Dans la chapelle Saint Corneille je découvre
un bois sculpté, grave et doux, représentant une scène
déconcertante : elle formule l’expression la plus accomplie
du détachement, à la fois par la distance inouïe qui
creuse devant le regard vide de ce Christ «sur la pierre froide»
ce qui sépare sa substance de toutes les autres, et, aussi, par
le caractère impossible (apocryphe) de la scène qui se joue
ici ; le Christ jouit dans cette scène d’une solitude impensable,
car, tout entier emporté dans le fil du calvaire dont il porte
les marques - habillé de son seul périzonium, couronné
d’épines, les poignets liés - il y est arraché
par un moment d’inaccessibilité, de retranchement, image
arrêtée de son extériorité éternelle
à cette scène qui ne se donne que pour nous; ainsi, de cette
extraordinaire séparation de la chair (c’est sa nature divine
qui prend le dessus sur une scène jouée de toute éternité)
et de l’histoire (à la fois celle de la Passion laissée
filée à son cours et celle de la storia iconographiée
dont cette figure se décolle), c’est la substance-même
de l’oeuvre d’art chrétienne que personnifie ce Christ
sur la pierre froide. Intrigué par le caractère exceptionnel
de cette composition sculptée, je me demande si elle est isolée,
absolument, où si elle ressortit à une manière, une
époque, une formule de l’expression artistique locale. Cette
tournure figure, semble-t-il, au sens strict de la storia, un épisode
inimagineable de la Passion en tant qu’elle présente dans
un pli du récit le Christ à un moment où toute retraite
est impossible. Mais la pierre froide joue à sa manière
l’appel (comme la mouche noire sur la balustrade effrayant l’enfant
Jesus dans la plus célèbre des Madonna con Bambino de Crivelli)
et déplace la figure hors de la stricte représentation d’un
épisode pour nous plonger dans l’unité de la Passion,
et c’est, sans doute, déjà, le tombeau qui fait le
socle de cette figure d’une relation métaphysique. La singularité
de cette figure est d’ailleurs tout autant due à ce qu’elle
nous rappelle le portrait du Dieu vivant-mort que l’on dit «Christ
de pitié» — souvent représenté dans les
arma christi parmi les nuages de signes de la Passion — qu’à
ce par quoi elle s’en distingue, mettant en avant les caracactères
délicats de la lègère dissemblance. |