L.L. de Mars:
La question est très très actuelle, elle est rendue actuelle,
par exemple, par l’étrange jeu de séduction qui se
donne aujourd’hui entre la sphère de l’art contemporain
et celle de la bande dessinée : on voit d’un côté
les revues de...euh... Consacrées à l’art, qui n’y
connaissent généralement pas grand-chose à la bande
dessinée, donc, s’en remettre à quelques dessinateurs
qui ont l’air pour eux de représenter le dernier état
de la bande dessinée, pour composer des numéros spéciaux
et des choses comme ça... On voit d’un côté,
donc, tous ces dessinateurs qui frétillent de joie à l’idée
d’être sollicités, — enfin ! — par le monde
de l’art qui les méprisait depuis si longtemps... C’est
un frétillement de joie qui est super bizarre... Parce qu’il
est la suite d’une chaîne ininterrompue de malentendus historiques
considérables; d’une part, on a vu dans la bande dessinée
contemporaine, enfin celle des 15, 20 dernières années,
beaucoup de pratiques du dessin qui draguaient ouvertement du côté
de ce qu’on pouvait naïvement s’imaginer être une
pratique du dessin moderne «ailleurs» — Généralement
avec plus d’échecs que de réussites, c’est-à-dire
qu’on perdait la bande dessinée en route — et de l’autre,
un monde de... Disons d’intellectuels, qui au fond n’aiment
jamais tant la bande dessinée que quand elle continue à
correspondre à l’idée de cette chose émouvante
qui avait accompagné leur enfance, et pas du tout à l’idée
qu’elle puisse mettre un pied... À son tour... Dans, dans
le parc des grandes ambitions «modernes»... Ça ça
me semblait être... Un noeud de... Un noeud de quiproquos... Qui
pose crûment la question : « mais qu’est-ce que c’est
que la modernité de la bande dessinée ? Qu’est-ce
qu’elle a de spécifique ? Comment elle se manifeste ? Où
? Comment les auteurs... Eux-mêmes... Se posent par rapport à
ça ? » Ça m’intéresserait de savoir comment
toi tu poserais cette question ; déjà, comment tu définirais
la modernité ?
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