espace d'expo à Genève: la « villa Bernasconi » et c'est assez drôle, parce qu'on a rencontré Thomas là-bas alors que Christian Humbert-Droz nous avait proposé de participer à une expo... parce que la « villa Bernasconi » lui avait proposé de prendre toute la villa pour faire une expo et donc, il avait invité différentes personnes : il y avait nous et il y avait Thomas et je crois que c'était la première approche avec Thomas. Barbara, on l'a rencontré quasiment en même temps et une année après elle a intégré le collectif. — C. de Trogoff : Bon, il faut qu'on parle des techniques. Alexandra tu as des questions par rapport à ce qu' a dit Yannis jusqu'ici? --------------------- fin bande 04 -------------------------- — Alexandra Achard : Justement ça peut faire un parcours: Tu as parlé au début, de cette rencontre avec la machine et le moment où vous la construisez, vous vous installez et vous vous l'appropriez, est-ce qu'il y a eu d'autres fanzines, comme le fanzine cube, où il a fallu apporter des modifications pour pouvoir le réaliser, des interventions comme ça entre le… ? Tu vois, il y a la technique et comment il instrumentalise. — Yannis la Macchia : Il y a toujours un moment où tu construis ton outil et un moment où ton outil te permet de construire autre chose. — Alexandra Achard : Du coup c'est ces moments-là, de croisement, qui permettent de produire quelque chose pour lequel tu es satisfait ou comment ça se passe ? Produisez autrement vous dites: « ça va pas marcher et du coup, on fait autrement, on va intervenir » ? — Yannis la Macchia : On essaye de trouver les solutions qui nous semblent les plus évidentes, tout simplement. Y'a besoin de faire un truc, on cherche une solution et des qu'on en a trouvé une, on la réalise. — Alexandra Achard : Et il y en a eu beaucoup des moments comme ça ? — Yannis la Macchia : Oui oui, il y en a pas mal ! (Rires) — Alexandra Achard : C'est ces moments-là qu'on voudrait connaître. Il y a une impasse, technique… — C. de Trogoff : Comment vous appropriez la chose ? — Yannis la Macchia : Je peux vous donner des exemples concrets. — C. de Trogoff : Tout à fait vas-y ! Alors les exemples concrets m'intéressent vraiment mais, ce qui m'intéresse aussi particulièrement, et tu peux y répondre en même temps, c'est : est-ce que le choix de la technique employée, par moments, influence les formes et comment ? — Yannis la Macchia : Ah, ouais bien sûr ! — C. de Trogoff : C'est-à-dire pendant le temps du travail, je parle de ma propre expérience, pendant le temps du travail artistique, tu as quelque chose en tête, un projet, mais en le faisant, il se modifie. C'est-à-dire que la pratique est transformante (ce sont des termes de Laurent que je reprends mais avec lesquels je suis tout à fait d'accord). Du coup tu pourras parler aussi de ces moments-là et c'est peut-être les mêmes, d'ailleurs.
— Yannis la Macchia : Oui et c'est tout l'intérêt parce qu' il y a des artistes qui ont une idée, qui ont un concept et qui la font réaliser par d'autres personnes et c'est une position mais je pense que ce qui est intéressant dans le fait de faire soi-même les choses, c'est exactement ce que tu dis là. Forcément, il y a un moment tu vas être confronté à des questions, à des problèmes… — C. de Trogoff : Ça résiste ! La matière résiste, c'est pas comme dans ta tête. — Yannis la Macchia : Exactement, tu as des envies mais elles ne trouvent pas à se réaliser tout de suite comme tu veux et donc tu es obligé d'imaginer des solutions. — Alexandra Achard : Est-ce que tu en train de nous dire que la frustration est créative ? — Yannis la Macchia : Ben oui, je pense. Même si je ne sais pas si c'est toujours de la frustration. — Alexandra Achard : Si, le moment où ça résiste, ça fait un filtre naturel des projets. — C. de Trogoff : Mais parfois, c'est très terre à terre, ça peut être la matière elle-même qui résiste, tu croyais qu'elle réagirait comme ça et en fait, non elle ne réagit pas comme ça. Elle fait tout à fait autre chose. — Yannis la Macchia : Tout le jeu là-dedans, c'est que tu veux faire quelque chose, donc tu prends une direction ensuite, il se passe des choses donc tu prends des décisions et ensuite, tu observes. Il y a un moment où tu observes. Il y a un moment tu n'es pas en train d'essayer de… — Alexandra Achard : Tu veux dire qu'il y a quelque chose de l'ordre de l'humilité ? — Yannis la Macchia : Juste de l'observation. — Alexandra Achard : Ou bien du recul ? — Yannis la Macchia : Oui, du recul, c'est le bon terme. C'est-à-dire que tu ne te figes pas dans une idée, dans un concept. — Alexandra Achard : Il faut pas rester borné, il faut ouvrir à ... — C. de Trogoff : Je crois qu'il y en a qui le font. — Yannis la Macchia : Moi, je trouve que c'est intéressant d'avoir des solutions qui, justement, vont amener de l'imprévu, mais c'est paradoxal parce que l'imprévu, tu peux même le prévoir, en fait. — C. de Trogoff : (Rires) Du coup, ça m'intéresserait d'avoir des moments comme ça, concrets. — Yannis la Macchia : Par exemple, le fanzine carré, c'est une revue que j'ai lancée au moment où, justement, je me posais pas mal de questions autour de l'objet, depuis un moment déjà. C'était en 2010 quand j'ai décidé de lancer cette revue que je gérerai moi-même en invitant d'autres copains, en travaillant de la même manière que toujours avec les autres : en participant... mais aussi en me disant que c'était aussi un espace où moi, je pourrais prendre des décisions pour aller plus loin dans un sens qui soit pas forcément un sens collectif mais qui soit plus... je sais pas… Des lubies personnelles ou des sujets qui me tiennent à cœur et de pouvoir approfondir des directions de manière plus radicale... Mais tout en travaillant avec les mêmes personnes, parce qu'il y a un échange, il y a un partage qui est intéressant. Mais peut-être aussi d'utiliser le livre en travaillant vraiment l'objet. Cette revue c'était vraiment ça : l'idée de prendre des œuvres, publier des gens qui m'intéressent, des auteurs qui me semblent importants et de voir comment leurs œuvres, la façon de les publier, ça va avoir une influence sur leurs œuvres. Mais là on est plus dans les… — C. de Trogoff : Mais c'est très intéressant ! Parce que ça veut dire que tu t'es posé la question que nous on se pose là. Nous, pour les techniques et toi tu te l'es posée sur l'influence de la manière de diffuser ou imprimer une œuvre sur l'œuvre elle-même. Comment ça peut la transformer au regard des autres.
— Alexandra Achard : L'incidence que l'objet produit sur le sens. — Yannis la Macchia : Le fanzine carré c'était vraiment ça. — Alexandra Achard : Et du coup, tu as, naturellement, pris le travail des autres pour le faire. — Yannis la Macchia : À ce moment-là j'aimais bien… enfin le travail collectif c'est toujours très intéressant, ça te permet de… Je trouve qu'en tant qu'éditeur, il y a quelque chose qui se passe avec les auteurs ce truc là, dès le départ il m'intéressait. — Alexandra Achard : C'est stimulant. — Yannis la Macchia : Et c'était une façon aussi d'intégrer d'autres gens dans cette démarche-là, parce que j'avais l'impression qu'autour de moi, il y avait beaucoup de gens qui pouvaient y être sensibles, qui pouvaient se reconnaître dans ces questions là. — Alexandra Achard : Ça fait une énergie, une puissance qui permet de porter un nouveau projet, de confiance… — Yannis la Macchia : Tu te fies aussi à une sorte d'intelligence collective, il y a des gens qui ont de bonnes idées et c'est intéressant travailler avec eux. Simplement parce qu'il y a plus de chance de faire sortir des bonnes idées quand on est plus. — C. de Trogoff : Il y a eu des moments où la chose s'est transformée ? — Alexandra Achard : En casse-tête ! — C. de Trogoff : Est-ce que la question technique est intervenue à des moments de façon si cruciale que tu ais dû… j'ai envie d'anecdotes aussi, de quelque chose de très concret. — Yannis la Macchia : Alors, dans le premier fanzine carré, l'idée c'était de travailler sur la fragilité et sur des objets un peu… — Alexandra Achard : Le premier, je le connais pas. — Yannis la Macchia : C'est le « A », il est carré mais il est pas cubique, il y en a quasiment plus, ou peut-être un ou deux qui traînent peut-être en librairie. — C. de Trogoff : En combien d'exemplaires celui-là ? — Alexandra Achard : Je peux avoir un truc qui traîne, même s'il est corné ? — Yannis la Macchia : J'en ai un mais il a prit l'eau. — Alexandra Achard : C'est pas grave! — C. de Trogoff : Il y en avait combien au départ, par curiosité ? — Yannis la Macchia : Franchement je sais plus, mais comme c'était en offset, il y avait au moins 500 exemplaires. — C. de Trogoff : Tu fais toujours dans le grand quand même, tu vois ! (rires) — Alexandra Achard : Mais déjà en dix ans on est passé de 1000 à 500 ! — C. de Trogoff : C'est vrai ! — Alexandra Achard : Alors, là, c'était sur la fragilité et immédiatement, quand tu fais un livre qu'on va manipuler, la fragilité ça va poser problème. — C. de Trogoff : Déjà l'idée est marrante ! — Yannis la Macchia : En fait, à l'époque, je travaillais dans un foyer avec des gens qui avaient des problèmes psy, j'avais pas du tout un rôle d'accompagnant, je n'étais pas au courant des problèmes qu'ils avaient mais j'avais invité deux-trois personnes que j'avais rencontrées là, à publier là-dedans et il y avait, un peu, des embryons de réflexion sur ce lien de l'objet et du contenu qu'il porte. Et comment l'objet va avoir une influence sur notre façon de recevoir ce truc là. — Alexandra Achard : Une influence ou une incidence, un truc qui va modifier notre perception du contenu, tu veux dire ? Genre faire une adéquation entre l'objet, ce que dit l'objet et le discours qu'il y a dedans ? — Yannis la Macchia : De toute façon, tu reçois les deux en même temps, tu as l'objet dans les mains... — Alexandra Achard : C'est indissociable. — C. de Trogoff : Continue sur cette idée, c'est très important. — Yannis la Macchia : C'est à la base de ce qui me préoccupait avec cette revue, ce fanzine carré. — Alexandra Achard : D'aller chercher la confusion forme-fond ? — Yannis la Macchia : De toucher ce lien ! Ce lien qui existe dans tous les livres. 10 min 54 bande 05 — Alexandra Achard : Le mettre en avant. — C. de Trogoff : Le thème de la fragilité c'est intéressant, du coup, cette fragilité est associée avec la fragilité psychologique ? — Yannis la Macchia : En tout cas, chez ces gens là, oui. — C. de Trogoff : Mais dans l'idée que tu avais avant, dans le projet ? — Yannis la Macchia : Chez eux, oui, c'est des gens qui avaient une fragilité. Il y a un mec avec qui c'est parti très très loin et c'était super : il avait un dessin très hésitant et en même temps il était à fleur de peau et en même temps il était complètement à fond dans un truc, il y avait quelque chose de fascinant. — C. de Trogoff : Cette idée de la fragilité, elle était là avant, ou elle est née de la rencontre avec ces gens, c'est ça que je voudrais savoir ? C'est qui : l'œuf ou la poule là ? — Yannis la Macchia : Il y avait l'idée de travailler l'objet, de travailler un objet autour de la fragilité… et franchement c'est dur de savoir parce que les idées se construisent peu à peu, il y a des rencontres, il y a des envies et c'est vraiment dur de savoir ce qui vient en premier. — C. de Trogoff : Et du coup, quelles sont les contraintes techniques pour construire un objet qui est fragile ? — Alexandra Achard: Ce qu'on veut savoir c'est comment il est fragile ? — Yannis la Macchia : Déjà ça pose la question de « qu'est-ce que c'est la fragilité ? ». — Alexandra Achard : Il est mouillé celui qui reste mais il est toujours vivant, il est pas si fragile, il est pas en papier Q ! — C. de Trogoff : Quelles contraintes alors, avec cet objet là, particulièrement ? — Alexandra Achard : Oui, on fantasme à mort ! Comment on le manipule ? — C. de Trogoff : Comment tu fais des opérations sur un objet dont la vocation est d'être fragile ? — Alexandra Achard : On est chelous, on est beaucoup trop excitées par les trucs bizarres ! — C. de Trogoff Oui là, il faut que tu nous en dises plus ! (Rires) — Alexandra Achard : Tu es en train de vivre un moment bizarre mais tout va bien se passer. Tu as la crème de la crème des truc chelous, on est là, on est réunies ! — Yannis la Macchia : Je résume un peu en disant que le but c'était de travailler sur la fragilité, le but c'était de travailler sur une sensation et cette sensation je la décris par le terme « fragilité », mais le mieux ce serait de ne pas la décrire... Mais du coup, vraiment créer des œuvres en étant porté par une sorte de percept comme ça, qui porte autant dans le travail avec les auteurs que sur l'objet. — Alexandra Achard : Tu veux dire : arriver à faire un objet qui est capable de transmettre quelque chose d'innommable c'est-à-dire une sensation d'échange. — Yannis la Macchia : Mais c'est difficile de savoir ce que ça transmet ce que tu fais, ça dépend de la personne, du moment… — Alexandra Achard : Ce que je veux dire c'est que l'objet n'illustre pas un concept, ne vient pas donner une information d'un concept mais plutôt vient retranscrire un échange et un ressenti. — Yannis la Macchia : Oui, mais évidemment, je me pose seulement dans le moment créatif… — Alexandra Achard : Ah ça y est, tu as fait l'amalgame tu viens d'associer l'édition d'une revue et la création d'objet, à l'acte créatif. — Yannis la Macchia : Bien sûr, c'est évident ! — Alexandra Achard : Bien sûr ! Mais tout à l'heure ça avait pas l'air évident : sur l'édition la démarche avait l'air différente de dessiner, tu disais ça au début… — Yannis la Macchia : Peut-être il faut revenir aux bases ! — Alexandra Achard : Énerve toi ! — Yannis la Macchia : Pour moi la base c'est que, évidemment, la création elle s'exprime dans tout ce que tu fais et il y a différentes façons de créer, différentes méthodes de création, différents outils de création mais la création elle peut être partout. — Alexandra Achard : Et donc la fragilité, la perception… — C. de Trogoff : Décris le. — Yannis la Macchia : Il est en papier très fin, 70 g, imprimé d'une seule face et il y a une reliure japonaise avec un fil très fin, du coton. — Alexandra Achard : Déjà, reliure japonaise sur un papier fin, on est bien dans la fragilité. — Yannis la Macchia : En tout cas une sorte de sensation comme ça... Après on a fait une petite jaquette avec un petit ruban qui était aussi en papier 70 g, très fin. — C. de Trogoff : Et le trait est fragile, frêle aussi ? — Yannis la Macchia : C'est différent suivant les auteurs mais il y avait cette intention là. — C. de Trogoff : Du coup, l'emploi des techniques pour le fabriquer, est-ce que ça a modifié sa forme ? — Alexandra Achard : Est-ce que la volonté a supplanté la technique, c'est possible ça aussi : que tu touches quelque chose du doigt et que tu finisses par dompter la technique pour absolument arriver à ce que tu ressens. — C. de Trogoff : Moi ce qui m'intéresserait, c'est de savoir comment la technique influence la forme qu'elle le fasse en amont ou en aval c'est : est-ce qu'elle le fait ? — Yannis la Macchia : On revient toujours aux mêmes trucs en fait, pour moi tout est mélangé. — C. de Trogoff : Mais dans ce cas là, raconte ce qui s'est passé par exemple au niveau des techniques? — Yannis la Macchia : J'ai travaillé une maquette, j'ai imaginé plus ou moins un objet, je suis parti sur l'idée de ce papier et de ce type de reliure, en mettant un truc sur la tranche, et j'ai envoyé tout à imprimer et ensuite, quand j'ai reçu le truc, il y a eu le moment de création de l'objet, donc là j'en ai pris quelques-uns, j'ai fait des essais, j'ai essayé des trucs avec des machines, j'ai fait des tampons… — C. de Trogoff : Mais déjà, tu l'a envoyé à imprimer et sur un papier très fragile, déjà ! — Yannis la Macchia : Oui, en me disant que ça, c'était déjà un truc qui était posé et que la suite viendrait après, une fois que j'aurais cette matière-là dans les mains. — Alexandra Achard : Une fois que tu pourrais toucher, c'est le besoin du contact avec la matière et de faire quelque chose, de se rendre compte, on est plus dans le concept. — C. de Trogoff : En fin de compte cet objet, quand on le tient, on est plus dans la sensation de la fragilité que dans la réalité de la fragilité. C'est ça que tu cherchais en fait ! — Alexandra Achard : A. :Tu voulais mettre la délicatesse dans ton objet… — Yannis la Macchia : Quelque chose comme ça, oui... — C. de Trogoff :Oui, parce qu'on peut très bien donner la sensation de fragilité sans que l'objet soit fragile. — Alexandra Achard : On est dans le savoir-faire. Le geste est là enfin. — Yannis la Macchia : Oui c'est pour ça que je voulais poser la question de la fragilité. — Alexandra Achard : Avec un trompe-l'œil, quelque chose comme ça ? — C. de Trogoff : Pas forcément, je prends souvent cet exemple pour les œuvres d'art, si tu veux donner l'idée de la tristesse d'un jour de pluie, tu peux très bien ne pas montrer la pluie, tu peux montrer autre chose qui va te... — Alexandra Achard : Moi je n'ai aucune subtilité : je montrerai la pluie. — C. de Trogoff : Je prends souvent l'exemple de Tarkovski pour ça : pour te donner la sensation de quelque chose, il va te montrer une chose qui te donnera la même sensation, il est sur l'évocation, c'est très remarquable. Et si tu me suis, pour donner l'impression de fragilité, tu n'es pas obligé de faire quelque chose de fragile. — Yannis la Macchia : Oui, carrément. Alors, j'ai fait différents essais de reliures, mais au bout d'un moment, je me suis dit qu'il y en avait quand même un paquet à faire et qu'il fallait choisir... et pas l'option qui prend le plus de temps parce que si tu passes une heure sur chaque exemplaire… — Alexandra Achard : Ah, voilà la raison qui arrive ! C'est le moment où tu commences à faire des compromis, c'est-à-dire que tu essayes des choses et tu te dis… — Yannis la Macchia : Non, le mot « compromis » je suis vraiment allergique. Il n'y a pas de compromis qui tienne ! — Alexandra Achard : Mais quand tu commences à dire que là, ça va mettre des heures… — Yannis la Macchia : Là, c'est pas du compromis, justement là on arrive à la question dont on était parti… — C. de Trogoff : C'est la question du choix de la technique. — Yannis la Macchia : Il y a moment où tu veux faire des choses et un moment où la matière résiste et du coup c'est : quelle solution tu trouves, quel choix tu fais et ton choix ça peut pas être un compromis, ou alors tu arrêtes. — C. de Trogoff : Tu aurais pu décider d'en faire trois exemplaires par exemple. Et tu aurais pu faire le choix de, comme c'était fragile, ça se défasse quand on le touche ! Il y a plein de choix possibles suivant l'artiste que tu es ! — Alexandra Achard : Du coup on sait toujours pas comment il est ! — Yannis la Macchia : Il y a une reliure japonaise avec ce fil assez fin, une jaquette qui a été coupée à la scie. J'ai pris un énorme bloc de papier, assez beau d'ailleurs, et je l'ai découpé à la scie. — C. de Trogoff : Avec une scie égoïne ?! Et du coup, effiloché ou... ? — Yannis la Macchia : Oui effiloché, un peu déchiré. — C. de Trogoff : Oui du coup ça met en valeur la fragilité surtout avec un tel outil. — Alexandra Achard : La brutalité. — Yannis la Macchia : Je suis pas sûr que ce soit vraiment la fragilité parce que c'est hyper brutal comme geste. — C. de Trogoff : Ben oui, justement, c'est ce que dit Alexandra : c'est la brutalité qui sonne l'idée de fragilité. — Alexandra Achard : C'est très cohérent comme rapports et comme démarche même si tu l'expliques comme ça, c'est très cohérent. Tu dis que tu ne sais pas si c'est fragile, mais si parce que du coup, tu es allé la provoquer cette fragilité, tu es allé la chercher dans la matière. — Yannis la Macchia : C'est plus une sensation, un percept que je cherchais. — C. de Trogoff : Oui, tu visais plus une sensation qu'une réalité, ça je commence à le saisir. — Yannis la Macchia : J'ai fait des tampons aussi et on a commencé à tamponner le truc et c'était hyper long et de nouveaux j'ai dû appeler tous les copains et on s'est fait des semaines de reliure pour finir ce truc... Et après, on a imprimé un faux code-barres parce que, à ce moment-là, c'était un peu la fin du « Comptoir des indépendants » qui étaient en train de fermer et en même temps, ils avaient accepté de travailler avec la Fnac et pour ça il fallait des codes-barres. Alors on avait fait des faux code-barres que j'avais dessinées avec un stylo et que j'avais imprimé en noir et en jaune et à la place de l'ISBN j'avais mis « non, rien de rien ». Pour rentrer dans les entrepôts, ils avaient accepté ce truc et après ça avait foutu la merde : ils avaient pas du tout capté et ils avaient essayé de passer ça à la machine et évidemment, ça marchait pas parce que ça voulait rien dire… — C. de Trogoff : Et du coup, tu en étais satisfait de cet objet, est-ce qu'il était proche ? Parce que là je continue sur mon obsession : la technique qui influence la forme et la forme qui influence la technique, l'imagination transformante et la matière transformée par la pensée etc. Est-ce que l'objet final était proche de ce que tu avais en tête ? — Yannis la Macchia :J'avais pas vraiment un truc en tête, à part une sensation, du coup l'objet final, il était cohérent et proche du geste qui l'a fait exister. — C. de Trogoff :En fait tu es intervenu, Alexandra en a parlé, plusieurs fois, brutalement, sur ton objet pour montrer la fragilité donc le geste est vachement… le tampon, la scie, on est à plein pour le faire, la reliure… — Yannis la Macchia : Et c'est long ! — Alexandra Achard : C'est comme si tu avais une position d'éditeur, je vais pas être claire, je ne le suis jamais, j'essaye de décrire ce que je pense : comme tu as un rapport à l'éditeur ou une espèce de rédacteur en chef, mes mots sont pas bons parce que j'y connais rien, comme s'il y avait concentration de la construction de l'objet qui arrivait à ce moment-là… et comme c'était quelque chose de ressenti, ton envie, c'était quelque chose ressent, de ressenti ce que tu avais à l'intérieur, tu es allé brutaliser cette matière. Tu es allé chercher à l'inverse en fait, et c'est tout à fait normal, plutôt que de chercher objectivement : je vais prendre un papier fragile parce que je veux faire un truc fragile : là, ça devient chiant en fait. Ça veut dire que c'est positif et négatif, ça marche dans les deux sens. — C. de Trogoff : Si j'avais eu cette idée de la fragilité, une idée que je n'ai pas eue, j'aurais plutôt vu un objet qui se défait quand on prend. Ce qui est une autre idée, complètement, de la fragilité… Toi… — Alexandra Achard : Un consommable, quoi. — C. de Trogoff : C'est vrai que finalement, tu as fait un d'objet qui tient ! — Alexandra Achard : Tu as fait une fragilité résiliante ! C'est fragile, mais ça tient le coup quand même, du genre « j'en ai rien à foutre, marchez-moi dessus ! » — Yannis la Macchia : Un objet, certes effiloché, mais c'est là, même mouillé. — Alexandra Achard : C'est là que tu te rends compte de la polysémie du langage, « la fragilité » peut tout à fait dire fragile par ce qu'on a subi, fragile par ce qu'on est. Ton objet, il est fragile par ce qu'il a subi, il encore là, un peu cassé, c'est un héros. — C. de Trogoff : Et ceux qui ne le savent pas, est-ce qu'ils le trouvent fragile ton objet ? Est-ce qu'il évoque la fragilité ? — Yannis la Macchia :De nouveau, on dit beaucoup le mot « fragile » mais je sais pas si c'est vraiment ça, la clé. — Alexandra Achard : Oui mais tu l'a dit ! Est-ce que les gens se montrent plus délicats avec ce livre là qu' avec les autres ? — Yannis la Macchia : C'est très dur de savoir ces choses, pour moi tu essayes d'être cohérent et honnête avec toi-même et après, ce que les gens ressentent, ce que, eux, ils vivent, ça leur appartient. Je vais pas commecer à faire des sondages pour savoir combien de personnes ressenties ça ! — Alexandra Achard : Si !
— C. de Trogoff : Alexandra demande s'ils le prennent de façon plus délicate, cet objet, qu'un autre. — Yannis la Macchia : Je sais pas, c'est possible… — Alexandra Achard : Mais il est où, c'est exemplaire ! On le veut ! — Yannis la Macchia : Il doit être au fond d'un carton au stand. — C. de Trogoff : On le prendra en photo, évidemment pour illustrer l'entretien. — Alexandra Achard : Moi je l'achète direct ! Il reste qu'un exemplaire. — Yannis la Macchia : Non, il doit en rester à droite à gauche chez les diffuseur… On a pris celui-là sur le stand parce que ça faisait longtemps qu'on l'avait pas rencontré, des fois c'est comme ça, on croit qu'un livre est épuisé et en retrouve trois exemplaires au fond d'un carton. On a retrouvé aussi un fanzine de Thomas qu'il avait tiré à 20 ou 30 exemplaires et on pensait qu'il était épuisé, un bouquin avec une couverture grise en noir et blanc, un truc qu'il a fait avant sa série de livres uniques. Un prémisse de ce truc-là. — Alexandra Achard : Et le fanzine B ? — Yannis la Macchia : Après le A, j'avais envie de travailler sur quelque chose de nouveau : pour reprendre le terme de percept pour le décrire, quelque chose de plus monolithique, plus une anthologie, quelque chose d'un peu fort. Fin bande 05 — C. de Trogoff : Tu es vraiment dans le tactile ! Bon, nous on voit que tu fais des gestes, on ne verra pas ça, évidemment, à la transcription mais on peut le dire. Tu parlais de l'expérimentation : tu reçois ce papier que tu as fait imprimer, tu le touches et là tu te dis : « là, je vais voir ». — Alexandra Achard : Est-ce que tu en parles d'ailleurs, tu es tout seul quand tu reçois ce papier ? Est-ce que c'est solitaire comme moment, ou est-ce que c'est un moment où tu as besoin d'échanger ? — Yannis la Macchia : Non, c'est jamais solitaire parce que j'habite avec des gens. Il y a des moments de travail solitaire évidemment mais avec « Hécatombe » on a toujours un fonctionnement… — Alexandra Achard : Collectif, oui c'est inscrit depuis le début. — Yannis la Macchia : Même si chacun a ses projets et quand Aude mène son projet, c'est elle qui le mène ce n'est pas moi et je ne lui dis pas ce qu'elle doit faire mais dans le même temps, on va toujours discuter et c'est hyper bien. Parce qu'il y a des collectifs qui fonctionnent de manière… — Alexandra Achard : Hiérarchisée. — Yannis la Macchia : Non, pas « hiérarchisée », mais collégiale où tout le monde donne son avis sur tout et il faut trouver un consensus. « Hécatombe » c'est pas ça. « Hécatombe » c'est des gens qui mènent des projets qui peuvent aller dans la direction qu'ils veulent et personne ne va jamais les empêcher. — C. de Trogoff Les autres ils aident, par contre, à mener à bien. — Yannis la Macchia : Par contre on s'aide. On discute, on se donne des conseils. — Alexandra Achard Il y a la confiance. C'est un vrai espace d'écoute. — Yannis la Macchia : On se pose des questions aussi et on est toujours tous en recherche de ce qui nous semble le mieux, le plus juste, le plus cohérent, le plus sensé. — C. de Trogoff : Personne ne dit : « ton projet suit pas en accord avec… » ? C'est pas la bonne direction juste par curiosité, ça n'a rien à voir avec le sujet. Est-ce que l'un d'entre vous pourrait dire : tu prend cette direction, mais ça me semble pas la bonne ? — Yannis la Macchia : En fait, on discute et tu vois bien quand les gens ont des questions et qui comprennent pas bien quelque chose, tu t'en rends vite compte. — C. de Trogoff : Quand on se connaît bien ! — Yannis la Macchia : Oui, on se connaît bien et on se confronte aussi. — Alexandra Achard : Vous n'êtes pas forcément doux. — Yannis la Macchia : On est cordial mais on se dit clairement les choses, oui. — C. de Trogoff : Vous êtes amis ? — Yannis la Macchia : Oui, on est carrément amis. — Alexandra Achard : Peut-être même au-delà parce qu'il y a un processus créatif… — C. de Trogoff : Au-delà de l'amitié, Alexandra ? Je vois pas trop… Pour moi l'amitié y'a pas au-dessus, de mon point de vue, excuse-moi de revenir sur ce point technique. — Alexandra Achard : Quand je dis plus, c'est pas au-dessus, c'est cumulé, tu peux avoir des amis et pas partager tout. Quand je dis plus, c'est que ça associe un fonctionnement de travail très personnel pour moi la création et il faut pouvoir avec des amis parler de tout. C'est un soutien mais là c'est vraiment particulier ! Un acte de création... quand je dis que c'est plus que l'amitié, c'est aussi accepter que l'autre rentre dans ce que tu vas sortir toi. — C. de Trogoff : On est collaborateur (pour PCCBA) mais on est vraiment pas en accord sur tout. En fait, on se contamine plus qu'autre chose alors je sais pas si c'est la même chose. Laurent et moi on allait façon travailler différentes, on a des pratiques différentes ,on a des traits différents, on a des rythmes différents, en fait, il n'y a rien qui est compatible et ce qui se passe quand on travaille ensemble, par exemple quand on a fait « La langue slave II » avec Pierre-Marie (Swabe), c'est plutôt de la contamination. Chacun reste lui-même est contaminé par le fonctionnement des autres le fonctionnement rythmique, circadien des autres. — Alexandra Achard : C'est obligé cette contamination, cette influence des uns sur les autres. — C. de Trogoff : Les rythmes du sommeil,l'heure à laquelle on mange, la vie en commun pendant le temps du travail... J'ai bien aimé quand tu as dit tout à l'heure… j'ai compris dans que tu as dit, qu' il y avait des projets personnels inclus dans un collectif là d'emblée, donc là ,on est plus du tout dans la contamination de techniques qui changeraient les formes mais plutôt des autres, du collectif qui changerait les formes. — Yannis la Macchia : Ouais c'est l'intérêt de travailler ensemble. — C. de Trogoff : Puisqu'on parle d'acte créateur, ça me paraît quand même très compliqué, voire intrusif quand on a des obsessions dans le travail et on a des obsessions quand on est créateur et quand quelqu'un vient te dire un truc sur ton truc… — Yannis la Macchia : Ouais ouais. — Alexandra Achard : Ça dépend du stade tu en es : ça peut être castrateur ou porteur. — C. de Trogoff : Ça peut être terrible, terriblement bien ou terriblement terrible. — Yannis la Macchia : Après, ça appartient, ça dépend comment tu le vis mais c'est intéressant. Moi, j'ai toujours des envies de direction et des choses que j'ai envie de faire, mais en même temps, je trouve que le choix de travailler avec d'autres gens, ça t'évite de te perdre, de prendre de mauvaises directions, et ça te permet aussi d'être plus radical, d'aller plus loin dans une direction. — Alexandra Achard : Parce que tu as point de critique hors résultat de production : comme un moment donné, tu as un regard extérieur qui va ne pas être toi, mais qui est assez de confiance pour intervenir au moment créatif… — Yannis la Macchia : Il y a quelque chose qui se construit ensemble. Ce sont des regards qui se construisent, en fait. — Alexandra Achard : Je sais pas si ça se construit ensemble mais ça se construit collectivement. C'est quand même toi qui est autonome dans ta production mais la structure que vous avez construite, où chacun de vous a assez confiance l'un dans l'autre pour intervenir de manière critique, c'est-à-dire positivement ou négativement avec tous les arrondis que tu veux, avec toutes les douceurs que tu veux– j'en sais rien comment vous fonctionnez– ça vous apporte ce point là, critique de commentaires sur la production qui fait un état des lieux qui permet d'aller plus loin ou qui permet d'adapter, qui permet de se rendre compte. Sinon tu n'avances pas. — C. de Trogoff : Oui, tu parlais de recul tout à l'heure… C'est intéressant ce que tu as dit, parce que ça pourrait être tout le contraire : tu dis que ça te permet d'aller plus loin dans ton projet personnel et que ça permet de ne pas te perdre mais ça pourrait faire carrément contraire, ça pourrait te perdre, ça pourrait t' empêcher d'aller très loin dans ta direction, suivant la personne, le moment. — Alexandra Achard : Mais votre fonctionnement est beau, il fait intervenir la critique dans le moment créatif ,c'est-à-dire que vous n'attendez pas d'en avoir fini avec l'objet produit pour affronter la critique et c'est une critique familière et on imagine bien que c'est parce que vous vous connaissez depuis dix ans ou quinze, que ça fonctionne comme ça. — C. de Trogoff : Mais revenons à la technique, vos techniques et l'appropriation des techniques. Imaginons que l'un d'entre vous a une obsession, lance une idée et que c'est un autre qui va trouver la technique pour répondre à son idée, à son obsession, là on est dans un extérieur qui vient conforter ton intérieur ! — Yannis la Macchia : Ça arrive tout le temps, ça. Oui bien sûr, c'est tout l'intérêt aussi. — Alexandra Achard : Du coup le B ? — Yannis la Macchia : Le fanzine carré numéro C je l'avais lancé à la base et ça devait être le numéro B et finalement je me suis rendu compte que ça prenait vraiment beaucoup de temps et c'était vraiment long de créer cet objet cubique… Ça prenait beaucoup trop de temps et j'avais envie de faire d'autre choses. J'ai réécrit un mail aux auteurs que j'avais déjà contactés, je leur ai dit : finalement, ce sera pas le B, ce sera le C. D'ailleurs y'a eu des malentendus : certains m'ont dit « on a vu le B il est sorti, il y a pas mes pages dedans » j'ai dû expliquer que finalement, le cubique ce serait le numéro C. Donc, j'ai proposé à Antoine Aude et Bastien de faire chacun 10 pages par mois pendant quatre mois et de publier une revue « à suivre ». — C. de Trogoff : Une revue. Donc le B c'est plusieurs choses. — Yannis la Macchia : Oui : B1 B2 B3 B4. Ils faisaient 10 pages minimum, mais souvent ils faisaient plus, ils faisaient une histoire à suivre. L'idée c'était qu'on le sorte au fur et à mesure mais ça a posé problème parce que celui-là c'est le dernier qu'on a pu diffuser par « Le comptoir des indépendants » et « Le comptoir des indépendants » à fermé pendant la sortie du B.
Le D c'est un numéro sur la fraction. Dans le C il y avait déjà l'idée de déconstruire le livre et la couverture, de prendre toutes les informations qu'il y a sur la couverture : titre, nom de l'éditeur, illustration et le numéro (vu que c'est une série), donc tout prendre et décomposer ça et de le mettre sur toutes les faces du cube. Et pour moi ce truc là, ça allait dans le sens de toute la série, de dire en fait, qu'on travaille l'objet et que ce qu'on a entre les mains ce n'est pas juste un livre : c'est un objet. Tout son extérieur est une couverture, chaque face. — C. de Trogoff : Oui ça on comprend bien quand on voit l'objet et quand on en voit plusieurs, tu comprends encore mieux… — Yannis la Macchia : Ça participe ! — Alexandra Achard : il est numéroté le fanzine carré, on est d'accord :999. — C. de Trogoff : Tu as répondu à cette exigence, d'ailleurs ? Il y en a vraiment 999 ? — Yannis la Macchia : Ah, Bien sûr ! — Alexandra Achard : Qui a le numéro 666, j'aurais rêvé d'avoir ce numéro là. — Yannis la Macchia : En fait quelqu'un la réservé et du coup, je lui ai mis côté, il est resté un an à l'atelier. — Alexandra Achard : As-tu conscience de faire un objet qui va expérimenter un mécanisme contradictoire avec ce qu'est censé faire l'objet normalement ? — Yannis la Macchia : Oui, exactement, et c'est typiquement un truc qui est arrivé en cours de route, on a travaillé avec plusieurs relieurs qui proposaient des trucs et il fallait trouver des solutions aussi et à un moment donné il y avait ce relieur qui m'a envoyé cette maquette là et après, un truc avec un dos un peu différent, justement, qui permettait une ouverture plus ample mais j'aimais bien celui-là. — C. de Trogoff : La contrainte, être contraint. — Yannis la Macchia : Je le vois pas du tout comme ça, il y a des gens qui trouvent que c'est pas évident mais pour moi c'est complètement lisible mais ça impose une proximité. — C. de Trogoff : Et de détruire un peu l'objet aussi, de le maltraiter. — Yannis la Macchia : Ça impose un choix : soit tu l'ouvres à 45°, ça tu peux en principe… 22min 10 bande 06 — Alexandra Achard : J'aime bien le « en principe ». — Yannis la Macchia : Après, les gens n'osent pas intervenir sur le truc et ça crée… — Alexandra Achard : Le mécanisme du désir du lecteur il est là, lui n'a pas la connaissance technique de l'écart maximum que peut supporter cette reliure et un moment ça fait «crr ». — Yannis la Macchia : Et là tu oses ou tu oses pas. — Alexandra Achard : Tu t'autocensure, tu te dis : « je pète le livre ! ». — C. de Trogoff : C'est la question : est-ce que tu préfères l'objet ou le livre. C'est une question qu'on se pose avec ce livre : est-ce que tu veux garder l'objet pour sa beauté plastique, son unicité où est-ce que tu veux vraiment le lire ? — Alexandra Achard : La numérotation entre aussi en jeu, c'est en édition limitée, ça exacerbe. — Yannis la Macchia : Moi aussi ! Moi, c'est très simple j'ai pris une règle et j'ai rainuré le dos. Je peux parfaitement le lire. — C. de Trogoff : Tu es intervenu sur l'objet. — Yannis la Macchia : Oui, parce que j'avais envie. — Alexandra Achard : Là, il y a une question morale : soit tu le casses, soit tu le laisses comme il est, soit tu interviens dessus, tu n'es jamais passif en tant que lecteur. L'objet de la bande dessinée a, comme ça, rapport manipulatoire avant quoi que ce soit d'autre, où tu es obligé de mettre les mains dessus ou n'importe quoi, tes coudes si tu n'as pas de mains, en tout cas, il y a un geste qui intervient. — C. de Trogoff : Mais il faut être conscient que si tu fais ce genre d'objets, ce genre de pari, c'est que tu vas avoir c'est que tu vas avoir comme « client », des gens comme nous : des gens qui vont privilégier l'objet tout en sachant ce qu'il y a dedans et en y apportant une importance, c'est-à-dire savoir que c'est de la B.D., mais qui vont privilégier le seul façonnage, c'est-à-dire le soin qui a été apporté à ce que ça ait cette forme particulière et qui veulent garder cette forme. Ce qui a été mon choix. Donc ces gens là, tu vas les toucher, ces gens-là vont t' acheter ton objet mais ces gens-là ne vont pas lire le livre. — Yannis la Macchia : Je suis pas d'accord, pour moi, il ya certaines personnes qui le lisent. — Alexandra Achard : Ne lui ruine pas le moral. Il faut en acheter deux. — Yannis la Macchia : Pour moi ce que les gens font avec le livre qu'ils ont acheté, c'est leur façon de vivre ce truc là. Moi ce qui m'intéresse, quand tu me demandes : si j'ai envie de choisir l'objet ou si j'ai envie de choisir son contenu, je pense que si j'enlève l'un ou l'autre plus rien m'intéresse. — Alexandra Achard : C'est très cohérent justement, tu nous laisses le choix. — C. de Trogoff : Tu as fait l'objet,et au moment où tu es devenu lecteur, tu te l'ai approprié en tant que lecteur. — Yannis la Macchia : Oui c'est un choix. — C. de Trogoff : Mais c'était pas si évident tu aurais très bien pu te conformer à l'éditeur et te dire : « putain ! C'est bizarre quand même ! ». Et tu aurais fait « screuch» et il y en a d'autres qui l'ont sans doute fait. — Yannis la Macchia : Oui, il y a des gens qui l'ont fait, c'est clair. — C. de Trogoff : Nous on a triché, on a deux exemplaires. L'un a été lu et l'autre a été gardé. Et on voit celui qui a été lu : il baille, il ne se referme plus. Bande 07 — Yannis la Macchia : En fait, ce qui me semble réellement important dans ce boulot là, sur l'objet et son contenu en tout cas, moi ce qui m'intéresse : c'est le mécanisme qui est créé. Ce qui m'intéressait dans le fanzine carré, c'était le mécanisme, ce petit livre avec un dos très large puis des pages parfois… si on veut le garder tel quel ça pousse à une certaine proximité, on va le mettre très proche et juste la façon de le tenir dans les mains, en fait, j'aimais bien ça. — Alexandra Achard : Oui, l'incidence que ça allait avoir sur le contact. Du coup, ce que tu disais tout à l'heure : le lecteur ce qu'il fait avec l'objet, il se débrouille, il fait ce qu'il veut mais en fait, oui et non : tu as ce moment-là, tu le penses, tu vas obliger, techniquement, le lecteur à s'approcher, approcher cette espèce de pavé, je suis désolée on a pas forcément envie, moi j'ai pas envie de me mettre des pavés dans la tronche et là, tu es vraiment obligé de te le coller sur le nez si tu veux voir quelque chose. Tu contrains donc y a vraiment une incidence. — C. de Trogoff : En tout cas tu contrains les gens à s'approprier l'objet ! Quoi qu'ils en fassent, qu'ils le tiennent à distance ou non. En fait, il y a une obligation devant ton objet, on peut pas rester dans un non rapport avec ton objet, on est obligé d'avoir un rapport avec ton objet, on le lit, on le lit pas on le regarde, on le regarde pas. — Yannis la Macchia : Oui, il y a des gens qui l'ignorent, parce qu'ils ne comprennent pas, ça les intéresse pas, ils passent à côté. — Alexandra Achard : Alors, ils l'achètent pas ! Tu penses qu'il y a des gens qui le mettent dans leur salon, ils font des petits tours autour ou le mettre sous cloche (rires), il le protège des mauvaises ondes. « J'ai acheté le ce truc là je sais pas pourquoi mais c'est trop étrange ! » — Yannis la Macchia : Sur le sujet qui me préoccupait avant : le lien entre le contenu et contenant, ce qui m'intéresse, c'est que ce truc là il est indivisible, c'est pas possible de s'intéresser que au contenu ou que à l'objet. Ce qui est intéressant c'est forcement le lien qu'il y a entre les deux et tout ce que vous dites là en fait, c'est ça. Tu peux pas choisir l'un ou l'autre, c'est forcément lié. — Alexandra Achard : Un peu quand même au moment où tu décides que pour toi, en tant que lecteur, tu n'es pas capable de détruire le livre pour avoir accès à l'intérieur... Du coup, tu fais confiance à « Hécatombe », tu présupposes que le fond est de qualité, tu ne casseras pas ton livre, tu fais confiance à la promesse qui a été faite. — Yannis la Macchia : Il y a un objet et le fait même que tu sois confronté à ce choix, ça crée déjà un lien entre le contenu et contenant et après peu importe le choix que tu fais. — Alexandra Achard : — Mais dans ces cas-là, suivant le choix que tu fais, il y a quelque chose qui prend le dessus : soit la forme soit le fond. — C. de Trogoff : J'ai une question qui me vient : est-ce que tu as constaté, parce que c'est une des choses qui t'intéressent, sous ce format là, certaines bandes dessinées prenaient plus corps que d'autres… Je donne un exemple : tu disais tout à l'heure que ça t'intéressait le lien entre la forme et contenu de la bande dessinée, la façon dont ça la fait apparaître, tu as parlé de ça. Par exemple, j'ai souvent dit à Laurent (L.L. demars) que j'avais l'impression que ses planches passaient mieux en grand parce que son trait est assez ample et il charge beaucoup ces cases et souvent il travaille souvent en A3, enfin il a un geste, une gestique on dit en musique (il s'agit du geste instrumental qui va accompagner la musique et lui donner un caractère particulier) et ce geste il se retrouve dans ces récits, cette plénitude, alors que par exemple mon trait il peut passer en tout petit, minuscule. Et donc est-ce que dans cet objet, cet objet en forme de cube a permis a certainement bandes dessinées, à certaines formes d'exalter le meilleur d'elles-même est-ce qu'il y en a à qui ça a apporté… — Alexandra Achard : Il y avait combien d'auteurs, 90, c'est le pari de réussir à mettre la cohérence… — C. de Trogoff : Non, est-ce que pour certains ça été particulièrement bienfaisant, c'est une question en rapport avec les techniques mises en branle? — Yannis la Macchia : Moi j'ai constaté les auteurs en leur expliquant le projet et en leur disant qu'il n'y avait pas de thème mais j'avais juste envie qu'il garde en tête que l'objet ce serait ça. — C. de Trogoff : Et tu crois qu'il y en a qui se sont conformés à ça, qu'ils ont transformé leurs travaux en fonction de ça ? — Yannis la Macchia : Oui certainement. — C. de Trogoff : Est-ce qu'il y en a qui ont changé leur façon de dessiner pour que ça aille dans ton format ? — Yannis la Macchia : Clairement oui, il y a des gens qui ont fait des pages qui font référence à l'objet… — C. de Trogoff : qui leur ressemble pas ? — Yannis la Macchia : Et il y a eu beaucoup de mise en abyme, il y a des gens qui ont continué à faire ce qu'il faisait dans leurs séries, sauf qu'ils ont intégré leur série dans ce cadre là. En fait, pour moi, les deux sont intéressants et les deux font sens. — Alexandra Achard : Parce que la prémisse de départ c'est que l'objet ressemblera ça et à partir du moment où ils envoient leur boulot, il y a un choix. — C. de Trogoff : Quelqu'un pourrait se dire : je transforme ma techniquehabituelle, je transforme mon trait, je fais autre chose parce que c'est ce format, il y en a qui l'ont fait ? — Alexandra Achard : Ce qui est intéressant, c'est que tu l'as dit au moment de soumettre aux auteurs et à partir du moment où tu expliques, que la contrainte est annoncée, tout ce que tu reçois est un parti pris par rapport à ça. — Yannis la Macchia : Oui c'est ça et l'intérêt aussi avec ce truc là, c'était d'abord un format même juste dans la façon d'expliquer, juste quand tu écris quatre lignes et tu l'envoies l'auteur, le format il est tellement parlant et tellement non conventionnel que forcément, ça va avoir une incidence. Ça peut pas être juste des pages… ou alors c'est que t'a pas lu les quatre lignes en entier ! (Rires) — C. de Trogoff : Et du coup, est-ce qu'il y en a qui s'en sont très bien tirés justement, c'était ma question de départ ? — Alexandra Achard : On entre dans le jugement. C'est bien trop dur ce que tu lui demandes ! — C. de Trogoff : Je donne un exemple : tu vois ce que c'est le projet « cosmos » ? Le format est un peu particulier : c'est celui d'une cassette vidéo, avec un beau papier carton sérigraphié, enfin une jaquette de cassette vidéo et dedans il y avait plein d'objets, il y avait des photos et un tout petit carnet avec des BD… Ça a pris des tonnes de temps et un jour on reçoit une boîte comme ça, elle arrive, on l'ouvre et dedans il y a plein de petites choses et on se rend compte que ce qu'on a fait dedans, juste, on le voit pas (rires) ; ils avaient prévu une multitude de petites choses... Et nous en tant qu'auteurs on s'est dit : merde, le truc qu'on a fait, ça correspond pas du tout ! C'est le retour qu'on a de temps en temps quand on nous demande : est-ce que vous voulez participer à tel projet ?, Quand tu reçois le truc, tu te dis : « je n'aurais pas fait comme ça si j'avais su que c'était ça ! » Souvent ça manque d'indices pour l'auteur, justement ! — Yannis la Macchia : Oui, mais là, c'était clair. En tout cas pour ce projet en particulier… On fait un saut dans le temps sur mes projets actuels mais, en ce moment, et c'est pour moi un peu la suite logique de cette réflexion sur l'objet, enfin sur le support et sur le contenu, l'histoire, pour moi la suite logique de tout ça c'était de me dire : qu'est-ce qui se passe si on enlève le papier ? — C. de Trogoff : La dématérialisation, le virtuel, le numérique ? — Alexandra Achard : Mais là, du coup tu n'enlèves pas l'objet. — Yannis la Macchia : Il y a toujours un support, tu peux pas enlever support ! Qu'est-ce que ça fait si on enlève ce truc là, le papier, qui est aussi une contrainte et qu'est-ce que ça crée au niveau du rapport à la narration, d'ouvrir complètement les possibilités narratives et là ça rejoint un peu la façon de travailler avec les auteurs du fanzine carré, moi ça me plaît vraiment de savoir que l'auteur il a conscience de l'objet pour lequel il travaille. — C. de Trogoff : Est-ce qu'il en tient compte ou pas ? — Alexandra Achard : L'objet livre ou le support a une incidence sur le récit parce qu'il est manipulation mais tout le monde n'a pas conscience de ça. Quand tu discute avec des auteurs ils disent : « moi, je fais des planches, on me demande d'enlever une case, je m'en fous ». Ils n'ont pas de projection plus lointaine. — C. de Trogoff : Ils se posent pas forcément la question, aussi, de savoir comment le lecteur va s'approprier l'objet ? — Alexandra Achard : C'est comme si tu n'avais pas la projection de la réalisation de ton travail, à un moment donné il y a juste une pensée mais aucune réalité concrète de ce que ça va être et là, si tu fait ça, tu passes à côté d'énormément de subtilités… — C. de Trogoff : Tu passes à côté de beaucoup de possibilités et de la capacité transformante de ta propre pratique. Ce que je vois c'est que tu es un petit rigolo, tu aimes bien jouer, en fait : « ah tiens si maintenant on enlevait le papier ! ». — Yannis la Macchia : Oui. — C. de Trogoff : Après une heure d'entretien il peut plus dire non, j'ai des idées et je les lance... Tu aimes bien aussi, mettre les gens en difficulté, le lecteur et l'auteur, par jeu, et toi aussi, tu te mets des contraintes, tu te mets des bâtons dans les roues. — Yannis la Macchia : Oui il s'agit plutôt de faire appel à l'intelligence des gens. — C. de Trogoff : J'aime bien l'idée que toi, quand tu te lances dans un projet, que ce soit le fanzine carré ou un autre, tu te projettes dans : « quand ils vont recevoir ça les auteurs, quand il va recevoir ça le lecteur qu'est-ce qu'il va se dire ? ». Ce sont des choses auxquelles tu penses ou tu te dis juste : « tiens, on essayait ça » ? — Yannis la Macchia : Moi je suis éditeur mais je suis aussi auteur et aussi lecteur. — C. de Trogoff : Oui, tu es les trois à la fois, tu es la meilleure personne pour répondre à cette question, la mieux placée. Je pose cette question parce que, tout à l'heure, tu as dit que tu as fait cet objet en tant qu'éditeur : le cube, mais quand tu as été le lecteur, tu te l'est approprié et tu as décidé de le transformer. Tu aurais pu respecter le projet de l'éditeur, ce n'est pas ce que tu as fait, en tant que lecteur, tu as décidé de lire… Et quand tu as un nouveau projet en tant qu'éditeur, tu te mets dans la peau aussi du lecteur et de l'auteur, tu imagine ce qu'ils vont se dire ? Est-ce que tu projettes dans ce désarroi que tu provoques ? — Yannis la Macchia : J'espère pas provoquer le désarroi mais j'ai envie d'amener des choses nouvelles et c'est sûr que, ça m'intéresse de repenser le médium mais surtout, je suis très attaché à la liberté . J'ai tout le temps besoin de ressentir la liberté et si je ne ressens pas la liberté, vraiment, c'est problématique. — C. de Trogoff : Tu penses à la liberté qu'ils ont d'accepter ou de ne pas accepter, de la faire leur ou de ne pas la faire leur, cette liberté ? — Yannis la Macchia : Ce qui me préoccupe quand je fais des choses comme ça, quand je repense le format, c'est vraiment d'amener un médium qui est la bande dessinée… vers quelque chose qui me semble possible et désirable et que je vois comme un espace de liberté. — Alexandra Achard : Chercher de l'air. — Yannis la Macchia : C'est vraiment cette démarche là que j'ai en tant qu'éditeur, en tant qu'auteur, et en tant que lecteur et je m'y réfère à chaque fois. — Alexandra Achard : Chacun de ces bouts viennent te nourrir. — Yannis la Macchia : Je me réfère à cette envie de liberté autant dans le contenu que dans la forme de l'objet. — C. de Trogoff : Plus que de tester les limites, de draguer la limite, d'ouvrir ? — Alexandra Achard : Tu vois à l'inverse. Tout à l'heure tu parlais de la fragilité comme une réponse à la brutalité et je pense, tu vois la liberté comme une réponse aux limites. — Yannis la Macchia : J'ai pas envie qu'il y ait de limite, je fais en sorte qu'il n'y en ait pas. — Alexandra Achard : Il est insolent ! Tu es un être dangereux, déjà pour toi-même ! (Rires) — C. de Trogoff : Il a parlé de percept. — Alexandra Achard : Un percept, quelque chose qui se vit, tu crées de la bande dessinée qui serait vivante et en fait, tu fais un chemin et tu crées une histoire à vivre. Quand tu touches l'objet, il y a des choses qui se lisent, il y a une espèce de double moment où on surligne et on souligne. — C. de Trogoff : Tu provoques plus que de la lecture puisqu'il y a un objet manipuler, des choses à faire ou pas et des choix faire, des relations à nouer avec l'objet… — Yannis la Macchia : C'est très juste de parler de la lecture parce que ce qui m'intéresse, c'est vraiment la lecture, mais dans ma façon de voir la lecture, ce n'est pas juste assembler des signes et leur donner du sens mais c'est tout ce qu'il y a autour c'est : quel objet tu tiens dans les mains. — Alexandra Achard : ll y a une superposition lecture, c'est idiot, et ce que tu dis ça parait d'une évidence absolue, mais à un moment donné, tu as conscience de l'outil que tu choisis pour parler, il faut donc, du coup, là, comme tu le fais avec le livre ou plus loin, parce qu'on se rend compte que parler de cette manière, c'est pas forcément le livre, ça peut être le numérique, il peut y avoir une dématérialisation de la BD... Du coup, ça veut dire qu'on n'est pas obligatoirement dans le livre. « Enfin les gars, allez-y ! »... Et ça paraît logique, évident et simple comme il y a un rapport physique de manipulation avec l'objet et il y a forcément ce qu'on il y lit, (donc tous les spécialistes de la littérature qui nous font chier avec leur narratologie depuis des années, là) et l'objet se parle déjà de lui-même, tu es obligé et là où ça devient beau c'est quand tu arrives à lier les deux, quand il y a un écho, une réponse, tu vois, deux temps lecture qui se répondent et qui échangent. C'est Édouard Glissant qui parlait non pas de métissage, mais de créolisation pour parler de choses qui justement, non pas fusionnent mais ce sont des choses indépendantes qui créent quelque chose de nouveau. Ça fait trois temps de lecture et ça c'est un respect ultime du lecteur. — C. de Trogoff : On pourrait déjà poser la question : est-ce que le livre, de par sa forme son contenu, par exemple, est-ce qu'un livre numérique est encore un livre et est-ce que le livre c'est l'objet ? Parce que quand on parle de « un livre » en français : c'est l'objet mais c'est aussi ce qu'il y a dedans. — Yannis la Macchia : Non et c'est très important. — C. de Trogoff : En fait, dans tout ce que tu proposes, il y a plusieurs choses mais qui agissent ensemble en interconnexion c'est-à-dire un objet mais qui n'est pas qu'un objet mais c'est aussi un livre et ce livre, c'est aussi une façon de s'approprier une lecture mais c'est pas que une façon de s'approprier une lecture et tu parlais d'histoire : c'est comme si chaque personne devant ces choses construisait une histoire avec ces choses, tu dis si on te trahit. — Alexandra Achard : Oui c'est le lien, en fait, c'est la maison d'édition de la relativité il n'y a pas de un point, un point, il y a le lien. — C. de Trogoff : On dit la même chose, j'ai l'impression ? — Yannis la Macchia : Oui on dirait, que vous êtes d'accord. — C. de Trogoff : Et toi, tu es d'accord avec ce qu'on dit : tu crées une histoire nouvelle avec ce livre, cet objet cette façon lire, tu crées une nouvelle relation. — Alexandra Achard : Tu crées une histoire nouvelle deux fois, parce que ça paraît évident, tu ne fais pas une histoire nouvelle mais tu nous rappelles que notre rapport à l'objet est déjà une narration, est déjà une histoire, et quelque chose qui se construit et c'est une rencontre. Ce n'est pas une histoire c'est une rencontre, quelque chose qui se crée. — C. de Trogoff : et cette rencontre, elle conditionne notre façon de lire. — Alexandra Achard : Dans la façon de lire il y a quelque chose qui se passe, et tu le soulignes. — Yannis la Macchia : Moi je parle de mécanisme… — Alexandra Achard : C'est un mécanisme technique. — Yannis la Macchia : C'est un mécanisme qui comprend les signes qu'on imprime ou qu'on fait apparaître sur le support mais aussi tout ce qu'il y a autour. — Alexandra Achard : La question du langage n'est pas la question technique du rapport physique à l'objet. — C. de Trogoff : Du coup, tu crées ce mécanisme à plusieurs niveaux parce que tu le crées aussi avec les auteurs - en les informant du projet - et tu les obliges à projeter. Il y a déjà donc, l'auteur qui peut conformer sa forme au projet final. Tu crées une relation déjà avec l'auteur avant le livre, ce qui n'arrive quasiment jamais et tu recrées ça après avec le lecteur et donc tu fais un lien de deuxième génération entre l'auteur et le lecteur… — Alexandra Achard : Oui c'est pour ça que je parlais de relativité. En fait tu es Deleuze tu crées du rhizome… — C. de Trogoff : Moi je suis lecteur, je lis une dessinée dans ce contexte là, que tu as mis en place et les contraintes que tu as mises en place - auxquelles l'auteur a été confronté, qu'il a accepté ou non - et ça crée, du coup, cette relation un peu étrange entre auteur et lecteur, c'est-à-dire que l'auteur est obligé ou non de penser à son lecteur et le lecteur est obligé ou non de penser à l'auteur. Le lecteur se dit : « tiens l'auteur qu'est-ce qui fait là, en acceptant ce projet, qu'est-ce qu'il en fait ?». Tu crées aussi cette relation là et pas que à l'objet, pas que à la lecture mais aussi entre ces deux pôles là, parce que, finalement, souvent le lecteur et l'auteur ne sont pas très liés, ils ne se sentent pas en relation, ils peuvent avoir une relation avec histoire le dessin… — Alexandra Achard : Tu rigole, après, il va faire des dédicaces ! — C. de Trogoff : C'est superficiel ! Quand tu es en train de lire un livre, tu ne te sens pas en connexion avec l'auteur. — Alexandra Achard : Oui c'est très intime. — C. de Trogoff : Ou alors c'est dans le rapport à l'histoire, tu peux te dire que tu te sens proche de cette idée. — Alexandra Achard : De manière erronée d'ailleurs. Là où tu es plus proche de l'éditeur et de l'auteur, c'est le contact avec l'objet, parce que même si il a été multiplié, mais c'est censé être l'identique, le même que celui qui a été touché par l'auteur, en extrapolant un peu… — C. de Trogoff : Ah, bon ? — Alexandra Achard : Si tu touches une reproduction c'est censé être l'identique de l'original. — C. de Trogoff : Mais là, pour le cube, ce n'est pas le cas, ils sont tous différents ! Puisque les tranches sont toutes différentes. — Alexandra Achard : Oui mais il est pervers, tu vois, il sourit. — C. de Trogoff : Mais on est avec Yannis, on parle de lui. — Alexandra Achard : Mais, il le met en évidence en le faisant négativement, il vient le souligner en faisant comme si c'était pathologique justement, en insérant le fait que finalement tous les exemplaires ne sont pas les mêmes que les originaux, parce qu'à la production et à la multiplication on a introduit des modifications de l'original… — C. de Trogoff : Et pourtant ce n'est pas de la micro édition ! — Yannis la Macchia : Je sais pas... — C. de Trogoff : Il y a un paradoxe, bon, on pourrait mettre des limites à ce qu'on appelle la micro édition, mais il y a beaucoup d'exemplaires quand même. Par exemple, 999 exemplaires, ce n'est pas de la micro. — Yannis la Macchia : Ben, ça dépend. — C. de Trogoff : C'est pas 20 exemplaires. — Yannis la Macchia : C'est sûr, ce n'est pas 20 exemplaires. — Alexandra Achard : C'est vrai, ça aurait été dommage ça répond au 9.9.9. — Yannis la Macchia : Ça aurait été triste. Oui, ça a été important d'en avoir 999. —— C. de Trogoff : Là, tu es sur quoi en ce moment, tu disais ? — Yannis la Macchia : Sur les objets cliquables avec Orianne, Antonio et Antoine qui sont les premiers auteurs qui font des choses là, je faisais des maquettes mais des maquettes de formats virtuels. Je leur disais : là, tu peux faire une grande frise, je dessinais un grand truc comme ça au format et là je leur disais : là, tu mets des éléments cliquables qui vont amener sur un type de lecture. — C. de Trogoff : Tu crée d'abord dans l'espace avant que ce soit numérique, tu pré-crée ? — Yannis la Macchia : Je me suis retrouvé à faire des croquis d'objets virtuels, de pages virtuelles et du coup, on définit une taille de planche qui est complètement irréaliste et complètement absurde, même dans la construction du récit ce serait complètement absurde. Ça créerait un objet qui serait vraiment… Ce serait vraiment très très différent de vouloir créer cet objet, ce serait presque contre nature et là, d'un coup, c'est fait avec une simplicité étonnante, et il y a une liberté hallucinante dans l'utilisation d'espaces qui sont pas du tout ce auxquelles on est habitué. — C. de Trogoff : Quand tu commences à travailler sur des objets virtuels, tu as de nouvelles possibilités qui apparaissent, de profondeur, de liens hypertextes… — Yannis la Macchia : Et de nouvelles contraintes ! — C. de Trogoff : Je sais pas si tu as déjà vu dans « le terrier », c'est un type qui fait ça, tu cliques sur un machin et ça transforme l'image et ça, c'est des possibilités que tu n'as pas vraiment… facilement en livre. (retrouver le nom de l'auteur) — Alexandra Achard : Du coup, pour moi c'est pas vraiment de la dématérialisation! — Yannis la Macchia : Non pas du tout. — Alexandra Achard : C'est de la même manière qu'une technique qui va permettre d'imprimer plus vite même si c'est physiquement, c'est quand même une technique. Il y a un objet qui est quand même là. — Yannis la Macchia : C'est une autre technique, bien sûr. — C. de Trogoff : C'est quand même un livre pour moi. — Yannis la Macchia : Pour moi c'est pas un livre. — C. de Trogoff : C'est là qu'on serait peut-être pas d'accord. On va pouvoir discuter là-dessus. Pour moi, même s'il n'y a plus l'objet livre c'est encore… — Alexandra Achard : Mais il y a toujours un objet là, on perd pas l'objet. — Yannis la Macchia : Il y a toujours l'existence de la lecture, du mécanisme de lecture… — Alexandra Achard : Appelle ça : la manipulation. —… Mais par contre il n'y a plus de livres, parce que le livre c'est un objet qui a une histoire, qui est inscrit, le livre c'est un objet. — C. de Trogoff : Une historicité tu veux dire ? Bon, il n'a plus de contours… Je parlais des délimitations de l'objet. — Yannis la Macchia : Le livre, c'est du papier, c'est de la reliure à partir du moment où tu publies quelque chose sur un écran ce n'est pas un livre. — Alexandra Achard : un papier enroulé ce n'est pas livre ? Le livre est dans le pli ? — Yannis la Macchia : Ce qui est sûr, c'est que un écran ce n'est pas un livre le terme « livre numérique » est un terme qui à mon avis, est né pour des questions de marketing et pour refourguer des choses à des gens et c'est un terme qui, pour moi, est un terme qui nie l'essence de ce que c'est un livre et qui nie en même temps l'essence de ce que c'est un écran. — C. de Trogoff : Pour toi le livre c'est un objet, ce n'est pas que lire. — Alexandra Achard : C'est indépendant, la manipulation n'est pas propre à l'objet. — Yannis la Macchia : Pour moi c'est un objet. — Alexandra Achard : Je suis ravie de ce que tu dis. — Yannis la Macchia : C'est un objet très codifié en fait, il y a un grand nombre de codes qui sont liés au livre. Il faut pas croire qu'on va faire de la lecture sur écran juste en faisant un « copier coller » des codes qui sont ceux du livre, pour moi ça tient pas. — Alexandra Achard : Je suis ravie de ce que tu dis, parce que là où il y a une porte de sortie, c'est quand enfin, on a conscience que cette production de bandes dessinées n'est pas propre à un objet, elle est hors de cet objet là… — Yannis la Macchia : C'est un langage. — C. de Trogoff : Oh, attention « langage » ! On va pas se lancer là-dessus, parce que ça peut devenir très compliqué, très vite parce que tout dépend de tes références, on va pas parler du tout de « langage » dans cet entretien. — Yannis la Macchia : Ouais ouais ouais. — Alexandra Achard : Ce que tu dis, pour moi, parce que j'ai une approche technique et que le reste je m'en branle… Tu as dissocié cette manipulation, ce rapport manipulatoire de l'objet, de l'objet qui le supporte et c'est une porte gigantesque, une ouverture gigantesque parce qu'on sort du livre et on va ailleurs et là on crée de nouvelles choses et là, on vit de nouvelles choses et pour moi, c'est évident ! Et c'est obligatoire que dès que tu sors de ce champ là, tu vas faire de nouvelles choses ou pas parce que tu peux te retrouver à faire exactement la même chose que si tu avais eu le livre — même si ça n'a pas la même tronche — mais ce serait quand même le même mécanisme, les mêmes automatismes. — C. de Trogoff : C'est dommage. — Alexandra Achard : C'est dommage, oui et non, ça dépend si tu en as conscience. Si tu en as conscience ça peut être intéressant et multiplier les supports, j'aime pas non plus ce terme, mais si tu arrives à trouver un mécanisme similaire alors que tu t'es barré du livre et que tu sois reconfronté à la même chose, ce sera intéressant de voir… — Yannis la Macchia : Ce sera pas similaire. — C. de Trogoff : Ce qui m'intéresse c'est, justement, en changeant de support, en changeant de technique est-ce qu'on change le fond ? — Alexandra Achard : Je suis pas sûre que l'acte manipulatoire puisse pas être le même à un moment donné. — C. de Trogoff : Par exemple, l'informatique nous a donné la possibilité du lien hypertexte qui n'existe pas ailleurs : tu cliques sur quelque chose et ça t'emmène ailleurs... Et si tu es sur support numérique et que tu ne l'emploies pas, c'est dommage parce que ça multiplie les dimensions de l'objet et ça efface ses contours et ça, par contre ça a une incidence sur la façon de recevoir le contenu. — Alexandra Achard : mais ça existe déjà dans les livres ça ! Quand tu as un enchaînement aléatoire, par exemple quand tu as une possibilité, toi-même, de sauter des chapitres, tu vois ça existes déjà ça finalement, c'est le même mécanisme. — C. de Trogoff : L'informatique n'a peut-être pas inventé le lien hypertexte mais elle l'a inscrite en elle dans son fonctionnement même et ça rajoute une dimension à tout. Il y a des sites qui sont construits que comme ça comme le site du « désordre » : tu es sur un article et tu peux aller partout parce que tu cliques sur un truc et tu te retrouves complètement à autre endroit qui va te parler de choses en relation avec l'article et là encore autre chose, encore autre chose. Il y a une profondeur nouvelle et qui est immédiatement accessible. Comme dans le dictionnaire, quand tu es en train de lire une définition et que ça te conduit à chercher un autre mot. — Alexandra Achard : Ce que je veux dire, c'est que ce mécanisme là, est exactement le même que ce livre ou sur les bords tu as un truc à choix multiples et ça va te renvoyer… — C. de Trogoff : Tu parles du « Livre dont vous êtes le héros ». — Alexandra Achard : Non, enfin je sais pas comment ça marche, mais du coup, c'est exactement la même chose sauf que tu vois le tour de magie. Tu vois le renvoi. Comme les cartes routières si tu tournes les pages de la carte routière, comme un con, tu fais le tour de France mais de manière un peu chelou, alors que si tu suis le F 14 qui renvoie page 72, tu as une construction cohérente. Pour moi le site Internet manipulé comme ça avec le lien hypertexte c'est le même acte, exactement le même acte manipulatoire et là, c'est intéressant. — Yannis la Macchia : Ouais ouais ! — Alexandra Achard : Et là, tu dis : on change d'endroit mais on fait exactement la même chose... Et là, tu restes maître du bordel et ça c'est chouette ! — Yannis la Macchia : Exactement. Mais pour faire exactement la même chose et pour garder ces mécanismes là, qui existent complètement dans différents types de lecture, sur livre, qui existent, pour que cette sensation là, ce truc là soit pareil sur écran, tu peux pas juste scanner des livres, ça, ça marche pas. Il faut tout repenser différemment. — Alexandra Achard : C'est pour ça que je dis que dissocier l'acte manipulatoire te permet, à un moment donné, de passer outre les réalités esthétiques qui sont fausses et qui font la plupart du temps rester dans le livre parce qu'on sait pas trop comment ça marche et qu'on n'a pas dissocié ces choses-là. Et quand tu dissocies, tu ouvres des portes. Moi ça m'excite à Max d'avoir un objet qui est la carte et le truc hypertexte parce que c'est la même chose, c'est exactement pareil on l'a inventé pareil, d'ailleurs. — C. de Trogoff : Après il y a de nouvelles possibilités… — Alexandra Achard : Et comme la machine ne crée pas des trucs toute seule, on retrouve toujours un mécanisme qui existe déjà autrement. — C. de Trogoff : Mais dans l'illustration, dans le dessin, il invente de nouvelles choses parce que cette possibilité technique est là : il a transformé son image par ce mécanisme de clicage ou pas, ça enrichit. — Yannis la Macchia : Concrètement avec Oriane, moi j'ai proposé de faire une grande fresque, une frise dans laquelle il aurait des éléments cliquables qui amènent à des strip et ensuite tu retourne sur cette frise. Et ça, c'était la contrainte de base et je l'ai vu, parce qu'on va dans le même atelier, pendant le moment où elle créait et construisait pas à pas son récit. On s'est posé pas mal de questions, il y avait toute une réflexion et c'est clair que toutes ces questions là, elles ne seraient jamais apparues si elle avait fait un livre. Et ça aurait jamais pris cette direction là et au final, le truc qu'elle a fait c'est un objet cliquable — assez conséquent d'ailleurs — mais qui est indissociable de ce support là. — C. de Trogoff : Ce qui est incroyable avec ce genre d'objet, c'est que tu peux prendre des chemins de traverse et tu peux faire des choix à chaque instant, quand tu fais quelque chose de cliquable, par exemple sur une image et que tu as le choix de la prendre dans un sens ou dans un autre mener à un autre endroit où là tu auras encore le choix d'aller dans un sens ou dans un autre etc., j'ai fait ça en ligne pour des photos. — Yannis la Macchia : Il faut se méfier parce que tu peux tout faire, en fait, tu peux faire des trucs incroyables… — C. de Trogoff : Mais il faut que ce soit construit. — Alexandra Achard : L'importance de faire des choix ! — C. de Trogoff : En tant qu'auteur en tant que lecteur ? — Alexandra Achard : En tant qu'éditeur ? — Yannis la Macchia : Là je parle du rôle de l'auteur, ce qui est intéressant à faire, tu peux dire : moi, ce que j'ai envie de travailler c'est ce point là et ce point là et ce sera la direction dans laquelle tu vas. J'ai l'impression qu'il faut… Tu disais avant, c'est dommage de pas utiliser les liens hypertextes et moi c'est vrai je propose à mes auteurs de faire ça mais en même temps, je pense que si un jour quelqu'un me propose un projet qui est complètement cohérent et qui utilise pas ça, je trouverais pas ça dommage, je trouverais ça OK parce que tu peux tellement tout faire que, de toute façon, tu dois faire des choix et si tu élimines certains trucs, c'est tant mieux. — C. de Trogoff : L'auteur qui l'année dernière avait fait le buzz, j'ai oublié son nom, qui avait fait ce livre où tu arrives dans une maison et tu vois des cases qui appartiennent à d'autres époques. — Alexandra Achard : MacGuire. — C. de Trogoff : Oui, lui, en choisissant le papier, c'est comme s'il nous avait obligé à suivre une direction. Il utilise comme un lien hypertexte, il éclaire certaines zones de l'histoire de la famille ou de la maison mais de zones choisies à ta place. Il les fige. Alors que, tu vois, tu serais en ligne tu pourrais aller là, où là, où la. — Alexandra Achard : Là tu fais un rapport aux découpes de superpositions de fenêtres qui seraient en même temps mais ça c'est le truc que j'expliquais dans l'article, quant à son histoire, c'est une artificialisation de son histoire : en mettant de manière superposée des tranches d'histoires qui sont synchronisées par un même lieu unique, tu fais une mise en abyme et au lieu de construire le récit de manière linéaire, tu épaissis en tranches, en coupe. — C. de Trogoff : Mais il manque le choix du lecteur dans ce qu'il a fait, ça aurait été possible d'ouvrir. — Alexandra Achard : Il te donne l'illusion que ça aurait été possible, à moment donné il a choisi 1964,1969 et -1400 à superposer ces trois moments-là, ça ne veut pas dire... Il te donne l'illusion que tu aurais pu choisir 1402, c'est-à-dire que toi-même tu aurais pu mettre d'autres couches. Dans d'autres récits dans n'importe quel autre récit, tu es toujours soumis à ce qui t'es dicté. — C. de Trogoff : Mais là, j'ai senti la contrainte particulière de cet auteur sur lelecteur quand il a fait ça, parce qu'il nous laisse miroiter une possibilité de choix infini mais nous contraint dans ses choix lui et donc de sens très frustré par ce livre. Je reprends l'exemple de Phillippe de Joncheere, il avait fait une interface, à un moment donné, avec ses photos où les photos apparaissent de façon aléatoire et elles sont cliquables : si tu les attrapes et que tu cliques, tu vas dans d'autres endroits et ça va faire apparaître d'autres photos de façon aléatoire qui vont amener dans d'autres endroits. Tu as une possibilité n puissance, je ne sais pas combien ! ça veut dire que toi, tu le fais chez toi, moi je le fais chez moi, on n'aura jamais la même image et on n'aura jamais la même association d'images parce qu'elle sera apparue de façon aléatoire, et que chaque clic déterminera un choix. Mais Maguire, c'est comme s'il m'avait dit : « tu vois, il y a une infinité de possibilités mais je vais te contraindre dans celle-là, et je te montre que cette image là ». — Yannis la Macchia : Tu parles du livre mais il a fait une application aussi. — J'avais vu sur la jaquette qui faisait de l'animation et je me disais : « c'est trop con qu'il l'ai pas fait en animation, son truc ou en tout cas de manière interactive ! » Parce que c'est un livre qui te semble interactif et qui te rappelle que le support papier n'est pas si interactif que ça. — Yannis la Macchia : C'est vrai. — C. de Trogoff : S'il l'a fait, c'est génial ! — Alexandra Achard : Moi je cherche à savoir une chose qui un peu dramatique à entendre là, c'est : quel est l'espoir de développer une production numérique, étant donné que la machine n'a été programmée que par l'homme et qu'on ne peut pas imaginer ce qu'on ne connaît pas, on a codé les machines pour faire mieux et plus facilement ce que l'on sait faire manuellement. Est-ce que tu es allé au bout de la question ? Et comme tout à l'heure je faisais la transposition entre le lien hypertexte et déjà, le fonctionnement d'une carte découpée dans une carte routière qui fait les mêmes renvois, sauf qu'on voit dans la carte papier le tour de magie — qu'on a fait disparaître pour des raisons de rapidité sur l'ordinateur— est-ce que tu penses qu'on peut trouver d'autres moyens de manipulation avec l'ordinateur que ce pour quoi il a été prévu de faire ? — Yannis la Macchia : Bien sûr il y a plein de gens qui font ça. — Alexandra Achard : Mais moi, je demande des exemples, je veux voir, je veux vérifier. — Yannis la Macchia : Juste dans l'image, sans parler d'algorithme et de programmation, il y a plein d'accidents qui peuvent apparaître et on voit plein d'auteurs, même dans les auteurs qu'on lit qui utilise ces trucs-là le faite de, tu cliques avec tes pots de peinture sur PhotoShop dans un dessin et ça remplit des zones et ça fait un truc bizarre, c'est déjà un accident. — Alexandra Achard : Du coup, tu l'utilises… c'est pas un accident, c'est un hasard, l'introduction, l'utilisation d'une technique dans le but qu'elle fonctionne mal ou qu'elle fonctionne de manière aléatoire, un usage du hasard. — Yannis la Macchia : Mais l'ordinateur c'est un outil comme les autres et il est prévu pour quelque chose. — Alexandra Achard : Oui, oui mais c'est un outil qui est conçu pour faire plus vite ce que les autres outils faisaient déjà. Par exemple quand tu inventes le tracteur, c'est parce que ça fait chier de passer la charrue, on invente un outil pour se décharger de faire directement. — Yannis la Macchia : L'ordinateur c'est la même chose. — Alexandra Achard : Oui c'est pour ça que j'imagine… — Yannis la Macchia : Il y a des gens qui vont l'utiliser pas de la manière dont il a été conçu, qui vont l'utiliser pour faire autre chose que ce pour quoi il était prévu. — Alexandra Achard : Oui, mais ce moment-là arrive quand tu as conscience de ce sur quoi tu veux intervenir et là, actuellement dans la bande dessinée, je suis peut-être à watt 1000, mais de ce que je lis, il y a peu de gens qui ont conscience de ce sur quoi il faut agir pour que ça change. — Yannis la Macchia : Mais tu vérifies j'avais ça ! Quand tu dessines sur du papier tu vérifies pas, tu vas pas vérifier si quelqu'un l'a fait avant. — Alexandra Achard : Je dis pas de la vérifier mais ont parle de pertinence d'utiliser des outils informatiques pour produire une bande dessinée hors le livre sur un mécanisme manipulatoire. Donc, du coup, comment tu peux expérimenter juste ça ? La question elle vient de l'exigence que tu mets dans ton propre travail, hein! C'est pas une critique. Je trouve ça super excitant, et comme à un moment donné tu défends la manipulation et que tu pars sur une bande dessinée numérique. — Yannis la Macchia : Je suis désolé j'arrive pas comprendre ce que tu dis… — Alexandra Achard : Tu sors du livre et tu passes sur l'écran et tu t'attends à provoquer des manipulations qui sont différentes… — Yannis la Macchia : Quand tu parles de manipulation tu parles de quoi, tu parles du lecteur ? — Alexandra Achard : Du lecteur et de l'utilisation du rapport à l'objet qui est produit, du lien qui se passe à ce moment-là, quand tu disais : je propose une énorme fresque gigantesque dans laquelle on peut cliquer y'a des sous-récits et des sur-récits, des strips et quand tu as fini le strip, tu reviens sur la grande frise... ça, c'est ce que j'appelle manipulation de la lecture ou un procédé de lecture qui serait… — Yannis la Macchia : Un mécanisme de lecture. — Alexandra Achard : Que j'imagine propre à l'ordinateur, du fait des accidents qui se produisent, comme tu disais tout à l'heure. — Yannis la Macchia : à la lecture, ou dans l'image ? Dans la lecture ? — Alexandra Achard : Dans la lecture par rapport à l'objet. Comment tu sais, comment tu choisis d'aller vers tel ou tel endroit ? Par exemple quand tu as choisi de faire cette grande frise qui fournirait des points cliquables. — Yannis la Macchia : C'est des questions que l'auteur se pose, à un moment donné, il décide de faire en sorte que le lecteur puisse faire ou ce choix là ou ce choix là. — Alexandra Achard : Du coup, c'est un moment, une porte ouverte, où on essaye de faire de nouvelles choses par rapport à ça et on voit comment ça se construit et toi tu reçois ça et qu'est-ce que tu en fais après ? — Yannis la Macchia : Tu parles de moi en tant qu'éditeur ? — Alexandra Achard : Oui en tant qu'éditeur maintenant. (Rires) C'est de ta faute, c'est toi qui as mis trois toi ! — Yannis la Macchia : Moi, ce que je propose aux auteurs, par exemple avec cette fresque, je leur propose un format, c'est-à-dire une fresque plus ou moins longue avec une grande image dans laquelle ils mettent ce qu'ils veulent et qu'ils peuvent utiliser pour créer un mécanisme de lecture, mais le mécanisme de lecture ce n'est pas moi qui le crée : c'est toujours l'auteur qui le crée et là, c'est ce que je propose en tout cas, là, c'est ce que je propose aux auteurs avec lesquels je travaille et c'est l'auteur qui décide de savoir comment il va indiquer au lecteur ce qu'il doit faire. Il y a juste la matrice. Par exemple Oriane elle a décidé : elle a du noir et une teinte et il y a juste une légère variation dans la couleur pour suggérer qu'il y a un endroit cliquable, voilà, ce sont des choix qui sont propres à l'auteur. — C. de Trogoff : Les amis, Laurent s'inquiète terriblement il faut que je l'appelle pour lui dire ce qu'on fait. — Yannis la Macchia : Je crois que les autres m'attendent aussi. — C. de Trogoff : C'est quoi l'endroit où on est ? — Alexandra Achard : Le truc gros Bourges en face de la mairie. — Alexandra Achard : Ce qui me paraît chouette c'est que, peu importe ce que ça va donner, t'obliges l'auteur en lui proposant ça, ce partenariat-là, à justement réfléchir à quelque chose, peut-être, auquel il ne réfléchissait plus trop quand il était par rapport à quelque chose qu'il connaissait. C'est-à-dire que tu sapes les bases en lui disant : attention, là, ça va pas fonctionner pareil alors que ça va peut être fonctionner pareil. — Yannis la Macchia : Le but c'était de travailler avec des auteurs qui ont envie d'essayer quelque chose. — Alexandra Achard : Quels sont les retours que tu as par rapport à ça, sur ces expériences ? Il y a forcément des retours des auteurs qui ont dit oui et qui se disent après l'avoir fait, que ça va changer des choses dans leur travail à eux, quand ils retournent au livre, ou pas ? — Yannis la Macchia : A leur retour au travail sur papier ? J'en sais rien. — Alexandra Achard : Tu vois ça, ce n'est pas un truc de manière orgueilleuse, mais en ayant fait ça, quand tu as des automatismes, parce que vous avez tous des formations, tu es allé aux arts déco… — Yannis la Macchia : Sans doute que ça change quelque chose, mais c'est toujours dur de savoir ce qui change et ce qui ne change pas, ça peut être très intime aussi. — Alexandra Achard : Tu disais tout à l'heure que tu te sentais bloqué sur un truc technique avec l'objet, tu as vu une porte ouverte... Ce serait intéressant de voir, après avoir fait ce partenariat-là, avec la maison « Hécatombe » comment ils repartent dans leurs travaux extérieurement. — Yannis la Macchia : Le mieux ce serait de leur poser la question, oui c'est intéressant. — Alexandra Achard : Oui, voir l'incidence d'un changement technique sur la façon de s'exprimer. — Yannis la Macchia : La technique elle a déjà une incidence sur cette œuvre-là. — Alexandra Achard : Oui, mais elle aurait vraiment une incidence réelle si elle était embarquée avec la personne. — Yannis la Macchia : Pourquoi ce serait plus réel ? — Alexandra Achard : Parce que n'est pas propre à un moment, elle n'est pas propre à juste, l'utilisation du numérique. S'il y a un mécanisme qui s'est débloqué, s'il y a une prise de conscience de quelque chose qu'on peut faire, de quelque chose qui n'est pas dû à ça ou ça, mais qu'on peut vraiment avoir une action dessus, ça doit se retrouver ailleurs. — Yannis la Macchia : Peut-être que ce sont des auteurs qui ne vont plus faire que ça après, parce que ce sont des œuvres en soi, tu vois. — Alexandra Achard : Oui, ce n'est pas juste une expérimentation, il y a une autonomie, je ne réduis pas, je dis pas du tout que c'est juste une tentative de faire autrement. Je cherche après, ce qui peut se passer, quelle trace ça peut laisser. — Yannis la Macchia : Peut-être que c'est un peu frais parce que la plupart des auteurs n'ont pas encore fini de travailler. Il faut sans doute laisser reposer un peu, mais,à un moment donné, il faudra leur poser la question, c'est clair. C'est hallucinant, ils ont, à fond, bossé ! Pour la plupart, ils ont fait que ça, pendant deux, trois mois, moi j'ai fait que ça pendant ces trois ou quatre derniers mois, mettre en place ce truc-là. — Alexandra Achard : On peut déjà voir les premiers aperçus au stand. — Yannis la Macchia : Il y a les cartes de code. — C. de Trogoff : Il faut aller voir. — Alexandra Achard : Oui parce que l'objet ne dit pas la même chose que le discours. — Yannis la Macchia : Il y a des cartes de codes qui sont disponibles, il y a une version bêta qui est en ligne, mais qui comporte encore pas mal de bugs en fonction des navigateurs qu'on utilise. — Alexandra Achard : Et du coup, ça, ça rentre dans les accidents ou pas ? — C. de Trogoff : C'est une question intéressante parce qu'on sait jamais comment la personne va recevoir chez lui la chose : suivant la définition de son écran, la colorimétrie, le navigateur qu'il utilise, est-ce qu'il regarde sur son téléphone... Quand on fait des œuvres Web, il vaut mieux, toujours, imaginer le pire qu'il est à l'autre bout de la terre, qu'il a un tout petit écran, qu'il n'a pas une connexion fiable… — Yannis la Macchia : Exactement les questions qu'on se pose en ce moment avec les mecs qui s'occupent de la programmation. — C. de Trogoff : Maintenant, beaucoup de gens regardent sur leur téléphone et donc en tout petit. — Yannis la Macchia : Mais là, par contre j'ai vraiment demandé aux auteurs de travailler sur des formats, en tout cas, y'a pas l'idée que ce soit absolument lisible sur un téléphone… (Laurent arrive) — C. de Trogoff : Et bien, il nous reste à remercier Yannis La Macchia pour cet entretien très intéressant. — Yannis la Macchia : Je suis très content de cette interview ! (rires) — L. L. de Mars. : Je suis désolé de t'avoir mis dans les mains de ces deux folles ! — C. de Trogoff : C'est confirmé, Yannis est aussi fou que nous, il est bien fou, comme nous ! (rires)
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