L'affiche
du spectacle organisé pour la sortie du CD de L.L. de Mars, "Cantate
pour un poisson"; lectures publiques et musique. |
Même si les objectifs de la lecture publique restent souvent flous, même si la plupart des lecteurs bousillent le rapport au texte et l'étranglent plutôt qu'ils ne l'enrichissent (ce qui est toujours préférable à la détestable manie de confier la lecture à des acteurs), certaines situations,
certains partis-pris, certains enjeux, lui accordent une position irremplaçable : ci-dessous, une lecture du texte intégral
de Si c'est un homme, de Primo Levi ; l'épreuve de six
heures et demie de lecture continue pour le public est peut-être
un moyen d'endurer physiquement - même si cette épreuve
est évidemment bien dérisoire en regard de l'objet de ce texte - le poids du témoignage. |
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Bernard Heidsieck, L.L. De Mars |
Il y a quelques écrivains pour lesquels cette question d'un sens de la lecture publique ne se pose pas, ce sont les poètes pour lesquels la bande magnétique et l'espace sonore ont remplacé le papier : poésie sonore, poésie concrète, partitions de signes et de mots, autant d'objets expérimentaux qui échappent à l'idée d'une lecture comme translation pour lui substituer celle d'une lecture comme mode de production.
Bernard Heidsieck (à gauche) m'ouvrit à ces prospectives. Son écoute me persuada d'abandonner les derniers liens interprétatifs de ma lecture.
Dans
le cadre de certains spectacles mêlant plusieurs lecteurs et,
parfois, le travail de musiciens, la lecture publique peut devenir le terrain de rencontres
et d'expériences artistiques nouvelles et jubilatoires.
Lorsqu'en 1996 un collectif de plasticiens et de musiciens (ceux-là mêmes qui composaient l'ensemble Rhyzome) décida de créer le festival Primavera à Rennes, l'un d'entre eux me confia l'organisation d'une soirée consacrée à la lecture publique. Ce fut la soirée 7 fois dans la bouche, qui allait réunir Bernard Heidsieck, Christian Prigent, Charles Pennequin, Julien Demarc, la STPO et moi-même. Chacun était invité à improviser s'il le désirait, les musiciens eux-mêmes étaient conviés à suivre les lectures s'il leur semblait judicieux d'intervenir.
Je décidai de rompre avec l'usage des enchaînements en maintenant tous les intervenants sur scène pendant toute la durée de la soirée — libres toutefois de déambuler comme bon leur semblait — et en mettant à leur disposition une bonne bouteille de vin. Timides, les intervenants n'abusèrent ni du vin de la possibilité de croiser leurs lectures, leur musique, mais par cette première approche d'une scène un peu libérée de ses protocoles de présentation et de la régulation habituelle des soirées, je perçus ce que pouvait être une scène toute entière ouverte à la vie (évidemment, ma découverte plus tardive des propositions de Cage, entre autres, allait émousser mon petit sentiment d'ivresse d'être un pionnier en terrain vierge ; mais, d'une certaine manière, ces balbutiements timides m'avaient rendu, sans doute, plus à même de comprendre ces propositions et d'en tirer un enseignement) |