L.L. de Mars :  Oui. C’est curieux... C’est curieux mais d’un autre côté il y a quand même quelque chose qui bascule nettement dans cette période, aussi... probablement dû à, à un changement radical de notre mode de vie... C’est que... accède  d’une façon assez massive à la production - c’est toujours le cas aujourd’hui, ce qui change beaucoup la donne de la production - tout un pan de la société qui jusque-là était au travail, se condamnait au monde du travail ; c’est-à dire de nombreux jeunes gens, d’un milieu ouvrier, qui se condamnaient au travail dans la génération précédente, pour des perspectives d’avenir, des trucs comme ça, et qui là s’emparent de la production artistique.

Loulou Picasso :  C’est vrai, et c’est vrai qu’en plus on était relativement nombreux... C’est aussi l’écho à une sorte de phénomène... les gens de mon âge à l’époque se foutent absolument de l’avenir et des conséquences, ils s’engagent de façon assez radicale...

L.L. de Mars :  Oui. Dans les années 50/60, l’artiste, c’est encore un grand bourgeois, et aujourd’hui ils sont presque tous RMIstes, il y a eu un basculement social incroyable.

Loulou Picasso :  Mais avec des, tu sais - comment dire? - des... des réflexions qui sont quand même sur... c’est un peu ce que je te racontais tout-à l’heure¹, sur l’action culturelle; moi et Kiki, on a toujours été
L.L. de Mars :  (sourd comme une bûche) Qui?

Loulou Picasso :  Kiki. L.L.de Mars :  Ah, Kiki, oui, excuse-moi.

Loulou Picasso :  Non mais souvent je parle des deux, parce que on a vraiment une pratique complice depuis des années. Une véritable, comment dire?, un véritable engagement pour, pour l’épanouissement des individus², tu vois, pour essayer de faire émerger des trucs. C’est uniquement... tu sais j’avais une pratique artistique beaucoup plus, enfin beaucoup plus forte que mes copains etc., des Beaux-Arts... C’est moi qui lui ai appris le dessin à Kiki... Vraiment, lui arrivait, par orientation professionnelle, c’était, c’était vraiment le dernier de ses trucs, de ses compétences... J’ai formé, oui, pas mal, pas mal de monde comme ça ; leur apprendre à dessiner, essayer de, tu vois, un peu, de voir quelles étaient leurs capacités, leurs talents, enfin bon... C’est un peu le travail de Bazooka comme ça aussi sur le temps, et puis après on s’est aperçus qu’on avait donné envie de dessiner et d’écrire à une flopée de gens...

1 : avant l'entretiens

2 : Dans ce domaine, en quelque sorte, Kiki vient de sortir avec Christian Vila un gros ouvrage richement illustré consacré aux psycho-actif (LSD) publié par les Éditions du Lézard