Louvain, Musée Vander Kelen Mertens - La collection fantôme
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En franchissant le seuil, la surprise part comme une détonation : là aussi, dans cette salle de peintures, c’est l’exiguïté des lieux relativement à la richesse de la collection qui s’est emparée avec furie de la distribution de l’espace, zébrant la profondeur de la pièce de multiples plans de retables ouverts sur des tribunes sombres qui mètrent la superficie comme le feraient les panneaux coulissant d’un décor de théâtre. C’est un étrange colloque qui s’offre ici, agençant les panneaux de bois précieusement peints et destinés à la confidence d’un entretien recueilli comme autant d’avant-plans successifs conduisant en prologue à un immense triptyque qui embrasse largement le mur du fond.
Des murs, d’autres chefs d’oeuvre dévorent l’étendue et nous savons déjà que nous n’aurons de temps à consacrer qu’à trois ou quatre d’entre eux dans la petite heure qui nous reste; la première pièce qui se présente à nous, à gauche, est une scène de martyre épouvantable dont la vive représentation frappe l’imagination et la glace: un Saint (Quentin?) se fait enfoncer à coups de masses par deux tortionnaires grimaçants d’immenses clous dans les salières sous-claviculaires. Tout entier absorbés par les ondes de choc, ce n’est qu’après nous être remis, à peine, de la brutalité suggestive de ces impacts arrêtés que nous distinguons la série de clous déjà enfoncés sous les ongles des pieds et des mains du suppliciés (une fois encore, j’éprouve devant lui le sentiment étrange d’un hoquet dans la logique historique de l’Incarnation, comme un foirage de la Passion... c’est surtout pour moi l’échec de la Rédemption que représente l’interminable guirlande martyrologique, l’impiété, au fond, des martyrs qui, par l’acquiescement miraculeux de Dieu à leur nature exceptionnelle, semblent être l’écho d’une rédemption qui doit sans cesses être relancée par leur souffrance imitative. Que rachètent-ils dans l’image chrétienne s’ils n’ont été eux-même rédimés par le Christ en croix? Est-ce parce que, comme le disait Bataille dans ses notes sur Nietzsche, Dieu, dans cette mise en scène, ne risquait rien?)

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