Numéro 12 (1980))

Gianni TOTI

par Gianni Toti

1) Sur cette prothèse sensorielle, je m’interroge au moment même où je me pro-tends, me mets-en-avant, me mets-en-scène, c’est-à-dire en page, m’écris, m’écorce. Scriblerus, j’écris avec l’organe total : œil-avec-oreille-et-doigts-palatal-nariné, phallopsophiques et caecal, loin voyant et télévisuel (dans le possible impoétenté des télunettes aveuglées). La voix a été tuée par l’écriture, l’écriture par le geste, le geste par le théâtre, le théâtre par le cinéma, le cinéma par la télévision, la télévision par la satellitotalisation, etc. La gorge a été neutralisée par la main, la main par le corps dansant, le corps théâtroce par le cinigma, le cinigma par le téligma, le téligma par la sémiosphère. Les signifiants ont été désignifiés par les songifiants… Je signe-songe d’écrire avec les ondes cérébrales, directement dans la pagina-vàgina, peut-être en ouvrant-fermant les rimes paupiérales, raturant à coups d’yeux, revoyant-corrigeant par grillades, à coups-d’œil et de-queue de l’œil, cérébroserpentalement.

2) Avec le même panorgane, écrivant la lecture, la réécrivant à chaque scigne, à chaque si(n)g(u)l(1)e(r) (signa). Le « besoin réel » est l’écriture, le geste même d’écrire, le pouls et le battement du sang, les veines qui tremblent comme elles tremblaient pour Dante, en même temps que les pouls, les douze orifices qui palpillent, les anuli de l’anus, comme qui se vice-verse à toute prépucitation, jusqu’à l’omphalos, le cordon tranché et noué pour couper encore, les fendants de la dorsale… Jusqu’à ce que les autres me soient et que je les sois. Sinon, pourquoi lire et écrire ? Pour que le dividu s’individue et que l’individu se dividue, – non ? Par ses douze trous et toutes ses pores, le texte d’autrui se fait mien, me pénétrant, à proprement parler. A la fin, le corps de l’écriture est tout entier un trou, c’est-à-dire une bouche, une bucca. Chaque trou (buco) est une bouche (bocca). Et tous les orifices, je les ouvre pour recevoir l’aiguille qui m’enfile le tissu dans ma texture ininfinible…

3) Mon o(r)eil(le) sénestrière et mon oeilloricule destrier dorment l’autre sur l’une. Et moi je dors l’oreille voyante et l’œil acoumastique : écrivécoutant mon hypnographie, bathypnofolant, songeambulant, pourrait-on dire, sur les corniches-gouttières des lignes, versus-prorsus, et cancrillant par œillades la queue de l’oreille lacérant les cuissins, la descente-de-lit-chaloupe, la cafetière hippogriphonée. La scena est obscaena, et 1’œi1 et l’oreille, le pore et le palais et la narine s’y promènent sans parler, sentir, flairer, toucher, in-sentis et in-sentant, l’un cherchant les autres, au travers des connexions non-pues. Impoétents. Incontempoéterains. Je dors, dormito, dormitule, dormicule, moi. Dormoro cille arro(co)g(it)ant, outre-rageant l’écriture outragée, anthime et posthime. Le sens scriptuaire n’est pas l’un des cinq, ni les cinq. C’est un autre sens qui peut-être dans le cervelet ou dans la glande pinéale ou quand-où commence le cortex…

4) L’acteur, l’augmenteur (auctor), l’actant, l’aéré, l’acte, l’augmenté-diminué, le récitant-récitent, l’etcéterrant : mais oui, tout cela je sens que je le suis et je con-sens, et je dis-sens, et discon-sens, dans l’a-byme-de-la-mise-en (1) (ob)scaena. La scène est paperassétacée, et moi ichtyotalmé, ichtyospondyle, sculpture vertébrée, ichtypéroade. Obliquement, les Lumières pénètrent dans l’ombrent. La lueur est finie. Les inludentes sortent dés-illusions. Dans la photique épilpeise des textures, de l’alpha occipital à la vergeance conciliative, des stimulations intimes agissent et apportent des in-nouvelles : u-chronies, u-phanies, u-poéties du phaos. L’écriture n’est plus, et ne sera plus jamais, l’écriture-mobile-luminescente, ni la téligmancie de la télénoosphère. La conquête de la lune a été le dernier rêve d’une astrécriture : mais ça a été un dés-astre. Et aucun exorcisme pour cata-strophettes ne peut désormais faire effet. Un autre corps, un corautre, est le soma de la graphia. Nous l’avons construit pour des milliardennaires, eons après eons. Et il ne coïncide avec aucun soma, aucun sais, aucun esprit, aucune psyché, aucun pneuma. C’est la la lia imprononçable. Fors non sit ! – on ne peut plus lire ni écrire. Pour cette raison nous lisons-ce-que-nous-écrivons et nous écrivons ce-que-nous-lisons, sans distances, sans interstices, sans intervalles, sans interspaces. Nous n’utilisons pas l’écriture, nous sommes écriture. La plume est triste, hélas, nous avons tout écrit (1)… Ou bien : nous sommes tous nos écrits… Ou bien L’écrit est triste, hélas, nous sommes tous déjà écrits.

(traduit de l’italien par Ch. Prigent)