Entretien réalisé en Juin 2018 à rennes, Sébastien a eu la gentillesse de revenir sur le texte de notre entretien pour l'enrichir de ses commentaires, revenir sur quelques trous de mémoire, erreurs factuelles, decriptions incomplètes.
(penchés au-dessus de l'Ekphrasis de Sébastien réalisée pour le Pré carré n°11)
— (Sébastien Lumineau) C'est drôle… c'est vraiment un truc… Ah, ça oui, c'est… C'est celle-ci que j'aurais dû faire... — (L.L. de Mars)Je connais pas l'auteur de ça, je vois pas… — (S.L.) C'est Benjamin Adam. — (L.L.d.M.) C'est assez laid, mais c'est intéressant. — (S.L.) Au niveau dessin, je trouve pas ça si laid. ("Pas si laid"... tout autant que le dessin de Franquin ou je ne sais qui d'autre ; la finalité du "beau" (notamment et peut-être surtout en bande dessinée) est quelque chose qui m'échappe.) Par contre, c'est très systématique, quoi. Il y a quelque chose de… C'est des dessinateurs, j'arrive pas à comprendre où va se situer le plaisir du dessin… Tellement il est, je sais pas comment te dire… Un peu comme Chris Ware, tu vois, au bout d'un moment… Le but, va au-delà du dessin, quoi… — (L.L.d.M.) On peine à imaginer le plaisir… — (S.L.) Je sais pas si on prend plaisir à dessiner de façon aussi précise. Aussi peu lâchée… Comme si en fait le dessin, était un… Un acte secondaire, tu vois pour un but…Mais je suis persuadé que je me trompe, car il y a une finalité. Et j'avoue que je peine sur certaines images, et je suis persuadé de leur utilité.
— (L.L.d.M.) Oui. Selon moi, dessiner, c'est vraiment ça : dessiner c'est à la fois spéculer, enfin, comprendre le monde, le traverser… Mais il faut pas qu'on pêche tous les deux par manque d'imagination non plus : je pense que, dans ce côté un peu névrotique de Chris Ware ou d'autres, il y a une vraie conduite du corps et de l'esprit, qui pourrait, je sais pas, être un ascétisme, tu vois… Une pratique quasi spiritualisante… C'est pas inimaginable. C'est pas parce que on a développé tous les deux, par exemple, une façon de faire plutôt vitaliste, enfin, qui suit les vibrations du dessin comme une opportunité de toucher, je dirais, au crépitement même qui fait le jeu des formes telles qu'elles apparaissent comme objet du monde, et peut-être même… La vibration propre de l'existence ? (rires) Mais je pense qu'il y en a plein d'autres qui nous échappent... Je me pose souvent la question devant un dessin rigoriste : mais qu'est-ce qu'ils branlent, les mecs ? Comment ils ne se font pas chier ? Qu'est-ce que je ne comprends pas ? Où se retrouvent-ils et que je ne vois pas? Ah ! Les voilà ! — (C.de Trogoff) Voilà, je suis gentille : je suis allé chercher Alexandra et tout. — (L.L.d.M.) En tout cas avec Chris Ware, je ne me pose pas la question. J'ai vraiment l'impression qu'il y a une… (cliquetis d'objets, installation, échanges incompréhensibles). Oui bon, tant qu'à faire, on va faire comme ça. Comme ça, on ira plus vite, et après on ne se pose pas la question… — (C.d.T.) Mais du coup il te faut une place, là ... — (L.L.d.M.) Attends, pour l'instant je m'en fous un peu… On va le poser la sur la table… — (C.d.T.) Ah et je m'excuse, là je fais du bruit dans le micro avec le bazar ! — (L.L.d.M.) Attention avec le fil ! bruits de tasse. Brouhaha. Échanges incompréhensibles. — (Alexandra Achard) Attends est-ce que tu peux me passer la... Tu peux… — (C.d.T.) Tu prends aussi ça ? Moi je vais prendre un cidre. — (S.L.) Bon, ce qui est marrant, c'est qu'on parle tous en même temps, "alors, on va prendre du cidre"… tout ça…(blague très drôle, parce que le cidre, vraiment...) (en réalité, je ne comprends absolument pas ce que je dis) — (A.A.) Ben oui, ça va ressembler à ça. — (C.d.T.) Ben là on va peut-être pas retranscrire tous les passages où on est en train de se dire ce qu'on va boire ! — (A.A.) Tu rigoles, mais moi quand j'étais dans les entretiens avec Yannis (ndlr : Yannis La Macchia, dont l’entretien a été enregistré quelques semaines auparavant, à Angoulême), j'ai mis la parole de tout le monde, faut pas croire ! — (C.d.T.) Non !? — (A.A.) Moi je suis partante. — (L.L.d.M.) Pour ? — (A.A.) Pour faire une retranscription avec plusieurs niveaux de lecture, avec la musique de fond, si on arrive à capter les discussions à côté, avec les bruits de verre... — (C.d.T.) à la Sampayo, quoi ! Avec les bulles latérales qui surgissent… Des petits bouts de musique qui surgissent… — (A.A.) C'est très surprenant… — (L.L.d.M.) C'est étonnant, Hein ?! Tu es en train de caresser l'exemplaire de Sébastien, je te signale… — (A.A.) Pardon, excuse-moi, désolée ! — (C.d.T.) T'aimerais pas qu'on te fasse ça, hein ! — (L.L.d.M.) Te laisse pas faire ! (rires) — (L.L.d.M.) OK, on va peut-être commencer, j'imagine que t'as pas que ça à foutre de ta journée… — (C.d.T.) est-ce que je t'ai félicité pour tes dernières productions que tu nous as filées à Angoulême ? — (S.L.) Euh, probablement, à travers, euh — (C.d.T.) à travers L.L.d.M… (rires) ... mais des fois on est deux personnes séparées ! — (S.L.) Non mais j'imagine ! — (L.L.d.M.) C'est plus simple pour avoir des rapports sexuels. Quoi que. Rien n'est simple en la matière, et rien n'est vraiment séparé. (rires) — (C.d.T.) C'est le principe. — (S.L.) Il est pas encore sorti, c'est encore… Encore une adaptation — (C.d.T, enthousiaste) Ah ouais ! — (L.L.d.M.) "L'homme et la couleuvre"… je connais pas celle-là… — (A.A.) C'est aussi un… un La Fontaine ? — (S.L.) Ouais. — (C.d.T.) Que je ne connais pas non plus. — (S.L.) Mon idée, c'est de faire cinq fables. Très spécifiques, et qui puissent … être perçues aujourd'hui, sous une forme très actuelle. Très politique, on va dire.
— (L.L.d.M.) Attends, j'attends de l'avoir entre les mains pour de vrai… Une abominable musique d'accordéon commence — (C.d.T.) Ah non ! (rires) — (A.A.) Ah ! Ça va être dur, avec ça. (S.L.) — Merde... (L.L.d.M.) on va demander au barman de couper la musique. À table, les trois autres échanges quelques phrases brèves sur Le Guennec, enseignant que L.L. de Mars et Sébastien ont eu à l'université en commun, dans un cadre théorique qui est celui de Alexandra, la Théorie de la médiation de Gagnepain la musique s'arrête — (L.L..d.M., qui s'assoit bruyamment) OK ! — (A.A.) Ah, génial je comprends ce que j'écris… — (C.d.T.) Chaque médiationniste force ses élèves à se comprendre. — (S.L.) Ouais, c'est un peu… (rires) — (A.A.) c'est pratique pour diffuser la théorie… — (C.d.T.) c'est pour ça que ça se diffuse si vite ! — (L.L.d.M.) ça risque de prendre vraiment du temps… On comprend mieux un certain succès de la Médiation… — (C.d.T.) On a les explications… — (L.L.d.M.) On commence par quoi ? Vous avez une idée ? — (A.A.) Ben, pour les autres fois… On avait commencé par…Genre « qui tu es ? » (rires) — (A.A.) Bah non, mais après, on était partis. — (C.d.T.) et on montrait les productions, quoi… — (L.L.d.M.) Ouais, OK ; on peut aborder par la chronologie… — (A.A.) Moi ça me va. Ça me permettra de comprendre un peu, d'avoir des idées de questions à poser. — (L.L.d.M.) Bon, Sébastien… — (S.L.) Bon, je m'appelle Sébastien… Je suis né en 1975, à Argenteuil… J'ai passé 18 ans de ma vie en Vendée… — (A.A.) C'est bien, en Vendée ? — (S.L.) Ben, j'y habite pas... Je suis parti faire mes études en fac d'arts plastiques, à Rennes. En 93. Voilà. Je n'ai qu'un DEUG. Je ne vis pas de mon travail d'auteur de B.D. Donc je suis aussi maquettiste et je fais plein, aussi, d'animations… Enfin, des animations… Je suis intervenant dans des écoles. Voilà. — (L.L.d.M.) Intervenant en bandes dessinées ? — (S.L.) Là, cette année, ouais. Avec Jacques. Jacques Mahé (ndlr : Naz). — (L.L.d.M.) En bandes dessinées ? Le fanzinat est abordé aussi, par exemple ? La façon de fabriquer des… — (S.L.) Ouais. Oui parce que, en fait, on a suivi un projet d'écriture jusqu'à la fabrication du livre. Et donc, les élèves ont aussi cousu et encollé leurs livres. On les a fait bosser, quoi. Voilà. — (L.L.d.M.) Bon. Pour avancer, — il faut bien commencer par quelque chose — ton premier fanzine, c'est quelle date ? Enfin à peu près, mais juste pour situer dans l'histoire du fanzinat, les problèmes.
— (S.L.) Alors, le tout premier fanzine c'est, au lycée… j'ai rencontré Olivier Josso et Laure Del Pino, , que vous allez voir… Et ça a été un déclic, et du coup, je créé une Asso avec Fab et Tofépi. Je suis mineur encore, j'ai 17 ans… Et on fait notre premier fanzine parce qu'on se dit qu'on ne peut pas sortir un fanzine sans avoir une asso, quoi. Il faut que ce soit légal. — (C.d.T.) Ah ? Ça te paraît évident, toi ? Il faut que ce soit — (S.L.) Ah ouais, on se dit… on a tellement peur que… d'être contrôlé, quoi, tu vois ! (rires) — (C.d.T.) : Tu es encore étudiant, à ce moment ? — (S.L.) Non, je suis lycéen. — (C.d.T.) : Lycéen… c'est avant que tu viennes à Rennes, en fait ? — (S.L.) Voilà. — (L.L.d.M.) : Qu'est-ce qui te conduit à imaginer qu'il faut un cadre légal, pour quelque chose a priori d'aussi souterrain que la pratique du fanzine ? — (S.L.) Ben parce que… je suis dans un… J'ai aucune connaissance de ce que peut être un fanzine. — (L.L.d.M.) Et pourtant, t'en fait un ? — (S.L.) J'en fais un, c'est parce qu'en fait… J'ai presque envie de raconter tout le cheminement… Alors, je suis au collège. Je découvre et je lis Spirou. Je découvre Fluide Glacial. Je découvre (à suivre). Des revues plus adultes, et, dans Spirou notamment, il y a aussi des rubriques qui parlent des fanzines. Ce que c'est un fanzine, etc. Il faut bien voir que je suis en Vendée… dans un village de 500 habitants… La plus proche librairie, elle est à 20 bornes quoi. Tu vois, il y a vraiment un truc… Qui vend du Main stream, une librairie généraliste… Donc c'est vraiment pas évident… J'ai vraiment aucune connexion avec aucun underground ou quoi que ce soit. Donc en fait pour moi, à partir du moment où je découvre ça, parce que je découvre une interview d'Henriette Vallium, notamment, qui parle d'autoproduction, de sérigraphie (je ne sais pas ce que c'est, mais ça m'intrigue)… — (C.d.T.) Dans quel magazine, tu découvres ça, du coup ? — (S.L.) C'est… Bah ! Ça devait être dans Les cahiers de la B.D., je pense… Parce que, en fait, j'ai… Je peux avoir Les cahiers de la bande dessinée grâce à ma sœur qui part à Nantes faire ses études. Très grande ville, et donc du coup, elle va pouvoir se procurer des trucs que je ne peux pas me procurer en Vendée. Voilà grosso modo… — (C.d.T.) Tu fais tes commandes, tu dis à ta sœur, qui est plus âgé que toi, du coup… — (S.L.) Voilà. Et comme ça, j'arrive à avoir à ce truc-là, où je découvre par exemple Crumb, Shelton, et Henriette Vallium. Et je suis complètement, Euh... « Ah, mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? » Un truc qui m'intéresse, et que je trouve ni dans Spirou, évidemment, ni dans Fluide... C'est, euh, un inconnu quoi ! — (C.d.T.) Et à ce moment-là tu dessines déjà, ou pas du tout ? — (S.L.) Ah oui. Ah oui moi je dessine. — (C.d.T.) D'accord, c'est important de voir que c'est pas un déclenchement pour le dessin, tu dessines d'abord… Et t’es vraiment dans une pratique, c'est pas… — (S.L.) Ouais. En fait, à un festival rock, le festival rock de Fontenay le Comte, je rencontre Olivier et Laure de Brûlos le Zarzi... Et du coup, j'ai 17 balais… — (C.d.T.) Tu vas les voir, du coup ? — (S.L.) Je sais qu'il y a… qu'il y a des fanzines. Mais je ne sais pas qu'ils sont là, je ne connais pas du tout. — (C.d.T.) Mais tu sais qu'il y a des fanzines, et tu y vas. — (S.L.) Il y a des fanzines rock, que je connais pas plus que ça… Et il y a des fanzines B.D. Bon, ça m'intéresse, donc, je vais les voir. Je vois des gens qui sont plus âgés que moi, genre vingt balais quoi, il n'y a pas énorme de différence non plus !.. Moi je suis juste un lycéen, quoi. Et en plus ils sont hypers charmants, sympathiques, et… Voilà, on discute, ils ont des liens avec l'Association… Moi je découvre l'Association… Tu vois il y a plein de trucs… Je découvre surtout ça… Ils ont fait leurs premiers fanzines (Là, je crois qu'on peut mettre au singulier, car il me semble que Brûlos le Zarzi n'a eu qu'un seul numéro en photocopie, ça va avoir des « conséquences » pour nous par la suite, sur cet objectif de passer par l'imprimerie, comme une phase obligée, une progression, un but à atteindre — qui sera remis en question, évidemment), c'est de la photocopie. Et là je tombe des nues : ah bon, on peut photocopier ?! (rires) — (C.d.T.) Je... Mais c'est pas possible ! — (A.A.) : tu pensais que chaque numéro, il fallait les faire à la main ? (rires) — (S.L.) Non, mais je pensais qu'il fallait imprimer ! (ceci dit, enfant, à la mort d'Hergé, je pensais qu'il n'y aurait plus d'album — d'objet livre je veux dire — de Tintin. Je pensais qu'Hergé faisait tous les exemplaires sans doute... Mais je ne comprenais pas comment il pouvait dessiner exactement pareil, et surtout comment il faisait pour ne pas froisser, abîmer le papier ?!) (à 7 ans et demi... on est si naïf ?) (Par ailleurs, à l'époque, je n'ai aucun Tintin chez moi, c'est un ami à l'école qui les apporte, et je me souviens que cette réflexion sur la disparition des albums de Tintin suite à la mort d'Hergé, c'est devant Le Trésor de Rackham le Rouge, sur un banc de l'école, pendant la récréation.) — (A.A.) Ah ! Tu étais dans l'entreprise, en fait, d'une certaine façon ! — (S.L.) Non, mais c'est que… — (L.L.d.M.) : on est en quelle année ? — (S.L.) Ben, en 91,92… — (A.A.) C'est Yannis, aussi qui me disait, pour lui c'était tout de suite 500 exemplaires ! — (S.L.) Ben non, moi j'ai pas du tout accès à une photocopieuse là où je suis, et… La seule photocopieuse que je connaisse… C'est celle du Super U, et on va pas non plus tirer des caisses là-bas, tu vois ! Bon voilà… Ou, éventuellement les photocopieuses de… — (A.A.) Les bibliothèques ? — (S.L.) Bah non, il n'y a pas de bibliothèque là où je suis… Ma mère était enseignante. Donc, ma mère étant enseignante, je sais qu'elle peut faire des photocopies, mais… On va pas faire des photocopies et… Bon. Donc, ça ça été un gros déclencheur : « Ah ? On peut le faire en photocopies ». Et donc en fait, la semaine suivante, je vois Fab et Tofépi — Étienne — avec qui… On est au lycée ensemble… Et là, je leur dis : « ben on va faire un fanzine et on va le photocopier tout simplement ». Et là c'est — (C.d.T.) Et ils tombent des nues : « Ah bon ? On peut le faire en photocopies » ? (rires) — (S.L.) Celui qui tombe des nues, un peu, c'est Fab… Qui voulait faire de la bande dessinée, mais qui en avait jamais fait parce qu'en fait il attendait le moment où il ferait des études de bandes dessinées… Et on lui apprend comme ça, d'un coup que oui aussi, c'était un truc qu’on pouvait… Tu vois il y a des logiques parfois qui… Bref ! — (A.A.) Il lui fallait une autorisation. — (S.L.) Oui, voilà. — (C.d.T.) Quand tu es jeune, tu crois qu'il faut faire des études pour tout… Qu'il faut des autorisations ? — (L.L.d.M.) Tu dessinais en noir et blanc à l'époque, systématiquement ? — (S.L.) Non, je faisais aussi de la couleur. C'était hyper… Ce qui était drôle, c'est que, tu vois, des copies en fait, moi je dessinais un peu à la Franquin… Et puis après, j'ai découvert Tardi, alors j'ai dessiné un peu à la Tardi… Et puis j'ai découvert Moebius alors j'ai dessiné un peu à la Moebius. Et puis j'ai découvert Mattt Konture, alors j'ai dessiné avec plein de petits traits partout… Tu vois les premiers Mattt Konture, complètement tordus et tout ; je dessinais de cette façon-là. Tout était vachement... — (C.d.T.) tu as fait tes humanités finalement — (S.L.) Voilà. C'était une super formation, tu vois. Et donc, voilà. Je faisais très peu de couleurs, parce que c'était, c'était pas le plus… J'étais pas le plus à l'aise. — (C.d.T.) À ce moment-là tu étais… Tu disais je vais faire de la bande dessinée ? C'était clair dans ta tête, c'était ? — (S.L.) Ah ouais, je voulais en faire mon métier. — (C.d.T.) Ouais, d'accord. C'est pas un hasard, c'est pas un hasard de la vie. C'est vraiment quelque chose de… — (S.L.) Bah oui, parce que je… Même si en fait je me disais que c'était pas très sérieux — parce que tout le monde me disait que c'était pas très sérieux non plus — je me dis : « j'aimerais bien le faire », mais... Tu ne sais pas si tu le feras ou pas, quoi… — (L.L.d.M.) Je voudrais revenir au noir et blanc parce que… Pour aller directement aux fanzines. Est-ce que, au moment où la question de faire un fanzine se pose, est-ce que ça va déterminer les formes que vont prendre vos bandes dessinées, toi, Fab et Étienne, c'est-à-dire adaptée aux modes de production, ou alors vous n'en tenez pas compte du tout ? — (S.L.) Ben si, on va tenir compte du fait que c’est photocopié. Donc forcément, ce sera en noir et blanc. — (A.A.) C'est pas évident — (L.L.d.M.) Non, curieusement, c'est pas une évidence. Pour tout le monde. On en reparlera une autre fois. — (S.L.) On a essayé des lavis… Tu vois, des petites choses comme ça. Moi je le faisais pas… Parce que… Je voyais bien que le résultat ne me satisfaisait pas. (les photocopieuses de l'époque, ou du moins celles auxquelles on avait accès, ne numérisaient pas, il n'y avait de tramages, pas d'option « photo », le gris était vraiment restitué de façon incertaine, assez sale) — (A.A.) Du coup, vous avez expérimenté des possibilités, pour voir ce qu’une chose photocopiée pouvait donner, un autre… — (S.L.) En fait, ce qu'on va découvrir, ce que nous, notre but, c'est… Si par exemple on prend l'image de Brûlos le Zarzi qui est le trucs que Olivier et Laure, ils ont fait… Un fanzine photocopié, puis après ils sont passés à l'impress… À l'offset. Ah alors oui, bin, on va passer à l'offset ! C'était presque un truc... On va passer à l'offset quand même, après avoir juste photocopié… Je crois que j'en ai ramené, en plus… Je me demande… C.d.T. lui tend un fanzine — (S.L.) Alors ça, c'est imprimé. C'est Munster. Sauf que avant c'était photocopié, et ça ressemblait à ça. Tu vois. Nous, on s'occupe absolument pas de la maquette : c'est l'imprimeur qui maquette tout. On apportait nos pages... — (L.L.d.M.) C'est le premier, ça ? — (S.L.) Non. Le premier c'est photocopies toutes pourries... — (C.d.T.) Et t'en a pas des exemplaires, là ?… — (S.L.) Non j'en ai pas. — (C.d.T.) Donc nous, notre propos — enfin, notre propos… Notre intérêt — c'est pour moi le but de cet entretien c'est comment la possibilité d'avoir accès à des techniques influence le contenu. — (S.L.) Ah ben oui. — (C.d.T.) Donc là, on est en plein dans notre sujet : là tu ne prends pas en main la mise en page, parce que tu confies à un imprimeur. Mais c'est déjà un deuxième temps. Le premier temps c'est de la photocopie brute. Là, vous faisiez de la maquette, dans ces cas-là ? — (S.L.) Ben oui, on collait tout à la main. — (C.d.T.) Ça, ça m'intéresse. Est-ce que tu peux en parler ? Nous expliquer un petit peu comment ça se passe... Vous faites ça en petits ateliers ? Vous collez tout à la main ? — (S.L.) On prend un A4. Comme c'est plié en deux pour faire un A5, hé bien on colle pour faire le chemin de fer, et on colle directement les originaux sur le truc. Et des fois, on voit des traces de colle, de papier, on essaie de les effacer plus ou moins. — (C.d.T.) Oui, vous assumez pas forcément le côté sale qui peut être intéressant, vous évitez de… — (S.L.) Bin oui, on essaie de corriger le tout, quoi. — (C.d.T.) Et pour le lettrage, tout ça, du coup ? Les titres et tout ça ? Il y a des… — (S.L.) Bin tout est fait à la main. On a, enfin, Fab a — (C.d.T.) Vous découpez pas dans des journaux ? C'est fait à la main, tout est dessiné ? — (S.L.) Ouais ouais. Ça, ben ça, c'est tapé à la machine. On met des… — (A.A.) Mais là, on est déjà dans l'imprimerie… — (C.d.T.) Comment c'est fait, du coup ? Là c'est l'imprimeur qui va le faire ? — (S.L.) Non, ça c'est nous. en fait nous, on balance des pages qui font… ça, tout ça c'est nous qui l'avons fait, c'est un pavé de texte qu'on a tapé à l'ordi — (L.L.d.M.) il y a déjà les ordinateurs ? — (S.L.) Ouais. — (C.d.T.) attendez… Moi j'aimerais bien commencer depuis le début, excusez-moi… Donc, avant ça, il y a la petite chose qui est photocopiée, là, il y a déjà l'ordi, ou c'est… ? — (S.L.) Oui, en fait, le premier truc il est tapé, c'est assez drôle, par ma mère, dans son collège, sur un ordinateur, on imprime le pavé de texte qui sera collé. Ce n'est pas très satisfaisant, parce que le texte est pixellisé. Mais on est content quand même. Je me demande si la folio n'est pas faite comme ça d'ailleurs... . — (C.d.T.) Et là, c'est quel année ? — (S.L.) Ben, je crois que c'est (Il hésite très longuement)... — (L.L.d.M.) Je peux te dire un truc, le numéro huit est daté de janvier 95. — (S.L.) Ouais. Ouais. — (C.d.T.) On est déjà dans l'impression, là, je pense. — (S.L.) Ouais, mais je pense que… Là, les dates… Quand est-ce qu'on a sorti notre premier truc… — (C.d.T.) C'est pour voir la progression, pour voir en combien de temps vous êtes passés de la photocopie à confier ça à l'imprimeur… — (S.L.) Je pense, début 93… — (C.d.T.) Donc là, tu as quel âge ? — (S.L.) Ben oui, c'est ça… C'est ça… C'est ça, parce que je suis en fin d'année… Donc ça doit être février 93... (J'ai donc 17 ans) — (C.d.T.) D'accord, c'est important de savoir, parce que… Justement, comment la progression des possibilités de prise en main de certaines techniques, comment ça va changer votre contenu…Les formes que ça prend... — (S.L.) Le truc intéressant, c'est que, alors — c'est une anecdote, mais je trouve assez amusante — c'est qu'en fait, comme on sait pas du tout comment faire pour pour être dans la légalité — (C.d.T.) Mais ça vous préoccupe en tout cas… — (A.A.) Ça vous préoccupe, ou est-ce que pour vous ce gage de sérieux dans ce que vous faites, d'avoir un cadre légal ? — (S.L.) Non, nous, ça nous préoccupe. — (C.d.T.) C'est plutôt des angoisses, quoi ! — (S.L.) Voilà ! Voilà. Mais en fait, on est au lycée à Fontenay le Comte, là où il y a le festival rock, et en fait on va contacter quelqu'un à la mairie pour avoir des renseignements là-dessus, et en fait, je ne sais plus qui est cette personne là, un adjoint du maire ou je sais pas, qui accepte de nous recevoir après l'école, à 18 heures, un truc comme ça, et en fait il nous dit : « moi j'adore la B.D., na na na… », il est très chaleureux, nous parle de Cabu qu'il a déjà rencontré, et en fait il veut qu'on intègre son asso qui s'appelait Fontenaysie. — (En chœur) Fontenaysie? — (S.L.) En fait c'est une Asso culturelle… Ouais, fantaisie… — (L.L.d.M.) Un mot valise d'une grande qualité. — (S.L.) Voilà. — (A.A.) fonte nazie ! (rires) — (S.L.) Ce qui est génial c'est que j'ai quand même retenu ce nom, quoi… — (C.d.T.) donc il y a une rencontre, tout de même ? — (S.L.) Oui, une rencontre dans son bureau et tout… On est tous les trois dans un bureau… L'entrevue est assez longue il me semble, au moins une heure je dirais... Ce monsieur nous parle notamment de la possibilité de photocopier sur différents papiers de couleur. À mon avis, à ce moment précis, on est tous les trois d'accord pour penser que ce n'est pas ce qu'on veut, mais on n'ose pas lui dire (perso, je crois que je vois immédiatement les photocopies du bulletin municipal ou paroissial de mon village, c'est rédhibitoire). Fontenay-le-Comte, c'est une ville de… De la renaissance, et c'est plutôt… — (C.d.T.) Un peu mort. — (S.L.) Oui ! C'est complètement mort ! — (C.d.T.) Un peu muséifié. — (S.L.) Oui, mais sans avoir le prestige ni les moyens, pour mener…C'est aussi un trou perdu quoi. Moi, je dis, « on va quand même y réfléchir… On verra… » et du coup, on décide de faire notre Asso. On apprendra par la suite que ce monsieur de Fontenaysie n'est pas très enchanté de savoir qu'on ne va pas intégrer Fontenaysie, alors qu'on ne s'était pas engagés... Mais il est vrai que nous n'avons pas eu la politesse non plus de lui dire qu'on n'était pas intéressés au final... — (C.d.T.) Ah oui. Alors c'est quoi cette asso ? Vous êtes à trois, donc… — (L.L.d.M.) l’asso, c'est les taupes de l'espace ? — (S.L.) Oui, c'est ça. Notre No 1 est prêt en fin d'année 92, on attend sagement de faire tous les papiers nécessaires pour créer l'asso avant de le sortir. En fait, on a 17 ou 18 ans, et en fait on appelle ça les taupes de l'espace, on a juste dit ça en déconnant… — (C.d.T., qui rit) on sent la jeunesse… — (L.L.d.M.) A ce moment-là, vous ne vous posez pas du tout la question de la facture de votre travail ? Ça s'impose à vous que ça va être agrafé ? — (S.L.) Ben oui, c'est du A4 plié en deux, agrafé… On a même pas de massicot au départ, quoi. — (C.d.T.) Vous n'avez aucun matériel propre ? — (S.L.) Non. Rien. — (L.L.d.M.) C'est l'imprimeur, finalement qui se charge des finitions ? — (S.L.) La photocopie, c'est nous qui nous en chargeons. Fab a son permis de conduire. On va à La Roche-sur-Yon pour photocopier l'ensemble dans une boîte à photocopes. — (C.d.T.) Oui, au début c'est encore photocopié. Ça fait déjà un deuxième temps. — (S.L.) Oui, et en fait… Étienne a un contact avec un imprimeur dans sa ville à Chantenay — Tofépi — (S.L.) Oui. Voilà. Et donc du coup, à partir du numéro sept, on passe en offset. — (C.d.T.) Alors, ce que je voulais savoir, c'est la question du coût. Excuse-moi de poser cette question, mais elle est importante dans la… Dans l'évolution des choses. Vous avez donc 17 ans, vous n'avez pas de fric, alors comment vous financez votre chose ? — (S.L.) Ben on a dû… On a dû mettre de notre poche... On a chacun, je sais pas, je sais pas combien on a, tu vois. Mais c'est peu d'argent. C'est très peu d'argent. — (C.d.T.) Mais si ça coûte presque rien au début, dès que ça va passer à l'imprimeur ça va vous coûter ? — (L.L.d.M.) tu sais, les photocopies au début, c'était quand même un peu cher. — (S.L.) On avait dû mettre cent balles chacun, ça fait trois cent balles, tu sais à l'époque avec trois cent balles on a fait notre premier fanzine. (C.d.T.) — Et puis vous vendez après. — (S.L.) On a vendu. — (C.d.T.) Comment ? — (S.L.) Ben, notamment au lycée. Voilà, tout le monde est OK. Ça doit coûter cinq francs à l'époque. C'est pas cher… Et puis en fait on commence. On a dû faire quelques festivals, mais à peine, tu vois. C'était pas… On dépose chez... À la librairie du coin. Enfin, tu vois, des maisons la presse. Des librairies. — (L.L.d.M.) À cette époque, comment ils reçoivent le fanzine ? L'idée générale du fanzinat ? — (S.L.) Ils voient ça comme comme une activité, je pense « Ah, mais c'est des petits jeunes … Qui font un truc », voilà… — (C.d.T.) Oui, votre jeunesse joue un peu en votre faveur finalement, pour la vente et pour le reste. — (S.L.) Oui, je pense. Bon, on a ça, ça coûte rien, et on on met en dépôt, pis voilà. « C'est leur passe-temps à ces petits jeunes. Ça les occupe », je pense que c'est ça. On a Ouest-France qui nous interviewe ! On est dans le journal. Des petits jeunes qui bougent dans notre ville ! — (L.L.d.M.) Le nombre de pages, il est déterminé par quoi ? Par l'argent ? Par le pliage, ou ce que vous êtes capables de faire ? — (S.L.) On sait qu'il faut un multiple de quatre. — (C.d.T.) Ce que vous découvrez expérimentalement, j'imagine… — (S.L.) Non, parce que moi j'ai, j’ai fait vachement de bouquins à exemplaire unique. J'ai confectionné déjà des livres, en fait. — (C.d.T.) Aaaah ! Mais tu nous as pas parlé de ça ! — (S.L.) Non, mais quand j'ai neuf ans, enfant, je veux faire des revues, je veux refaire le journal de Spirou. Alors en fait, je fais différent… Je fais une mise en page… Une couverture, je fais le numéro un, je fais l’éditorial, je fais un sommaire, je fais tout à la main, comme ça... Cf. L'Avancée des travaux – nov. 2018 : Enfant, je faisais des journaux de BD, format poche, dans l’esprit du journal de Spirou, en exemplaire unique puisqu’il n’y avait qu’un original. Récits à suivre, gags, réalisme, dessin jeté ou minutieux, je mettais en œuvre l’illusion de différents dessinateurs : une BD façon Spirou de Franquin, une autre façon Timour, encore une autre façon Germain et nous… Je devais même essayer de faire à la manière de Génial Olivier, BD que je n’aimais pas, mais je lisais tout dans Spirou. — (A.A.) Avec un vrai contenu, ou c'est juste la forme ? — (S.L.) Avec un vrai contenu… Avec des histoires à suivre, des histoires réalistes, des gags en une page, etc. — (C.d.T.) Tu as ça, encore, chez toi ? — (S.L.) Hélas non… Parce que, à l'adolescence, tu as complètement honte de tout ça, tu mets ça dans un sac-poubelle, et puis marre. — (C.d.T.) Non ! Pas ça ! — (A.A.) c'est tellement dommage ! — (S.L.) J'ai quelques petits trucs… Qui me restent, en fait, mais je n'ai plus du tout… Ce n'est plus… C'est pas les journaux… Enfin, les journaux : les revues… [ndr : entretemps, en fouinant un peu, Sébastien a pu remettre la main sur quelques fascicules et nous les scanner] J'ai notamment conservé un livre relié cartonné. Car, je découvre en EMT (Education Manuelle et Technique) en sixième comment faire ces coins spécifiques aux livres cartonnés, comment le papier se plie et est collé au carton. En EMT, il s'agissait de faire un classeur. Mais cette technique est une révélation, car je vois bien qu'il s'agit des mêmes coins que les albums de BD : j'essaie de fabriquer des livres (à exemplaire unique) cartonnés. J'ai donc vers les 11 ans...
— (A.A.) Tu n'as pas pensé que ça pouvait être quelque chose qui serait vraiment… Parce que ça, c’est des choses qui sont précieuses pour l'évolution d’un artiste… De voir déjà comment tu t'empares, dès le débuts… enfin… — (L.L.d.M.) Des formes… — (C.d.T.) Oui, voir comment tu crées la tienne, dans des reproductions au début, mais sans limite extérieure possible, sans limite matérielle — (S.L.) Alors, c'est bizarre, y'a comme, il y a comme une contradiction, mais c'est passionnant, que je retrouve très souvent chez les gens c'est : à la fois tu te dis « il faut je sois dans la légalité », une association, ou ton copain qui se dit « il faut faire des études spéciales pour faire la B.D ».… Et tout… Et en même temps, de ton côté, tu n'hésites pas à t'approprier, le papier, les crayons, pour fabriquer des livres… Il y a quand même une contradiction entre le côté « Il faut apprendre, il y a un cadre », et d'un autre côté « ben faisons-le, on peut le faire »… — (A.A.) sans autorisation — (S.L.) Mais quand tu fabriques des trucs avec des feutres, quand je fabriquais des revues, des choses comme ça, c'était à un exemplaire… C'est que des originaux… — (A.A.) Mais est-ce que… Tu vois, moi ce que je trouve étonnant, c’est qu'il y a un monde, c'est le monde « je m'approprie les choses, finalement je peux les faire ; je peux le faire, même un exemplaire »… Et un monde où « ah! il faut un cadre, il y a la société »… — (S.L.) Mais après c'est diffusé et il y a le problème de ce qu'on est autorisé ou pas à dire : il y a la censure. Alors, c'est très naïf de penser à ça, parce qu'objectivement, on est très sages. Je ne pense pas qu'on se dise qu'on va être censurés, mais on pense qu'il faut tout faire valider. Au début, on envoie les exemplaires à la Bibliothèque Nationale, et il faut envoyer ceux-ci deux-trois jours avant la « sortie officielle », alors, il me semble qu'on doit attendre deux-trois jours avant de les vendre ! Vraiment ! Ha, ha ! — (A.A.) C’est le fait de passer à plusieurs exemplaires qui donne cette idée de — (S.L.) Ah ben oui, oui, forcément ! Du coup, l'idée la photocopie, c'est la baguette magique : « Finalement, ah ben ce que je fais en un exemplaire, finalement, je peux le faire en deux cent ! » — (A.A.) Ben oui, mais non. Parce que les livres du coup peuvent plus se libérer de la forme, c’est plus quelque chose que tu peux imaginer, expérimenter — (S.L.) Faut comprendre que ça, c'est vraiment quand je suis enfant, c'est pour moi — (C.d.T.) C’'est pour toi… Tu les montres pas du tout ? — (S.L.) Non, je les montre même pas. C'est vraiment un imaginaire, complètement… (rires) — (C.d.T.) ce n'est pas du tout non plus dans l'idée de faire une pratique, de travail non plus, il n'y a pas de prospective non plus — (S.L.) Ah mais moi j'ai envie de dessiner ! J'ai envie de… De faire de la bande dessinée. Je m'entraîne. Je souhaite faire des histoires… J’essaie même de faire des trucs que j'aime pas faire vraiment ; par exemple, je prends cet exemple-là, mais dans le journal de Spirou y’a une série qui s'appelait Génial Olivier. Je sais pas si vous voyez ce que c'était. C'était vraiment une horreur, c'était vraiment une horreur ! Je n'aime pas ça du tout. Et bien en fait, j'ai dû faire, à peu près… Parce que je me disais : « ah mais c'est la variété », etc. Il y avait un truc de justesse — (C.d.T.) Ah, tu as essayé de faire ton Génial Olivier !? Tu te la faisais psychorigide quoi ! — (S.L.) Complètement. Je me disais, il fallait au moins avoir essayé, parce qu'il y avait un truc au moins… — (A.A.) c'était, pour toi, lié au livre ? — (S.L.) Lié au livre ? — (A.A.) À l'idée que tu t'en faisais… — (S.L.) Je comprends pas ta question… — (A.A.) Ben, ça se présente comme ça, quoi… — (S.L.) Ah non, parce que c'était, c'était juste les originaux. Je fabrique… — (C.d.T.)
Mais c’est un livre, quand même ? — (A.A.) Il n'y a pas quelque chose d'agrafé, et plié, et puis un rajout de pages ? — (S.L.) Ah non, ça ressemble à rien de ça — (C.d.T.) : j'avais juste une question, c'était c'était à propos des premiers, ceux qui sont juste photocopiés, c'était à combien d'exemplaires que tu tirais ? — (S.L.) Ah ça, je te dirais bien que je ne sais plus. Ça ne dépasse pas les cent. Et sinon, je crois que le premier numéro au moins doit être agrafé par nos soins de la même manière dont je vous parle pour mes propres livres/revues à exemplaire unique, histoire d'économiser. On plie les feuilles A4 nous-mêmes. — (L.L.d.M.) Une question du format, en fait : je vois, là, que c'est un A5. À partir de quel moment… Il y a un moment clé dans la vie du dessinateur de bande dessinée où on change un truc, on comprend qu'on n'est pas obligé de dessiner à la même taille que le livre imprimé... — (S.L.) Ah oui, j'ai compris… Je dirais que c'est l'année où je suis allé Angoulême. Pour Munster, on doit tous, je crois, dessiner au format, car on colle les originaux directement sur la maquette papier. À mon avis, on sait que les photocopies de photocopies salopent notre travail. — (L.L.d.M.) D'accord. Déjà une petite idée du rapport entre l'original la reproduction. La question ne se posait déjà plus pour toi. Du coup quand vous dessinez votre fanzine, puisqu'ils sont en A5 dès le départ, jamais il n'ont été en A4 ? — (S.L.) Non. Non mais je pense, en fait, que moi je… Comme j'ai connaissance de Henriette Valium etc. C'est au collège que je découvre Henriette Valium ; je suis en troisième, un truc comme ça, et du coup je découvre via le magazine (à suivre), je crois, qui parle de différentes productions underground, Chacal puant, qui publie Henriette Valium. J'ai accès à Henriette Valium. Enfin je vais lire du Henriette Valium. Via (à suivre) donc, j'avais commandé des bouquins, un Chacal puant — (L.L.d.M.) Ah, c'est Chacal, qui diffusait ça, le zine de Blanquet… J'avais complètement oublié ça. — (S.L.) Oui, ils ont publié du Henriette Valium. J'ai commandé. J'ai dû avoir ces productions-là en seconde. Là je dois avoir 15, 16 ans, un truc comme ça. — (C.d.T.) Et là, tu fais à la fois du scénario et du dessin ? — (S.L.) Oui, parce qu'on essaie des choses, tu vois… Mais on fait encore du sous Fluide glacial… On fait de l'humour, des trucs… Voilà… C'est une forme très… — (C.d.T.) C’est très drôle, ça (rires) — (S.L.) Oui, si on veut…. — (C.d.T.) Et là tu fais le scénario, et Fab fait le dessin. — (L.L.d.M.) Dans un des numéros, qui est donc déjà en offset, on est d’accord, je vois qu'il y a des collages. Il y a un truc traité en collage… C'est toi qui fais ça ? — (S.L.) Ah oui, ça c'est une sorte de roman-photos, mais qui est tout dégueulasse… C'est une copine qui fait de la photo et qui « ah ouais, moi je ferais bien un roman-photos ! »… et voilà, on a fait — (C.d.T.) Ah ! C'est magnifique, ça, il y a des photos et du dessin en même temps — (S.L. ironique) oui c'est magnifique — (C.d.T.) Assez, oui ! — (S.L.) Le scénar est complètement… — (C.d.T.) J'ai pas dit le scénar, j’ai pas lu, mais c’est joli — (L.L.d.M.) Hmmm, c'est au niveau des romans-photos de Fluide glacial, ça aussi — (S.L.) Ouais, je pense même pire que ça... — (L.L.d.M.) On va essayer d'oublier le contenu. Moi, ce qui m'intéresse c'est à partir de quel moment… Enfin, des techniques qui posent énormément de problèmes, par exemple, en photocopies est-ce que le fait que vous soyez en offset a déterminé le fait que vous autorisez à faire ça ? — (S.L.) Ben oui, exactement. C'est-à-dire que à partir du moment où on passe à l'offset, où on sait qu'on va passer à l'offset, hé bien cette copine qui fait de la photo, on lui propose de faire un roman photos, c’est possible. « Ah, ok, c'est cool, je vais être imprimée correctement ! ». Je me souviens que pour ce passage à l'offset, je fais des pages à la gouache, en valeurs de gris. C'est un événement pour nous, car on peut enfin faire des gris sans que ce soit crado ! Mais la photogravure de l'imprimeur ne contraste pas assez : il n' y a pas de blanc et pas de noir, de plus, on voit aussi mes corrections : il y a des ombres au niveau des collages par exemple... Je ne crois pas que je referai du niveaux de gris, du moins pour avoir ce résultat-là...
— (L.L.d.M.) C'est donc ce qui est déterminant. Est-ce que ça veut dire que vous aviez déjà fait des essais en photocopies, et que c'était naze ? — (S.L.) Ouais, on sait que le niveau de gris ça ne passe pas du tout. — (L.L.d.M.) Est-ce que ça veut dire que, à l'époque, l'existence des trames de blanc qu’on pose sur les nuances de gris, avec les vieux photocopieurs, vous n'aviez jamais entendu parler de ça ? — (S.L.) Non. — (C.d.T.) c'est une technique qui s'est perdue entre ton époque et la sienne, peut-être… — (L.L.d.M.) C'est possible… Je vois aussi que vous n'utilisez pas de trame… Est-ce que ça veut déjà dire que, à l'époque, ça avait déjà disparu, l'usage des trames en bandes dessinées ? — (S.L.) En fait on savait… En fait on aimerait bien, à l'époque en faire, de la trame à reporter. Mais, apparemment on arrive pas à trouver ça. On sait pas où il faut chercher, on sait pas du tout… On est toujours, je rappelle, en Vendée. Il n'y a pas de magasin. Non, mais c'est vachement important, on n'a pas accès à ces trucs-là. J'ai l'impression parfois d'exagérer en décrivant ce territoire vendéen, mais je suis à peu près certain qu'il n'y avait pas de boîte à photocopies à Fontenay-le-Comte par exemple...
— (C.d.T.) Laurent (ndlr : L.L. de Mars) il en a encore de ces trucs-là, il en utilise encore. C'est vraiment un truc formidable, qui se découpe... — (S.L.) Quand on commence à utiliser de la trame, c'est quand on va arriver à Rennes : on va photocopier de la trame, et on va en coller. Je crois que les trames à reporter sont difficiles à trouver à l'époque, ça ne doit plus trop se faire, ou alors je cherche mal, ou alors elles me paraissent très chères. D'où le photocopiage de trames. — (L.L.d.M.) Question encore technique : ça, c'est dans le numéro huit, c'est très marqué, précisément, par le copy Art. C'est-à-dire que, on a une imagerie dont le contraste appuyé était obtenu par les effets de discrimination et de saturation de noir du photocopieur sur des graphismes, c’est typique des fanzines punk. — (S.L.) Ouais, alors que là, c'est pas du tout — (L.L.d.M.) Du coup qu'est-ce qui le détermine ici ? C'est un choix plastique ? — (S.L.) Ça c'est un essai, en fait, de gravure à la gouache. — (L.L.d.M.) De gravure à la gouache ? — (S.L.) C'est-à-dire que je découvre que en fait, si je badigeonne en noir —, je me rappelle plus trop comment je faisais, mais je badigeonnais de gouache et je gravais avant ça sèche. Et ensuite j'imprimais par-dessus… — (C.d.T.) oooh ! — (S.L.) Et voilà… Et ça donne ce côté un peu crado… — (L.L.d.M.) c'est un monotype, donc — (S.L.) Voilà, c'est un monotype.
— (C.d.T.) et l'idée t'en vient, justement, en regardant les magazines. Tu te dis, « tiens… Je vais faire ce genre », t’expérimentes ? — (A.A.) Là, t'as mis les mains dedans — (S.L.) Ouais, à l'époque j'expérimente graphiquement beaucoup plus qu'aujourd'hui, quoi, à notre niveau ; donc je fais plein de choses, j'ai trouvé que le résultat était intéressant... — (C.d.T.) c'est toi qui fais ça ? Oui, et ça n'a rien à voir avec ce qu'on peut voir dans les premières pages — (S.L.) Oui, mais je fais ça aussi, quoi : vraiment du Fluide, quoi ! Et c'est à la même époque — (A.A.) Tu es une personne très saine ! — (L.L.d.M.) C’est fascinant, de voir les deux côte à côte… Que tu puisses chercher des choses en même temps, ça dit que — (A.A.) Ça dit que tu est une personne très saine ! (rires) — (C.d.T.) ce qui est dommage, c’est que tu le fasses moins maintenant — (L.L.d.M.) C'est pas vrai ! Plus subtilement, mais dans les plis intérieurs d’une grande partie de L'avancée des travaux, il y a tout ça. C'est tout sauf unifié. Moi, j'y vois une très grande diversité plastique... — (S.L.) Je pense qu'un moment, tu sais ce que tu cherches. en fait, moi je me suis beaucoup intéressé à Fréon, qui n'était pas encore le Fremok à l'époque ; Fréon m'intéressait, — (L.L.d.M.) ou Amok — (S.L.) ou Amok, mais Amok m'intéressait moins… C'était juste dans la démarche, je connaissais moins — (L.L.d.M.) L'œil carnivore — (S.L.) Ouais, mais en fait très rapidement je vais plus être du côté de l'Association, ou Cornelius, parce qu'en fait, pour moi, ce qui est important c'est ce que j'ai à raconter par… Par les mots, même si eux racontent aussi par les mots. Mais en fait je vais laisser de côté toute expérimentation graphique, qui pour moi alourdissent ce que je veux vraiment dire. — (A.A.) Ça t'encombre ? — (S.L.) Ça m'encombre. J'ai envie d'être dans quelque chose de très simple c'est-à-dire : une plume, je dessine, et ça va me suffire. C'est ce qui va me servir d’écrit, en fait. Enfin, je sais pas comment dire... Je voudrais faire en quelque sorte oublier le dessin, je voudrais que ce soit quelque chose de passe-partout, presque. — (L.L.d.M.) c'est très curieux que tu dises ça, parce que la chose qui raconte le plus de choses chez toi, c'est vraiment ton dessin. — (S.L.) Mais le truc qui est très paradoxal… C'est-à-dire que je vais en fait supprimer tous mes effets… C'est un peu con de dire « mes effets », parce que si je vois un dessin d'une personne, tu vois, qui travaille la peinture… Tu vois, on pourrait dire que c'est que de l'effet… En fait, c'est réduire en noir et blanc quelque chose qui puisse être photocopiable… Simplifier, synthétiser pour que ce soit le plus proche d'une page d'écriture, d'un manuscrit, quelque part. C'est ce que je veux dire. Donc, en fait, je me débarrasse de ces expérimentations graphiques. Voilà, je fais juste un aparté sur un… — (C.d.T.) Alors, ici vous écrivez dans le numéro neuf, « malgré le succès grandissant de Munster, nous avons décidé d'arrêter le fameux fanzine bien et pas cher, parce que en plus de deux ans nous avons changé et Munster ne correspond plus à l'idée que nous en avions donnée au départ. De plus il nous semblait important de multiplier les productions au sein de notre association les taupes de l'espace ». Donc, là il y a une décision prise en 1995, pour le numéro neuf. — (S.L.) Oui là...Étienne est aux Arts déco de Strasbourg. Fab et moi on est à Rennes II (ndlr : Université de lettres et sciences humaines). à Villejean et en fait, ça nous gave… C'est un truc… On sent bien que, bon ben c'est très potache, c'est très sous Fluide glacial, on a envie d'autre chose, quoi. C'est-à-dire que, si tu veux, il y a ça qui nous est proposé, c'est Lucas Gian, que je n'ai jamais rencontré d'ailleurs… Y’a Fab qui s'expérimente à poser des trames… Ou des choses comme ça tu vois, on parlait du monotype. On a envie de faire quelque chose de plus... — (C.d.T.) De plus expérimental, du coup ? — (S.L.) De plus expérimental, peut-être, mais surtout de plus sérieux : on a envie de bien faire les choses. Et puis surtout, on en a marre de ce format et de cette dépendance à l'imprimeur. On se dit : « c'est con, on ne fait pas les choses ».
— (C.d.T.) Il y a Tony Papin, il y a Aliceu, il y a des gens qui… Qu'on connaît, qui sont — (S.L.) Tony fait plein d'autoproductions toutes expérimentales toutes incroyables... Aliceu, elle fait les Nork, on est un peu en concurrence avec le Nork, on va dire… On est les deux fanzines de Rennes II, quoi. Nous on se dit, « ça suffit, on ressemble trop aux Nork ! », on trouve ça trop pourri, en gros, c'est un peu ça. Et on envie vraiment, de se démarquer, et on va faire autre chose — (C.d.T.) C'est là Aliceu qui va rejoindre L'Oeuf, plus tard ? —(S.L.) Oui, c'est ça. Et voilà — (L.L.d.M.) Une question, simple : à l'époque, donc, vous connaissiez Tony Papin. Et Tony Papin, il fait déjà de l'expérimentation sur la facture du livre ? — (S.L.) Ah, oui oui oui. Il fait plein de trucs sur du papier Kraft, il fait des fanzines à dix exemplaires… Il fait des collages… Il a commencé la sérigraphie. — (C.d.T.) Tu sais ce qu'il est devenu, Tony ? — (S.L.) Il bosse toujours à l'académie. Il s'occupe du réseau. Je crois. — (C.d.T.) Ah oui, d'accord… Il a complètement laissé… — (S.L.) Il fait toujours plus ou moins du fanzine maintenant — (L.L.d.M.) Oui, il m'a passé un truc récent, sur le voyage, mais on s'en fout, c'est pas le propos : est-ce que le travail de Tony Papin, à cette époque, a des effets, des conséquences sur votre travail, votre façon de concevoir le fanzine ? — (S.L.) Complètement. Et d'autant plus… Il faut se dire aussi qu'on est à Rennes, et qu'on rencontre le Simo. De Jean-Michel et Joëlle (ndlr : Nylso et Jo Mannix). Donc un autre fanzine. Et eux, ben, on s’apprécie ; ce qui est très drôle c’est qu'ils nous voient comme des petits gars, quoi, sympathiques. Voilà. Ils nous disent : « Hé bien, allez à Identic ! » (ndlr : Identic est le reprographe choisi peu à peu par toutes les publications indépendantes, graphiques et littéraires, de Rennes, depuis la fin des années 90) — (C.d.T.) Ah ah ! — (S.L.) Et voilà comment viennent les choses… Donc, techniquement, on arrive à produire ça — (C.d.T.) OK. Donc : Judith et Marinette. Le journal de Judith et Marinette, tous les mois, c'est marqué…
— (S.L.) Non, tous les quatre mois. — (C.d.T.) Ah, pardon — (S.L.) Et on va conserver tous les quatre mois, coûte que coûte, même si il se passe un an entre (rires)… C'est complètement débile… C'est marrant… — (A.A.) Bon, d'accord vous continuez à écrire tous les quatre mois, même quand c'est pas vrai. — (S.L.) C'est un gag. — (A.A.) C'est ça. C'est bon de savoir, pour les futures archivistes, qui vont chercher les numéros… « Je comprends pas, j'ai vérifié partout, c’est tous les quatre mois » — (S.L.) On a fait tous les quatre mois justes pendant un an. Et après… — (L.L.d.M.) bon, d'accord. Juste une petite question... — (C.d.T.) C'est toi qui diriges, en fait ? — (S.L.) Ben, avec Fab ; et on rencontre Jean à la fac. Et donc, Jean intègre… Étienne suit pas ça du tout puisqu'il a intégré l'école de Strasbourg, et la technique ne l'intéresse pas. Encore aujourd'hui, il est assez étranger à tout ce qui est technique. — (L.L.d.M.) J'ai une question relative au format : là, vous passez à un format plus grand, qui s'ouvre en un peu moins qu'un A3 plié, donc qu'un A4. Là, vous avez choisi autre chose, vous massicotez-le A4. Ça m'intéresse pas mal, parce qu'il y a beaucoup de questions qui sont relatives aux rapports symboliques etc.… Cette question de massicoter un A4, c'est d'échapper au bureau ? Raconte-moi comment vous avez pris cette décision, c'est-à-dire, quand vous avez vu le A4. — (S.L.) On se dit : « on va faire un peu du comix », donc… Du comix comix (underground, car on connait maintenant Crumb, Julie Doucet, Seth, Jo Matt... je n'ai pas la référence aux comics de super-héros, je n'en lis pas) américain… Sauf que le format est un petit peu allongé, qu'il faut de toute façon garder un format économique, qu'on découvre l'existence du massicot à Identic… — (L.L.d.M.) Vous en achetez pas un, non ? — (S.L.) Non. C'est un massicot industriel, à Identic, dont on peut se servir. Voilà. Et du coup on peut faire du bord perdu. Voilà. — (L.L.d.M.) Quelqu'un vous a déjà expliqué comment ça marchait, les bords perdus ? L'un d'entre vous connais ça déjà ? — (S.L.) Je sais pas du tout comment on a apprit ça… Mais on a la possibilité de le faire.
— (C.d.T.) Oui, là, c'est vraiment la technique qui imprime qui vous… Qui vous donne la direction — (S.L.) Voilà. On imprime sur deux papiers différents : c'est-à-dire que là, on est sur du papier recyclé. Et là on est sur du papier blanc standard. Uniquement pour ces pages-là. Donc on fait vraiment un cahier central, uniquement pour les pages de Gian. — (C.d.T.) Donc, vous le choisissez. Vous choisissez à Identic, avec Jésus à l'époque, j'imagine ? — (S.L.) Voilà. — (L.L.d.M.) Et vous faites aussi une couverture couleur ? — (S.L.) Ouais, alors ça c'est des toners, c'est pas de la riso, mais c'est deux toners de couleur. On fait un passage rouge, et ensuite le passage noir. — (C.d.T.) Et donc, vous le demandez à Identic. Comment vous apprenez que ça existe ? — (L.L.d.M.) Là, on est en 96 — (S.L.) C'est eux qui nous le disent. — (C.d.T.) Ah, ils vous disent qu'il y a ça, et donc — (S.L.) Et donc on se dit : « tiens c'est intéressant, on va faire d'une autre manière » — eux, ils l'utilisent d'une façon particulière, nous on va l’utiliser d’un autre manière. — (C.d.T.) Donc, là il y a une technique disponible, et vous la détournez à votre profit.
— (S.L.) Voilà. — (L.L.d.M.) Le format, la découpe, elle est mimétique ; c'est-à-dire qu’il y a modèle mental que vous avez du fanzine, qui vient des comix américains, et que vous massicotez pour cette raison. C'est-à dire que c’est pas pour échapper aux côtés bureaucratiques du A4 ? Est-ce que vous sentez le poids de — (S.L.) Si ! C'est qu'on en a marre des A5 ! On voit que tous les fanzines sont en A5, ou en A4, on trouve ça moche. Ça pue la photocopieuse. Voilà. On veut faire en sorte que ça sorte… Qu'on puisse présenter… Et en plus ce qui est très drôle — même si ça paraît très curieux de dire ça — tu vois on vendait ça dix balles, le Nork ça devait être dix balles aussi, et là, bin on est à vingt. On double le prix ; on est vraiment sur… Sur un truc « maintenant on va être pris au sérieux »… — (A.A.) Il y a une identité qui naît du choix, et on l'affirme avec une augmentation du prix, la couleur, le choix du papier — (C.d.T.) combien d'exemplaires du coup ? — (S.L.) Je sais pas. Je sais pas. — (L.L.d.M.) Oui, ici, le prix, il n'est pas du tout proportionnel au passage de l'une à l'autre forme. Il est symbolique ? Parce qu'il est largement exagéré…Pour vous c’est un acte symbolique de le vendre si cher ? — (S.L.) C'est un acte symbolique, parce qu'en fait on va essayer d'aller à Angoulême, et d'avoir un stand, et on s'est dit : « on va faire les choses très sérieusement ». On n'est pas du tout conscient de ce que… De ce que peut être ce journal-là. On fait ça très modestement, mais très sérieusement. En fait, je ne pense pas que 20 francs, pour un fanzine à l'époque, soit si cher que ça. Et le format 18x26 cm du Journal de Judith et Marinette se fait sur du A3, donc, on double le prix, parce qu'on double le format et il y a bien une cinquantaine de pages (et je ne compte pas le papier spécifique (qu'on va finir par acheter à la source, à la Feuille d'Erable, car Jésus d'Identic nous le conseille pour économiser), les double-impressions...). Donc, non, je ne dirais pas que le prix soit largement exagéré, au contraire même. — (C.d.T.) Numéro un ; janvier 96. Et donc, c'est pour Angoulême que vous le faites. J’imagine. — (S.L.) Sauf que, on a pas de stand Angoulême. On ne l'aura que un an après. — (C.d.T.) À cause de l'argent, ou quoi ? — (S.L.) Non, c'est parce qu'en fait, ils n'ont pas de place. Ils ne nous connaissent pas, donc on a pas de place ; et c'est grâce à Guillaume Bouzard, que on va avoir un stand, l'année suivante. C'est-à-dire… C'est-à-dire que Bourgoin, qui s'occupe de la fanzinothèque, et qui s'occupe de l'espace fanzines (ndlr : la Fanzinothèque de Poitiers et espace réservé aux fanzines au festival d’Angoulême), on l'appelle, parce que on a toujours pas de stand et ça nous fait un peu chier… — (C.d.T.) Vous le connaissez d'avant ? Non vous le connaissez pas ? — (S.L.) Non, c'est juste lui, c'est Bourgoin qui s'occupe des stands. On avait envoyé notre demande le jour même où on a reçu le courrier de la Fanzino pour l'inscription. On sait que les places sont vite prises. Quand on apprend qu'on n'a pas de stand, on se dit que c'est impossible d'en obtenir un si on fait pas déjà partie du truc... Donc en fait il nous dit, « ben, téléphonez à Guillaume, il a un stand gratos parce qu'il a aidé à la déco du truc », et cette année apparemment, il va être moins disponible parce qu'il a commencé à publier dans Jade, dans Ferraille… Tout ça… Donc il était un peu ailleurs. Alors j'appelle Bouzard, et puis lui : « ah ouais, super, parce que du coup vous allez tenir aussi mon stand ! Ça m'arrange ». Et donc du coup, voilà. Et en plus, il est connu, il commence à être connu, donc il y a plein de gens qui passent. Et qu'est-ce qu'ils découvrent ? — (C.d.T.) Ah, vous faites la première partie de Bouzard! Finalement, comme dans un concert ! — (S.L.) C'est un peu ça quoi. Et là, c'est super, tout le monde dit : « beh c'est génial ! » Nous, on est là… On est fiers… — (C.d.T.) Combien de numéros vous avez, du coup? — (S.L.) On a trois numéros. On a ces trois-là. — (L.L.d.M.) « C'est génial », ça veut dire quoi ? Est-ce que ça veut dire qu'à l'époque, en 96, ça se distingue très très nettement des autres fanzines ? Je n'ai aucun souvenir de ce qu'étaient les fanzines à cette époque… Et ça m'intéresse pas mal.
— (S.L.) Déjà la couverture couleurs… Et puis il y a le format — (L.L.d.M.) Il y a quoi comme fanzines, comme revues autour de vous ? — (S.L.) Bah il y a… Je me souviens plus des noms… — (C.d.T.) Y’a le Simo — (S.L.) Ben, le Simo, qui se distingue lui-aussi par son impression, et là aussi c'est pareil, c'est qu'en fait il y a une qualité d'impression qui, c'est clair et net, les démarque — (L.L.d.M.) C'est la magie Identic… — (C.d.T.) L'entreprise de reprographie a beaucoup joué sur la réputation des publications rennaises — (S.L.) Oui, exactement. — (A.A.) Techniquement ça fait la différence — (L.L.d.M.) Oui, et puis humainement aussi. Identic, c'est vraiment des gens. Leur intérêt réel pour tout ça… — (C.d.T.) Il faut rendre un grand hommage à Jésus, qui nous emmenait dans son arrière-boutique, nous faisait choisir et toucher les papiers… Utiliser des machines — (L.L.d.M.) Tous les rennais du fanzinat ont bénéficié de tout ça, de ce rapport mythique — (S.L.) Oui, comme à ce moment-là personne n’a de Docutech (ndlr : ensemble machinique complexe de reprographie numérique créé par Xerox, faisant scan, tri, assemblage) de disponible comme ça, en France… Bon y’en a forcément, des Docutech, mais… Ah, oui, il y a une bichro, là-aussi… — (L.L.d.M.) Ah oui, là, à l'intérieur une bichro, en copygraphie. — (S.L.) Oui, j'ai proposé à Tony de faire une bichro, juste pour ça. — (L.L.d.M.) Parce que vous savez que c'est possible — (S.L.) Parce que c'est possible, et ça nous amuse de faire ça. Sauf que ça va être une grosse galère, parce que c'est un recto-verso, et ça fait quatre passages, qui passent en photocopieuse… Et le papier passe, il repasse dans le four, et du coup… — (L.L.d.M.) Le deuxième passage est alourdi, et du coup ça décale à chaque fois — (S.L.) Oui. (Et surtout le papier passe quatre fois dans le four, au quatrième passage, il se froisse) — (A.A.) Et à chaque fois vous avez le cahier central ? — (S.L.) Non. Pas systématiquement. On l'a sur les trois premiers… Non, sur les deux numéros, là. Et puis ensuite, on a juste au numéro trois, cette bichro-là — (L.L.d.M.) Quand vous changez de papier pour le cahier intérieur, qu'est-ce qui va déterminer le choix de ce papier-là ? — (S.L.) Ben c'est très particulier, parce qu'on a des pleines pages, et qu'en fait c'est très contrasté, et qu'on se dit qu'on va accentuer le contraste avec un blanc, un papier blanc standard, alors que paradoxalement, on ne veut plus de ce papier car le contraste avec le tuner de la photocopie est trop fort, on cherche plutôt à minimiser ce contraste. Mais ici, ce papier se prête tout-à-fait à ces pages-là. On réfléchit complètement sur le papier, on prend conscience de plein de choses par rapport à Munster, c’est clair et net. On fait des tests. Tout est monté à la main. — (C.d.T.) Et comment c'est fait, ça ? — (S.L.) Alors ça, c'est tapé à l'ordi. C'est imprimé ensuite, et là tout est collé à la main. — (L.L.d.M.) Vous présentez encore des feuilles qui sont collées, tapées sur l'ordinateur et ensuite… — (S.L.) En fait, on colle tout à partir de photocopies, parce que… Parce que ça c'est plus grand j'imagine, et qu'en fait, on fait un A3, sur lequel on a mit nos repères, et notre vis-à-vis de chemin de fer. Les recto-verso, on les gère : on fait une photocopie de cette maquette-là, et là ensuite, on gomme, on efface, toutes les impuretés au blanco. Et ça, ça va être notre matrice. Donc en fait, c'est une photocopie de photocopies. Identic numérise directement sur la vitre de leur Docutech nos maquettes sur papier. — (C.d.T.) Pourtant c'est très net… — (L.L.d.M.) Le montage de départ… Donc l'intelligence propre du chemin de fer qui consiste à anticiper le cahier comme unité, tête-bêche, c'est vous qui le faites, rien n'est mécanisé ? — (S.L.) Non, là, on gère tout ça. On a appris en faisant, mais aussi avec Le Simo, avec Tony Papin... Il y a aussi Julien Mellano qui commence à réaliser ces propres fanzines. Jésus nous conseille... On échange pas mal nos connaissances les uns les autres.
— (C.d.T.) Bon, là je vais poser la question que j'ai posée aux autres : est-ce que vous gérez… Est-ce que vous pensez en amont les cohabitations des auteurs entre eux, les uns avec les autres, comment ça va se retrouver à l'intérieur des cahiers ? Par exemple, une page comme celle-là elle est pensée… C'est toi qui gères ça, d'ailleurs ? C'est toi qui fais la maquette ? — (S.L.) Non, c’est avec Fab… Et Jean (ndlr : Jeanjean, auteur trop rare de fanzines, vivant et travaillant toujours à Rennes). On est trois sur tout ça. Voilà on est tous les trois, à confectionner ce truc-là. On réfléchit à ce qu'on va mettre... — (C.d.T.) Et vous collez ensemble ? Vous faites ensemble sur le plan de travail — (S.L.) Complètement. Et du coup, comme on en est à la fabrication manuelle, le fait de coller et de blancoter (ndlr :passer au correcteur blanc les taches) toutes les impuretés, on doit passer… Je me souviens de blancoter avec Fab et Jean-Jean dans ma chambre de cité universitaire. On fait des essais en numérique à partir du No 6, en juillet 1998. — (L.L.d.M.) Avant de passer au numérique, j'aurai une dernière question sur cette période : quel souvenir tu as des premiers obstacles techniques, à ce moment-là ? Les premières choses que tu affrontes, qui te posent problème, et qui t'ont obligé — (C.d.T.) En tout cas, c'est vraiment chouette, ça me plaît beaucoup — (L.L.d.M.) et auxquelles vous devez trouver des réponses ? L'image qui te vient en esprit en premier ? Un moment fort de l'angoisse du fabricant de maquettes ? — (S.L.) Je sais que par exemple… on fait des — peut-être que ça n'a aucun rapport — on récupère des textes issus du Petit écho de la mode pour faire les édito, parce qu'on se dit, ben, tu vois on se fait une idée de l'éditorial… — (C.d.T.) Je vois aussi une réclame ; du coup vous avez lancé une mode, finalement, parce que c'est devenu très — (S.L.) Ah ben complètement. Tu vois, on écrivait des éditos, et puis, en fait tu vois, quand j'étais en train de lire ça, j'avais un peu honte, je me disais « Ah la la, qu'est-ce que c'est lourd ! »… En fait, on va se débarrasser aussi de l'édito, parce que c'est pas nous qui allons l'écrire, on le récupère d'ailleurs. C'est complètement réactionnaire, c'est… C’est vraiment fait pour LA Femme, et… Là on se dit, il va falloir le faire très très précisément, bien le coller, bien droit. Ça peut paraître anodin, mais en fait on va être très très attentifs à ce que tout soit extrêmement bien posé. On fait des montages, alors je ne sais pas s'il y a ça là, je ne sais pas du tout… En fait c'est marrant, parce que je les ai ressortis du coup pour l'occasion… Par exemple, ça, ce genre de trucs. Ça, c'est une illustration issue du magazine, tu vois, on a fait bouger le bras. C'est hyper con, comme truc mais en fait, on va faire en sorte que toutes les illustrations qui sont issues de l'époque et qu'on détourne soient le plus… Comme si c'était véritablement une illustration du Petit écho la mode. Donc on va être très attentifs à ce truc-là, à la découpe ; on découpe, on truque, on blancote là où il faut, on essaie vraiment d'être dans un truc très... — (C.d.T.) Qui s'occupe des éditos, c'est vous trois aussi ? — (S.L.) On a une grosse pile, voilà. Et on lit les trucs, on se dit : « ah ben tiens, celui-ci il est vraiment pas mal. Il est drôle, il est complètement réac. C'est une horreur. Allez on y va, on met ça ». — (C.d.T.) Oui je disais avec Alexandra, vous avez inventé un truc, mais elle me dit que c'était déjà présent dans « le labo ». Vous avez connaissance de ça, « Le labo » ? — (S.L.) Non. (Je me demande si Alexandra ne parle pas plutôt de « Labo », si c'est bien ça, alors, je connais vaguement, je l'ai peut-être feuilleté à l'époque, mais c'est vraiment pas sûr) — (C.d.T.) Est-ce que vous connaissiez, justement, ces détournements ? — (S.L.) Non.(En fait, probablement que si, mais je n'ai aucun souvenir précis, quelque chose que je pourrais citer). J'ai l'impression qu'on faisait quelque chose de neuf (très naïvement). Disons que notre « habillage » était clairement une référence aux années 50, presque sans parodie. — C.d.T..) Bon, effectivement, c'était dans l'air. C'était dans l'air du temps de faire ce genre de choses. — (L.L.d.M.) Ce goût pour les vieilleries réac redessinées, ces images compassées, les réclames, c'est déjà dans Bazooka. — (S.L.) Oui, c'est vrai — (L.L.d.M.) Et ça a contaminé l'Asso, ça contaminé plein de gens — (S.L.) Et puis bon, moi-aussi à l'époque j'écoutais du rock alternatif, les pochettes, tout ça. Je suis de mon époque, quoi — (C.d.T.) Ah, c'est magnifique ça ! Tu as vu ? — (L.L.d.M.) Oui, c'est très beau. — (C.d.T.) Cette page là elle est… C'est qui qui fait ça ? — (S.L.) C'est Gian. Que je n'ai jamais rencontré, parce que c'était un mec qui était aux arts déco de Strasbourg avec Étienne. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Je ne l'ai jamais vu. — (L.L.d.M.) Tu allais parler juste avant, une première expérience de numérique. — (C.d.T.) alors, on est en quelle année ? — (S.L.) Alors, ça doit être à partir de ce moment-là, peut-être… Je sais pas… C'est peut-être à partir de ce numéro-là qu'on passe au numérique (il montre un numéro rose et bleu très vif). Ouais. Bon, la date en fait, j'en sais rien du tout (donc, essai numérique à partir du 6 : juillet 1998).
— (L.L.d.M.) Tu ne sais pas ? Il n'est pas numéroté celui-là, il n'y a rien dessus. — (S.L.) C'est peut-être celui-ci, je ne sais pas. On fait des essais, et c'est à 600 dpi… On fait des essais à 600 dpi parce qu'on nous dit que c'est bon pour le bitmap, que c'est la résolution qui est bien. Effectivement, à l'époque, 600 dpi c'est vrai que ça passait bien. C'est-à-dire que ça reste un minimum. Enfin, ce serait le minimum pour le bitmap, mais maintenant on est à 1200. Mais déjà c'est extrêmement lourd pour l'époque, le 600 dpi. Mais on a la possibilité de faire du 600 grâces à notre Docutech d'Identic. — (L.L.d.M.) Du coup, 600 dpi pour du bitmap, c'est pas cracra. Bon, et pour les niveaux de gris, vous traitez tout en 300 ? — (S.L.) Oui. — (L.L.d.M.) À cette époque, les reprographes, ils ont les moyens de traiter différemment les deux, entre les bitmap et des nuances de gris sans trahir l’un ou l'autre à l'intérieur du même document ? — (S.L.) Oui oui, tout fonctionne nickel. On fait notre première couverture en offset, où on fait une bichromie… — (L.L.d.M.) Ça, c'est de l'offset ? — (S.L.) Oui, c'est de l'offset. Du coup, là, vraiment, on gère des à-plats. Là, je l'ai pas, mais on fait une première couverture du bouquin de Tofépi, et avec plein plein plein plein de croisements de trames (c'est inexact : on fait en réalité plein de nuances à partir de la bichro, mais il n'y a aucune gestion de trames, d'où le problème du moirage – qui n'aura pas lieu, mais qui ternira les valeurs), ce qui fait qu'en fait, on fait deux fichiers séparés, mais on ne sait pas que les trames, il faut qu'elle soit croisées… Donc, on crée du moirage, qui ne se voit pas, mais qui grise le truc. Ça lui donne un ton très particulier, mais il n'y a pas de véritable effet de moirage — (L.L.d.M.) Ça, c'est pour un livre de Tofépi ? — (S.L.) Oui. C'est notre premier plantage en offset. Où on ne sait pas qu'il faut croiser les trames. En fait, on fait des trames superposées les unes aux autres et par miracle, il n'y a pas du tout de moirage, mais par contre un petit effet de gris. De grisâtre.
— (C.d.T.) Mais ça veut dire que vous publiez un livre de Tofépi, donc quelque chose hors Judith et Marinette ? — (S.L.) Oui. Mais je l'ai pas, là. Parce qu'en fait c'est Ferraille, à l'époque, qui proposait à Étienne de rassembler toutes les histoires des Caroulet, et donc du coup, la question se pose, est-ce qu'il doit le faire aux Requins marteaux ou chez nous ? — (L.L.d.M.) Là, on est en 2000 environ ? — (S.L.) Ouais, on est en 2000. Et du coup, on le fait par nous-mêmes, parce qu'on se dit qu'on en est capables. — (L.L.d.M.) Vous en êtes capables… et du coup, ça veut dire que vous changez de processus de diffusion ? Vous ne vous contentez plus de salon, vous allez en librairie ? — (S.L.) On est un peu en librairie, on a fait diffuser comme ça, mais ça nous intéresse pas vraiment, en fait. De diffuser. On fait des catalogues, pour présenter le truc, donc il y a quelques libraires qui le connaissent. On a entre guillemets le vent en poupe. Mais il faut être très relatif sur cette notion-là ! Mais disons que pour nous, c'est quand même 300 exemplaires, et on écoule les 300 exemplaires très facilement. Ça joue énormément par courrier, il n'y a pas encore Internet. Par des listes de diffusion. C'est-à-dire qu'il y a des gens passionnés qui font des fanzines avec des listes… Interminables ! Où tu as des légions de fanzines, et hop ! Parfois il y a une chronique dans ces fanzines. Alors si tu es chroniqué, ça te rend plus lisible que si tu es juste dans la liste. En fait, c'est un réseau qui passe effectivement par courrier. Voilà. Donc, nous on a un abonnement… Les gens s'abonnent. Je ne sais pas combien d'abonnés on a, je n'en ai aucune idée. Si c'est dix, ou si c'est cinquante. Je n'en sais rien. — (L.L.d.M.) L'économie du journal, elle tourne toute seule ? — (S.L.) Ouais, à chaque numéro on arrive à faire un numéro suivant. Peut-être que nous avons réinjecté un peu de thune, quand il a fallu faire le bouquin d'Étienne. Mais je ne suis même pas sûr. On a fait une fois une demande au CNL, pour faire nos couvertures en offset, en bichro avec pantones. — (C.d.T.) Qui est-ce qui tient l'économie ? Qui c'est qui tient les cordons ? — (S.L.) En fait, un peu tout le monde. On est nuls en administration, donc on fait des AG. Qui ne se font pas. Fab est le plus carré. — (L.L.d.M.) C'est toujours la même association depuis le début ? — (S.L.) C'est toujours la même association. On est très soucieux de la légalité quand on est au lycée, en créant cette Asso. Et là on l’est plus du tout… Quand on a un livre de fait, je ne sais même plus si on l'envoie la Bibliothèque nationale ou pas. Je pense que il y a un moment, on a complètement arrêté de le faire même s'il y a toujours un ISSN (ndlr : numéro d’identification des périodiques). Les comptes sont très mal tenus… Encore aujourd'hui… On sait juste qu'on est des bénéficiaires, qu’on a pas de dettes. Mais voilà. On n'est pas très bons en comptabilité. — (L.L.d.M.) Je vois que quand le Journal de Judith et Marinette va devenir le Nouveau journal de Judith et Marinette, il change complètement et constamment de format. Qu'est-ce qui détermine à chaque fois le changement de format ? — (S.L.) Alors, on arrive à la fin de cette formule, et on en a un peu marre… enfin, on est tellement dans quelque chose de routinier, que ça nous gave. — (L.L.d.M.) Vous vous sentez routiniers au bout du combientième numéro ? — (S.L.) Au bout du dixième.
— (C.d.T.) Comme pour l'autre, quasiment, au bout du dixième numéro… — (S.L.) Exactement. Donc en fait, on a une idée, c'est de faire le Nouveau journal de Judith et Marinette et en fait on demande aux auteurs de faire — (L.L.d.M.) C'est celui-là ? Donc, ça c'est le premier (montrant la couverture à l'appareil), c'est celui où il y a énormément de typographie sur la couv. — (S.L.) On a donc fait un petit format qui explique notre démarche. C'est-à-dire qu'on a fait quelques histoires, et on les découpe, et on les remaquette pour qu'il y ait plusieurs histoires sur une même page. — (L.L.d.M.) Là, la maquette est entièrement informatisée ? — (S.L.) Complètement informatisée, donc, par exemple, une histoire commence ici, et elle finit ici ; Celle-ci commence là et… Attends, c'est très compliqué… Elle recommence ici et se prolonge ici … Il y a une histoire qui est ici (il retourne numéro dans tous les sens) et ça se poursuit comme ça… — (C.d.T. rires) qui eut l'idée de tout ça ? — (S.L.) Je sais pas trop, c'est juste se dire, « tiens, comment on va faire pour faire comme si c'était des articles, et comment on va réussir à faire pour prolonger quelque chose »… comme un magazine, et que le lecteur puisse être tout à fait guidé par le truc, par la position, l'endroit où se trouve… — (C.d.T.) Ah oui, il n'y a pas d'indication... — (S.L.) Non, il n'y a pas d'indication. A priori ça marche, parce que les retours qu'on a eu, c'était « au départ, on comprenait rien, mais en fait assez vite on a pigé le truc et ça fonctionne ». — (C.d.T.) À concevoir, c'est extrêmement complexe ? Donc les auteurs, ils font les planches, et vous vous redécoupez pour remonter ça comme ça ? — (S.L.) Oui, c'est nous qui faisons ça. On est très très… C'est nous qui organisons tout le truc mais on avait prévenu les auteurs qu'on allait découper dedans. On ne découpe pas les bandes ou quoi, on ne recompose pas, on est juste sur, hop ! si ça c'était en quatre bandes, ça peut se retrouver en trois. C'est juste pour avoir des liens. Et en fait les choses se passent… Je sais qu'en fait, à la lecture, il y a des connexions qui se font au sein des histoires. Par la force des choses. Disons que c'est ça qui est intéressant, en fait. — (L.L.d.M.) De transformer la lecture, et la manipulation. — (S.L.) Complètement. — (A.A.) J'étais en train de me dire… Tu dis : on coupe pas dans les bandes, on laisse les bandes… Le seul truc c'est que si là vous en avez quatre, et que là vous en faites trois, bin si, vous coupez bien dans les bandes... — (S.L.) Oui, mais ce que je voulais dire : c'est qu'on ne découpe pas case par case. (On ne coupe pas les cases, mais entre les cases, aux « goutières » ou « inter-cases ») — (A.A.) Du coup il y a quand même une modification dans l'histoire. Il n'y a plus le même rapport dynamique… — (S.L.) Là, on transforme complètement la lecture de cette histoire là, puisqu'elle est… Puisque elle était pas prévue pour être… De se retrouver sur cette longueur — (L.L.d.M.) Ça veut dire quand même que les auteurs doivent sacrifier au passage la lecture tabulaire ; ils abandonnent leurs espoirs de construire une planche comme une planche ? — (S.L.) Exactement. — (L.L.d.M.) Vous êtes de gros salopards. — (S.L.) Exactement. Exactement, sachant que — je tiens quand même à le dire — tout le monde est consentant, au moment où on envoie le truc… On a envoyé à chaque potentiel participant les essais qu'on a faits… Un prototype de 8 pages dans lequel il y a des redécoupages de nos propres bandes dessinées. Comme nous n'avons pas déterminé encore le format final, ce prototype est plus petit. Voilà. « Attention on va bien faire ça ». Et ceux à qui on envoyait les recommandations pour participer au truc, ils ont dit « OK, ça marche ». — (L.L.d.M.) Et vous tiendrez cette formule combien de temps ? — (S.L.) On a fait qu'un seul numéro. C'est parce que… C'est parce que l'idée c'est pas… L'idée c'est le nouveau. L'idée c'est de faire un nouveau truc à chaque fois. Alors en fait le deuxième, qui est un tour du monde... — (C.d.T.) Là, on est en 2005 — (L.L.d.M.) Là, j'ai une question : en 2005, l'aventure chez Jérôme comix (note : fanzine ouvert à tous et hebdomadaire né das la librairie de Jérôme, libraire d’Alphagraph) est déjà finie ? — (S.L.) Ah oui, exact. — (L.L.d.M.) J'aimerais savoir si ça a teinté votre travail esthétiquement, poétiquement ? Parce que là, il y a énormément de gens de chez Jérôme, je vois que Borencapon (ndlr : Borencapon, équipe technique six, récit feuilletonné de Samuel Roberts) est dedans, donc il y a une coloration nouvelle à votre revue ? — (S.L.) Ça, c'est intéressant, parce que effectivement on est entre nous dans la première formule, alors que là, en fait, on a rencontré plein de gens. — (L.L.d.M.) Avec Chez Jérôme comix ? — (S.L.) Avec Judith et Marinette. En fait, c'est marrant, parce qu'on lance ce truc-là et on propose à plein de gens, mais on sait pas vraiment si les gens vont participer ou pas — (L.L.d.M.) Comment vous les connaissez, ces gens ? — (S.L.) Par Judith et Marinette. Du coup, ils nous font confiance. Et là, on sent bien qu'il n'y a aucun souci, quasiment tous ceux qu'on a contactés vont participer au truc. — (L.L.d.M.) OK. J'aimerais une parenthèse Chez Jérôme comix parce que la présence de Borencapon, elle m'interpelle. Parce que là c'est une rencontre propre à Chez Jérôme ? C'est la seule ? — (S.L.) Borencapon, par exemple, attends… j'ai perdu son nom… C'est Samuel Roberts… Mais il s'appelle pas comme ça… Il s'appelle Stéphane Menu. Et du coup, on perd sa trace. Il a disparu du jour au lendemain de Bruxelles. Je me souviens bien d'avoir téléphoné à tout les Stéphane Menu, pour essayer de le retrouver, de le trouver sur Internet. Et j'ai fini par retrouver la trace de ce type-là. En fait, il est très étonné, il connaît mon travail, et je lui dis « bah voilà, on attend la suite de Borencapon… On a plus de pages ». Il dit « ah bon ? ! Tu aimes bien ? », Je lui dis « ah oui, on voudra bien voir la suite ! » — (L.L.d.M.) C'est sans doute le truc le plus passionnant de Chez Jérôme comix. — (S.L.) Et du coup, comme j'ai son contact, et bien je lui demande pour Judith et Marinette. — (C.d.T.) C'est quoi ? — (L.L.d.M.) C'est une bande dessinée d'entreprise. C'est un genre extrêmement courant au cinéma, il y a des dizaines de films qui se déroulent dans des entreprises, qu’on connaît plein. Mais à ma connaissance, c'est la seule bande dessinée d’entreprise. C'est incroyable comme truc (Il le montre) c'est ça. — (S.L.) Bon. Le deuxième numéro, donc, c'est un tour du monde. Le grand truc super drôle, c'est qu'on a demandé aux auteurs ce format là, évidemment, on leur a dit aussi qu'il pouvait le faire à l'italienne. Donc en fait, il se passe un truc très très curieux dedans, c'est-à-dire que là, à la quarante-cinq, on arrive à la page quarante-six et donc en fait vous allez voir le truc très drôle c’est que on tourne, on tourne encore, et on fait le tour du monde avec le livre. On fait pivoter le livre en fonction de la lecture. C'est formidable non ?!
— (C.d.T.) Il y a la manipulation, là encore. C'est pensé. Ah, mais je vois aussi que c'est vous qui publiez ce livre de Tony Papin ! Et vous publiez d'autres choses… — (A.A.) Sur la modification du sens lecture, c'est juste la pagination qui le fait ou c'est parce que sur les pays traversés… — (S.L.) Non pas du tout, c'est selon le fait que ce soit l'italienne ou pas. Ce sont les pages à l'italienne qui font la rotation. Le basculement. — (C.d.T.) Je vois qu'il y a Pascal Matthey, il y a plein de… Là dans le numéro deux, on est en 2006, c'est plus les mêmes gens, on a complètement changé de — (L.L.d.M.) Cette question d'imprimer des rythmes de lecture, elle est propre, de façon récurrente, à la bande dessinée, ce courant particulier à l’intérieur d’une bande dessinée, mais que le livre lui-même soit touché par ça, c'est intéressant... — (S.L.) C'est un peu notre jeu… Après on va faire quelque chose de plus classique, parce qu'on va faire un mensuel. Sur une année. — (L.L.d.M.) Du coup il fallait une formule beaucoup plus roots. Plus simple. — (S.L.) Oui. Il y a peut-être le désir de revenir à une forme de Chez Jérôme comix. Une régularité, et quelque chose d’assez basique mais bien fait, bien présenté. Du coup on va faire un mensuel. — (L.L.d.M.) C'est peut-être le moment pour une parenthèse chez Jérôme comix... — (C.d.T.) À l'intérieur de ce numéro, il y a un livre à monter soi-même. — (S.L.) Ouais. Alors oui… On veut aussi, comme il y avait un abonnement, pour les abonnés on veut un truc un peu particulier… C'est qu’on proposait systématiquement des livres à monter, un petit objet en plus… C'était généralement de ce format là, où la moitié moins. On a fait des cartes postales pour l'été, pour les deux mois d'été en fait, on s'est dit : « tiens on va faire des cartes postales d'été », tu vois, avec des palmiers, des petits chats...
— (L.L.d.M.) Sur un carton fort ? À l’intérieur du magazine ? — (S.L.) Sur un carton fort, en dehors du magazine, c'était juste réservé aux abonnés. — (L.L.d.M.) À l'intérieur du magazine, un carton fort aurait rendu la manipulation un peu chiante… — (S.L.) Voilà. Et puis, c'est uniquement destiné aux abonnés. Donc, on ne va pas relier ces suppléments au journal uniquement pour une vingtaine d'exemplaires, car l'agrafage est automatique à la sortie de l'impression. Ca permettait d'inscrire l'adresse de l'abonné aussi. Ainsi, le supplément était personnalisé au nom de l'abonné : il y avait une étiquette collée sur ce supplément. Et pour les cartes postales, on avait dû écrire les adresses à la main, comme pour une vraie carte postale. Sachant que l'intérieur de l'exemplaire… Tu sais, à Identic il y avait une plastifieuse, et en fait on mettait l'adresse de l'abonné sur le livret à monter, sur le supplément, et puis on pressait le truc, alors c'était sous plastique et hop ! ça partait comme ça. Donc, c'était comme un magazine quoi ! On essayait de faire… On mettait ça dans des enveloppes, quoi ! Comme ça l'abonné, il voyait ce qu'il y avait dedans dans sa boîte aux lettres. — (C.d.T.) Vous mettiez ça sous plastique ? Comment… — (S.L.) On mettait ça sous plastique, à chaud, à identic. On faisait tout notre courrier comme ça. — (L.L.d.M.) Si je comprends bien, à chaque fois que se présente une possibilité nouvelle, technique, à Identic, vous vous en empariez systématiquement ? — (S.L.) Presque. C'est-à-dire, c'est-à-dire que ça nous donnait des idées. On se disait, « ah ben c'est très intéressant, puisqu'on fait un mensuel, c'est un vrai magazine, et bien allons-y. Faisons des choses comme ça »… — (L.L.d.M.) Des étiquetages, des blisters… — (S.L.) Voilà. Et c'était… c'était un jeu quoi. — (L.L.d.M.) Il existe encore, le journal de Judith et Marinette ? — (S.L.) Non. — (L.L.d.M.) Parce que, comme il renaît de ses cendres régulièrement… — (S.L.) Non, mais là tu sais, on peut dire que c'est fini depuis cinq ans, six ans. Il n'y a que Étienne qui a fait un petit livre… Il y a trois, quatre ans. — (L.L.d.M.) Est-ce que les autres que toi ont encore une pratique du fanzine, ou non ? — (S.L.) Non. Euh… Jean, un petit peu, parfois… Mais c'est, alors là c'est vraiment de l'ordre de l'invisible… Étienne non plus. Mais moi je continue « l'avancée des travaux ». Grosso modo, je continue à faire du fanzine parce que je ne veux plus m'occuper d'un collectif. Ça m'a pris beaucoup de temps et je n'ai aucun regret là-dessus !, au contraire, mais c'est qu'en fait j'ai d'autres, j'ai d'autres priorités. Mais par contre, je tiens quand même… Comme je fais du fanzine à l'occasion, quand ça sort, je peux pas demander à des gens de participer à mon truc, ce serait idiot. Parce que je ne sais pas quand est-ce que je serais prêt. — (C.d.T.)Tu ne travailles plus qu'à ton rythme, maintenant ? — (S.L.) Oui. Et en plus je veux faire tout seul, je pense que ça a modifié… Vraiment… Ma façon d'écrire. Et de dessiner — (C.d.T.) Ce n'est pas la même temporalité, tu veux dire ? — (S.L.) Ouais, mais même, je n'ai plus du tout le même fonctionnement. Alors je tiens à préciser que quand je dis « j'écris », j'intègre le dessin. Je le précise pour être… — (L.L.d.M.) On avait bien compris. — (S.L.) Et du coup je pense que ça modifie, parce qu'en fait, quand je faisais Le journal de Judith et Marinette, ben très souvent tu as : « ah merde, il manque deux pages ! OK, bon, moi je fais deux pages. » C'est à dire qu'en fait, il y avait un souci constant de participer quoi qu'il arrive… Et en fait des fois, tu fais des trucs qui sont pas forcément… pensés, ou quoi… Là, j’ai l'impression d'être un peu plus sage. On va dire ça. Sur : « qu'est-ce que je veux raconter ? ». C'est comme un projet de vie. C'est très curieux d'en parler comme ça, mais ça devient quelque chose de… C'est moi, c'est tout à fait personnel. C'est beaucoup plus personnel que tout ce que j'ai pu faire auparavant. Ceci dit, le fait de « boucher » les trous est un exercice très formateur et pas du tout pénible. C'est encore une sorte de jeu. — (L.L.d.M.) Pour moi, c'est très clairement les choses plus profondes que tu as pu faire. Mais je pense que… Il y a un autre facteur qui rentre en jeu : quand tu bosses avec des amis à faire un collectif, il y a une tendance générale à penser, avoir une vision commune de ce que l'on est en train de faire. C'est ce que je tentais de dire, tout à l'heure (ndlr : allusion à une conversation off sur le contenu du journal), par rapport à Judith et Marinette, c’est que… Une certaine forme de mouvement ne peut que devenir un mouvement général. Par exemple, le fait de s'attacher à une narration, une forme de narrativité un peu bavarde, un espace clairement, lisiblement discursif, un peu attaché à… Entre le documentarisme et de la narration traditionnelle, des récits, ça semble contaminer dans le journal tous les récits qui y entrent … Ils n'arrivent pas en sortir. Du coup, de telles expérimentations, les tiennes, très singulières, comment auraient-elles pu trouver leur place ? Et même, pire, comment auraient-elles pu être motivées par un tel environnement ? On voit mal, en fait… — (S.L.) Je crois que c'est possible… Mais… C'est-à-dire que quand tu es dedans, je crois que tu ne te rends pas compte. C'est-à-dire, effectivement tu es conscient d'un collectif. Tout le temps, tout le temps, tout le temps. Il faut « structurer » l'ensemble. Pour autant, ça n'empêche pas des directions toutes personnelles. J'ai l'impression d'avoir pu réaliser certaines pages comme je le ferai par la suite dans L'Avancée des travaux. Etienne a pu faire des choses vraiment éloignées des Carroulet, empruntant différentes tonalités dans un même récit... — (L.L.d.M.) Même s'il y a des tentations, il y a des moments de dérapage dans Le chien de la voisine… Des petits moment où ça va vers ça… Mais on n’y va jamais vraiment, jamais complètement. Comme un mouvement brimé. Là, dans L'avancée des travaux... — (S.L.) Mais aussi, je suis plus jeune à ce moment-là. Il y a l'âge, aussi. Mine de rien, les expérimentations graphique réalisées à un moment donné, comment ça se fait que, à un certain moment, j'ai arrêté de le faire ? En fait, c'est juste des choix, parce que… Ce que tu as à dire, tu le sais… En fait, tu rétrécis complètement ton champ. Et en le rétrécissant, tu l'élargis quand même. Parce que c'est sur une discipline, quoi. Elle se précise. Et en même temps, tu la développes… — (C.d.T.) Tu peux dire tout ce que tu veux dire là-dedans, quoi. — (S.L.) Ouais. Voilà — (L.L.d.M.) je suis surpris et content de t'entendre employer le mot discipline. Il me paraît crucial pour recouvrir le champ même, avec précision, de cette activité. C'est un rapport à la fois… À la fois probablement éthique — avec ce que ça comporte de disciplinaires d'une certaine manière — mais aussi un rapport de plus en plus affiné aux plis intérieurs d'une pratique ; c'est ce côté-là de la notion de discipline, où l’ouverture, elle est vraiment de plus en plus dans le sillon que l'on creuse. Bien plus que dans un quelconque élargissement d'un horizon imaginaire. — (S.L.) Et c'est marrant, c'est que pour ce truc-là, j'arrive à un âge où je vais avoir bientôt quarante-trois ans — donc j'ai eu mon premier gamin, mon gamin à quarante — donc, là, maintenant, je suis dans un contexte bien particulier où je manque de temps. Je travaille à côté. Donc je manque vraiment de temps pour dessiner, donc j'ai une frustration, du fait que, ben voilà… Et en même temps, j’ai la grosse grosse chance d'arriver à quarante balais et de me dire que je suis dans ma discipline. C'est-à-dire ce que j'aurais peut-être pas pu faire à trente balais. C'est-à-dire qu'à trente balais, j'aurais peut-être été complètement paumé, et j'aurais pas su faire les choses comme aujourd'hui je… J'arrive à les faire. Tu vois ce que je veux dire ? C'est-à-dire que je sais où je vais. — (C.d.T.) Il y a un processus qui se fait, quoi… — (S.L.) Voilà. C'est-à-dire que les temps où je dessine, hé bien je sais ce que j'ai à faire. Je ne vais pas me poser la question : « ah ouais, mais si je partais là-dessus… » je ne procrastine plus. Du coup, je n'expérimente plus de façon hasardeuse. J'expérimente dans mon champ. — (A.A.) Moi ce qui m'intéresserait, c'est de savoir comment tu repars des choses qui sont plus proches d'un livre, avec un choix de couverture, à quelque chose qui revient à la photocopie, a de l'impression, quelque chose de plus simple en terme de… Je sais pas comment te dire… De rendu ? — (L.L.d.M.) Tu veux dire, en général, de l'économie, un changement d'économie ? — (A.A.) Oui. — (C.d.T.) C'est presque du livre-objet, ça, non ? — (A.A.) qu'est-ce qui se passe ? — (S.L.) Alors, le nouveau journal de Judith et Marinette, il y a un moment où ça s'arrête. Voilà. C’est le numéro dix-sept. Voilà. Une couverture lugubre. — (C.d.T.) Ah oui, dis donc ! On sent que c'est la fin, quoi. — (S.L.) Je crois qu'on en a un peu marre… — (C.d.T.) Apparemment, c'est votre motivation principale pour changer les choses ! — (S.L.) Voilà, il y a un moment où… Et puis je déménage. Je reviens à Rennes. Et puis, en fait, moi je n'ai plus du toute envie de m'occuper de ça parce que… Peut-être parce que je pense que je suis épuisé… Je suis en rupture amoureuse… J'ai plein de soucis personnels qui font que c'est très difficile de porter un projet, quoi. C'est vraiment une histoire personnelle qui fait que, là, je me rends compte que c'est en fait moi qui tiens tout le truc, il propose des idées, il a des solutions techniques, mais ça ne va pas être le moteur ni non plus le coordinateur avec les auteurs. C'est-à-dire que Jean, il va m'aider, il va répondre tout le temps au truc, mais ça ne va pas être le moteur. Étienne c'est la même chose. Parce que Étienne, il ne panne absolument rien au niveau technique. Et au niveau contact, et au niveau organisationnel. Mais lui, il est vraiment très motivé pour le faire. Malgré tout ! — (C.d.T.) Et Jacques, il est pas avec vous à ce moment-là ? — (S.L.) Jacques, il est pas avec nous. Lui, il est à La Chose. Et Fab, il est toujours prêt à donner un coup de main, mais il ne dessine plus, ça ne l'intéresse plus… Il est OK pour suivre le truc, mais de façon extérieure, comme quelqu'un qui est tout le temps dedans… Comme un président d'honneur, tu vois ! Quelqu'un qui serait là, « nous on abandonne pas », tu vois ! Donc c’est vraiment moi qui met tout en œuvre pour que ça puisse se faire… Donc : je suis fatigué, je suis déprimé. Ça s'arrête comme ça. — (C.d.T.) Alors que, à ce moment-là, il y a beaucoup de gens qui vous suivent. Qui suivent le projet. Il y a la liste de diffusion . Et tu fais quoi, tu le déposes Alphagraph ? — (S.L.) Ouais, il y a Alphagraph. Un endroit ou deux de plus. Puis on va Angoulême, mais bon… C'est pas non plus… — (C.d.T.) Tout le monde connaît plus ou moins Le journal de Judith et Marinette mais ça n'est pas plus lu que ça ? — (S.L.) Ouais, peut-être, je me souviens plus trop, mais moi je pense que, je ne sais pas, mais si ça s'arrête, c'est plutôt pour d'autres raisons, des raisons plus personnelles… — (A.A.)Tu t'écartes de tout travail collectif à ce moment-là, donc en 2010 ? — (S.L.) Complètement. Et puis j'ai beaucoup beaucoup beaucoup, énormément de mal à dessiner. Je remets tout en question constamment, puis à un moment où en fait, je suis une psychothérapie. Eh bin, c'est étonnant, mais ce docteur-là, il me dit : « mais pourquoi vous vous embêtez à vouloir, très connement, gravir la montagne, d'un seul coup d'un seul, alors que finalement vous pourriez y aller progressivement ? » C'est le déclic. C'est complètement con, quand même, — (C.d.T.) C'était sans doute la bonne parole au bon moment ! — (S.L.) Voilà. Tu le sais depuis des années, mais, c'est rassurant d'avoir quelqu'un qui te dit ça, qui te conforte... — (C.d.T.) Dans ton intuition. — (S.L.) Oui, quelqu'un de la profession. — (C.d.T.) Et tu vas gravir lentement ta montagne. — (S.L.) Voilà. Je vais faire L'avancée des travaux. Peu de pages (un SRA3 plié en quatre, agrafé avec une couverture : ça donne un 20-pages au format +/- A6), un truc à découper (qui reflète une certaine pudeur, intimité). Il y a une occasion qui s'y prête, parce que je suis invité à Lyon pour un festival de micro édition. Et donc du coup, ah ben l'occasion fait le larron, je vais faire L’avancée des travaux pour cette occasion-là. Je me lance dans ce truc-là. Je me dis que je vais y mettre tous les projets que je suis…
— (L.L.d.M.) On t'invite à un festival de micro-édition alors que tu n'en fais plus ? — (S.L.)
Ben, à ce moment-là, — (C.d.T.) Parce qu'en fait, je vois que ce que tu fais sur Jean de La Fontaine en ce moment, ça fait parti de L'avancée des travaux ? Tu considères que c'est dans la même… — (S.L.) Oui. — (C.d.T.) C'est dans le même projet ? Tout ce que tu fais maintenant, c'est dans L'avancée des travaux, en fait ? — (S.L.) Grosso modo, oui. C'est ça. L'Avancée des travaux est un titre générique pour y mettre une partie de mes projets en cours.Mais bon, j'ai fait un B.D. cul (ndlr : collection pornographique de poche des éditions Les Requins Marteaux) qui n'est pas du tout publié dans L'avancée des travaux, hein ! Et puis d'autres trucs à côté. Mais en fait, j'intègre des projets… Je sais pas comment ça se passe… Si tu veux. Là, je me suis dit que… Ben j'avais présenté ce truc là parce que… C'est toujours des occasions. Qui font que tu fais les choses. Là, par exemple.. Là c’est pour le festival Images de justice — (C.d.T.) C'est Les animaux malades de la peste dont parle Sébastien — (S.L.) Voilà. Je vais donc exposer ces pages-là, parce que c'est dans le cadre d'une expo collective autour de la justice. C'est Marianne Bressy qui m'invite à participer. Evidemment, je pourrais faire un dessin, quelque chose qui se prête mieux à une expo, mais je me dis que je vais plutôt faire une bd (car c'est ce que je sais faire ! Mon métier quoi !), et comme je n'ai absolument pas le temps, je me dis que je vais adapter le texte qui me vient à l'esprit tout de suite : les Animaux malades de la peste. Ce sera la première fois que j'adapte un texte. En plus, un texte très connu, ça me fait très bizarre et je me dis qu'il ne faut pas que je tombe dans le piège de l'illustration, le scolaire... Mais pour moi, l'expo… Exposer des planches c'est… C'est un peu con. Donc je me dis que je vais en faire un livret, pour que ça puisse être lu. Je vais en faire un Avancée des travaux. Sauf qu’en fait, il sort un peu trop tard, il y a Angoulême à ce moment-là, et du coup, il ne sera pas présenté avec l'expo. Tant pis, ce n'est pas grave. Et en fait c'est surtout que, ben là, en faisant ça j'ai un projet qui en découle. C'est-à-dire que je ne pensais pas avoir l'envie d'en faire un livre. Or là, j'en ai l'envie. Et j'en fais un deuxième… Parce qu'en fait, j'ai envie de savoir un petit peu — quand il sortira, ben vous aurez un exemplaire — et puis ça me fait plaisir d'avoir des retours. C'est-à-dire que pour moi c'est… J'ai pas d'atelier. Je travaille chez moi où je travaille à la B U, à Rennes II. Parce que c'est un cadre idéal pour moi. Et du coup, en fait, c'est comme si c'était mon atelier, le livret, c'est ça mon atelier. Et du coup, le faite d'en filer aux uns et aux autres, et le fait d'avoir des retours, c'est comme si on pouvait commenter mon travail et me dire : « ah ben ça, c'est un peu loupé… » ou « c'est super » — (C.d.T.) : c'est-à-dire que le livre lui-même est ton atelier ? — (S.L.) C'est ça. Je présente le truc qui est en cours.
— (A.A.) : du coup, de tout ce que tu racontes depuis tout à l'heure — je vais faire un peu synthétique comme résumé mais… — j'ai l'impression qu'il y a tout ce que tu nous as raconté sur l'expérimentation qui était avant, pour toi, que tu as dégagé quand tu étais adolescent… il y avait ce rapport à ces journaux… C'étaient des véhicules dans lesquels il y avait plein d'informations, plein de projets différents qui étaient menés par différents auteurs. Après tu pars, tu te lances sur ces journaux-là , et puis il y a ces productions d'après dont tu nous as parlé tout à l'heure, puis après tu reviens à ça. Je trouve qu'il y a une énorme similarité avec ce que tu visais lorsque tu étais petit. L'avancée des travaux est un véhicule dans lequel il se passe énormément de choses. Ces fables, ces objets-là, d'autres productions, qui font un tout, dont tu parlais de la diffuser avec un livre qui va sortir avec l'Association, ou la difficulté est de synthétiser tout ça, sous le même nom, de publier l'intégrale de L'avancée des travaux — (S.L.) Ce n'est pas l'intégrale. C'est une partie. Parce qu'en fait il y a ce truc là… celui qui me suit à l'Asso, il reçoit L'avancée des travaux. Donc lui, en fait, il a une lecture de L'avancée des travaux. Moi, je vais faire un bouquin à, mais ça ne sera pas L'avancée des travaux. C'est un autre projet, mais qui était dans L'avancée des travaux. Ce seront de lecture très très différentes. — (A.A.) : Du coup ça maintient jusque dans le livre, dans sa distance même, un rapport à un titre, c’est celui qui est ton rapport à ta production, ce qui est ton chemin, L'avancée des travaux… Depuis ce moment où tu as reçu la bonne parole au bon moment, où tu gravis la montagne comme un col. Avec des changements de directions, des retours et des montées. C'est très lisible, c'est très sensible. Ça rend quelque chose… Et là j'en viens à l'objet, et on parlera des découpes, qui transpire ici d'une fragilité totale dans ce que tu proposes. Dans le papier que tu utilises. Dans les petits formats. Les choses très précieuses, c'est beaucoup plus intime. Et le côté beaucoup plus intime est mis à nu, il est brut. Alors que là, il est habillé. Déguisé. — (C.d.T.) On voit que là, c'est plié de façon très spéciale, il faut découper selon des pointillés… il y a des coutures aussi… — (S.L.) C'est habillé, aussi, parce que tout est façonné de façon un peu précieuse. — (A.A.) On en arrive à cette phase là, qui est plus que précieuse. T’es capable de faire un objet qui a l'air de… — (S.L.) D'être banal. — (A.A.) : Disons, sans préciosité. Sauf que tu te risques quand même à ce que le lecteur déchiquette tout et passe à travers la totalité. C'est-à-dire que tu proposes de montrer quelque chose d'intime, mais tu choisis tout de même ton lecteur. Il ne peut pas être une brute. Parce que le lecteur qui va bourriner et massicoter les pages, bin il va perdre toute cette fragilité. Et bien ça… Avec un objet comme ça, et bien tu m'as fait ma journée ! — (C.d.T.) Il faudrait faire une photo, pour montrer à quel point la petite phrase… C'est vraiment… c'est même pas au millimètre ! Si tu coupes à côté — (A.A.) Mais moi, j'y suis allé avec une plume. J'en ai perdu la moitié. — (S.L.) En fait qu'il faut faire, tu vois, c'est ça les repère de coupe : donc tu vas couper et en fait qui va te rester, tu vas le déplier et là tu auras la phrase entière. — (A.A.) Et parfois c'est foutu. Du coup, moi je l'ai manipulé. Et j'ai eu conscience de la construction de l'objet. C'est-à-dire, que j'ai été à ta place à un moment donné. Lorsque tu écris. j'avais une double manipulation, une double lecture du livre.
— (L.L.d.M.) Tu l'as quand même massicoté comme un sagouin ! — (A.A.) Mais je suis une bourrine ! — (C.d.T.) Tu as deux exemplaires, j'espère ! Un que tu as massicoté et un autre !? — (A.A.) Bin non. — (C.d.T.) Tu sais ce qu'il te reste à faire… faut en avoir deux. — (A.A.) Bin non ! Ça fait parti du contrat moral ! Si j'avais pas voulu, et ben tant pis pour moi ! — (S.L.) Il y a des gens, je leur file, je les vois une semaine après, ils me disent : « ah ben, je l'ai pas encore lu ». Et en fait, ça signifie qu'ils ne l'ont pas encore coupé. J'aime bien l'idée qu'en fait, hé bien, tu ne vas pas pouvoir le feuilleter, quoi. C'est un moment. C'est un moment où tu vas le lire et tu vas être obligé de te poser. Bon, ça ne marche pas forcément, parce que celui-ci, il est tout-à fait classique, il n'y a pas de découpe à faire. — (L.L.d.M.) Oui, ce n'est pas dans tous les volumes. — (A.A.) Ça donne un côté contre-productif du livre. Vendre un livre, t'es pas censé le détruire. La lecture, elle est consommable. Mais l'objet n'est pas consommable. À partir du moment où certains objets, le Crapule (ndlr : J.& E. LeGlatin, éditions Hoochie Coochie), le Cadeau de Ruppert et Mulot (ndlr : l’Association), tu es obligé de foutre en l'air ton exemplaire… C'est quand même un sacré problème… Parce que tu l'as acheté, ça. Tu as payé, déjà, le prix pour avoir le bien qui sera la lecture. Peu importe l'objet ! On te demande encore de le — (S.L.) Si ça se trouve, ça n'a aucun autre intérêt que ça ! (Rires) — (C.d.T.) Ça crée quand même un moment très important. C'est le moment où la personne se pose. Tu as cet objet, et tu es devant, devant la perspective de… Peut-être le foutre en l'air… En tout cas de le transformer, ce ne sera plus le même objet. Ne serait-ce que pour pouvoir le lire. Il y a la curiosité, le côté cadeau, il y a le fait d'intervenir sur l'objet… Le lecteur participe avec toi à la conception de l'objet final… Alexandra, ton exemplaire et le mien vont être différent, parce qu'on a pas découpé pareil on a participé à la conception l'objet final. — (S.L.) Je l'ai passé à Jérôme Alphagraph il a prit sa grosse paire de ciseaux, et coupé comme ça, comme un sagouin, il disait : « Ah la la ! Pffff ! C'est vraiment trop chiant », — (C.d.T.) Et il lisait jamais les petites phrases — Bin non, parce que tout était perdu, et du coup quand il a appris que… Qu’il y avait des textes il m'a dit « quoi ! » — (L.L.d.M.) Tu lui avais pas dit ? — (S.L.) Ben non, je le dis pas. Quand j'ai cette idée d'imprimer du texte dans les chutes, je pense que le lecteur va suivre les indications de traits de coupe, mais au moment de le faire, moi, sur mon exemplaire, je m'aperçois qu'il faut être vraiment tordu pour avoir l'idée de déplier les chutes afin d'y trouver quelque chose (car le texte est bien à l'intérieur du pli de la chute). Au final, ceux qui coupent sur le pli à la manière d'un coupe-lettre se rendent compte qu'il y a un texte (mais ils l'ont coupé tout du long, et donc détruit), et ceux qui coupent selon les indications jètent probablement les chutes ni voyant rien de particulier (puisque le texte est à l'intérieur du pli de la chute, donc invisible). — (L.L.d.M.) La bande dessinée, comme processus de lecture, engage généralement une première manipulation particulière. Ça fait que quand on va acheter un livre, on peut effectivement le feuilleter. On n'est pas censé faire confiance d'emblée, a priori, à l'auteur dont on saisit le livre, même si on le connaît depuis toujours. Là, on est invité à accorder une confiance poétique complète, esthétique, on est privé de ce que l'on fait toujours lors de la première manipulation d'une bande dessinée avant de l’acquérir, cette manipulation qui permet de constater… Et ça produira un rapport beaucoup plus sentimental, affectif, avec l'auteur dont tu es en train de... — (C.d.T.) Alexandra parle d’objet moral ; ce sont des objets moraux, dit-elle... — (A.A.) Ça c'est vrai. C'est marrant, ce que tu dis. Ça me fait un écho à ce que tu disais au début, qu'il te fallait un cadre légal. C'était dans un contrat moral de t'autoriser à faire quelque chose. Et là tu fais pareil avec le lecteur. — (S.L.) Sauf que là, c'est totalement illégal parce qu'il n'y a pas, je ne déclare rien ! — (C.d.T.) C'est facile de demander à Identic des choses fermées ? — (S.L.) Ah mais c'est moi qui façonne. — (C.d.T.) C'est toi qui façonnes ; ils ne font que les photocopies ? Et toi tu plies ? — (S.L.) Oui. Et ça par exemple, logiquement, ça aurait dû être coupé. Mais parfois, comme le pliage est un peu hasardeux que j'ai eu beaucoup de mal à fabriquer ce truc là, parfois ça coupe, et parfois ça ne coupe pas. Il s'agit du No de juin 2017. Le format est 78x100 mm une fois massicoté. Il y a un morceau de papier, sur lequel est écrit une phrase, qui doit être coupé au moment de la découpe par le lecteur. Mais le format est si petit que la précision est difficile : soit ce morceau de papier tombe, soit il reste accroché à l'ensemble du livret. Au final, peu m'importe le résultat. Dans ma conception, il devait tomber. — (A.A.) Et ça donne des phrases complètement absurdes. Là j'ai dû couper pour en perdre le moins possible. — (C.d.T.) Et les formats, depuis tout à heure… Parce que là, j'ai en main quelque chose qui s'appelle Téton et qui a une couverture couleur dans un papier assez… Je ne sais pas comment qualifier…
— (S.L.) C'est du bouffant. C'est du papier bouffant. — (C.d.T.) Mais… C'est translucide. Ou alors c'est l'impression qui donne ça ? — (S.L.) C'est l'impression. — (C.d.T.) C'est quoi ? Je ne vois pas de date, il n'y a rien. — (S.L.) Alors ça, c'est pendant Judith et Marinette — (C.d.T.) On est dans le fanzine, là, vraiment. — (S.L.) Ça, c'est le premier que je fais… Et ça été réalisé à Saint Maurice le Girard, chez mon père... — (C.d.T.) Ah oui, il y a d'autres choses, qui ont été réalisé là-bas, parce que j'ai vu — (S.L.) Ben, en fait, c'est le siège de l'Asso. Elle est là-bas. Je fais ça là-bas, du 9 février au 13 février je fais ça dans cette période là. — (C.d.T.) Ah bon, tu es tout seul dedans ? — (S.L.) Je suis tout seul, oui. Je fais des reprises de photos, de collages… C'est même mis « 1,95 », parce que c'est des trucs de solderie. Alors je le vendais 1,95 €. Je le fais parce que j’allais dans un festival, aussi. Je me suis dit « Ah, tiens, j'ai ça. J'aimerais bien en faire… »… C'est l'occasion, quoi. C'est l'occasion qui fait le larron. — (A.A.) C'est déjà le même chantier que l'avancée des travaux. Tout-à l’heure tu disais que maintenant tu ne t'embêtes plus, que tu ne procrastine pas, et que tu n'expérimentes plus, tu fais ce que tu envies de faire. Quelle conscience tu as, par exemple, de ces lectures là, de ces pertes de textes dans l'avancée des travaux ? Où dans… Dans ces contraintes à produire… De constater que tu as produit tant de dessins de tel jour à tel jour ? Comment tu projettes ça ? Comment tu l'intègres dans ton travail ? Puisque tu dis que tu en as conscience. — (S.L.) Du temps ? — (A.A.) Du temps, mais aussi de l'expérimentation. — (S.L.) Oui, c'est une expérimentation, si tu veux. Mais je fais plus… Le chien fou, le jeune chien fou qui se dit : « Ah ben tiens ! Ah, telle technique ! Oh, et puis ça ! Et puis ça ! Et puis ça ! ». en fait, au bout d'un moment, j'ai… Là, maintenant, j'ai juste besoin d'encre. D'une plume. Du blanco. — (A.A.) C'est-à-dire que maintenant, tu le conceptualises pas avant de le faire ? — (S.L.) C'est-à-dire qu'en fait, je pourrais être tenté d'aller voir ailleurs, de faire des aquarelles ou je sais pas quoi. Mais en fait, voilà, je sais que ma façon d'écrire elle est maintenant, délimitée. Intellectuellement. Par cette technique là. Parce qu'en fait elle me contente pleinement. Parce que c'est mon domaine. C'est là où je vais pouvoir faire plein plein de choses. — (C.d.T.) Tu expérimentes dans ce cadre-là. Tu te sens lisible. — (S.L.) Un autre auteur qui me dirait : « ah ben moi j'expérimente toutes les techniques graphiques possibles » — (C.d.T.) On ne voit pas du tout de qui tu voudrais parler ! On n'en connaît pas ! — (A.A.) Cette personne existe ? — (S.L.) Et bien, je comprendrais parfaitement, que ce soit un champ possible aussi. — (A.A.) Oui, ça ne change rien, le renouvellement il est là de toute manière. C'est une illusion de croire — (L.L.d.M.) L’insistance sur son sillon, il peut avoir différentes formes, et la prolifération est un sillon comme un autre sillon. C’est un écart possible — infiniment — entre la forme et ce qui la fonde... Il y a aussi de l’obstination à vide… Sans sillon, sans mobile, sans cause. Du même qui est de la dispersion. — (S.L.) C'est-à-dire qu'en fait, à un moment donné — et je pense que l'âge y fait beaucoup — tu as cumulé suffisamment d’expériences pour qu'à un moment tu te poses, et que tu puisse te dire : « j’ai trouvé ma forme ». — (A.A.) On n’a pas fait la parenthèse Chez Jérôme… C'est incroyable… — (C.d.T.) Est-ce que tu nous as montré tout ce que tu avais amené ? — (S.L.) Je sais pas… Allez, il y a les Chez Jérôme ! — (L.L.d.M.) Donc, Chez Jérôme comix, comment ça paraît ? Comment c'est décidé ? Quel est l'économie factuelle de Chez Jérôme comix ? Comment ça s’insère avant, pendant, après, d'autres productions ? Du genre, Judith et Marinette… — (S.L.) Alors… Chez Jérôme comix, ça démarre à la librairie Alphagraph, chez Jérôme, évidemment. Qui nous balance une espèce de boutade « Ben, faites un hebdomadaire ! » Et puis, on le prend au mot. Il y a Éric (ndlr : Éric Mahé de La Chose)… — (L.L.d.M.) Pourquoi il vous dit ça ? À cause de Judith et Marinette et de sa temporalité hasardeuse ? — (S.L.) Oui, voilà, sans doute. Il trouve qu'il n'y a pas suffisamment de productions rennaises qui circulent, il dit, « bon, allez, faites un hebdo quoi ! ». Et comme on le prend mot, la semaine d'après on sort le premier Chez Jérôme comix. Qui est codirigé, même s'il n'y a pas de direction, à l'origine… Je sais qu'il y a Eric, de La Chose, qui est là. Il y a moi et Fab. Sans doute. Il y a Jean-Michel et Joëlle du Simo. Peut-être d'autres… Je ne sais pas comment on décide de faire un fanzine le plus basique possible : le A4 plié en deux, sur papier standard. On est globalement tous d'accord à vouloir un prix proche du coût de revient. Certains ne sont pas d'accord car ils estiment que ça dévalorise leur travail. Mais rapidement, après quelques numéros de sortis, on trouve tous (je crois) que cette formule est vraiment géniale. — (L.L.d.M.) Le grand absent, c'est l'Œuf, là. — (S.L.) Ouais, l'Œuf n'y est pas. On ne les côtoie pas, en fait. Et du coup, hé bien on se prend au jeu. On va le faire toutes les semaines, à peu près. Ça devient quelque chose de tellement simple, à fabriquer… — (L.L.d.M.) C'est vraiment simple ? Je pense à la maquette par exemple. Ce qui n'est pas simple, c'est toujours de chaîner des pages, dans un périodique. — (S.L.) Oui, mais là on est déjà suffisamment nombreux à dire ensemble « allez, on relève le défi », pour remplir un numéro. On a vingt pages facile. Et donc du coup, en fait, ça va commencer à circuler. Comment est-ce qu'on participe à chez Jérôme ? Et bien tu déposes des pages à Alphagraph. Il y a quelqu'un qui va les récupérer. Il y a, je ne sais pas, au moins dix personnes qui s'occupent de la maquette… Dix personnes différentes… La présentation est donc toujours différente. Dans un cadre restreint. — (C.d.T.) Un jour c’est toi, un jour c’est quelqu'un d'autre… — (S.L.) Oui, voilà. Ça se décide… On s'appelle juste comme ça, au téléphone. On se dit en début de semaine, « ah ben moi, je serais dispo jeudi pour m'en occuper… » et puis Jérôme pourra communiquer là-dessus. Enfin, tu vois il n'y a pas… À partir du moment où on avait pas d'exigences, ça marche quoi. — (L.L.d.M.) Tu as dit vingt pages. C'est fixe, ou pas ? — (S.L.) Non pas du tout. Pas du tout, ça oscille entre… Je dirais… Je pense que le plus petit qu'on ait fait c'est douze, et le plus gros ça doit être quarante. Quarante-huit. Donc c'est aussi vraiment fonction de ce qu'il y a dedans. Et en fait, on essaie surtout de tout mettre, tout ce qu'on possède sur une semaine, on le met. Il n'y a pas de report sur une semaine suivante. Excepté s'il y a vraiment trop de pages. — (L.L.d.M.) Ce qui est arrivé ? — (S.L.) Ce qui est arrivé une fois ou deux, et basta. — (C.d.T.) Vous n'avez jamais manqué de pages ? Ou alors, tu faisais comme tu disais tout alors, vous en rajoutiez ? — (S.L.) Non. Pas forcément. Je sais qu'il y a eu un numéro à douze pages. On était globalement contre le fait qu'il y ait si peu de pages. — (L.L.d.M.) Quel effet ça a sur ta production ? L'existence de ça ? — (S.L.) C'est un déclencheur de liberté. De trucs où tout est extrêmement spontané. Je fais des pages que j'aurais jamais faites… Voilà… Ça permet d'avoir ce détachement là. Je fais Le chien de la voisine, c'est surtout ça. Qui va être… Qui est pas du tout pensé pour être un livre. Et qui va devenir un livre aux Taupes de l'espace en 2002, et qui va être réédité à l'Asso, par ailleurs (en 2019). Donc, c'est une production totalement spontanée. Où j'ai eu beaucoup de retours positifs. — (A.A.) Quand ils vont le rééditer, il va y avoir une modification dans les segments publiés ? — (S.L.) Non, ce sera la même chose que l'édition aux Taupes. Il y a juste Le Retour du Chien de la voisine qui est intégré… Alors, la publication, telle qu'elle a eu lieu dans Chez Jérôme, elle n'est pas du tout dans l'ordre qui a été établi une fois en livre. — (A.A.) OK, il y a quand même une modification. — (S.L.) Ah ben, le livre ne suit pas la chronologie des publications. Parce que moi, je faisais des épisodes comme ça. En fait, tous les épisodes sont détachés les uns des autres. Mais c'est une ambiance globale. Et en fait, du coup, moi quand j'ai dû assembler pour en faire un livre, et bien effectivement ça n'a pas du tout suivi l'ordre chronologique. J'ai choisi autre chose. Je suis devenu monteur en quelque sorte. — (C.d.T.) Donc, chez Jérôme comix, ça été très important pour les dessinateurs rennais, parce que pour certain ça été peut-être l'occasion de montrer leurs travaux… Pour d'autres peut-être même de débuter des travaux, j'imagine. Il y en a qui se sont essayés à faire d'autres choses. Laurent s'est remis à la bande dessinée à cause de Chez Jérôme comix, à cause de ça. Il a fait quelques couvertures. Jérôme lui-même, il faut le dire, il faut lui rendre cette justice là, a été très important pour tout ce qui s'est passé dans la bande dessinée rennaise. C'était le lieu où se vendaient les petites choses. Où se retrouvaient les gens. C'est là qu' il y avait… — (L.L.d.M.) Ben oui, le fanzinat exige tout de même qu'à un certain moment on se débarrasse des fanzines, il faut bien un lieu pour les y déposer. Cette librairie, elle a produit des fonctionnements. — (C.d.T.) Il y a donc eu Identic, mais il y a aussi Alphagraph, qui peuvent être les deux pierres angulaires des productions rennaises. — (L.L.d.M.) C'est vrai. Ce sont des pôles techniques qui sont fondateurs de création, en fait. — (C.d.T.) Avec ces deux lieux… Chez Jérôme comix est une association des deux. Et on a là-dedans… Les auteurs… Je me souviens quand Ronald (ndlr : Ronald Grandpey) est arrivé à Rennes, il était tout timide, il débutait, quand on voit tout ce qu'il a fait dans Chez Jérôme ! Moi je rêve de publier un jour toutes les pages qu'il a montrées dans ce fanzine. Il y expérimente sous plein de noms différents toutes sorte de choses, il y montre toute sa palette, c'est des choses qui sont… — (L.L.d.M.) Il n'y tient pas plus que ça… — (C.d.T.) Par exemple, Ronald, il a pris toute son ampleur, toute sa force, il a même influencé… À tel point que quand tu regardes Chez Jérôme comics, des fois tu ne sais plus qui sont les copieurs ! Et comme il se copiait souvent lui-même… Je crois que les archivistes du futur vont se prend la tête ! Même moi, des fois, je me prends la tête et je demande à Laurent : « là, c'est Ronald vraiment, ou c'est un copieur ? » Parce que lui aussi jouait de ça. Je parle de lui, mais aussi plein d'autres gens. Laurent, évidemment mais… — (L.L.d.M.) Tu recycles, dans chez Jérôme, ou c'est un pur moteur de production ? — (S.L.) C'est un moteur de production. Et si j'ai recyclé quelques pages… C'est pour combler une page. À partir du moment où c'était moi qui me chargeais de la maquette, s'il manquait une page pour avoir le fameux multiple de quatre, ben je mettais une page déjà existante. Voilà. Mais sinon, non. — (C.d.T.) T'avais donc des choses en une page ? — (S.L.) Oui c'était des choses que je n'avais jamais publiées… Voilà. Il n'y avait pas eu l'occasion. — (C.d.T.) C'est dommage qu'on en ait pas amenés. Je n'ai pas pensé du tout… Il nous manque de les manipuler pendant qu'on en parle. — (S.L.) Ben oui, moi non plus, comme je pensais que vous en aviez. Vous avez vu qui pour l'instant? — (C.d.T.) On a vu Hécatombe, et Superstructure, pour la période la plus récente. Pour la fin des années soixante-dix, on a vu Robert (ndlr : Varlez, de L'Atelier de l'agneau) un bon moment, qui nous a parlé de l'offset artisanal. Il nous manquera un entretien entre la fin des années quatre-vingts et toi, avec Olivier et Laure. J'aimerais bien aussi rencontrer de beaucoup plus jeunes, qui ont grandi aux fanzines avec hécatombe, les Hoochie Coochie et ce genre de choses. — (S.L.) Ah oui, parce que nous, en plus, on est sur la période de transition avec… Ça y est, on commence à numériser nos pages. Puis en fait, on arrive quand même sur la fin où, en 2010, et bien il y a les blogs qui arrivent. Et qui détruisent en partie… — (A.A.) Est-ce que c'est ça qui, en partie, a conduit au format de L'avancée des travaux ? — (S.L.) En fait je me suis dit que c'était drôle, parce que c'était totalement anti numérique. Parce qu'il y a une manipulation… Je ne sais pas si c'est une réaction, en tout cas, j'étais assez content de me dire qu'en fait, ces objets-là, on est obligé les manipuler. On pourrait le lire, objectivement autrement, mais en fait on perd tout… Je le fais parce que ça me fait plaisir, moi-même, de manipuler du papier. Déjà. — (L.L.d.M.) Chez Jérôme, au contraire, c'était un peu le zéro rhétorique du fanzinat. Je pense que ça été beaucoup choisi pour ça. — (S.L.) Ah ben oui, complètement, on s'est dit qu'on allait pas faire de massicot, qu'on allait vraiment être sur des pliages très simples. Enfin, il y en a qui sont massicotés parce que Jésus le faisait au bout d'un moment. Il y a eu à un moment un massicot automatique en queue de machine. — (L.L.d.M.) J'ai l'impression qu'on est tous hantés à un moment de la vie du fanzinat, par ça : l’idée qu'on a laissé trop loin derrière nous sa forme la plus rudimentaire, et il est difficile de ne pas y revenir à un moment. Socialement. — (S.L.) C'est un retour extrêmement positif, et avec une grande qualité, dans le sens où on était tous issus du fanzine, on avait tous fait nos fanzines à la con, on était tout passés à un cap supérieur du fanzinat, on va dire, et on s'est retrouvés à reproduire cette forme-là, mais avec notre expérience. Moi je trouve que ça reste quelque chose de très intéressant, malgré le côté très inégal des productions… (rires) C'est le moins qu'on puisse dire ! Mais je trouve ça généreux, foutraque, et tout… Et en fait il y a des perles, là-dedans. On parlait tout à l'heure de Borencapon. C'est exceptionnel, tu vois. Moi, j'ai eu la chance de lire ce truc là. C'est génial. C'est vraiment très très bien. Et bien voilà. Je crois que ça se serait jamais produit dans un autre fanzine… — (L.L.d.M.) Moi, j’ai donné les plus mauvaises planches de ma vie à Chez Jérôme comix ! Je recommençais tout à zéro, comme un âne habillé. Mais sans ça, il n'y en aurait pas eu d'autres. Il n’y aurait jamais eu d’autres planches. — (S.L.) Mais ça, c'était vachement bien, tu vois ! Il y avait même des pages de gens qui débutaient… — (C.d.T.) Des pages de gens qui n'ont jamais plus rien fait après, aussi. C'était bien, parce que vous acceptiez tout, en fait. N'importe quelle page. N’importe qui. Il y avait une diversité folle. Je pense que ça aurait été quelques années plus tard, Chez Jérôme comix, moi aussi, j'aurais par exemple fait des choses. — (S.L.) Ben ouais. — (L.L.d.M.) Alors il faut relancer, mais il va falloir commencer par réouvrir Alphagraph… Qui va s'en charger ?
Brouhaha de fin de conversation sur l’heure, sur le sentiment d’avoir à peu près évoqué tout ce dont nous voulions parler
— (S.L.) J'ai pas parlé d'un truc, mais il y a aussi, on s'est essayé à faire des vrais livres. Non mais je dis ça, c'est parce qu'en fait, il y a une période on s'est dit : « tiens, on a la possibilité de passer dans l'édition indépendante. » Et on s'est complètement plantés. Parce qu'en fait, on a su qu'on savait faire à peu près des livres, mais par contre on ne savait pas du tout les défendre. Et que ça, cette partie là, elle nous intéressait absolument pas. Là, j'ai appris quelque chose, c'est qu'il faut quelqu'un de compétent, et qui est intéressé par ça. — (C.d.T.) Oui, un livre, ça ne se distribue pas comme ça, avec un sac à dos sur un festival. C'est autre chose. |