Louvain, Musée Vander Kelen Mertens - La collection fantôme
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De la seconde vitrine s’élèvent quelques figures dont je suis parfaitement vierge, me confrontant à cet étrange sentiment que j’apellerai, faute de mieux, l’inédit archéologique : si je me suis peu à peu familiarisé avec la représentation du père en tant qu’il est irréprésentable (prinipalement depuis ma première visite à Santa Maria Novella et ma découverte du Masaccio évoqué plus haut), c’est toujours à l’écart du drame que je l’ai vu dépeint, c’est-à dire désigné justement comme l’irreprésentabilité-même, étranger aux turbulences de la présence, aux affections de la chair ; l’art chrétien a basé une grande partie de sa subtilité dans ces franges par lesquelles une légère opposition, une dissemblance discrète — écart dans le temps proposé des figures — ôte de l’image là où pourtant elle se montre. Ainsi, dans une Annonciation, c’est une forme d’invitation à voir ce que la Vierge, elle, ne voit pas, qui tire l’image vers un temps autre que le temps de la storia, celui même du spectacle de la peinture, recomposé infiniment dans l’écart par notre visite associée à ce déroulement distant: nous sommes, par ce procédé, les invités de la peinture, à la fois présents et absents, et l’image de l’ange, qui n’est destinée qu’à nous, se montre en tant qu’elle désigne, aussi, la grossièreté de nos sens par le seul fait qu’elle doive les satisfaire et, avec eux, satisfaire notre appétit de l’histoire.
Si j’ai désormais vu assez souvent la plus impossible des images, associée parfois à la Passion, cette représentation du Père s’écartait jusqu’ici de l’épreuve dans la douleur du sacrifice qui, a priori, n’appartient pas à celui qui ici n’est pas en jeu. Devant mes yeux, au contraire, le Père tient le rôle habituellement dévoué à Marie ; Il soutient le Christ avec tendresse, gravité.
Si l’entendement fait tenir cette représentation de Dieu pour une forme d’abaissement propre à toute image — la souillure que représente le sacrifice du Fils le tire elle-même vers l’image — alors cette —représentation peut à son tour — pourquoi pas? — être tenue pour objet du sacrifice qu’est l’image (sacrifice adamique d’une vieille communication coupée pour aménager dans sa scénographie l’invention d’un territoire nouveau), être entraînée dans le cycle de la rédemption comme pour mieux, au fond, en appuyer l’empire. Si je vois donc dans cette vitrine une très singulière pietà sculptée où le Père, triplement couronné de la tiare pontificale, tient la place habituellement réservée à Marie, alors c’est l’image elle-même qui, d’une certaine manière, rassemble toutes les compositions du sacrifice par la souillure de Dieu en elle.
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