C’est sans doute une question de
dimension. Disons qu’entre les hommes, les dimensions ne sont pas
disponibles, que le voyage n’aménage que des surfaces de
projection où glissent des figures de conventions. À vous
de vous y laisser prendre ou pastant que vous ne perdez pas de vue leur
caractère de conventions. Mais la rencontre d’une oeuvre,
voilà qui me semble possible; voilà, au moins, qui mérite
d’être tenté par le voyage.
La rencontre d’une nouvelle image de laquelle découle une
nouvelle possibilité de l’image, de toutes les images, la
rencontre d’une dimension préparatoire à une nouvelle
expérience de l’image : dans ce cadre, disons qu’une
image rencontrée est une manière inédite de représenter
un moment par un léger pas de côté face à sa
source (iconographique, littéraire, poétique, historique),
inédite relativement à toutes les approches préalables
de ce moment dans son histoire, dans ses commentaires, ses illustrations...
Ce que j’appelle la nouvelle possibilité de l’image
est l’invention d’un nouveau champ spéculatif qui viendra
enrichir toutes les autres images, irréparablement, tous les autres
moments (car on ne peut apprendre à oublier).
Ces conditions sont rares, mais tout de même assez souvent réunies
pour que chacun de mes voyages artistiques (en Italie ou en Belgique principalement)
ait pu m’apporter un de ces subtils moments de turbulence à
la fois charnelle et intellectuelle, ravissement, vertige, peu importe
la description qui conviendra pour vous le mieux à cet état
particulier où l’on cède par abandon volontaire à
une situation inédite, que rien ne préparait, qui vous brûle
les joues (les rougissent comme le sentiment d’incongruité,
l’embarras) et marque ce que, vraiment, on pourra appeler une rencontre
: il y avait eu, aux Uffizi, le lent passage observé entre les
plis du maphorion chez le Cimabue, de ces ciselures d’or qui en
écrivaient la présence - renvoyant négativement au
texte, au calame, à l’encre -, aux doux modelés giottesques
qui, désormais le peignaient, le représentaient (lui faisait
gagner sa part de peinture, métonymie parmi les milliers d’autres
de l’incarnation qui lie éternellement Christianisme et image)...
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