Un voyage est bien peu, défini par
le déplacement qu’il suppose. Mais il ouvre, il peut ouvrir,
parfois, une rencontre (sans laquelle il n’est pas, au fond, un
voyage) : ainsi, de longs parcours, des déplacements éprouvants,
n’ont pas été pour moi des voyages tant que je n’y
ai rencontré que moi-même, exactement semblable dans son
équipement à celui que j’avais laissé dans
son fauteuil un livre ouvert sur les genoux. Le seul chemin, aussi épuisant
soit-il, ne détient pas le pouvoir de vous extraire de l’intacte
identité du départ.
Lorsque la rencontre avait eu lieu, restait encore à évaluer
la réussite du voyage ; certaines rencontres ayant à leur
manière la fadeur éternelle du même masqué
sous la dorure du neuf. Il faut à ce voyage réussi un ensemble
de circonstances auxquelles rien ne vous préparait, résistantes
à toute préparation; il lui faut la découverte de
formulations (d’oeuvres), des conditions épiphaniques ; s’il
est presque impossible (probablement insensé) de dégager
de cette terminologie que je détériore de Joyce son caractère
chrétien, c’est pourtant aux notions de brutale et complète
perception neuve, inédite, et d’extase que je fais appel
; soit , au fond, à l’opportunité offerte au sujet
d’une recomposition complète par l’adjonction d’une
partie neuve, à la fois intellectuelle et charnelle. La rencontre
est plus une affaire d’oeuvres que de sujets, mais en tant que l’oeuvre
est, elle-aussi, un sujet (cf. «Un
artiste peut-il travailler avec l’institution? Non»).
Trop de systèmes, de protocoles, trop de biographie, font obstacle
à la rencontre entre les hommes; il faut au moins le temps, la
prudence et la patience d’une amitié pour qu’elle ait
lieu (le sauvage, l’immédiat, y sont des temps courts de
préparation et d’aménagement de la patience, des signaux).
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