Les premières figures de la vitrine
de gauche, qui ouvrent l’assemblée, sont féminines;
ce sont de nombreuses vierges, le plus souvent représentées
avec l’enfant Jésus, dont la plus haute n’excède
pas les 80 centimètres. La plupart sont élancées,
retenues, aux traits dessinés, toutes d’arêtes âpres
à peine polies, le sourcil haut tout juste effleuré par
le ciseau du sculpteur (Il n’est pas toujours facile de distinguer
par où l’affinement de la peinture devait prendre le relai
et corriger la taille du bois, l’adoucir, la plupart des statues
ayant perdu leurs couleurs); l’oeil en amande, étirées,
l’attitude grave ; un spectateur peu attentif pourrait les croire
soeurs ; mais les plis se déclinent du pan brossé de quelques
incises aux cascades géométriques des triangles de tissus
qui font au bois les organisations feuilletées des tableaux de
Van der Weyden ou Van Eyck; les visages, touchés par la microscopique
et gracieuse mobilité d’un lèvre, d’une narine,
interdisent toute confusion entre les figures et stupéfient,
même, le spectateur qui cherche la marque visible, le trait distinctif
par lequel ce qui s’impose à lui comme la plus riche variété
possible prend naissance.
Derrière une haute vierge, aussi évidente qu’une
plante, une Sainte Barbe (que nous avons souvent vue représentée
dans les églises Belges et rencontrée de temps en temps
sous le nom de Sainte Barbara) dont la tour du supplice s’est
ramassée à la dimension d’un attribut, bibelot,
arme ou organe ; puis une ou deux de ces curieuses et belles figures
d’Anne trinitaire qui ouvrent pour l’enfant Jésus
sa lignée maternelle en figurant, souvent, l’instruction
de la vierge, conjointement, parfois, à la sienne ; parmi elles,
une Sainte Catherine d’Alexandrie dont quelques écailles
usées rappellent dorures et couleurs qui furent un jour le dernier
manteau de la plupart de ces statues désormais pacifiées
par le temps dans une seule tribu boisée. La densité et
la diversité des bois sculptés en interdit le recensement,
et c’est sur place, avec infiniment plus de temps, que j’aurais
dû prendre ces notes pour qu’elles puissent vraiment servir
à quelque chose. Désormais l’unification est plus
ravageuse encore, et c’est une terrible bouillie qui renvoie au
brun et à la fusion toutes ces merveilles aussi certainement
qu’un disque optique fond toutes les couleurs du prisme en un
voile blanc. C’est avec amertume que je laisse dans le souvenir
de cette vitrine se loger une masse incertaine, d’une teinte générale
et brouillonne, engorgeant les trois ou quatre mètres qui séparent
ces groupes de femmes splendides de deux ou trois représentations
de St Jérôme qui concluent la vitrine de gauche (elles
rassemblent, par le jeu des associations d’attributs, les différents
moments — plus justement: les différents états —
de la vie du Saint, à la fois pénitent dont le bouillonnement
passionnel est gelé dans le coeur d’un lion assagi à
ses pieds comme un insecte figé dans l’ambre — et
ecclésiastique érudit encore vêtu de sa robe de
cardinal, chapeauté, proche de son oeuvre, la vulgate).
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