Extrait de la Vaisselle, Philippe De Jonckheere, 1999.

I.


Tu me manques déjà, mais tu n'es plus là.


Ce fut une pensée lente et longue à accepter. Sa réalisation prit du temps mais les faits étaient là, tangibles. Au début le corps du mort était étendu dans la pièce principale, au pied du manteau de la cheminée, qui le regardait tandis que lui essayait de fuir cette pensée. Du décès il ne voulait plus être rappelé, s'efforçant de rendre lacunaire une mémoire habituellement puissante. Mort, il ressemblait exactement à ce qu'il était quand il était vivant, si ce n'est que vivant il avait l'air plus vertical, moins horizontal. Le regard du mort avait cela d'étrange que d'où qu'il se trouvât dans la pièce, il se sentait suivi de ce même regard. Le regard du mort avait une faculté motrice comparable à celle des regards des tableaux flamands de la Renaissance, de ceux qui vous suivent alors que vous vous déplacez lattéralement par rapport au tableau. Tout cela n'aidait en rien. Les yeux vides continuaient de fixer. A bien y réfléchir d'ailleurs les regards des tableaux flamands auxquels il pensait, des portraits de Memlinc, dépeignaient des regards de mort, des regards qui auraient dû être d'autant plus éteints qu’ils étaient ceux d'illustres notables de l'époque de Memlinc, à ce jour tous morts assurément. J'ai bien penser à lui fermer les yeux, de ce geste rare où la main passe d'abord sur le front vers le bas du visage, et puis atteignant la bouche, les yeux se découvrent fermés. Eternellement. N'exagérons rien. Mais de l'approcher et plus encore de devoir affronter du toucher la roideur de son front m'en empêchait. J'avais aussi peur de commettre, curieusement, l'irréparable. Ce qui est idiot. Bien sur. Il suffirait de les rouvrir si le besoin s'en faisait sentir. A coup sur. Mais est-ce qu'au contraire de les fermer, l'opération ne demandait pas une pression supplémentaire des doigts de la main? Je ne préferais pas essayer.


C'était une bien curieuse chose que de devoir partager ainsi son habitat avec un mort, un cadavre. Les déambulations dans la pièce principale en étaient rendues mal aisées. Perturbées. En fait le mort s'accaparait un périmètre sans cesse croissant et vital. Ses foulées qui passaient, ne serait-ce qu'hier, à une distance déjà raisonnable, respectable, n'avaient cessé de s'écarter davantage au fil des heures. La pièce n'était de toute manière pas très grande. L'occupation croissante de l'espace par le mort relevait d'une fonction linéaire. Il se livra rapidement à une évaluation approximative: la fuite du regard du mort devait normalement le conduire hors de la pièce principale dès demain matin.


Le tout était de ne pas céder du terain prématurément. Enfin facile à dire. Une fonction un temps linéaire peut devenir exponentielle sans prévenir du fait d'un élément déclenchant, un catalyseur. En fait la situation avait beau être retournée en tous sens, il convenait d'admettre qu'elle était peu enviable. Il importait de dresser un plan de résistance.


Admettons que pour des raisons de commodité, et puis disons le tout de suite, j'ai peur de dormir dans la même pièce, à croire que la nature durable de son sommeil à lui puisse être contagieuse, si nous devions faire se voisiner nos sommeils __ je ne peux tout de même pas dormir tous les soirs à l'hotel; admettons donc que je céde du terrain plus vite, et si c'était pour mieux me retrancher. De toute façon la progression était inéluctable. Comment l'enrayer? Restons calme. Pas de précipitation hâtive. Si l'envahissement suit la même progression, linéaire s'entend, je ne pourrai rester demain matin dans la même pièce. Et avant deux jours, il me faudra quitter l'appartement. Cédons lui tout de suite la pièce principale.


Et si c'était une erreur?


Ni une ni deux.

Et si c'était une erreur?


S'emparer du matelas, de la couverture.

Et si c'était une erreur?

Jetter prestement l'ensemble dans le couloir.


Et si c'était une erreur?


Fermer la porte.

ET SI C'ETAIT UNE ERREUR?

C'est bon.


ET SI C'ETAIT UNE ERREUR?


Il n'y a plus rien à craindre.


ET SI C'ETAIT UNE ERREUR?


Il a sa pièce.


ET SI C'ETAIT UNE ERREUR?


Restent le couloir, la kitchenette, les chiottes.


ET SI C'ETAIT UNE ERREUR?


Ca devrait suffire.


Et si, tout bêtement,c'était une erreur?


S'injoignant au calme, il lui semblait avoir marqué son premier point. Sa première victoire. Il était resté calme. C'était ce qui comptait. Rester calme. Et si c'était une erreur, une de ces erreurs qui ferait suite à la longue série des erreurs déjà commises et qui de ce fait viendrait alourdir de son poids propre la masse déjà pesante des erreurs qui ont jalonné les raisonnements précédents? Celui qui ne corrige pas une erreur commet une autre erreur, et d'errer ainsi d'erreur en erreur sans pouvoir jurer d'ailleurs qu'un tel chemin éloigne qui que ce soit de quoi que ce soit. Au regard rétrospectif, les erreurs précédentes donnent l'aspect finalement rassurant de la constance dans l'erreur, en somme.


Le couloir. Parlons en.


La kitchenette était attenante au couloir. Le couloir en lui même était faiblement éclairé par un vasistas, au dessus des plaques électriques. Ses dimensions ne devaient pas excéder quarante par cinquante centimètres. Curieusement le plafond dans le couloir était trés haut, plus haut que dans l'autre pièce, celle du mort. Voilà il suffisait de la lui céder, de le reconnaître. C'était sa pièce à lui. On la lui cédait bien volontiers. Les toilettes étaient une petite pièce en dehors de l'appartement, sur le même palier, en fait la porte juste à côté de sa porte d'entrée, un réduit aveugle.


Il acceuillit comme une bonne nouvelle que la largeur du matelas tenait impécablement dans la largeur du couloir. Mieux encore, en longueur, il restait un espace vaccant. En écartant ses doigts, il entreprit de mesurer cet espace resté vaccant. Le petit rectangle laissé libre par le matelas avait quatre mains et demi de longueur, et deux mains pleines de largeur. Le léger renfoncement de la porte d'entrée non compris. Avec un peu d'organisation, tout irait pour le mieux. Il se déchaussa. Il fallait établir des règles. Ne jamais marcher chaussé sur le lit, le matelas et la couverture. Règle numéro un. Rester calme et ne pas se départir d'une hygiène élémetaire. Vraiment essayer de rester calme. Garder de l'ordre en toutes choses. Essayer de dire les choses et de les écrire avec méthode. Passer calmement d'une idée à l'autre en ménageant des transitions. Eviter à tout prix de passer du coq à l'âne. Banir le désordre en toutes choses, dans le couloir, d'une part mais aussi dans la pensée, d'autre part. Quitte à occasionner certaines pesnteurs grammaticales. Penser librement, certes, mais garder un fil conducteur à l'esprit. Ne pas s'égarer. Ne pas les égarer non plus. Respecter la chronologie. De la discipline. De l'ordre. Du nerf. Tout irait.



Faiblement éclairé du fait de la hauteur un peu anormale du vasistas, le couloir ainsi ménagé n'offrait décidèment aucun luxe. Avec agacement il s'aperçut, alors que la lumière déclinait, la fin de la journée approchant, qu'il n'avait toujours pas changé cette maudite ampoule du plafonnier, unique éclairage artificiel du couloir.


Il se rappelait avoir laissé une ampoule de rechange sur la table de l'autre pièce. Les bienfaits euphoriques de "sa première victoire" s'assombrissaient avec le couloir. Il restait le petit éclairage au néon au dessus de l'évier du coin cuisine. Il l'alluma. Cela suffisait pour le moment. La nuit tombant il dût constater que l'autre opération, celle du remplacement du tube de néon au dessus de l'évier eût également été bien inspirée, de fait, était-ce le tube allant en bout de course, ou un faux contact dans la fiche du branchement du tube, mais le modique apport de lumière n'était pas constant? Sans compter que le néon décidément déficient bourdonnait. Le bourdonnement, lui constant, et l'irrégularité de l'intensité lumineuse par ailleurs faible, faisaient ce cette unique source d'éclairage davantage un sujet d'énervement et de frustration qu'un éclairage à part entière, davantage une nuisance qu’un bienfait.


Le tout était de s'organiser.


Il retira sa veste.

Ce geste simple le ramena à l'éxiguité du couloir __ encore et toujours l'exiguité du couloir. N'ayons pas peur. Oui, peur de rien. Tout finirait par aller. C'était toujours comme ça à la fin. Le couloir n'était pas exigu__ en effet il fallait maintenant l'accrocher quelque part. Il la pendit donc par le col à la poignée de la port d'entrée. Après tout c'était une solution viable mais qui ne gommait en rien le problème du rangement. Oui le problème du rangement, ne pas s'emballer, le problème du rangement cependant. L'étroitesse du couloir allait poser de tels problèmes. L'étroitesse du couloir, son exiguité, rester calme. Le problème de la veste avait été vite résolu mais l'immédiateté de la solution cachait mal que d'autres choses, d'autres objets, allaient devoir être rangés et qu'aucun accessoire dans le couloir n'avait été prévu à cet effet, si ce n'était la bibliothèque, mais elle était déjà surchargée, de même que l'équilibre instable de ses rayonnages compromettait tout rajout. Il mesura de nouveau l'espace laissé vacant par le matelas dans la longueur du couloir: quatre mains et demie de longueur sur deux pleines de largeur. L'étendue entre son pouce et son auriculaire écartés valait, il lui semblait s'en souvenir pour l'avoir déjà mesuré en prévision de pareilles circonstances, c'est à dire la nécessité de connaître une longueur sans diposer d'outil de mesure idoine, nous n'entendions pas, par cette remarque, les circonstances plus générales de cette situation particulière, celle d'avoir un cothurne cadavérique, il lui semblait donc se souvenir que cet espacement était égal à vingt deux centimètres et demi. Il disposait donc d'une marge de manoeuvre de un mètre à peu près sur quarante cinq centimètres exactement. Il n'y avait rien de trop. Pour l'instant cet espace n'était occupé que par ses chaussures dont il s'était débarassé pour ne plus marcher sur le lit chaussé. Il prit les chaussures, les ramena exactement l'une à l'autre en une paire parfaite et les posa au plus près du lit, l'une d'elles étant d'ailleurs partiellement recouverte par le coin Nord-Est du matelas, lequel coin rebiquait. C'était la règle numéro deux. En vertu de cette règle, la veste devait être accrochée à la poignée de la porte d'entrée et les chaussures contre le lit. Ce soir en se couchant il n'aurait qu'à accrocher chemise et pantalon à la poignée de la porte qui donnait sur la pièce du mort.


Le mort. Ca faisait un moment que l'on ne l'entendait plus. Plus exactement cela faisait un moment qu'il n'avait pas rappelé sa présence. A vrai dire, la porte ainsi fermée, il n'était plus vraiment un souci. Après tout chacun menait sa vie, lui la sienne et lui la sienne. Les préliminaires ayant été ainsi résolus, on pouvait passer à autre chose.


Est ce qu'il me reste des cigarettes?


Est-est-est-est-ce-ce-ce-ce qu-qu-qu-qu-qu’il me-me-me reeeeeessssste des cigarettes? Ne pas s’énerver.


J'en avais acheté un paquet ce matin. Oh putain j'espère que je ne les ai pas laissées à côté __ pas facile de faire coexister dans la même phrase le mot "putain" sous sa forme interjective et une règle grammaticale aussi complexe et polissée qui veut que le complément d'objet direct étant situé avant le verbe attribut il faille, subjonctif tout de même, accorder le participe passé. Putain donc dans le texte, les cigarettes, ne les avais-je pas ommises? Non ça va, elles doivent être dans la poche de la veste. Rester calme. Ne pas s’énerver. Effectivement, il les trouva dans la poche gauche, encore qu'il n'avait à ce sujet aucun ordre. A l'instar de ses clefs.


Les clefs. Merde. "Merde" comme seul mot d'une phrase substantive passe déjà beaucoup mieux. Non, ça va, elles sont bien dans ma poche. La poche gauche de son pantalon. Méticuleux malgré tout, son briquet pouvait toujours être trouvé en compagnie de ses cigarettes. C'était déjà ça. Il s'assit contre l'évier du coin cuisine, il lui suffisait ainsi d'étendre le bras au-dessus de lui, de le tordre légérement et de faire ainsi tomber les cendres dans l'évier. Dorénavant il faudrait penser à faire la vaisselle sitôt après usage, l'évier acquérant, de ce fait, la double fonction d'évier et de cendrier. Une nouvelle règle. En fait ce n'était pas si difficile, un peu de discipline et tout rentrerait dans l'ordre. Récapitulons. Se déchaussser. Veste sur poignée. Chaussures près du lit. Evier = cendrier. Il se releva en fin de cigarette, fit passer un peu d'eau sur son mégot pour le jeter sans crainte dans le sac poubelle, et en profita pour faire converger le reste des cendres vers la bonde. Il se rinça les mains qu'il essuya avec le torchon de la vaisselle. Eteint le néon au dessus de l'évier.


Il songea un temps.

S'assit sur le lit.

Puis s'allongea, s'endormit enfin.


















Les yeux ouverts.

Il se réveilla. Il lui sembla se réveiller tandis que ses yeux étaient déjà ouverts. Ne fait-on pas habituellement l'inverse? Il n'éprouva pas l'envie de s'interroger plus outre sur ce phénomène qui n'en était peut être pas un. Après tout le mort lui aussi.


Merde, le mort. Perdre l'habitude de dire et d'écrire "merde". Quelles que soient les circonstances. On n'avait tout de même pas élever les cochons ensemble, lui et eux.


Le mort aussi, c'était un problème. Mais bon sang, il faisait toujours nuit? Il ne s'était donc pas deshabillé pour dormir? Combien de temps avait -il dormi? Quelle heure était-il? Et lui était il toujours de l'autre côté? Doucement les questions. Y'avait pas de raisons. De ne plus l'avoir sous surveillance était emmerdant. Mais bon quelle heure était il? Il valait peut être mieux refermer les yeux. Les siens s'entend, pas ceux du mort. Dormir à nouveau.


Et puis non. Il y avait un certain nombre de questions qui méritaient une réponse. Quelle heure était il? D'après sa montre il était un peu moins de deux heures dix. Etait ce une réponse valide? Je veux dire cette montre était-elle fiable? Ne compliquons pas inutilement les choses. De toute manière ce n'était pas une information très utile. La question qui le préoccupait vraiment était combien de temps avait il dormi? Ce en quoi de connaître l'heure qu'il était maintenant ne l'aidait en rien, encore eusse-t-il fallu connaître l'heure à laquelle il s'était endormi. Bon après avoir fait la vaisselle... Non il n'avait pas fait la vaisselle, il avait juste nettoyé le cendrier que constituait maintenant l'évier. C'était dans son rève qu'il faisait la vaisselle. Cela devenait confus; l'obscurité s'y prêtant, des bribes de son rève lui revenaient en mémoire. Une histoire un peu loufoque. De là à dire une histoire à dormir debout. Dans laquelle on l'avait obligé à faire la vaisselle au robinet du quai du métro, à la station Bastille sur le quai en direction de Créteil. Des clochards coiffés de casquettes de contrôleurs l'y avaient contraint, comme à une punition parce qu'ils l'avaient surpris à fumer sur le quai. C'était sans interêt, il avait d'autres problèmes sur les bras. Il s'était assoupi, voilà tout.


Il s'aspergea le visage d'eau à l'évier, s'essuya au torchon de la cuisine. Se deshabilla. Pendre chemise et pantalon à la poignée de la porte qui donnait sur la pièce du mort. Bon à partir de maintenant, il fallait s'astreindre à dire ou parler de la pièce principale. Ne pas se laisser envahir. A partir de maintenant.


Il s'allongea. Mais le sommeil ne voulait pas venir. Enfin pas immédiatement. Il avait faim. Il était évident qu'il y aurait une multitude de choses à faire demain, de problèmes à régler. Le découragement devant la liste, s'allongeant dans son esprit, de toutes ces tâches à accomplir au lever lui donna l'envie d'une cigarette. Il se releva, alla __ enfin cela ne représentait malgré tout qu'une seule enjambée __ jusqu'à sa veste mais ne trouva pas ses cigarettes. Il recula d'un demi pas, comme pour réfléchir, prendre du recul autant que l'exiguité du couloir lui laissât en prendre, et son pied gauche heurta son paquet. Il avait du le laisser à terre avant de s'endormir la première fois. En tâtonnant il trouva le briquet. Il n'avait décidément aucun ordre. Ce n'était pas des habitudes à prendre. A partir de maintenant, il devrait ranger ses cigarettes et son briquet dans ses chaussures, par souci d'économiser de la place. "A partir de maintenant...", que toutes ces recommandations sont pesantes!


Il se remémora: se déchausser, veste sur poignée de la porte d'entrée, chaussures près du lit, evier = cendrier, cigarettes+briquet dans chaussures.


Pour l'instant ça allait, ça n'avait rien d'exhaustif. De toute manière demain matin, il faudrait s’organiser, faire un plan, dresser des listes. Il faudrait commencer par faire des provisions, c'était le plus urgent mais comme il avait déjà faim, son estomac lui servirait de pense-bête en temps utile. Ne pas se laisser déborder. Faire des listes si cela s'avère nécessaire. En fait c'était assez simple, la faim lui ferait penser aux provsions, lesquelles lui rappeleront la nécessité de faire des listes: tout allait bien. Ne pas s'en faire.Tout irait.


Bon on s'en grillait une, ou on essayait de se recoucher, on est con, dire "il". Il était déjà couché, c'était de se rendormir dont il était question. La cigarette était exclue. Il eut fallu se relever, s'assoir contre l'évier pour les cendres. Maigre effort, mais quand même. Finir ses phrases. S'assurer qu'elles comportent le minimum grammatical vital. Se reprendre en main. Il se releva, s'assit contre l'évier mais refusa la cigarette qu'il s'était offerte. L'effort de volonté était double, il s'en sortait à merveille. Après un temps qu'il estima correspondre à celui de la consommation d'une cigarette, il se coucha. Ne se priver en rien de ces petits défis, ils constituaient d'excellents jalons, décidement il ne devait surtout pas s'inquièter, au contraire, il ne négligeait aucun détail.


Allongé scrutant l'ombre foncée du vasistas qui donnait sur la nuit, l'image des clochards contrôleurs lui revint en tête. Il était un peu fourbu pour tenter de la comprendre, aussi laissa-t-il sa pensée dériver. Il repensa à la facilité déconcertante avec laquelle il avait obtenu de son médecin un arrêt maladie d'une quinzaine de jours. "Vous savez Docteur, je me sens si fatigué, et puis je ne dors plus. Et puis ce n'est pas avec les horaires que je fais que je m'en sors. J'ai beau en parler régulièrement avec mon patron mais c'est comme si je parlais à un mur.

__ Mais Monsieur il faut absolument vous reposer. Vous ne vous rendez pas compte, le corps n'est pas fait pour passer comme cela d'un horaire à un autre. Moi j'ai bien envie de vous arrêter.

__ Vous croyez vraiment...

__ Oui oui j'en suis persuadée. Et puis je vais vous donner quelque chose pour votre vertige".


"Ne pas se justifier".


Il sombra et finit par s'endormir.


Pendant que le docteur gribouillait une ordonnace, il s'attarda sur le portrait encadré sur le radiateur derrière le bureau. Il eut envie de dire au docteur que le radiateur n'était surement pas le meilleur endroit pour une photographie, surtout quand le radiateur marchait à bloc, dans la salle de consultation, qui plus est pour une photographie en couleur. Il n'en fit rien. C'était une jolie petite fille, tout à fait banale, qui en ces deux points, ne ressemblait pas du tout à sa mère. Il n’empêche, son image disparaîtrait bien assez vite sous la chaleur du radiateur. Méchant, cette disparition l’enchantait, et il aurait presque souhaité l’étendue de cette disparition au modèle, si joli, un décès soudain, dans la fleur de l’enfance, comme on dit, à tort, on s’apitoie toujours.


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