Vous aurez pourtant compris quand vous
aurez dégusté les spécialités locales que
sont la tonne de beurre farcie au saindoux et le kik ar farz au grouique
génétiquement blet, qu'il n'y a pas de quoi être
fier, et que n'importe quel humain tout plein de ses vrais bouts se
prétendrait plutôt polonais que d'avouer être né
à Plougastel. Mais voilà, il y a un truc que peu de gens
savent à moins comme moi d'être né à Lorient,
terre natale du festival interpréhistorique des hernies qui
couinent1, le brouton n'a pas tous ses bouts (il est
pas bien cuit, comme on dit ici) :
certaines personnes vous répondent douze fois là même
chose à une question de météo que vous ne leur
avez pas posée parce qu'il leur manque la mémoire à
court terme; d'autres vous affirment que les chambres à gaz étaient
des bobinards luxueux ou pétaient les maîtres du monde
qui voyageaient gratis en Pologne aux frais des contribuables allemands
parce qu'ils ont perdu la mémoire à long terme; le brouton,
lui, n'a tout simplement pas de glande à avenir : il pense que
demain c'est avant-hier et il met des gilets à trois rangées
de petits boutons dorés quand on lui parle de l'Europe. C'est
assez emmerdant pour aller de l'avant, et quand un gros bâtiment
brûle dans ce qu'il croit être la capitale de la Broutagne,
et bien il reconstruit le même, tout pareil, tout faux vieux,
tout carré. Et quand le passé de tout le monde ne coïncide
que très vaguement avec son désir du passé à
lui, le brouton s'en tricote un tout neuf qu'il vend en bandes dessinées
pompières avec des boîtes de pâté2.
1. Visiteur perspicace, sauras-tu retrouver le maire de Lorient dans cette
chroniquette pleine d'amour et d'aventure?
2. pâté et bd sont les deux mammelles
de Hénaff |