TERRENOIRE
Il y a le sentiment de culpabilité permanent.
Il y a tout ce qu’on s’interdit de désirer.
Il y a la peur d’être mis à la rue.
Il y a les chaussures qui s’abîment trop vite et qu’il
va falloir faire durer.
Il y a la certitude que ça peut être pire.
Il y a qu’on nous donne les choses dont personne ne veut.
Il y a l’énergie que l’on se force à avoir.
Il y a les gens dans la rue.
Il y a ceux qui sont plus bas que nous.
Il y a le froid, qui mord.
Il y a le logo de la banque alimentaire : un moineau décharné
tout seul sur une branche.
Il y a les boîtes de corned-beef de la banque alimentaire
dont même le chat ne veut pas.
Il y a la première fois où on va à la banque
alimentaire.
Il y a l’argent que l’on compte.
Il y a les valeurs que nous ont inculquées nos parents :
être propre, honnête, tenir sa parole, ne rien devoir.
Il y a la réalité.
Il y a qu’on a de plus en plus de mal à se respecter.
Il y a qu’on est de plus en plus prêt à accepter
n’importe quoi.
Il y a qu’on trouve qu’on se laisse aller.
Il y a qu’il faut tout gérer, au centime près.
Il y a qu’on calcule tout le temps ce que coûte tout.
Il y a parfois l’envie de faire quelque chose d’exceptionnel,
envie qu’on écrase systématiquement.
Il y a qu’on ne peut pas se permettre d’avoir de regrets.
Il y a les colis alimentaires de la banque alimentaire : biscuits
premier prix, kilo de riz, paquets de pâtes.
Il y a les autres qui attendent, eux aussi, un colis alimentaire.
Il y a parfois une tablette de chocolat dans le colis de la banque
alimentaire.
Il y a les collectes de la banque alimentaire.
Il y a que lorsqu’en tant que pauvre on participe à
la collecte de la banque alimentaire à l’entrée
des supermarchés on comprend que ce sont les pauvres qui
donnent le plus.
Il y a les réflexions de ceux qui donnent de la nourriture.
Il y a ceux qui font donner un paquet de nouilles aux pauvres par
leur enfant, pour lui faire la leçon.
Il y a que le jour de la collecte alimentaire est le seul jour où
les vigiles des supermarchés ne nous regardent pas de travers,
même si on reste dehors.
Il y a les magasins où l’on n’entre jamais.
Il y a les gens qui mangent dans la rue.
Il y a les poubelles dans lesquelles on n’ose pas encore piocher.
Il y a les gens comme nous, qui nous dégoûtent.
Il y a les couvertures sales.
Il y a les machines cassées du lavomatic.
Il y a qu’on n’a pas assez de pièces pour les
jetons et la lessive.
Il y a eu 150 pauvres dans une manifestation à paris, qui
manifestaient contre leur pauvreté.
Il y a que tous nos amis en sont.
Il y a la trouille de se faire piquer dans le métro, sans
billet.
Il y a qu’on paye nos billets.
Il y a les affiches : « Je suis responsable, je paye mon billet.
»
Il y a des gens qui font des emprunts à leur banque.
Il y a nos parents qui achetaient des maisons.
Il y a qu’ils étaient attachés à leurs
maisons comme on l’est à une chaîne hi-fi, ou
un four.
Il y a les gens qui nous ressemblent, qui ont notre âge, qui
ont notre physique, et qui pourtant ne sont pas comme nous.
Il y a des gens qui sont heureux de vivre.
Il y a des pauvres qui ont l’air heureux, on ne sait pas pourquoi.
Il y a un mur de fatigue de 3 kilomètres de haut.
Il y a qu’il faut du courage.
Il y a qu’il faut de l’énergie.
Il y a qu’il nous en coûte.
Il y a que l’on n’a rien.
Il y a que ce que l’on possède, s’émousse.
Il y a qu’il faut économiser ses économies.
Il y a que l’on continuera à se sentir pauvre.
Il y a qu’on se sent pauvre.
Il y a qu’on aurait honte de ne plus l’être.
Il y a qu’on aurait honte de ne plus l’être, mais
qu’en plus on est pauvre.
Il y a la honte.
Il y a qu’on a honte d’en parler même si ça
nous fait du bien.
Il y a qu’on a honte de hurler sur ceux qui ne sont pas pauvres.
Il y a qu’on se met à parler tout seul chez soi, puis
tout seul dans la rue, de plus en plus souvent.
Il y a qu’on se met à ressembler aux autres pauvres.
Il y a qu’on parle de nous à la radio : « les
chômeurs », « les RMIstes ».
Il y a l’évier qui fuit et qu’on ne réparera
pas parce qu’on a peur d’appeler le plombier.
Il y a les WC qui fuient et qu’on ne réparera pas.
Il y a deux euros qui fuient par les toilettes, tous les jours.
Il y a le chauffage qui est cassé et qu’on ne réparera
pas.
Il y a les machines cassées qu’on garde « au
cas où ».
Il y a qu’on a scotché un morceau de plastique sur
la fenêtre cassée.
Il y a l’envie de beugler comme des animaux.
Il y a les choses pas chères.
Il y a les cadeaux que l’on ne peut pas faire.
Il y a la honte de recevoir des cadeaux.
Il y a le porte-monnaie avec seulement des pièces.
Il y a un gros billet qu’on voit passer, parfois, sans savoir
qu’il existait.
Il y a des gens qui doivent s’en servir.
Il y a qu’il ne faut pas aller trop souvent au distributeur
car l’argent file trop vite.
Il y a les trous dans les slips et le soutien-gorge qui ne soutient
plus.
Il y a les vêtements de quand on avait 15 ans que l’on
porte à 40.
Il y a une paire de chaussures pour l’hiver et une paire de
baskets pour l’été.
Il y a le marché et les EMMAUS pour s’habiller.
Il y a les vêtements qu’on nous donne, qui ne nous plaisent
pas, et qu’on porte quand même.
Il y a les paires de chaussure qui représentent un mois de
revenu.
Il y a qu’on ne sera jamais « chez soi ».
Il y a les parents dont on espère un jour hériter.
Il y a les impôts, qu’on ne paye plus depuis longtemps,
et qu’on ne payera jamais.
Il y a qu’on aimerait bien en payer un jour.
Il y a les yogourts périmés qu’on mange quand
même.
Il y a des rues où on marche tête baissée pour
éviter de regarder les vitrines.
Il y a les repas à plat unique, sans entrée ni dessert.
Il y a, parfois, du dessert.
Il y a la viande et le fromage que l’on n’achète
jamais.
Il y a les traiteurs chez qui on n’est jamais entré.
Il y a les mêmes choses qui reviennent régulièrement
dans les assiettes.
Il y a les jours où on n’a plus d’idées
pour cuisiner avec toujours les mêmes ingrédients.
Il y a le regard sur ceux qui récupèrent la nourriture
par terre.
Il y a l’époque où on allait au restaurant quand
on avait la flemme de cuisiner.
Il y a les projets qu’on ne fera pas.
Il y a les codes sur les portes.
Il y a le sentiment d’avoir quand même de la chance.
Il y a les gens qui aident et qu’on ne pourra jamais rembourser.
Il y a les gens dont c’est le métier d’aider.
Il y a le ton qu’ils prennent.
Il y a la récupération.
Il y a toutes les choses qu’on a oubliées.
Il y a l’hiver qui est plus dur.
Il y a l’été qui est triste parce qu’il
n’y a plus personne.
Il y a ceux qui sont plus abîmés que nous.
Il y a la fatigue.
Il y a les informations à la radio qui disent que ça
va être de plus en plus dur pour nous.
Il y a les gens qui font la fête.
Il y a noël et puis le jour de l’an.
Il y a ceux qui ont des ordinateurs, des téléphones
et des appareils numériques.
Il y a de l’argent de poche qu’on fait durer toute l’année.
Il y a l’argent de noël.
Il y a l’argent des anniversaires.
Il y a les étrennes du jour de l’an.
Il y a grand-mère à remercier.
Il y a à mentir dans les lettres, sur les cartes de voeux.
Il y a qu’il faut faire semblant d’aller bien.
Il y a qu’il faut épargner les moins pauvres, qui pourraient
avoir mal pour nous.
Il y a maman qui paye l’eau, l’électricité,
et la moitié du téléphone.
Il y a la nourriture qu’on achète en sachant que ce
sera mauvais.
Il y a l’impression que ça fait quand on l’achète.
Il y a la « Journée Nationale Sans Achat ».
Il y a les amis étudiants.
Il y a la solidarité avec la soeur chômeuse pendant
les repas de famille.
Il y a la surabondance de nourriture pendant les repas de famille.
Il y a qu’ils ne comprennent vraiment pas.
Il y a que c’est simple à comprendre.
Il y a l’envie de vomir.
Il y a 1500 euros sur le compte en banque, mais aucun revenu.
Il y a que la prochaine source d’argent est pour dans six
mois.
Il y a une seule paire de chaussure, et des accrocs.
Il y a le col miteux à tous nos T-shirts.
Il y a une machine à laver, rêve lointain.
Il y a les soldes pour les riches.
Il y a des pauvres qui économisent pendant plusieurs années
pour acheter un costume qui ne fasse pas pauvre.
Il y a l’incapacité de se dire : je pourrais faire
ça, avec mon argent.
Il y a les phrases que l’on répète en boucle.
Il y a tout ce qui ne peut pas sortir.
Il y a la solitude.
Il y a très souvent la honte.
Il y a la colère qui éclate parce que trop c’est
trop.
Il y a l’oubli.
Il y a la défonce.
Il y a la peur d’avoir des enfants.
Il y a la peur d’avoir des enfants qui soient pauvres.
Il y a la peur d’avoir des enfants qui aient des envies de
quelque chose.
Il y a des politiciens qui nous montrent du doigt.
Il y a 80 % de réussite au bac.
Il y a les diplômes que l’on n’a pas.
Il y a les diplômes que l’on a et qui ne servent à
rien.
Il y a le prix du tabac qui augmente sans arrêt.
Il y a les gens qui se sentent agressés si on leur demande
une cigarette.
Il y a des F1 ou des F2.
Il y a des gens qui ont de quoi passer le permis de conduire, de
quoi acheter une voiture, de quoi acheter de l’essence pour
leur voiture.
Il y a les réductions pour les étudiants, mais pas
pour les RMIstes.
Il y a les réductions pour les RMIstes, mais pas pour les
chômeurs non rémunérés.
Il y a toujours plus pauvres que soi.
Il y a des pantalons mal ajustés, des slips troués.
Il y a des règles simples : si je ne dépense rien,
je ne perds rien.
Il y a que parfois on rit tout seul dans sa chambre.
Il y a qu’il faut payer pour faire ses besoins.
Il y a les vêtements qui collent à la peau.
Il y a qu’en s’endormant, parfois on a peur de ne plus
se réveiller.
Il y a qu’on aimerait ne plus jamais se réveiller.
Il y a la peur de se faire voler par d’autres pauvres.
Il y a d’autres pauvres qui sont plus intelligents que nous.
Il y a le prix des choses dans les vitrines.
Il y a comme une impression que la vie, ce n’est pas pour
nous.
Il y a les médecins gratuits qui sont débordés
et fatigués.
Il y a le regard des autres médecins quand ils voient la
carte vitale.
Il y a les dentistes qui disent : ce n’est pas la peine de
revenir ici, une fois qu’on leur a sorti la carte vitale.
Il y a marcher pendant toute une journée sans aller nulle
part.
Il y a des bancs où l’on peut s’asseoir sans
rien payer.
Il y a sans cesse des solutions à chercher pour des choses
toutes simples.
Il y a sa place à conserver.
Il y a la cheville foulée qu’on ne fait pas soigner.
Il y a la tondeuse qui a remplacé le coiffeur et qu’on
passe soi-même, pour ne rien demander à personne.
Il y a qu’on n’a pas la pêche pour séduire.
Il y a rarement le sexe.
Il y a que le sexe est une monnaie d’échange. Quand
on est pauvre, on est dévalué.
Il y a les gens qui mangent dans les restaurants.
Il y a les gens derrière les fenêtres des appartements.
Il y a le chauffage de chez soi que l’on n’ose pas monter.
Il y a qu’on n’ose pas ouvrir la boite aux lettre de
peur de tomber sur des factures.
Il y a les cigarettes à demi consumées dans le caniveau.
Il y a les cigarettes à demi consumées sur le ballast
des rames de métro.
Il y a les sandwichs à demi consommés abandonnés
sur le rebord des fenêtres.
Il y a les puces.
Il y a la peau qui gratte.
Il y a les titres des journaux qui disent que ça va être
de plus en plus difficile pour nous.
Il y a que ça devient chaque fois un peu plus difficile après
les élections.
Il y a qu’on est intelligent et que se plaindre c’est
vulgaire.
Il y a les sommes d’argent qu’on ne traduit jamais en
euros.
Il y a l’insouciance des gens dans la rue.
Il y a qu’on aurait l’âge d’être insouciant.
Il y a la fatigue.
Il y a le regard des gens qu’on imagine tout le temps.
Il y a que l’ordinateur qu’on nous a donné plante
sans arrêt.
Il y a qu’on sait que ça ne va pas aller en s’améliorant.
Il y a ceux qui dépensent tout leur argent pour jouer au
loto, ou aux jeux à gratter.
Il y a qu’un jour on a acheté un ticket perdant, en
se disant : si je gagne on fait la fête ce soir.
Il y a qu’on n’a jamais osé en parler à
quiconque.
Il y a tellement de chose dont on n’ose pas parler.
Il y a que souvent on reste silencieux avec la personne avec qui
on vit.
Il y a la honte de ne pas pouvoir aider l’autre.
Il y a qu’on a oublié les souvenirs d’enfance.
Il y a qu’il vaut mieux ne pas y penser.
Il y a des listes de choses auxquelles il vaut mieux ne pas penser.
Il y a les amis qui n’appellent plus.
Il y a les amis qui ont cru qu’on ne voulait pas venir à
leur soirée, alors qu’on ne pouvait pas.
Il y a les amis qu’on n’appelle jamais, parce qu’on
n’a pas assez de forfait.
Il y a les fêtes trop loin.
Il y a les pauvres qui profitent, et pour qui on doit payer.
Il y a qu’on est systématiquement assimilé aux
alter mondialistes et à leur discours bidon.
Il y a leur obscénité à s’amuser.
Il y a que des jeunes gens bien portants parlent à notre
place.
Il y a que lorsqu’on parle on nous trouve misérabilistes.
Il y a qu’on se sent misérable.
Il y a qu’on ne nous trouve pas drôle.
Il y a que nous ne sommes pas drôles et que ça nous
désole.
Il y a que nous ne sommes pas de bonne compagnie.
Il y a que nous sommes éteints.
Il y a des autres pauvres, qui disent n’importe quoi.
Il y a les pauvres qui sont intelligents et singent les autres pauvres
en disant, « on nous vole », « le RMI est un droit
naturel ».
Il y a que la pauvreté ne rend pas beau, ni noble, ni intelligent.
Il y a pauvre et pauvre.
Il y a la pauvreté de nos rapports sexuels.
Il y a la pauvreté de nos vies affectives.
Il y a la pauvreté de nos rapports avec les non pauvres.
Il y a sans cesse l’équilibre qui risque de basculer
un peu plus en notre défaveur.
Il y a que les filles qui aimeraient avoir un enfant, ça
fait peur.
Il y a les pensées qui font mal.
Il y a les convocations du RMI.
Il y a la dame dans son bureau.
Il y a les autres qui attendent avec nous, tête baissée.
Il y a le ton de la dame, qui nous parle comme à des enfants.
Il y a ceux qui pensent qu’on se laisse aller.
Il y a ceux qui se bouchent le nez.
Il y a ceux qui ont peur de devenir comme nous.
Il y a la maladie et les dents qui s’abîment.
Il y a ceux qui veulent notre place.
Il y a les moments où l’on aimerait que ça s’arrête.
Il y a ceux qui répètent qu’ils vont partir
à l’étranger pour tenter leur chance.
Il y a le fantasme qu’un jour ça aille mieux, comme
par miracle.
Il y a que le dégoût de soi grossit comme un furoncle.
Il y a que notre colère et notre impuissance se retournent
contre notre entourage.
Il y a les vêtements donnés.
Il y a les affaires cassées qui peuvent encore marcher qu’on
ramasse dans la rue.
Il y a le compteur EDF qui tourne trop vite.
Il y a le réchaud à gaz qui fait mal à la tête.
Il y a le téléphone qui est coupé.
Il y a les journaux qu’on met dans les chaussures pour avoir
chaud ou pour gagner une pointure.
Il y a l’argent qui sert à acheter de la défonce.
Il y a que la défonce est une réalité à
part entière.
Il y a que quand on se défonce on parle de défonce
avec des défoncés.
Il y a ceux qui sortent de l’hôpital psychiatrique avec
le visage déformé par les médicaments.
Il y a que le fait de rire de sa misère frôle douloureusement
la folie.
Il y a des pauvres qui croient que des choses leur sont dues.
Il y a des pauvres qui attendent que quelque chose se passe.
Il y a des choses à ne pas faire.
Il y a les miettes que l’on ramasse avec le bout du doigt.
Il y a des pauvres qui croient au père noël.
Il y a le papier journal dont on se sert pour s’essuyer les
fesses.
Il a les gens qui crèvent de faim en Afrique et ça
nous fait culpabiliser.
Il y a qu’on vit dans un des pays les plus riches de la planète.
Il y a les vieux qui marmonnent : « vous savez pas la chance
que vous avez ».
Il y a des pauvres et à côté il y a d’autres
personnes qui ne sont pas aussi pauvres et à côté
il y a nous qui en parlons.
Il y a la pauvreté de notre vocabulaire.
Il y a la pauvreté de nos raisonnements.
Il y a les transports en communs qu’on évite.
Il y a cinq kilomètres à pied tous les jours, et mal
aux jambes.
Il y a les flaques d’eau qu’on évite à
cause des trous dans les chaussures.
Il y a l’eau chaude, qui est un luxe.
Il y a que les gens qui reviennent de vacances ont l’air épanouis.
Il y a des gens qui ont du travail et qui rentrent chaque soir fatigués
de ce qu’ils ont accompli pendant la journée.
Il y a des gens qui ont une voiture.
Il y a le prix des choses qui augmente sans cesse.
Il y a les légumes jetés par terre à la fin
du marché.
Il y a la faute de goût de ramasser des choses dont plus personne
ne veut.
Il y a parfois l’envie d’en finir.
Il y a tous les autres pauvres, qui nous donnent envie de vomir.
Il y a les bars trop chers où nous emmenaient nos «
amis ».
Il y a des proches qui nous demandent si l’on va tout de même,
parfois, au restaurant.
Il y a ceux dont on pense qu’ils comprennent.
Il y a ceux dont on pense qu’ils ne vont pas nous demander
de faire des choses que l’on n’a pas les moyens de faire.
Il y a qu’ils nous proposent d’aller avec eux au restaurant.
Il y a que non seulement on ne peut pas, mais qu’on ne veut
vraiment pas.
Il y a qu’on s’accorde un kebab tous les mois ou tous
les deux mois.
Il y a qu’ils nous proposent de partir en vacances avec eux.
Il y a qu’on en meurt d’envie.
Il y a qu’on nous met l’eau à la bouche.
Il y a qu’on passe l’été à la maison.
Il y a ceux qui font la cueillette des fruits pendant les saisons
et qui reviennent épuisés.
Il y a que les vendanges sont payées de moins en moins cher.
Il y a que les employeurs qui abusent sont dans leur droit.
Il y a que les pauvres abusent.
Il y a les dents qui font mal.
Il y a les médicaments qui cassent la tête.
Il y a la bière 1er prix qui casse la tête.
Il y a le vin 1er prix qui casse la tête.
Il y a le haschich qui rend tout cotonneux et moins grave.
Il y a l’héroïne, qui est un luxe et qui permet
de ne plus rien sentir.
Il y a le prix de l’héroïne qui est en baisse.
Il y a l’expression « ça déchire »,
« je suis déchiré. »
Il y a que quand on dit « se casser la tête »
ça ne veut plus dire « réfléchir »
mais « se détruire ».
Il y a qu’on tousse, quelle que soit la saison.
Il y a qu’on crache parfois du sang.
Il y a qu’on tremble souvent à cause du froid.
Il y a qu’on se dit qu’on pourrait mourir tout seul
dans sa chambre et qu’il faudrait des semaines avant que quelqu’un
s’en rende compte.
Il y a qu’on a l’impression de vivre sur une planète
étrange, dans un monde parallèle.
Il y a les immeubles insalubres qui prennent feu au milieu de la
nuit.
Il y a les hochements de tête et les regards entendus.
Il y a que le chat est malade et qu’on attend que ça
passe.
Il y a qu’on attend que ça passe même quand on
vomit chaque jour pendant des mois.
Il y a qu’on évite la famille.
Il y a le mot « précarité ».
Il y a les camions pleins de nourriture.
Il y a les gens qui partent en voyage et les affiches de publicités
pour les voyages et les magasins qui vendent des voyages pour des
sommes qui nous font peur.
Il y a la télé trouvée dans la rue qui marche
en noir et blanc.
Il y a le compteur trafiqué.
Il y a les parents qui donnent toujours de l’argent.
Il y a des pays où ça va plus mal : en afrique, par
exemple, eux ils savent vraiment ce que c’est d’être
pauvre.
Il y a la richesse des possibilités et la pauvreté
des résultats.
Il y a la richesse d’un pays et la pauvreté de ses
habitants.
Il y a de la richesse culturelle et intellectuelle à volonté.
Il y a le prix des choses qu’on n’ose pas regarder.
Il y a des gens qui dépensent pour un vêtement ce avec
quoi on vivrait pendant un mois.
Il y a la richesse de sa cervelle, dont on ne fait rien.
Il y a de la bouillie de cerveau, des neurones en purée.
Il y a que la révolte ça ne sert à rien.
Il y a la colère à contrôler.
Il y a les bons sentiments du gouvernement, qui va serrer la vis
pour sortir de la logique d’assistanat.
Il y a qu’on est assistés, c’est la réalité,
on est assistés.
Il y a une dette morale vis à vis de gens qui se reconnaissent
sans cesse autour de nous.
Il y a les bougies bon marché qui peuvent mettre le feu à
la chambre.
Il y a le vent qui passe à travers la fissure dans le mur.
Il y a les radios et les montres et tous les autres objets Made
in
China que les parents ont eu avec leur abonnement et qu’ils
nous offrent pour se débarrasser.
Il y a les piles 1er prix qui s’arrêtent au bout d’une
minute.
Il y a les allumettes 1er prix qui ne s’allument pas.
Il y a les outils 1er prix qu’on achète pour s’équiper
et qui se cassent tout de suite.
Il y a du rab de biscottes.
Il y a marqué « Fumer tue » sur les paquet de
tabac et on s’en fout.
Il y a les tubes vides pour faire soi-même ses cigarettes,
c’est vendu par boite de 100.
Il y a les capotes gratuites, offertes par le dépistage anonyme.
Il y a les stéribox gratuites, données par Sida info
service.
Il y a la soupe distribuée dans les bols en plastique.
Il y a les draps qui sont tout le temps humides.
Il y a les films de merde gratuits à la télé.
Il y a les émissions débiles gratuites à la
télé.
Il y a les produits 1er prix posés sur le rayonnage du bas
dans les supermarchés.
Il y a des petites vieilles qui nous demandent d’attraper
les produits qui sont en haut sur les rayonnages et qui nous remercient,
vous êtes bien gentil.
Il y a les supermarchés bon marché.
Il y a les supermarchés super bon marché.
Il y a les maxi-discounters où la nourriture est posée
par terre sur des palettes.
Il y a la fatigue et la colère des caissières des
maxi-discounters.
Il y a les nouilles.
Il y a les nouilles 1er prix.
Il y a les nouilles normales.
Il y a les nouilles qui coûtent le prix de la viande.
Il y a parfois du beurre dans les nouilles, sinon c’est du
sel.
Il y a les frites 1er prix.
Il y a la moutarde, qui ne coûte pas cher, et dont on peut
reprendre autant qu’on veut.
Il y a les steaks hachés 1er prix dont on se sert pour faire
des plats quand on invite.
Il y a les cubis de vin 1er prix qui font vomir violet.
Il y a les raviolis en boîte 1er prix qui donnent envie de
gerber.
Il y a le cassoulet en boîte 1er prix qui fait mal au ventre.
Il y a du beurre dans les épinards en boite 1er prix.
Il y a que quand c’est moins dégueulasse on dit : c’est
bon !
Il y a les cacahuètes et les chips et le pain dur qu’on
mange pour couper la faim.
Il y a que quand le budget qu’on s’alloue pour un repas
équivaut au prix d’une baguette on ne mange pas de
baguette ou alors rien d’autre.
Il y a des pays pauvres entiers qui envient les baguettes que l’on
mange.
Il y a que quand on était jeune on avait la foi.
Il y a qu’on se rend compte qu’en fait on n’a
jamais eu la foi.
Il y a qu’on a les foies.
Il y a que maintenant quand on croise un zonard qui la ramène
un peu trop on a envie de lui faire fermer sa gueule à coups
de pompes, de l’écraser, de le tuer.
Il y a la hargne que l’on se découvre.
Il y a la hargne qu’on devine sans peine des plus pauvres
à notre égard.
Il y a qu’on les comprend.
Il y a qu’ils ont raison.
Il y a : une échelle de souffrance, pour un individu.
Il y a une résistance de notre organisme à ne pas
manger.
Il y a à connaître quelle quantité de nourriture
nous est strictement nécessaire par jour.
Il y a des « besoins vitaux » qui rendent seulement
malade si on ne les respecte pas.
Il y a beaucoup de choses dont on ne meurt pas.
Il y a le visage qui se durcit et les traits qui se creusent.
Il y a la peau grasse à force de bouffer n’importe
quoi.
Il y a le corps qui s’affaisse.
Il y a le laisser aller, parce qu’à quoi bon …
Il y a la politesse qui fout le camp.
Il y a les cheveux gras et les ongles sales.
Il y a envie de s’excuser sans arrêt.
Il y a des biscottes, à la place du pain.
Il y a de l’Anthésite, à la place du sirop.
Il y a du concentré de tomate, à la place de tomates.
Il y a des oeufs, à la place de la viande.
Il y a des yogourts, à la place du lait.
Il y a deux fois plus de personnes inscrites au chômage que
le nombre de catégories A qui sont comptabilisées.
Il y a des gens dont le métier est de nous aider et qui sont
gênés quand ils voient qu’on comprend ce qui
nous arrive.
Il y a des petits-déjeuners dont on se passerait.
Il y a d’autres gens qui pourraient être pauvres, plutôt
que nous.
Il y a de la pauvreté dans l’air de nos studios.
Il y a de l’eau croupie dans la gazinière fêlée.
Il y a une plaque chauffante, à la place d’un four.
Il y a de la viande une fois par mois alors si on fait tomber un
bout sur le tapis on le ramasse et on le mange.
Il y a des personnages débiles qui rigolent sur les emballages
de la nourriture qu’on achète.
Il y a un moment où les enfants veulent porter des Nike.
Il y a qu’on n’arrive toujours pas à croire qu’on
puisse mettre autant d’argent dans une paire de chaussures.
Il y a les sorties scolaires qu’il faudra bien payer.
Il y a qu’on a quand même envie d’avoir des enfants.
Il y a qu’on a des bébés qui n’ont jamais
porté d’habits neufs.
Il y a que nos enfants seront la risée des autres enfants.
Il y a que nos parents n’ont jamais été pauvres,
malgré tous ce qu’ils peuvent raconter, et que nous
serons pauvres de père en fils.
Il y a que nos enfants ne feront pas d’études.
Il y a la queue à la poste le 6 du mois, quand les pauvres
vont toucher le RMI, les assedics ou le minimum vieillesse.
Il y a les squatteurs qui veulent faire la révolution.
Il y a les lettres recommandées qu’on ne va pas chercher
parce qu’on sait que c’est des ennuis.
Il y a les publicités pour la viande et les plats livrés
à domicile dans la boîte aux lettres.
Il y a les annonces de marabouts dans les boites aux lettres : résout
tout problème.
Il y a le job de distributeur de publicités dans les boîtes
aux lettres mais il faut une voiture.
Il y a des kilomètres à faire pour aller d’un
point à un autre.
Il y a les journaux gratuits ramassés par terre dans le métro.
Il y a les affiches qui proclament : la vie moins chère.
Il y a que le temps passe et qu’on vieillit.
Il y a les grands projets qu’on fait quand on est défoncé.
Il y a ceux qui s’y croient.
Il y a ceux qui font la manche dans la rue.
Il y a les filles qui tapinent dans les camions.
Il y a ceux qui ne feront pas long feu.
Il y a des policiers en civil qui jaillissent d’une voiture
banalisée en brandissant un brassard orange fluo.
Il y a ceux qui volent.
Il y a nous qui achetons moins cher les choses volées.
Il y a qu’on peut ne pas être alcoolique, ne pas être
drogué, ne pas être SDF, et être pauvre quand
même comme eux.
Il y a les RMIstes qui nous donnent des leçons.
Il y a ceux qui font la manche et nous hurlent dessus, parce qu’on
ne leur donne rien.
Il y a leurs bâtards de chiens.
Il y a qu’on se sent membre de la grande famille des miteux
sans qu’on n’y connaisse personne.
Il y a des emplois qu’on nous propose, et qu’on refuse,
et qu’on regrette.
Il y a les conversations entre pauvres, le soulagement qu’on
en retire, la perversité qu’on en perçoit.
Il y a qu’on est entre pauvres.
Il y a les nouveaux qu’on observe à l’ANPE, qui
sont nerveux et rigolos.
Il y a les cadeaux qu’on revend.
Il y a ceux qui disent que « gagner sa vie » est une
expression malsaine.
Il y a le jour où on réalise en écoutant France
Info qu’on vit en dessous du seuil de pauvreté.
Il y a qu’aussi bien on vivait avec cinq fois moins que le
seuil de pauvreté sans le savoir.
Il y a le temps qu’on met pour réaliser vraiment ce
que ça signifie.
Il y a qu’on se demande si nos proches se rendent compte de
ce qu’on vit.
Il y a les sujets qu’on évite d’aborder avec
ceux qui ont du travail.
Il y a ceux qui ne connaissent pas la valeur de l’argent.
Il y a différentes raisons d’accepter un travail.
Il y a des gens qui retrouvent un travail et qui continuent à
se sentir pauvres vingt ans après.
Il y a des gens qui retrouvent un travail et qui sont tellement
nerveux à l’idée de le perdre qu’ils font
n’importe quoi et qu’on les vire.
Il y a ceux qui disent « j’aimerais bien être
en vacances toute l’année comme toi. »
Il y a souvent la colique.
Il y a les pieds qui font mal quand on rentre le soir.
Il y a le mal au dos quand on se réveille.
Il y a la nausée qui nous prend sans raison.
Il y a les yeux qui voient mal et la peur de devoir aller chez l’opticien.
Il y a l’idée qu’on est fort.
Il y a ceux qui deviennent fous.
Il y a souvent l’impression de devenir comme eux.
Il y a les choses volées qu’on achète.
Il y a les choses volées qu’on revend.
Il y a la peur de se faire attraper et de « tomber. »
Il y a la prison.
Il y a ceux qui entrent en prison.
Il y a ceux qui sortent de prison.
Il y a ceux qui retournent en prison.
Il y a le sida.
Il y a les T.S.
Il y a la cotorep.
Il y a l’hôpital psychiatrique.
Il y a les bougies qu’on fait brûler pour chauffer ses
doigts.
Il y a le jour du RMI.
Il y a la convocation au RMI.
Il y a l’anpe.
Il y a les chômeurs rémunérés.
Il y a l’assedic.
Il y a la queue des assedics.
Il y a la nervosité dans la queue des assedics.
Il y a tous ceux qui ne disent plus rien dans la queue des assedics,
comme nous.
Il y a le prix des loyers.
Il y a les quittances de loyer.
Il y a les agences immobilières.
Il y a les demandes de justificatifs.
Il y a le mot « propriétaire. »
Il y a les mains dans les poches.
Il y a les poches percées.
Il y a la laine synthétique au fond des poches percées.
Il y a les doigts de pied qui sortent des trous dans les chaussettes,
comme des vers.
Il y a les cernes sous les yeux.
Il y a la carte d’identité qui est périmée
et qu’on ne peut pas faire changer parce qu’on n’a
pas d’argent et pas d’adresse fixe.
Il y a que pour avoir des vacances, il faut du travail.
Il y a qu’on se ment à nous-mêmes.
Il y a qu’on le sait, et qu’on continue.
Il y a les vacances qu’on ne prend pas.
Il y a ceux qui ont été pauvres et qui ne le sont
plus et qui haïssent les pauvres.
Il y a qu’on travaille bénévolement.
Il y a qu’on fait plus d’heures que n’importe
quel salarié.
Il y a sûrement des raisons pour qu’on fasse ça,
mais on ignore lesquelles.
Il y a des blagues de pauvres, qui ne font rire que les pauvres.
Il y a que tout n’est peut-être pas lié à
notre pauvreté matérielle, mais que nos vies se ressemblent
toutes.
Il y a qu’on ne voulait pas vraiment ça, ou pas tout
à fait.
Il y a que de toute façon c’est trop tard.
Il y a qu’on n’a pas dû assez réfléchir.
Il y a qu’on pensait que cela irait.
Il y a qu’on ne rejette pas la faute sur autrui, ou alors
pas longtemps.
Il y a que la pression ne retombe jamais.
Il y a la liberté théorique que n’avoir pas
de travail procure, et la pratique.
Il y a la manière dont on s’adapte : si on n’a
pas d’espoirs, on ne sera pas déçu.
Il y a ce vers quoi ça mène.
Il y a les projets d’avenir pour le mois prochain.
Il y a la glacière qui sert d’unique meuble pendant
deux ans.
Il y a la première connaissance qu’on amène
dans son appartement, et la honte soudaine d’y habiter.
Il y a les rencontres avec qui on s’entend bien, et dont on
découvre systématiquement qu’elles n’ont
pas un rond.
Il y a UNIDIALOGUE tous les mois.
Il y a le « Seuil de pauvreté en France » dont
le montant nous fait maintenant halluciner.
Il y a les « vrais » pauvres.
Il y a qu’on ne sait jamais vraiment ce que ça veut
dire, avant de l’être.
Il y a qu’on s’y habitue.
Il y a que ce sont chaque jour des milliers de petites choses infimes,
pas graves.
Il y a qu’on le ressent en permanence, comme de milliers de
petits coups d’aiguille répétés.
Il y a les gros problèmes, des coups de masse.
Il y a qu’on ne va plus chez le docteur.
Il y a les réveils angoissés, la nuit, pour des broutilles
insolubles.
Il y a les « broutilles ».
Il y a les « faux problèmes ».
Il y a qu’ils nous pompent toute l’énergie.
Il y a qu’on se rappelle parfois qu’avant, ça
allait mieux pour nous.
Il y a qu’être pauvre c’est romantique.
Il y a des moments et des lieux où ne pas en parler.
Il y a que c’est marqué sur nos gueules.
Il y a qu’en parler est faire preuve d’un engagement
politique et que celui-ci doit être cohérent, sans
faille, sans quoi on se tait.
Il y a qu’on ne peut plus parler de soi, sans parler de «
pauvreté ».
Il y a que nous sommes « des pauvres ».
Il y a qu’on a le temps d’y réfléchir.
Il y a les moments où la tension retombe.
Il y a qu’on ne doit pas laisser retomber la tension.
Il y a 40 de fièvre.
Il y a que tout coûte de l’argent.
Il y a qu’on a trop de temps, contre pas assez d’argent.
Il y a qu’il faut prendre ses responsabilités de pauvre.
Il y a ceux qui aiment bien s’habiller comme de la merde.
Il y a ceux qui aiment bien ne rien faire, jamais.
Il y a la culpabilité de ne pas être « vraiment
pauvre ».
Il y a la gêne de croiser un « autre pauvre ».
Il y a « l’élite des pauvres ».
Il y a parfois de faux pauvres, qui sont cultivés.
Il y a que notre comportement devient plus violent.
Il y a qu’on nous reproche d’aimer ça.
Il y a qu’on prend goût à ça.
Il y a les « réponses de pauvre ».
Il y a leur inefficacité.
Il y a qu’on arrive à comprendre de plus riches qui
n’arrivent pas à comprendre de plus pauvres.
Il y a qu’on devient extrême.
Il y a ce qu’on avait essayé de ne pas devenir.
Il y a ce qu’on essaye de ne pas devenir, toujours un cran
plus loin.
Il y a : un peu plus pauvre, un peu moins pauvre.
Il y a les amis un peu moins pauvres que nous, et ce qu’ils
font de leur argent.
Il y a ceux qui vérifient leurs comptes tous les mois, ne
sachant pas ce qu’ils ont dépensé.
Il y a les films avec des protagonistes pauvres, devant lesquels
on pleure maintenant systématiquement.
Il y a des sanglots étouffés dans la gorge pendant
des semaines.
Il y a la peur de devoir descendre encore juste un tout petit peu
plus bas.
Il y a la peur de vieillir, d’avoir froid, de ne plus pouvoir
monter les courses au troisième étage.
Il y a les réveils au milieu de la nuit où l’on
cherche des solutions pour s’en sortir.
Il y a l’envie de claquer ce qui reste et de se mettre une
balle.
Il y a l’envie de tirer un trait sur tout ça.
Il y a une envie de pleurer.
Il y a qu’on aimerait s’en sortir à tout prix
mais pas si c’est trop cher.
Il y a que si c’est trop cher on n’a pas les moyens.
Il y a, parfois, des jours où on va bien.
Il y a les jours où on se demande comment on a pu en arriver
là.
Il y a que l’idée de retrouver du boulot nous tétanise.
Il y a des jours où on se demande comment ça va finir.
Il y a le sentiment que pour le moment on a eu de la chance.
Il y a qu’on pourrait un jour ne plus en avoir.
Il y a que la pensée s’épaissit.
Il y a les mots qui ne sont plus utilisés.
Il y a que pourtant on travaille, on travaille.
Il y a ces hommes et ces femmes que l’on croirait sortis des
pages d’un magazine.
Il y a des personnes en synthétique, qui sentent bon.
Il y a que si on était plus riche, on se dégoûterait
encore plus.
Il y a que l’idée de continuer comme ça pendant
vingt ans nous donne la nausée et le tournis, et il y a l’idée
que ça empire.
Il y a nous et il y a de larges flaques de dégoût tout
autour, qui menacent.
Il y a des moments où on ne se sent ni malade, ni fatigué,
ni déprimé.
Il y a des moments où on se demande combien on vaut.
Il y a de l’incrédulité.
Il y a de la mythomanie malheureuse.
Il y a le fantasme d’être enfin le plus pauvre pour
ne plus avoir à recevoir de leçons.
Il y a chaque geste qu’il faut entreprendre.
Il y a que les papiers à remplir nous font peur.
Il y a la complexité, tout le temps.
Il y a que tout est difficile, tout est difficile.
Il y a le temps qui s’écoule au ralenti.
Il y a chaque jour la même chose.
Il y a les repas qu’on saute.
Il y a la pitié qu’on s’inspire à soi-même.
Il y a le réconfort de nos propres caresses.
Il y a : rentrer tôt, pleurer un coup, essayer de dormir.
Il y a qu’on ne comprend pas ce qui nous arrive.
Il y a le front national (élu par nous les pauvres.)
Il y a les discours raisonnables et indignés du parti socialiste
et des verts et du parti communiste.
Il y a tous ceux qui nous traitent d’assistés, de fainéants,
de branleurs.
Il y a les idées toutes faites qu’on se fait de soi-même.
Il y a qu’on croit valoir mieux que ça, et que ça
n’est peut-être le cas.
Il y a un masque de soi-même et la pauvreté en dessous.
Il y a de pauvres os.
Il y a de pauvres chairs.
Il y a de pauvres muscles distendus.
Il y a qu’on sent comme une vitre en plexiglas entre nous
et la vie.
Il y a de la difficulté à respirer.
Il y a que personne ne nous voit.
Il y a qu’on est invisible.
Il y a tous les jours la même chose.
janvier 2006
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